Intervention de Jean-Christophe Dumont

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 3 janvier 2017 à 14h40
Audition de M. Jean-Christophe duMont chef de la division des migrations internationales à l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE :

Selon le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, près de 180 000, contre 150 000 en 2015, soit une légère augmentation - on a observé un tassement en décembre 2016, mais il suivait un pic en octobre et novembre.

Il faut par ailleurs remarquer une augmentation importante du nombre de mineurs non accompagnés, qui représentent désormais près de 15 % des arrivées en Italie. Sur l'ensemble de l'année 2015, on avait enregistré 82 000 demandes d'asile émanant de mineurs non accompagnés, dont plus de 37 000 en Suède uniquement. Ce chiffre est probablement sous-estimé, parce que tous les mineurs non accompagnés ne sont pas enregistrés de la même façon en Allemagne. Cette année, le chiffre sera plus faible, mais une tendance durable semble se dessiner, notamment sur la route migratoire de la Méditerranée centrale. Cette situation pose de nombreux défis aux pays qui doivent y faire face.

Vous m'aviez posé la question des politiques migratoires européennes : elle peut être abordée sous divers angles. Je me limiterai à l'immigration légale, en écartant l'asile, qui ne relève peut-être pas du champ de votre commission d'enquête.

On observe une convergence des politiques nationales qui tient à deux faits. D'une part, un certain nombre de directives européennes encadrent les droits nationaux et ont créé, de façon tout à fait parcellaire, des standards minimaux communs. D'autre part, en ce qui concerne les migrations de travailleurs qualifiés, une compétition existe entre les différents pays de l'OCDE, notamment européens, pour attirer les talents. D'une façon générale, un modèle hybride prévaut en Europe : une offre d'emploi est exigée, ainsi que la réunion d'un certain nombre de conditions, en termes de rémunération minimale, de niveau de qualification, etc. Il s'agit donc d'un modèle fondé sur la demande et sur l'offre. Les politiques européennes convergent vers celles que l'on observe dans les pays d'installation, qui sont beaucoup plus attractives.

L'OCDE a publié une étude en juin 2016, intitulée Recruiting Immigrant Workers - Europe, qui comporte une série d'études de cas - celle qui concerne la France devrait paraître très prochainement. Nous y montrons que l'Europe « boxe en dessous de sa catégorie » dans la compétition pour les talents. L'immigration de travail en provenance de pays tiers représente une part extrêmement faible de l'ensemble de la population européenne. Si l'Europe accueille environ 50 % des travailleurs migrants peu éduqués installés dans l'ensemble des pays de l'OCDE, elle n'accueille qu'environ 32 % des travailleurs migrants hautement qualifiés. Si l'on examine les intentions d'immigration, on observe à peu près les mêmes proportions - 42 % de peu qualifiés contre 37 % de qualifiés. L'Europe attire principalement des personnes originaires de territoires voisins et a beaucoup de difficultés à recruter en Asie, principal continent d'origine des migrants vers l'Amérique du Nord.

On relève donc de nombreuses difficultés pour l'Europe à tirer son épingle du jeu dans la compétition pour les talents et cet ouvrage formule un certain nombre de propositions pour redresser la barre, concernant notamment la réforme en cours de la carte bleue européenne - elles ont alimenté en partie la réflexion de la Commission européenne -, mais également bien au-delà puisque la question de l'attractivité ne se résume pas à la réforme de titres de séjour.

Pour conclure, je voudrais insister sur quelques défis.

Tout d'abord, les travaux de l'OCDE montrent bien que le problème ne se pose pas tant en termes de démographie - une demande de force de travail qui viendrait compenser une population active en déclin - que d'ajustement de la demande à l'offre. Dans un contexte où l'on enregistre de nombreuses sorties du monde du travail, la demande évolue très rapidement, notamment en raison des nouvelles technologies. Face à cette évolution de la demande de travail, l'immigration peut jouer un rôle d'ajustement, mais ce dernier n'est pas automatique. C'est donc l'un des premiers enjeux auxquels doivent répondre les politiques migratoires.

Ensuite, au niveau global, on assiste à une augmentation très rapide du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur dans le monde - il y a quelques années encore, l'Inde et la Chine formaient environ 17 % des diplômés de l'enseignement supérieur, elles en formeront près de 30 % en 2020. Par ailleurs, la classe moyenne se développe dans les pays émergents (la Chine et l'Inde comptaient en 2000 moins de 5% de la classe moyenne mondiale et pourraient représenter environ 50% d'ici à 2030), avec une forte demande de mobilité, soit pour des études, soit pour du tourisme. Ces évolutions constituent un véritable changement de paradigme, notamment dans le cadre des négociations commerciales, où les questions migratoires étaient souvent marginales. La facilitation des visas fera à l'avenir partie intégrante des demandes exprimées par les pays émergents dans le cadre de ces négociations - c'est déjà le cas, également, entre pays de l'OCDE, comme on l'a vu récemment avec les États-Unis et le Canada. Cette problématique est donc appelée à peser davantage à l'avenir.

Enfin, les migrations en provenance du continent africain, en particulier d'Afrique subsaharienne, restent modestes : elles concernent environ 300 000 personnes par an. Le taux d'émigration des personnes nées en Afrique est faible : 1,7 % des personnes nées en Afrique vivent dans un pays de l'OCDE. En revanche, les intentions d'émigration sont très élevées parmi les jeunes, et augmentent. La population du continent africain va doubler d'ici à 2050, passant de 1 milliard à 2 milliards d'habitants, c'est un fait connu. Ce qui l'est moins, c'est qu'avec près de 400 millions de jeunes de 15 ans à 24 ans en 2050, près de 30 % des jeunes dans le monde seront Africains. Les politiques migratoires, notamment la politique de facilitation des visas, joueront donc un rôle clé dans les années à venir, en termes d'attractivité, de sécurité et d'équité vis-à-vis des différents pays d'origine.

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