Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Mes chers collègues, notre commission d'enquête va conclure son cycle d'auditions de la journée en entendant Mme Sara Abbas, directrice du bureau de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) en France, qui est une agence des Nations unies.
La crise migratoire qui touche l'Union européenne, et plus particulièrement certains de ses États membres, constitue l'un des phénomènes qui, avec le terrorisme, ont mis en lumière les limites, voire les dysfonctionnements de l'espace Schengen.
Quelles sont les caractéristiques de ces migrations ? Dans quel contexte plus général se situent-elles ? Les routes de transit observables aujourd'hui présentent-elles des particularités et ont-elles récemment évolué ? Quelle appréciation portez-vous sur les politiques migratoires menées en Europe et sur leurs conséquences pour la mise en oeuvre de Schengen ?
Outre les réponses aux interrogations de notre commission d'enquête, l'OIM a sans doute des informations à nous apporter sur les relations que l'Union européenne entretient, ou pourrait entretenir, avec les pays d'origine des flux de migrants afin de les tarir.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
À la demande de Mme Abbas, cette audition ne sera pas captée par vidéo ni retransmise sur internet, mais fera bien l'objet d'un compte rendu publié.
Vous avez la parole, Madame la Directrice.
L'OIM est une organisation internationale qui regroupe 166 États membres et dont le siège est à Genève. Avec près de 450 bureaux à travers le monde et près de 10 000 collaborateurs, l'OIM travaille sur des projets liés à la question migratoire. Depuis quelques années, nous nous attachons aux flux migratoires en direction de l'Europe.
L'OIM est présente sur les îles grecques et en Italie - à Lampedusa - pour accueillir les migrants. En 2016, environ 360 000 personnes sont entrées en Europe, principalement en Grèce et en Italie, mais aussi en Espagne et à Chypre. Ce chiffre est en diminution par rapport à 2015, année durant laquelle plus d'un million de personnes sont arrivées en Europe.
Nous les accueillons à leur arrivée, puis nous les orientons vers les services idoines. Ces flux ne concernent pas seulement des personnes pouvant prétendre au statut de réfugié, mais aussi des mineurs non accompagnés, des familles, des femmes avec ou sans enfants, des personnes âgées... La situation est donc assez complexe.
L'OIM est aussi présente dans les Balkans. Nous avons des équipes en Slovénie, en Croatie, en Serbie, en Grèce, en Italie, en Hongrie, qui vont à la rencontre des personnes pour connaître leur pays d'origine. En Italie, on trouve principalement des Nigérians, des Érythréens, des Guinéens, des Ivoiriens et des Gambiens ; en Grèce, ce sont plutôt des Syriens, des Irakiens, des Afghans et des Iraniens.
Les équipes présentes dans les Balkans et les pays limitrophes réalisent des sondages pour obtenir des profils plus précis. Nous ignorons quels sont les projets des migrants, mais l'Italie semble être le pays de destination privilégié des personnes arrivées à Lampedusa qui ont accepté de répondre à nos questions, devant l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas... Les migrants passés par la Grèce privilégient l'Allemagne comme pays de destination.
Manifestement, la France n'est pas le pays de destination des migrants...
Si nous mettons de côté l'exemple de Calais, où l'on a vu jusqu'à 10 000 personnes se rassembler l'année dernière avant de tenter de rejoindre la Grande-Bretagne, les demandes d'asile n'ont que peu augmenté en France ces dernières années, très loin derrière l'Allemagne, la Suède ou l'Autriche, par exemple.
Une personne que nous avons auditionnée ce matin a posé la problématique du règlement de Dublin et de son éventuelle modification de sorte que le pays de destination soit chargé d'examiner la demande d'asile du migrant et non plus seulement le pays d'arrivée. Que pensez-vous de cette idée au regard des réalités de terrain auxquelles sont confrontées vos équipes dans cette crise migratoire ?
Par ailleurs, le programme de relocalisation mis en place par l'Europe pour essayer de contrecarrer ce règlement de Dublin n'apparaît pas très efficace. Confirmez-vous cette analyse et, si oui, quelles autres solutions pourriez-vous préconiser ?
Si mes chiffres sont corrects, environ 8 % des 160 000 migrants visés ont été relocalisés, ce qui est très faible. Il existe un profond désaccord entre les États sur cette question : certains pays, comme la France, ont ouvert leurs portes pour accueillir les migrants relocalisés - la France est d'ailleurs en tête des pays d'accueil -, mais d'autres, comme la Hongrie, refusent de participer à ce dispositif. Il est certain que la Grèce et l'Italie ne peuvent faire face, seules, à ces flux. Il faut aider ces pays et faire en sorte de diminuer la pression migratoire qu'ils subissent.
Que pensez-vous de l'absence de politique migratoire à l'échelle européenne ? On nous a confirmé ce matin ce que nous savions déjà : l'absence de politique migratoire uniforme, sinon convergente, au sein de l'espace Schengen crée des contraintes lourdes. Est-ce un phénomène que vous constatez quotidiennement sur le terrain ?
Oui. Surtout depuis l'année dernière, nous voyons une Europe très divisée, qui n'arrive pas à se mettre d'accord...
Pour quelles raisons ? S'agit-il d'une absence de volonté politique, d'un désaccord sur la vision des choses ou, pire encore, d'une volonté de laisser faire, du moment que cela se passe chez les autres et pas chez nous ?
Depuis quelques années, nous constatons un retour du nationalisme dans un certain nombre de pays européens qui n'ont peut-être pas la même culture d'accueil que d'autres États. Nous avons réalisé une étude avec l'institut Gallup qui montre que l'Europe reste la région du monde la plus fermée : près de 54 % des personnes interrogées souhaitent que l'immigration se stabilise, voire qu'elle diminue.
Il faut toutefois regarder ces chiffres plus en détail : les pays du Nord sont plus ouverts, à l'exception de la Grande-Bretagne, et ceux du Sud plus fermés. Ce sont surtout dans ces derniers que la population souhaite voir diminuer l'immigration.
L'objectif de notre commission d'enquête étant d'analyser et d'évaluer des politiques dans le cadre de l'espace Schengen, quel regard portez-vous sur les mesures consistant à renforcer le contrôle aux frontières ?
Ce n'est pas en renforçant les frontières que l'on arrêtera les flux. Cela ne changera rien aux causes des migrations : conflits armés, comme en Syrie, par exemple, persécutions, instabilité politique, pauvreté extrême, changement climatique... On oublie souvent que l'aléa climatique fait bouger 20 millions de personnes par an.
Il faudrait plutôt s'attaquer aux causes profondes des migrations, à commencer par la question du développement économique des pays d'origine. Que se passera-t-il si Schengen disparaît ? Cela ne changera rien à l'ampleur, inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, des flux migratoires que nous constatons aujourd'hui.
Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, héritier du Commissariat général du Plan.
M. Pisani-Ferry est accompagné de M. Vincent Aussilloux, directeur du département Économie, et de M. Boris Le Hir, qui travaille dans ce même département.
Outil de pilotage stratégique, France Stratégie a pour mission d'évaluer, d'anticiper, de débattre et de proposer. Chacun de ces termes peut s'appliquer à l'espace Schengen, dont le fonctionnement traduit concrètement le grand principe de liberté de circulation des personnes et des marchandises, mais qui fait aujourd'hui l'objet de critiques, voire de remises en cause dans certains États membres, y compris en France.
France Stratégie a publié, en février 2016, une note d'analyse sur les conséquences économiques d'un abandon des accords de Schengen, dont il ressort que le coût annuel pour notre pays s'établirait à 1 à 2 milliards d'euros à court terme et à environ 10 milliards d'euros à plus long terme.
C'est précisément pour cette étude que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Pour alimenter sa réflexion, elle a besoin de connaître ce que pourrait induire un rétablissement des contrôles aux frontières, quels secteurs et acteurs économiques seraient touchés et si, au contraire, des avantages peuvent être attendus d'une telle décision.
Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures consécutif aux attentats qui ont touché notre pays a-t-il déjà des répercussions tangibles - je pense aux difficultés du secteur touristique ? Nous serions également très intéressés de connaître le coût budgétaire d'un rétablissement de ces contrôles.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean Pisani-Ferry, Vincent Aussilloux et Boris Le Hir prêtent serment.
D'après nos chiffres, une personne sur sept dans le monde est un migrant. Il ne s'agit pas nécessairement de personnes qui franchissent une frontière : un migrant peu aussi rester à l'intérieur de son pays. Nous dénombrons actuellement 242 millions de migrants internationaux. La mobilité humaine est aujourd'hui sans précédent.
Voilà qui invite les experts à prendre leurs responsabilités concernant notamment les chiffres qu'ils publient...
Je vous remercie de nous entendre sur ce sujet. Effectivement, nous avons publié en février 2016, au moment où le sujet suscitait intérêt et préoccupation, une note d'analyse sur les conséquences économiques d'un abandon des accords de Schengen, par laquelle nous avons cherché à examiner quelles pourraient en être les conséquences économiques. J'insiste sur le mot « économiques », puisque notre expertise ne s'étend pas aux questions de sécurité, sur lesquelles nous ne nous sommes donc pas prononcés. Cette étude a été la première à circuler en Europe sur ce sujet, suivie par d'autres. Je serai donc amené à compléter notre analyse est à dire ce que je pense de ces autres études.
Notre préoccupation était européenne et française et portait assez peu sur les autres pays européens pris individuellement. Nous avons cherché à évaluer deux types d'impacts économiques : d'abord, un impact à court terme, immédiat, en essayant de chiffrer ce que pourrait être l'effet d'une moindre porosité des frontières sur les échanges de marchandises et de personnes ; puis nous avons essayé d'envisager les effets à plus long terme.
Le premier exercice vise à mesurer ce que pourrait être l'impact d'un renforcement des contrôles aux frontières pendant une durée de quelques mois à quelques trimestres, de façon non permanente.
Le second exercice vise à évaluer ce que pourrait être l'impact d'un rétablissement permanent des contrôles aux frontières, avec des effets structurants sur les flux de biens.
Les coûts directs de court terme dont il est question sont d'abord les coûts administratifs liés à la mise en place de ces contrôles avec ce que cela suppose d'investissements et de coûts de fonctionnement. Nous ne les avons pas chiffrés nous-mêmes. Il se trouve que, depuis lors, une étude menée par RAND Europe pour le Parlement européen, strictement complémentaire de la nôtre, s'est concentrée sur cet aspect-là des choses.
De notre côté, nous avons essayé plutôt de chiffrer les coûts économiques - donc non budgétaires - pour les différents agents économiques, à savoir les secteurs du tourisme et du fret, ainsi que les frontaliers.
L'étude de RAND Europe estime que, pour la France, les coûts fixes seraient compris entre 1 et 2 milliards d'euros en investissements et entre 150 et 250 millions d'euros par an en coûts de fonctionnement - admirez la précision de ces chiffres ! On retrouve les mêmes chiffres pour l'ensemble des pays de la zone Schengen, même s'ils ne sont pas strictement analogues d'un pays à l'autre : cela dépend de la géographie, de l'étendue des frontières, du nombre de points de passage et de bien d'autres paramètres.
J'en viens maintenant à ce que nous avons chiffré nous-mêmes. Nous avons chiffré d'abord l'impact sur le tourisme en nous attachant à mesurer les effets non pas sur le tourisme de moyenne ou de longue durée, mais sur les séjours journaliers qui pourraient être affectés par un passage de la frontière plus long. On compte 122 millions d'excursionnistes, c'est-à-dire des gens qui passent la frontière pour aller faire quelques courses ou aller au restaurant. Nous avons estimé que le coût économique pour notre pays lié à une baisse des ressources touristiques consécutive à une diminution du nombre des courts séjours et des excursions entre 500 millions et 1 milliard d'euros.
En ce qui concerne les frontaliers, nous n'avons pas supposé qu'ils allaient quitter leur emploi de l'autre côté de la frontière, mais simplement qu'ils allaient subir un coût économique lié à l'allongement du temps de passage et du temps de transport. Nous avons chiffré ce coût en bien-être pour les salariés concernés entre 250 et 500 millions d'euros.
Quant au troisième impact, il concerne les transports de marchandises du fait de l'allongement du temps de transport. À part pour le tourisme de courte durée, tout reste en l'état : on continue à travailler de l'autre côté de la frontière, on continue à échanger ; simplement, les salariés subissent un coût en bien-être, les entreprises subissent un coût lié à l'allongement de la durée de transport, mais l'échange international demeure à son niveau. Donc, le coût estimé sur les exportations et les importations se situe entre 60 et 120 millions d'euros, ce qui correspond strictement à l'allongement du temps de transport.
Au global, le tourisme supporterait la moitié du coût d'un abandon des accords de Schengen et les frontaliers un quart. Un huitième de ces coûts seraient budgétaires - ils n'étaient pas intégrés dans notre étude initiale, mais nous avons repris l'estimation de RAND Europe -, le dernier huitième étant supporté par le transport de marchandises.
Tout cela n'est pas considérable, sachant qu'il s'agit non pas d'un coût budgétaire, mais d'un coût en bien-être. De fait, des mesures temporaires de contrôle aux frontières ne représentent pas un enjeu économique très marquant.
En revanche, nous nous sommes interrogés sur les coûts indirects à moyen et à long terme, qui sont beaucoup plus difficiles à évaluer parce que la méthodologie ne peut pas être la même. Nous avons fait appel à un grand spécialiste du commerce international, le professeur Thierry Mayer, pour mesurer l'intensité à ce jour des échanges, toutes choses égales par ailleurs, entre les pays membres de la zone Schengen par rapport aux pays qui n'en sont pas membres. Autrement dit, le fait de participer à cette forme d'intégration a-t-il des impacts économiques mesurables ?
Tous les spécialistes qui travaillent sur le commerce international mettent l'accent aujourd'hui sur l'importance des réseaux de personnes : l'échange est le fruit de décisions prises par des personnes, et donc la fréquence avec laquelle elles voyagent ou s'installent de l'autre côté de la frontière est un déterminant très important de l'intensité du commerce international entre deux pays. De fait, on peut imaginer que l'appartenance à la zone Schengen a un impact sur le commerce international en créant et en facilitant naturellement les relations, propices ensuite aux activités économiques et aux échanges.
Notre méthode a consisté à estimer le surplus de commerce existant entre les pays de la zone Schengen par rapport aux pays qui n'en font pas partie. Nous avons pris en compte bien sûr les autres déterminants dans l'intensité des échanges - le poids économique des pays en question, la distance entre les uns et les autres, la présence ou non d'une frontière commune, d'une langue commune, etc. -, et, une fois cette série de variables intégrée, nous avons estimé que l'appartenance à la zone Schengen expliquait à peu près 10 % du montant des échanges, ce qui est considérable. Je ne vous dirai certainement pas qu'il est mesuré avec une précision absolue ; il est le fruit d'une comparaison que nous avons faite, à situations équivalentes, entre les pays situés en zone Schengen et les autres.
Ce chiffre de 10 %, il faut le convertir en un coût économique. Première étape : nous nous sommes attachés à mesurer le surplus d'échanges qui peut être attribué à la participation à la zone Schengen. Deuxième étape : dans l'hypothèse d'une réduction des échanges à la suite d'une sortie des accords de Schengen ou d'un démantèlement des accords de Schengen, ce qui, par équivalence, pourrait conduire à une réduction des échanges de même ampleur, il faut compter avec un tarif douanier, tarif que nous avons estimé à trois points, sur l'ensemble des biens, ce qui n'est pas négligeable, sachant que, dans le cadre d'autres négociations, nous nous sommes battus pour moins que cela.
Une fois qu'on a l'équivalent tarifaire, on peut utiliser les méthodes classiques de chiffrage des mesures de libéralisation ou de protection commerciale avec les mêmes instruments, en l'espèce le modèle MIRAGE du CEPII, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, centre internationalement reconnu en matière de commerce international et qui fait partie du réseau de France Stratégie. La seule différence, c'est que l'application d'un tarif douanier, même si elle a également un coût économique, a l'avantage de produire des recettes.
Sans surprise, les échanges commerciaux enregistreraient une diminution de l'ordre de 10 % à l'horizon 2025. En calculant, à partir de ce modèle, la variation du PIB qui s'ensuivrait, on estime que la France verrait celui-ci baisser de 0,5 %, soit 10 milliards d'euros. C'est moins que pour les pays de l'espace Schengen de manière globale, qui sont plus ouverts que la France et pour lesquels la réduction des échanges est plus importante. La France n'est pas un pays particulièrement ouvert au commerce international du fait de sa taille et en raison d'un niveau d'échanges - importations et exportations - sensiblement inférieur à celui de l'Allemagne.
Quelques points complémentaires en réponse aux interrogations soulevées dans votre questionnaire.
Les autres études ont adopté des méthodologies qui ne sont pas très différentes de la nôtre. Ensuite, les paramètres varient et peuvent donc aboutir à des chiffres un peu différents. Tout cela est valable à un horizon d'une dizaine d'années, sachant que toutes les études s'accordent à considérer qu'on peut travailler à deux horizons : un horizon immédiat pour chiffrer l'impact sur des transactions et des échanges qui demeurent ; un horizon de long terme pour chiffrer l'impact sur les échanges eux-mêmes.
Vous nous avez également demandé si l'abandon des accords de Schengen remettrait en cause l'Union européenne et l'euro. Il convient d'être prudent : l'Union européenne, sous la forme de la Communauté européenne, a existé avant Schengen et certains pays membres de l'Union européenne ne sont pas dans l'espace Schengen. Par conséquent, il ne faut pas exagérer et spéculer à l'excès sur des conséquences qui seraient désastreuses pour l'Union dans son ensemble, tout en étant conscient du fait que cet abandon aurait un impact économique. Néanmoins, la reconstitution d'un système de contrôle aux frontières serait un élément parmi d'autres, préoccupants, de désagrégation de l'Union européenne, et s'inscrirait dans un ensemble et dans une dynamique.
La question sur laquelle je conclurai est de savoir si l'on peut faire autrement et mieux. Je m'aventure là en dehors de mon domaine d'expertise puisque nous ne sommes pas des spécialistes des questions de sécurité. Simplement, de notre point de vue, l'idée que c'est par le contrôle aux frontières que l'on assure le mieux le respect des objectifs de sécurité ne va pas de soi. On peut se demander où il vaut mieux affecter les moyens, s'ils doivent être constants : faut-il plutôt les consacrer à des contrôles statiques à la frontière, compte tenu de la multiplicité des points de passage, ou bien à des contrôles plus mobiles ? Faut-il les consacrer à un renforcement des frontières extérieures de l'Union, à des moyens de contrôle par les systèmes d'information, à un renforcement de la coopération entre les services de police et de renseignement ou à d'autres actions encore ? Très franchement, je suis incapable de vous indiquer le rapport coût-bénéfice de ces différentes options.
Le président de la Commission européenne a déclaré voilà quelque temps que, si l'espace Schengen venait à disparaître, l'euro n'aurait plus d'intérêt. Votre opinion est-elle aussi tranchée que la sienne ? Un certain nombre de pays frappent à la porte de l'espace Schengen : la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie et Chypre. À moyen terme, voire à long terme, quel impact cela peut-il avoir sur l'ensemble des échanges économiques et dans quelle mesure cela peut-il contribuer à les développer ? Enfin, comment est-il possible de faire mieux fonctionner Schengen ? Vous avez évoqué la sécurisation des frontières. Peut-être avez-vous un point de vue propre à votre domaine de compétence ?
Il s'agit de l'estimation du nombre total de migrants internationaux. Au regard de tout ce qui se passe en Afrique et au Moyen-Orient, je ne vois pas comment ces flux pourraient diminuer. Si cette migration peut être réglementée, encadrée, elle peut s'avérer positive : si les prévisions du marché du travail sont bonnes, en 2050, l'Europe aura besoin de ces migrants. Il faut s'efforcer d'intégrer ces personnes, ce qui constitue un grand défi en Europe. Peut-être faudrait-il investir autant d'argent en faveur de l'intégration des migrants que pour garder les frontières...
En ce qui concerne la déclaration du président Juncker, vous aurez compris que je la trouvais excessive. Il faut prendre garde de voir une complémentarité entre la participation à l'euro, d'une part, et l'intégration économique et la citoyenneté européenne, d'autre part. Schengen est l'un des éléments de la citoyenneté européenne, de la même manière que la liberté de circulation et d'installation et un certain nombre de droits attachés à la participation à l'Union européenne sont totalement séparables de Schengen. Il existe des complémentarités entre ces différents éléments ; maintenant, revoir le fonctionnement des accords de Schengen pour des raisons qui tiennent à leurs dysfonctionnements, serait-ce un coup fatal porté à l'Union européenne ? Je ne le crois pas. En revanche, il faut être vigilant, car l'accumulation d'initiatives allant dans le même sens finirait par vider de toute signification la participation à l'Union européenne. À elle seule, la remise en cause de Schengen ne serait cependant pas un coup fatal porté à l'euro.
S'agissant de l'élargissement de la zone Schengen, on parle de pays vis-à-vis desquels on a quelques raisons d'être prudent. Il n'y a pas lieu de penser qu'ils ne bénéficieraient pas, sur le plan économique, d'une participation à cet espace ; maintenant, cela ne doit pas se faire sans condition et il ne s'agit pas, en ce moment précis, de faire preuve d'imprudence en la matière, qu'il s'agisse des sujets de sécurité ou de la question des réfugiés. Pour autant, il est souhaitable qu'à terme ces pays membres de l'Union européenne puissent intégrer l'espace Schengen, une fois que les conditions requises seront remplies.
Vincent Aussilloux pourra sans doute compléter mon propos.
Quand on parle d'un retour à la situation qui prévalait avant Schengen, on vise des contrôles perlés à la frontière, c'est-à-dire non systématiques. Bien entendu, les contrôles de ce type ne sont pas les plus efficaces pour empêcher les flux, notamment de personnes qui chercheraient à entrer dans le pays pour commettre des actes terroristes. Bien évidemment, les contrôles aléatoires sur les voitures ou les camions sont faciles à éviter compte tenu de la multiplicité des points d'entrée sur le territoire, sans même parler des points d'entrée non routiers. La France se caractérise en effet par l'étendue de ses frontières, ce qui permet d'éviter facilement ces points de passage et de contrôle localisés et bien identifiés. Pour avoir travaillé sur ces questions avec les douanes, je puis vous dire que l'efficacité des contrôles est bien meilleure quand ils ciblent en tout point du territoire des véhicules repérés à l'avance grâce à des informations spécifiques. Mobiliser un certain nombre de douaniers dans des guérites à des points de passage, entre la France et la Belgique par exemple, n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'utiliser les ressources en hommes et en femmes dont disposent les douanes.
Je ne peux parler de chaque pays européen, mais il est évident que certains ont des politiques beaucoup plus souples que d'autres. La Suède, par exemple, a subi une très forte pression l'année dernière, avec près de 160 000 demandeurs d'asile, en raison de sa politique plus favorable aux migrants, notamment en matière de regroupement familial. Elle a aujourd'hui fermé sa frontière avec le Danemark, ne pouvant plus faire face à ces flux, quand d'autres pays n'ont pas joué le jeu en instaurant des politiques d'accueil beaucoup plus dures. Je pense que l'harmonisation en cours de ces politiques est une bonne chose pour éviter que certains pays n'accueillent davantage de migrants que d'autres.
Pour avoir travaillé à Bruxelles à la fin des années quatre-vingt, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de l'espace Schengen, je peux vous dire que nous étions déjà dans un système de circulation quasiment sans contrôle. Abandonner Schengen impliquerait de revenir bien en amont de la situation qui prévalait dans ces années-là, où la circulation était nominalement contrôlée, sans l'être vraiment en réalité.
L'Allemagne, par exemple, a annoncé qu'elle souhaitait accueillir 700 000 migrants - sauf erreur de ma part. Elle en a accueillis beaucoup plus et revient aujourd'hui quelque peu en arrière. Comment analysez-vous cette situation ? Ces personnes seront-elles obligées de repartir ou vont-elles rester en Allemagne ?
Si l'on rétablit les contrôles, ce n'est pas pour faire ce que l'on ne faisait pas trop bien avant ! On imagine des contrôles sur le modèle de ceux qui sont en vigueur entre l'espace Schengen et les pays hors Schengen. Pour le coup, j'ai tendance à penser que votre estimation est très optimiste. On peut déjà considérer que ce serait la fin des travailleurs frontaliers. Ayant vécu longtemps dans un pays frontalier de l'Ukraine, je sais combien il est difficile d'attendre plusieurs heures au passage d'une frontière. C'est ce qui explique l'impact qu'il y aurait sur les marchandises : c'est d'abord l'appartenance à l'Union européenne qui fait que les marchandises peuvent circuler, et non pas l'appartenance à Schengen.
La deuxième chose, c'est qu'il est très difficile - et vous l'avez plus ou moins dit à la fin de votre exposé - d'évaluer les réelles conséquences économiques de la fin de Schengen. Ne plus pouvoir considérer l'ensemble de l'espace Schengen comme un espace unique aurait un effet symbolique majeur et chaque pays devrait alors compter sur ses propres forces. La structure du commerce extérieur français est particulièrement mauvaise par rapport à celle de ses partenaires de la zone euro ; nous sommes structurellement déficitaires quand presque tous les autres sont structurellement excédentaires. Compte tenu de cette observation, avons-nous plus à perdre que les autres ?
Enfin, il faut savoir qu'à l'aéroport de Roissy, quand on n'arrive pas d'un pays de l'espace Schengen, il y a quasi systématiquement des problèmes. Cela suscite des stratégies d'évitement soit du pays, soit de l'aéroport, parce qu'il n'est pas possible d'attendre chaque fois deux heures. Ce n'est pas le cas dans les autres pays européens. Vous vous êtes attaché à mesurer l'impact d'un rétablissement des frontières, mais, compte tenu de l'image très dégradée de notre pays en matière de sécurité depuis les attentats - cette remarque vaut également pour l'Allemagne -, en avez-vous évalué l'impact très négatif à long terme pour notre pays ?
L'Allemagne est le pays européen qui a connu le plus grand nombre de retours volontaires. Selon nos chiffres, entre le 1er janvier et le 30 juin 2016, 50 000 retours volontaires assistés par l'OIM ont eu lieu depuis l'Europe, dont 35 000 depuis l'Allemagne.
J'aurais besoin d'une confirmation : dans l'étude réalisée par RAND Europe, les coûts de fonctionnement pour la France sont estimés entre 150 et 250 millions d'euros - principalement des charges de personnels. Après un rapide calcul, je parviens à la conclusion qu'il faudrait créer entre 3 000 et 5 000 postes de douanier pour assurer un contrôle raisonnable aux frontières - je ne crois pas à un contrôle systématique aux frontières, c'est impossible, ou alors il faudrait en revenir à une période que je n'ai pas connue ; même quand j'étais petit, au passage de la frontière italienne, seule une voiture sur cent était arrêtée. Ce chiffre me paraît insuffisant : à quels types de contrôles aux frontières correspondent ces créations de postes ? À des contrôles systématiques ? À des contrôles perlés - une voiture sur cinquante ? une voiture sur dix ? toutes les voitures, ce qui nécessiterait alors plus de 5 000 douaniers ?
L'aspect symbolique, maintenant, est extrêmement difficile à chiffrer. Ceux qui réclament la sortie de Schengen s'inscrivent plus dans cette dimension symbolique. La suppression de Schengen aurait un coût économique, serait source de difficultés pour tous ceux qui doivent passer la frontière, mais le coût symbolique serait très difficile à estimer : image de la France par rapport à l'extérieur, image de l'Europe... Peut-on mesurer la force symbolique de la suppression de Schengen et d'un retour à la période d'avant Schengen ?
À ceux qui voient dans l'immigration une menace, on répond souvent - comme vous venez de le faire, Madame - qu'il est préférable d'aider les pays d'origine à se développer plutôt que de renforcer ses frontières. Vous avez raison, mais il ne s'agit pas de la seule solution. D'abord, parce que, bien souvent, les migrants sont ceux qui apportent le plus d'argent aux pays d'origine. Ensuite, parce que quitter son pays pour un autre est une décision individuelle et qu'il faut donc traiter cette question de manière individuelle. Il ne suffit pas de dire que les migrants doivent rester chez eux pour favoriser le développement de leur pays pour qu'il en aille ainsi.
L'Europe en a donné la meilleure illustration en 2004, au moment de l'élargissement : des pays à même de garantir à leurs citoyens un développement relativement correct en matière économique et sociale n'ont pu retenir ceux de leurs citoyens qui ont eu la possibilité de partir. En matière d'immigration, le développement n'est pas forcément la solution miracle. Il s'agit d'un processus parallèle.
Certains pays ne pratiquent absolument pas le regroupement familial. Le conjoint d'une personne ayant obtenu le droit d'entrer et de travailler dans l'un de ces pays ne peut y travailler ni même, parfois, s'y installer. J'en parle en connaissance de cause en tant que sénateur des Français de l'étranger. Quelles différences constatez-vous entre les pays qui pratiquent le regroupement familial et ceux qui ne le pratiquent pas, en termes d'intégration ?
À la suite des événements de 2015, l'Union européenne a lancé un processus de révision de l'ensemble du fonctionnement de l'espace Schengen, à la fois en matière de surveillance des frontières et de politique d'asile.
La révision du dispositif de surveillance des frontières a été très rapide - on n'a probablement jamais vu un règlement être modifié aussi rapidement ! Aujourd'hui, Frontex a un nouveau mandat et de nouvelles compétences qu'elle met déjà en oeuvre.
Parallèlement, la réforme des politiques d'asile et du règlement de Dublin est toujours en discussion. Nous nous trouvons donc dans une situation complètement asymétrique, très problématique pour les pays de première arrivée. Pensez-vous que ces derniers pourront tenir encore longtemps si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord sur la réforme de la politique d'asile et du règlement de Dublin ?
Monsieur le Commissaire général, je vous remercie de votre analyse des conséquences économiques que pourrait avoir un abandon des accords de Schengen.
Nous raisonnons en quelque sorte avec le nez dans le guidon parce qu'il y a eu des attentats et parce que, en termes de communication politique, l'ensemble du personnel politique considère qu'il faut répondre à une forme de peur, de crainte de l'opinion publique. Dans ce genre de situation, ce n'est pas forcément la raison qui l'emporte : c'est plus la peur et la réponse aux peurs, qui est subjective. Vous l'avez démontré, compte tenu de la manière dont les contrôles aux frontières sont menés aujourd'hui et dont ils étaient menés avant, l'abandon des accords de Schengen n'est probablement pas une réponse au problème du terrorisme que nous connaissons aujourd'hui.
Il ne faut pas que nous soyons otages également sur le plan idéologique de ce sentiment de peur : il faut le comprendre, tout en y apportant des réponses adaptées. Ne pensez-vous pas, compte tenu de l'état de l'opinion dans l'Union européenne en général et en France en particulier, singulièrement après le Brexit, qu'il soit nécessaire de se retourner vers les peuples de l'Union pour refonder en quelque sorte l'Europe, remettre à plat l'idée de l'Europe ? Ne considérez-vous pas qu'il faille aujourd'hui véritablement tout rediscuter en quelque sorte ? Ce que les pères de l'Europe ont voulu construire après la Seconde Guerre mondiale, c'est un continent de paix. Ensuite, la construction s'est faite sur le plan économique et sur le plan de la finance, sans que soit suffisamment prise en compte sans doute l'Europe des peuples, notamment les questions sociales. Me vient immédiatement à l'esprit le cas des travailleurs détachés, difficilement compréhensible par les salariés avec lesquels ils entrent en concurrence. Ne pensez-vous pas qu'au bout du bout du compte, au lieu d'avoir le nez dans le guidon, il ne serait pas plutôt nécessaire de regarder un peu plus loin l'horizon de l'Union européenne pour reconstruire une Europe qui soit à l'image de la philosophie qui inspirait les pères fondateurs au moment de la construction européenne ?
Si chaque fois on raisonne et on réagit en fonction du temps politique, qui est un temps de communication, sans prendre de recul, j'ai le sentiment que nous allons dans le mur et qu'au bout du compte l'Europe ne s'y retrouvera pas, non plus que les peuples de l'Union européenne. Pour se réapproprier en quelque sorte cette belle idée de l'Union européenne, ne pensez-vous pas que, plutôt qu'une forme de slogan qui peut apparaître comme un idéal, mais qui ne correspond pas à la réalité, à savoir l'abandon des accords de Schengen, il serait plutôt nécessaire, au moment où nous sommes de notre histoire et de l'évolution de l'Union européenne, compte tenu de la manière dont les peuples perçoivent aujourd'hui l'Europe, de réfléchir, de travailler sereinement, de manière transpolitique et « transcourants » à l'idée que nous pouvons nous faire de l'Union européenne, aujourd'hui et demain, et d'aboutir en quelque sorte à une forme de refondation de l'Europe ?
On fait référence à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne : c'est une caricature ! J'ai été membre du Parlement européen pendant six ans et j'ai eu l'occasion de le rencontrer : c'est quand même lui qui a empêché - et les effets continuent aujourd'hui de se faire sentir - une transparence complète et totale sur la fraude fiscale, sur l'ensemble du continent européen. L'Europe marche en quelque sorte sur la tête.
Je ne sais pas si mes questions portent sur des aspects qui sont en dehors de votre domaine de compétence ; je ne le pense pas, et c'est la raison pour laquelle je me permets de vous les poser.
Nous aurons beaucoup parlé d'un certain nombre de flux migratoires en provenance des Balkans, de Roumanie, de Bulgarie ou d'autres pays, mais nous avons peu parlé du continent africain. La personne que nous venons d'auditionner nous a rappelé combien l'évolution démographique de ce continent était dynamique. J'y étais voilà quelques mois encore et près de quatre jeunes sur cinq envisagent de venir dans l'espace Schengen. Quelle est votre analyse d'une augmentation éventuelle des flux migratoires en provenance d'Afrique au regard des éléments que vous avez rappelés : extrême pauvreté de certains pays, difficultés climatiques croissantes et instabilité politique d'un certain nombre de pays de ce continent ?
Nous sommes d'accord sur le fait que le retour à la situation qui prévalait avant les accords de Schengen ne serait pas à la mesure du problème dont on parle. C'est d'ailleurs l'une des faiblesses de l'étude de RAND Europe. C'est ce que vous avez souligné, Monsieur Kaltenbach, en faisant remarquer que, pour assurer un contrôle effectif aux frontières, il faudrait plus d'équivalents temps plein que ce qui est envisagé. Disons que c'est une cote mal taillée.
Pourriez-vous nous préciser quelle est la position de l'OIM sur l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie ? Pour décharger la Grèce du poids des réfugiés bloqués sur son territoire, il avait été convenu d'inciter ces derniers à revenir en Turquie, à charge pour l'Europe d'accueillir, à due proportion, des réfugiés syriens actuellement présents en Turquie. Or il semble que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l'UNHCR, a critiqué cette politique et a incité les réfugiés présents en Grèce à demander le droit d'asile, ce qui bloque le processus. Dans la mesure où l'OIM relève également des Nations unies, j'aimerais savoir si vous préconisez le blocage ou l'application de ce processus.
En réalité, leur étude, comme la nôtre, part de la situation qui prévalait avant Schengen, que ce soit à court terme ou à long terme. Effectivement, les 3 000 à 5 000 ETP dont vous parlez, c'est l'ordre de grandeur de l'effectif douanier supplémentaire que nous avons « perdu » depuis 1995. Aujourd'hui, avec le retour des contrôles non systématiques, c'est effectivement la situation de référence, celle qui prévalait avant les accords de Schengen.
Certes, aux aéroports, le contrôle est quasi systématique, mais ce n'est certainement pas le cas aux points de passage routier pour les voitures particulières, les autocars et les camions. Les moyens humains et physiques qu'il faudrait déployer pour assurer un contrôle systématique sont bien entendu hors de notre portée. Ils seraient démesurés, d'autant que, même dans le cas des contrôles systématiques aux points de passage routier, les personnes voulant les éviter pourraient passer ailleurs, compte tenu de la topographie de notre territoire. Sauf à construire un mur - et encore -, le contrôle systématique des frontières ne serait donc pas possible. Ce n'est donc pas en référence à cette situation que nous nous sommes placés ; nous avons cherché à mesurer la situation qui prévalait avant la mise en oeuvre des accords de Schengen en ce qui concerne les effets de court terme.
S'agissant des effets de long terme, pour répondre à une question de M. Leconte, nous avons voulu mesurer les conséquences sur le commerce indépendamment de l'appartenance à l'Union européenne et à la zone euro. En considérant les pays qui sont déjà membres de l'Union européenne et, parmi eux, ceux qui sont dans la zone euro, ainsi que les pays qui, tout en n'étant pas membres de l'Union européenne, sont dans l'espace Schengen, on parvient à isoler les effets spécifiques à Schengen. Certes, ils sont importants - 10 % de commerce supplémentaire -, parce qu'ils passent par les réseaux de personnes, mais ils passent également par les réseaux d'entreprises. Les entreprises, depuis les accords de Schengen, peuvent assez facilement localiser une de leurs filiales, un centre de production de l'autre côté de la frontière, comme si celle-ci n'existait plus. À partir du moment où les temps de passage vont être allongés simplement par des effets d'encombrement et non pas en raison d'un allongement du temps de contrôle, en particulier les jours d'affluence, l'idée germera dans l'esprit des chefs d'entreprise, des artisans et des travailleurs frontaliers qu'il est plus compliqué d'aller de l'autre côté de la frontière pour y étendre ses activités. C'est là que les effets sur le commerce sont assez importants ; c'est non pas tant le commerce longue distance qui est affecté, mais le commerce entre villes frontalières qui, depuis Schengen, a eu tendance à s'étendre sans tenir compte des frontières nationales administratives. Elles existent encore, certes, et le commerce est nettement plus faible de part et d'autre de la frontière franco-belge, par exemple, mais cette différence tend à s'estomper.
Un retour à la situation qui prévalait avant Schengen conduirait donc à une diminution globale du commerce de l'ordre de 10 %.
Je vois trois causes principales à l'immigration.
Il s'agit tout d'abord, nous le constatons depuis plusieurs mois, de l'immigration pour cause de survie : des hommes, des femmes et des enfants dont la vie est menacée décident de partir pour « sauver leur peau ».
Il s'agit ensuite d'une immigration économique en raison de la très grande pauvreté. Vous avez évoqué la nécessité de favoriser le développement des pays à la source de l'immigration. C'est une question de moyen et de long terme, loin des réactions émotionnelles. C'est d'autant plus important que les moyens de communication permettent aux populations, notamment aux plus jeunes, de connaître la manière dont nous vivons en Occident. Cette immigration est très importante.
Le réchauffement climatique constitue, enfin, la troisième cause d'immigration. Et ce n'est pas aujourd'hui ni demain que nous pourrons apporter une solution à ce problème.
Disposez-vous d'éléments chiffrés sur ces trois causes d'immigration ?
Sur la situation spécifiquement française et le caractère déficitaire de notre commerce extérieur, je ne crois pas que ce soit un élément très déterminant ; ce qui est plus important, c'est le volume global du commerce, l'ouverture globale. Encore une fois, la France est un pays qui exporte et importe relativement peu non seulement par rapport à des pays de plus petite taille, mais également par rapport à l'Allemagne. Cela s'explique par le fait que nous sommes un peu moins insérés dans l'échelle des valeurs globales. C'est cela qui déterminerait essentiellement l'impact plus ou moins important sur le plan économique d'une sortie de Schengen.
La force symbolique de Schengen est par nature difficile à mesurer. J'ai le souvenir du premier jour où j'ai passé la frontière polonaise sans contrôle en atterrissant à l'aéroport de Varsovie, alors que les guérites avaient été démantelées. Je me suis alors dit que le Mur n'existait vraiment plus ! Cela a une valeur symbolique lorsque des segments - ils ne sont pas si nombreux - de la population, en particulier chez les jeunes, considèrent que traverser les frontières fait partie de leur mode de vie et de leur citoyenneté. Il faut donc faire attention à la valeur symbolique de ce type de mesures.
Au-delà, « la frontière qui protège » est une idée à très forte valeur symbolique chez nos concitoyens face à la menace actuelle, alors même que cette menace qui nous concerne, avant d'être extérieure à l'Union européenne, provient en partie de chez nous.
J'en viens à votre dernier point, Monsieur Vaugrenard, sur la capacité de l'Union européenne à répondre à une situation nouvelle. En dehors de la question spécifique de Schengen, c'est vraiment cela qui est en jeu. Les problèmes auxquels nous faisions face au moment de la création de la Communauté, ou même il y a vingt ans, n'étaient pas de même nature, et l'Union joue aujourd'hui sa légitimité dans sa capacité à répondre à une gamme de problèmes nouveaux. Une Union qui ne serait pas capable de traiter les problèmes d'aujourd'hui, seulement ceux d'hier, perdrait une part considérable de sa légitimité aux yeux de nos concitoyens, et à juste titre.
On peut appeler cela une refondation, on peut appeler cela de différentes manières. Nos concitoyens manifestent un certain agnosticisme, ce que traduisent bien les enquêtes d'opinion : certains ont a priori une position pro-européenne ou une position antieuropéenne, mais une grande masse de nos concitoyens considère que des problèmes relèvent plus naturellement du niveau européen parce qu'ils sont plus à la dimension de l'Union, et que d'autres problèmes relèvent plus naturellement du niveau national ou infranational - à chaque gamme de problèmes son échelle naturelle. Mais encore faut-il qu'il y ait une capacité à définir et à mettre en oeuvre des réponses à la mesure de ces problèmes.
La légitimité de l'Union européenne se joue donc sous nos yeux, dans sa capacité à répondre à cette nouvelle forme d'insécurité à laquelle nous sommes confrontés.
Monsieur Leconte, lorsque vous évoquez la question du regroupement familial, faites-vous référence aux seuls pays européens ?
Je pensais plutôt à certains pays hors Union européenne qui accueillent des travailleurs étrangers sans accorder le regroupement familial ou, quand ils l'accordent, n'autorisent pas le conjoint arrivant à travailler sur leur sol. À partir de là se posent des questions d'intégration et d'attractivité sur lesquelles j'aimerais avoir votre analyse.
Il me semble fondamental de pouvoir s'installer avec sa famille dans le pays d'accueil. S'y opposer va à l'encontre des droits humains...
Notre commission d'enquête va maintenant entendre M. Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE.
La crise migratoire qui touche l'Union européenne, et plus particulièrement certains de ses États membres, constitue l'un des phénomènes qui, avec le terrorisme, ont mis en lumière les limites, voire les dysfonctionnements de l'espace Schengen.
Quelles sont les spécificités de ces migrations ? Dans quel contexte plus général se situent-elles ? Les routes de transit observables aujourd'hui présentent-elles des particularités et ont-elles récemment évolué ? Quelle appréciation portez-vous sur les politiques migratoires aujourd'hui menées en Europe et quelles en sont les conséquences sur la mise en oeuvre des accords de Schengen ? Telles sont quelques-unes des interrogations qui intéressent notre commission d'enquête.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je précise à l'intention de nos collègues que M. Dumont est dispensé de l'obligation de prêter serment, en tant que fonctionnaire d'une organisation internationale.
Je m'efforcerai de parler comme si j'étais sous serment !
Le champ de votre questionnaire est très vaste. Puisque vous venez d'aborder la question des conséquences économiques du démantèlement des accords de Schengen, je n'y reviendrai pas ; je précise simplement que l'OCDE n'a pas procédé à des calculs particuliers sur ce point.
En revanche, je suis en mesure de vous donner un certain nombre d'éléments de cadrage concernant la crise migratoire et l'évolution des migrations internationales, d'une manière plus générale.
En 2015, selon les dernières statistiques disponibles pour l'ensemble des pays de l'OCDE, près de 4,8 millions de personnes se sont installées de manière permanente dans un pays de l'OCDE, ce qui représente une augmentation de 10 % par rapport à 2014. On revient ainsi au niveau observé avant la crise de 2007-2008, qui avait provoqué un recul des migrations internationales. Ce mouvement est imputable, pour près des deux tiers, à ce qui se passe en Europe, et notamment aux migrations intraeuropéennes.
Quand on observe l'Europe dans son ensemble, près d'un million de ressortissants de pays tiers sont venus s'y installer de manière permanente en 2015. On relève le même chiffre aux États-Unis. Un autre million de personnes se sont déplacées de manière permanente, c'est-à-dire pour plus d'un an, d'un pays européen à un autre au cours de l'année 2015. Au sens des migrations internationales, telles que l'OCDE les mesure, près de deux millions de personnes ont donc migré vers un pays de l'Union européenne en 2015.
Ces migrations permanentes vers l'OCDE sont donc le fait, pour un tiers, de l'application des règles de libre circulation - essentiellement des mouvements intraeuropéens, mais aussi quelques mouvements entre d'autres pays de l'OCDE qui ont créé une zone de libre circulation, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Un autre tiers de migrants se déplacent au titre du regroupement familial, ce chiffre excluant les familles accompagnant des travailleurs - il serait porté à 40 % si on les incluait. Enfin, en 2015, les travailleurs représentaient 15 % de ces migrations et les réfugiés - personnes se déplaçant pour des raisons humanitaires dans le langage de l'OCDE, cette définition étant un peu plus large - un peu moins de 10 %, ce chiffre étant amené à augmenter en 2016 et en 2017, au fur et à mesure du traitement des demandes d'asile.
Un fait marquant est à noter : la dynamique de l'immigration vers l'Allemagne. En 2014, avant la crise des réfugiés, l'Allemagne avait déjà accueilli 575 000 personnes. Sept ans auparavant, l'Allemagne et la France étaient à peu près au même niveau, la première accueillant 233 000 nouveaux arrivants, contre 206 000 pour la France. L'immigration vers l'Allemagne, hors réfugiés, a donc plus que doublé pendant cette période, alors qu'elle est passée de 206 000 à 260 000 pour la France.
Ce dernier chiffre diffère de celui du ministère de l'intérieur, qui ne compte que les premiers titres délivrés ; l'OCDE prend en compte l'ensemble des titres à vocation permanente et y ajoute les ressortissants européens installés depuis plus d'un an. Il se décompose comme suit : 88 000 ressortissants européens installés depuis plus d'un an, environ 100 000 personnes arrivant à titre familial - regroupement familial, mais aussi rapprochement de conjoints de Français -, le reste concernant des changements de statut qui ne sont pas identifiés dans les statistiques du ministère de l'intérieur - par exemple, des étudiants qui obtiennent un statut permanent. Selon nous, on compte donc 259 000 personnes ayant obtenu le droit de s'installer en 2014, même si certaines d'entre elles sont entrées en France auparavant.
La différence de dynamique entre l'Allemagne et la France est donc patente. Dans le cas de l'Allemagne, cette dynamique est très largement portée par l'augmentation des migrations intraeuropéennes, en provenance d'Europe centrale, foyer traditionnel d'immigration vers l'Allemagne, mais aussi, plus récemment, de Roumanie et de Bulgarie - 113 000 personnes en 2010 et 295 000 en 2015 - et d'Europe du Sud, qui contribue pour près de la moitié à cette augmentation.
Dans le même temps, on observe également une dynamique très forte au Royaume-Uni, en dépit des objectifs politiques affichés de réduction de l'immigration. Là aussi, on observe une forte augmentation du nombre de personnes originaires de Roumanie - elles sont passées de moins de 16 000 en 2012 à 170 000 en 2015, dépassant le niveau de l'immigration en provenance de Pologne (111 000) -, sans comparaison avec ce qu'a pu connaître la France. L'immigration en provenance d'Europe du Sud a aussi augmenté, mais dans des proportions moindres, puisqu'elle est passée de 50 000 en 2009/10 à plus de 150 000 en 2015. Je précise que les chiffres que je viens de citer concernant les migrations intraeuropéennes vers l'Allemagne et le Royaume-Uni peuvent inclure des migrants de court terme.
La dynamique de ces migrations intra-européennes est donc très forte. Ces mouvements sont liés à la crise économique en Italie, en Grèce et en Espagne, mais aussi à la dernière vague d'élargissement de l'Union européenne. Par ailleurs, les flux traditionnels persistent, notamment en provenance d'Europe centrale et orientale vers l'Allemagne.
Le panorama général est donc assez disparate, l'Allemagne jouant malgré tout un rôle moteur. Rapportés à la population de chaque pays, ces flux sont très variables : en moyenne, les nouveaux immigrants permanents, intra-européens et originaires de pays tiers, représentent 0,7 % de la population européenne ; pour l'Allemagne, le taux est exactement le même ; pour la France, il est de 0,4 %. Pour d'autres pays, comme le Luxembourg ou la Suisse, ce taux peut être largement supérieur - plus de 103 000 Européens sont venus s'installer de manière permanente en Suisse en 2014, contre environ 88 000 en France.
Il faut ajouter à ces chiffres ceux qui concernent les flux temporaires, que l'on mesure beaucoup moins bien - j'exclus les mouvements liés au tourisme et aux voyages d'agrément de très courte durée. En ce qui concerne les migrations temporaires de travail, on observe une augmentation au sein de l'OCDE dans toutes les catégories, de 2013 à 2014 : plus 25 % pour les saisonniers, plus 15 % pour les mobilités intra firme, plus 15 % pour les stagiaires et environ 10 % pour les travailleurs détachés.
Les dernières statistiques disponibles pour les travailleurs détachés, établies en fonction des certificats PDA1, remontent à l'année 2014 : elles font état de près de 2 millions de détachements concernant 1,15 million de personnes, une même personne pouvant faire l'objet de plusieurs détachements dans l'année. La France accueille près de 190 000 travailleurs détachés en 2014, mais elle envoie aussi environ 120 000 travailleurs détachés dans les pays voisins : le solde est donc de l'ordre de 70 000 détachements. Les détachements déclarés sont de 103 jours en moyenne en 2014 et ils représentent des pourcentages très variables de la force de travail des pays concernés : près de 10 % pour le Luxembourg, 3,6 % pour la Belgique, 2,5 % pour l'Autriche et encore moins pour la France. On observe également de très grandes disparités entre les pays européens concernant le détachement, qui fait partie intégrante des questions liées à la mobilité au sein de l'Union européenne.
Jusqu'à présent, je ne vous ai pas parlé de la crise des réfugiés, à l'origine d'une dynamique migratoire qui vient s'ajouter à celle que j'ai mentionnée précédemment. En 2015, on a enregistré l'arrivée d'un million de personnes sur les côtes de l'Union européenne ; la même année, on a enregistré 1,3 million de demandes d'asile dans l'Union européenne - 1,6 million de demandes dans l'ensemble des pays de l'OCDE -, soit le double de l'année précédente, qui correspondait au pic connu pendant la crise yougoslave.
Il faut manier avec précaution les statistiques relatives aux demandes d'asile, car elles ne prennent en compte que les demandes déposées en bonne et due forme, la procédure variant selon les pays. En Allemagne, elle comporte deux étapes, un préenregistrement et un enregistrement définitif ; en 2015, on avait compté plus d'un million de demandes préenregistrées, chiffre révisé à 900 000, mais les enregistrements définitifs s'élevaient à 450 000. Donc, 450 000 demandes n'ont pas fait l'objet d'un enregistrement définitif en 2015 et ce chiffre sera répercuté sur 2016.
En 2015, on a enregistré 1,3 million de demandes d'asile dans l'Union européenne ; ce chiffre sera légèrement supérieur en 2016. Cette augmentation ne reflète donc pas la persistance des flux - ils sont restés importants pendant le premier trimestre 2016, mais l'afflux de la Turquie vers la Grèce s'est tari, même s'il n'a pas complètement cessé, puisque l'on enregistre encore 3 000 arrivées par mois sur les côtes grecques. En 2016, le nombre des arrivées sur les côtes européennes s'est élevé à 360 000, trois fois moins qu'en 2015. Compte tenu des délais de traitement des demandes d'asile, leur nombre restera extrêmement élevé en 2016.
On observe une très grande disparité dans la situation des pays. En 2015, la Suède a accueilli l'équivalent de 1,6 % de sa population, la France 0,15 %, soit environ 80 000 demandes d'asile. En ce qui concerne la France, les chiffres de 2016 devraient s'établir autour de 90 000 demandes d'asile ; l'augmentation a été de 20 % en 2015, elle sera de 10 % ou de 15 % en 2016. Quoi qu'il en soit, elle reste beaucoup plus faible que dans d'autres pays, même si certains n'ont pas vu augmenter le nombre de leurs demandes d'asile.
On relève également une grande disparité des pays d'origine, qui évolue cependant en fonction des routes migratoires et des réseaux de passeurs. Une personne passant par la Turquie et la Grèce et remontant par l'Autriche et l'Allemagne a de fortes chances de s'arrêter dans ces deux derniers pays ; une personne arrivant de Libye en passant par l'Italie poursuivra sa route vers la France et vers d'autres pays.
Selon les données les plus récentes, on a enregistré 173 000 arrivées en Grèce en 2016 - soit six fois moins qu'en 2015 -, dont 47 % de Syriens, 24 % d'Afghans, 15 % d'Irakiens, le reste étant composé de Pakistanais et d'Iraniens. À titre de comparaison, les arrivées enregistrées en Italie se sont réparties comme suit : 21 % pour le Nigeria, 12 % pour l'Érythrée, 7 % pour la Guinée, 7 % pour la Côte d'Ivoire, 7 % pour la Gambie, le reste se répartissant entre le Sénégal, le Mali, le Soudan, le Bangladesh, la Somalie, quasiment pas de Syriens.
On observe donc deux dynamiques migratoires très différentes, qui ne relèvent pas des mêmes causes...
J'avoue ne pas être très au fait de la politique de regroupement familial de ces pays. Ne pas pouvoir se faire accompagner de sa famille aura évidemment une grande incidence sur le choix du pays où l'on souhaite s'installer.
Je m'interrogeais aussi sur la capacité d'intégration de ces pays, ou plutôt sur le manque d'intégration que ces politiques engendrent : les gens vont travailler dans ces pays, mais ne parviennent pas à s'y intégrer. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques chiffres pour confirmer ou infirmer ce sentiment...
Selon le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, près de 180 000, contre 150 000 en 2015, soit une légère augmentation - on a observé un tassement en décembre 2016, mais il suivait un pic en octobre et novembre.
Il faut par ailleurs remarquer une augmentation importante du nombre de mineurs non accompagnés, qui représentent désormais près de 15 % des arrivées en Italie. Sur l'ensemble de l'année 2015, on avait enregistré 82 000 demandes d'asile émanant de mineurs non accompagnés, dont plus de 37 000 en Suède uniquement. Ce chiffre est probablement sous-estimé, parce que tous les mineurs non accompagnés ne sont pas enregistrés de la même façon en Allemagne. Cette année, le chiffre sera plus faible, mais une tendance durable semble se dessiner, notamment sur la route migratoire de la Méditerranée centrale. Cette situation pose de nombreux défis aux pays qui doivent y faire face.
Vous m'aviez posé la question des politiques migratoires européennes : elle peut être abordée sous divers angles. Je me limiterai à l'immigration légale, en écartant l'asile, qui ne relève peut-être pas du champ de votre commission d'enquête.
On observe une convergence des politiques nationales qui tient à deux faits. D'une part, un certain nombre de directives européennes encadrent les droits nationaux et ont créé, de façon tout à fait parcellaire, des standards minimaux communs. D'autre part, en ce qui concerne les migrations de travailleurs qualifiés, une compétition existe entre les différents pays de l'OCDE, notamment européens, pour attirer les talents. D'une façon générale, un modèle hybride prévaut en Europe : une offre d'emploi est exigée, ainsi que la réunion d'un certain nombre de conditions, en termes de rémunération minimale, de niveau de qualification, etc. Il s'agit donc d'un modèle fondé sur la demande et sur l'offre. Les politiques européennes convergent vers celles que l'on observe dans les pays d'installation, qui sont beaucoup plus attractives.
L'OCDE a publié une étude en juin 2016, intitulée Recruiting Immigrant Workers - Europe, qui comporte une série d'études de cas - celle qui concerne la France devrait paraître très prochainement. Nous y montrons que l'Europe « boxe en dessous de sa catégorie » dans la compétition pour les talents. L'immigration de travail en provenance de pays tiers représente une part extrêmement faible de l'ensemble de la population européenne. Si l'Europe accueille environ 50 % des travailleurs migrants peu éduqués installés dans l'ensemble des pays de l'OCDE, elle n'accueille qu'environ 32 % des travailleurs migrants hautement qualifiés. Si l'on examine les intentions d'immigration, on observe à peu près les mêmes proportions - 42 % de peu qualifiés contre 37 % de qualifiés. L'Europe attire principalement des personnes originaires de territoires voisins et a beaucoup de difficultés à recruter en Asie, principal continent d'origine des migrants vers l'Amérique du Nord.
On relève donc de nombreuses difficultés pour l'Europe à tirer son épingle du jeu dans la compétition pour les talents et cet ouvrage formule un certain nombre de propositions pour redresser la barre, concernant notamment la réforme en cours de la carte bleue européenne - elles ont alimenté en partie la réflexion de la Commission européenne -, mais également bien au-delà puisque la question de l'attractivité ne se résume pas à la réforme de titres de séjour.
Pour conclure, je voudrais insister sur quelques défis.
Tout d'abord, les travaux de l'OCDE montrent bien que le problème ne se pose pas tant en termes de démographie - une demande de force de travail qui viendrait compenser une population active en déclin - que d'ajustement de la demande à l'offre. Dans un contexte où l'on enregistre de nombreuses sorties du monde du travail, la demande évolue très rapidement, notamment en raison des nouvelles technologies. Face à cette évolution de la demande de travail, l'immigration peut jouer un rôle d'ajustement, mais ce dernier n'est pas automatique. C'est donc l'un des premiers enjeux auxquels doivent répondre les politiques migratoires.
Ensuite, au niveau global, on assiste à une augmentation très rapide du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur dans le monde - il y a quelques années encore, l'Inde et la Chine formaient environ 17 % des diplômés de l'enseignement supérieur, elles en formeront près de 30 % en 2020. Par ailleurs, la classe moyenne se développe dans les pays émergents (la Chine et l'Inde comptaient en 2000 moins de 5% de la classe moyenne mondiale et pourraient représenter environ 50% d'ici à 2030), avec une forte demande de mobilité, soit pour des études, soit pour du tourisme. Ces évolutions constituent un véritable changement de paradigme, notamment dans le cadre des négociations commerciales, où les questions migratoires étaient souvent marginales. La facilitation des visas fera à l'avenir partie intégrante des demandes exprimées par les pays émergents dans le cadre de ces négociations - c'est déjà le cas, également, entre pays de l'OCDE, comme on l'a vu récemment avec les États-Unis et le Canada. Cette problématique est donc appelée à peser davantage à l'avenir.
Enfin, les migrations en provenance du continent africain, en particulier d'Afrique subsaharienne, restent modestes : elles concernent environ 300 000 personnes par an. Le taux d'émigration des personnes nées en Afrique est faible : 1,7 % des personnes nées en Afrique vivent dans un pays de l'OCDE. En revanche, les intentions d'émigration sont très élevées parmi les jeunes, et augmentent. La population du continent africain va doubler d'ici à 2050, passant de 1 milliard à 2 milliards d'habitants, c'est un fait connu. Ce qui l'est moins, c'est qu'avec près de 400 millions de jeunes de 15 ans à 24 ans en 2050, près de 30 % des jeunes dans le monde seront Africains. Les politiques migratoires, notamment la politique de facilitation des visas, joueront donc un rôle clé dans les années à venir, en termes d'attractivité, de sécurité et d'équité vis-à-vis des différents pays d'origine.
Je ne dispose malheureusement d'aucun chiffre sur ces points... L'évolution des flux migratoires en provenance du continent africain est une question complexe. Le Niger est aujourd'hui l'un des principaux pays africains de transit, mais c'est aussi un pays de destination. Ces dernières semaines, notamment au mois de novembre dernier, nous avons constaté une baisse très importante des flux sortants du Niger en raison du renforcement des contrôles d'identité dans ce pays. Sans papiers, les migrants ne peuvent plus traverser le Niger vers la Libye.
Nous ne disposons pas de chiffres sur la volonté de venir en Europe. Nous savons qu'environ un million de migrants sont aujourd'hui en Libye. Cela ne veut pas dire qu'ils veulent tous venir en Europe. La Libye est depuis très longtemps un pays de destination en soi. Les événements de 2011 et l'instabilité politique poussent aujourd'hui les migrants à prendre les bateaux pour venir en Europe. Ils sont 160 000 à être arrivés en Italie de cette façon en 2016. Comme je l'ai souligné, beaucoup de raisons peuvent pousser les gens à migrer -extrême pauvreté, instabilité politique... Pour autant, sur ce million de personnes, nous ne savons pas combien souhaitent réellement venir en Europe.
Depuis l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne, et d'après les chiffres dont je dispose, 777 personnes ont été renvoyées en Turquie. On constate une baisse énorme d'arrivées entre la Turquie et la Grèce. L'OIM s'efforce de garantir les droits des personnes présentes dans les hotspots qui ont été mis en place. Il me semble aussi très important de renforcer la réinstallation des Syriens depuis la Turquie, ce à quoi la France s'est attelée : 10 000 réfugiés syriens seront ainsi réinstallés d'ici à la fin de l'année - nous en sommes aujourd'hui à environ 700... Cet accord semblait assez instable au vu de la situation en Turquie. On a pensé qu'il ne serait pas viable, mais il continue d'être mis en oeuvre aujourd'hui. Environ 60 000 migrants attendent en Grèce d'être relocalisés ou de retourner dans leur pays - la Grèce pratique en effet le retour volontaire depuis plusieurs années. Ces retours sont nettement en hausse depuis l'augmentation des arrivées par la Méditerranée. Les migrants qui savent qu'ils n'obtiendront pas le statut de réfugié envisagent souvent de rentrer dignement dans leur pays d'origine.
On connaît le nombre de Syriens présents dans les pays limitrophes de la Syrie, mais je ne dispose d'aucun chiffre précis sur les migrants économiques. J'essaierai de me renseigner auprès du siège de l'OIM, si vous le souhaitez.
Je souhaite revenir sur votre dernière observation concernant les pays d'Afrique subsaharienne. L'OCDE s'est-elle penchée sur la question des accords de réadmission, leur nombre et leur efficacité, dans le cadre de la gestion des politiques migratoires ? La France a signé une quarantaine d'accords de réadmission, je ne suis pas au courant de la situation des autres pays européens. Cette thématique fait-elle partie des approches que vous étudiez en matière de codéveloppement ?
Ma deuxième question porte sur le niveau de qualification de l'immigration de travail. La France n'attire pas les gens qualifiés, d'après ce que vous dites. Est-ce lié à la politique des visas ? J'avais en tête que, au sein de l'immigration légale dans les pays de l'OCDE, l'immigration économique représentait de 7 % à 9 % des arrivées,...
Il serait illusoire de penser que les migrations vont décliner ou se stabiliser. Elles vont continuer d'augmenter, notamment parce qu'il est de plus en plus facile de communiquer, de se déplacer, d'étudier à l'étranger... S'y ajoutent les crises et les difficultés que nous connaissons. Il n'y a donc aucune raison pour que les migrations diminuent.
En Europe, on mesure mal le fait que les migrations sont beaucoup plus importantes à l'échelle de l'Afrique ou de l'Asie que vers nos frontières. Les chiffres sont sans commune mesure. Voilà quelques années, Jacques Legendre et moi-même étions au Niger, petit pays de 15 millions d'habitants. L'immigration vers l'Europe y est assez faible, alors que plusieurs millions de Nigériens travaillent dans d'autres pays africains, notamment sur la côte atlantique. Les migrations sont donc beaucoup plus importantes dans les sous-ensembles régionaux que vers l'Europe, sans doute parce qu'elles sont plus faciles...
En France, c'est par le mariage qu'est attribué le plus grand nombre de titres de séjour. S'agit-il d'un phénomène propre à notre pays ? De mémoire - je parle sous le contrôle de M. Buffet - 80 000 titres de séjour sont délivrés chaque année en France pour raison de mariage, contre 30 000 titres pour les migrants économiques et 40 à 50 000 titres pour les étudiants étrangers... D'autres pays européens connaissent-ils le même phénomène d'intégration « idéale » ?
Plutôt 14 %.
Je vous confirme tout d'abord que l'immigration sud-sud est aujourd'hui aussi importante que l'immigration sud-nord et qu'elle pourrait même la dépasser prochainement. Faites-vous référence au problème des mariages de complaisance ?
Le fait que les couples vivent ensemble favorise l'immigration. Sur 250 000 titres de séjour distribués chaque année, 80 000 sont délivrés pour permettre au conjoint d'un Français de venir s'installer dans notre pays, soit le tiers du nombre total des titres de séjour. Je me demande simplement si ce phénomène est propre à la France ou si cette proportion est la même dans les autres pays européens. Avez-vous des statistiques sur ce sujet ?
Nous n'avons pas mené d'étude spécifique sur les accords de réadmission. En revanche, nous avons étudié, il y a quelques années, l'efficacité des programmes de retour volontaire assisté - notamment des incitations financières au retour dans le pays d'origine. De nombreux modèles ont été testés, mais il faut admettre que l'efficacité de ces dispositifs a été très limitée, car ils se réduisaient le plus souvent à des effets d'aubaine.
Pour citer quelques cas extrêmes, les Pays-Bas ont offert 10 000 euros aux Afghans s'ils acceptaient de retourner dans leur pays. L'Espagne, quant à elle, au début de la crise de 2008, a proposé aux travailleurs étrangers titulaires d'un permis de travail permanent et ayant perdu leur emploi de toucher d'un seul coup la totalité de leurs indemnités de chômage, s'ils renonçaient à leur titre de séjour et retournaient dans leur pays d'origine.
Les taux d'utilisation de ces dispositifs ont été très faibles, même quand les incitations financières étaient assez fortes. La raison en est simple : bien d'autres aspects entrent en ligne de compte. Ainsi, les personnes qui ont obtenu un titre de séjour permanent se sont installées, elles ont tissé des liens, leurs enfants sont scolarisés dans un système qui leur ouvre des perspectives bien meilleures, certaines ont acquis un bien immobilier et la vente de ce bien représente un coût financier largement supérieur à la prime.
En ce qui concerne les accords de réadmission, c'est-à-dire les retours non volontaires, les choses sont plus difficiles à évaluer. En effet, même s'il n'y a pas d'accord, il y a toujours des retours. Tout dépend en fait de la volonté de coopération du pays d'origine, avec ou sans accord. La signature de l'accord peut être un signe de bonne volonté, mais la valeur ajoutée de l'accord est difficile à évaluer stricto sensu. Nous procédons à une évaluation des accords de gestion concertée dans notre étude sur la France en cours de réalisation, mais je ne peux pas vous en dire plus avant sa publication. Nous essayons d'évaluer si les volets de ces accords relatifs à l'immigration légale sont utilisés et de déterminer lesquels fonctionnent vraiment.
Vous m'avez également demandé pourquoi la France attirait peu de main-d'oeuvre qualifiée. Environ 30 000 personnes obtiennent un titre de travail chaque année, parmi lesquelles de nombreux étudiants ayant changé de statut. Selon les indicateurs dont nous disposons, la France réussit assez bien à attirer les étudiants étrangers et à les conserver ensuite. Reste à savoir, ensuite, s'ils se dirigent vers les filières qui ont des besoins de recrutement et comment ils réussissent dans le long terme sur le marché du travail.
Pour les autres migrants, la situation paraît beaucoup plus difficile. Des raisons structurelles l'expliquent, assez peu liées à la politique migratoire, car le cadre français est finalement très ouvert - absence de contingent numérique, nécessité de respecter les conditions d'embauche régulières, sans qu'aucun niveau minimal ne soit exigé, tant du point de vue du salaire que de la qualification. Force est de constater que, malgré ce cadre assez peu contraignant, très peu d'autorisations de travail sont délivrées. Est-ce dû à la faiblesse de la demande ? La France a-t-elle formé suffisamment de monde dans les secteurs où elle éprouve des besoins ? Au contraire, existe-t-il des obstacles, notamment dans la façon dont la politique est mise en oeuvre ? C'est plutôt vers cette dernière hypothèse que nous penchons.
Vous avez eu raison d'insister sur l'importance croissante des classes moyennes dans les pays émergents, car cette donnée est souvent oubliée en France. Or cet a priori pèse de plus en plus sur l'image de notre pays et de l'Union européenne, de manière plus générale, car nous ne menons pas une politique qui permette de conserver les liens avec ces pays tout en les aidant à se développer, en essayant au contraire de nous protéger contre toutes les migrations. J'estime que, dans ce cas précis, il s'agit non pas de migrations, mais de mobilité.
Au début de votre exposé, vous avez parlé des migrations intraeuropéennes, mais ne vaudrait-il pas mieux parler de mobilité, surtout au sein de l'espace Schengen, un espace sans frontières ? Parlerait-on de migration entre la Pennsylvanie et le Texas ? Ce qui se passe aujourd'hui dans l'espace Schengen diffère-t-il vraiment de ce que l'on peut observer dans de grands espaces comme le Canada ou les États-Unis ?
Les migrations sud-nord - elles sont en fait l'objet de cette commission d'enquête -, ne représentent finalement qu'une petite part des migrations mondiales. Pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur la part de l'immigration sud-sud ?
C'est une question très intéressante. J'imagine que les proportions doivent être les mêmes dans les autres pays européens, mais je n'ai pas de statistiques sur cette question. L'OIM suit de près les demandes d'asile, en Europe ou ailleurs, et non ce type de demandes...
Les Roumains dont vous parlez ne représentent-ils pas plutôt une partie de la population roumaine que l'on appelle les Roms ?
Premièrement, vous avez évoqué l'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés. La fiabilité des statistiques mérite sans doute d'être améliorée. À quel moment ces mineurs sont-ils recensés ? À leur entrée sur le territoire ou au moment où l'on a déterminé qu'ils sont véritablement mineurs ? En effet, ils doivent réunir deux conditions : être mineurs, sous réserve que l'on dispose des moyens nécessaires pour déterminer l'âge, et être non accompagnés. Selon mon expérience d'ancien président de conseil général, beaucoup de jeunes considérés comme non accompagnés arrivent dans un département alors que des membres de leur famille y vivent déjà. Lorsqu'ils sont dirigés vers un autre département, puisque des dispositions permettent désormais de les répartir harmonieusement sur l'ensemble du territoire, ils le refusent absolument, puisqu'ils ont déjà des attaches locales. Il serait donc important de connaître les sources des statistiques que vous avez mentionnées.
Deuxièmement, vous nous dites que la France n'est pas attractive pour les travailleurs qualifiés. Faut-il vraiment qu'elle le soit ? Ne s'agit-il pas d'un pillage de la matière grise des pays d'origine ? Ceux-ci ont pourtant bien besoin de conserver leurs intelligences pour espérer se développer - ce serait même dans l'intérêt des pays déjà industrialisés.
Troisièmement, lorsque les autorisations de rester sur le territoire ne sont pas accordées, vous avez signalé la difficulté d'évaluer l'efficacité de la politique de reconduite à la frontière. En effet, un certain nombre de migrants ont eu le temps de nouer des attaches, parce que les décisions administratives sont extrêmement longues. Dans la plupart des cas, ils se sont parfaitement intégrés et lorsqu'ils doivent être reconduits dans leur pays, la population locale manifeste pour qu'ils restent. Le raccourcissement du délai de traitement des demandes a-t-il un impact mesurable sur le nombre de retours vers les pays d'origine ?
M. Leconte m'a demandé en quoi les migrations internes à l'espace Schengen étaient différentes de celles provenant de pays tiers. La différence est en effet importante. Nous avons réalisé une étude sur les migrations intra-européennes - le champ est plus vaste que l'espace Schengen, mais il s'agit toujours d'un espace de libre circulation - qui a montré que, à la suite de la crise de 2008, environ un quart du choc asymétrique subi par les pays européens en termes de chômage a été absorbé grâce à la mobilité. C'est-à-dire que les flux vers les pays les plus touchés, comme l'Espagne, ont diminué, alors que les flux vers les pays les moins touchés ont augmenté. Sans la libre circulation, le taux de chômage au sein de l'Union européenne aurait été supérieur d'un quart. Dans ces années de crise, la mobilité intra-européenne a diminué de 40 %.
La situation au sein de l'espace Schengen est-elle proche de celle qui prévaut aux États-Unis ?
Tant que nous avons affaire à des États-nations, je pense que l'on peut parler de migrations plutôt que de mobilité, même si la Commission européenne sépare bien les migrations intra-européennes, traitées par la direction générale Emploi, affaires sociales et inclusion, des migrations extracommunautaires, traitées par la direction générale Migration et affaires intérieures. Par ailleurs, on trouve en Europe des obstacles que l'on ne trouve pas sur le continent américain, liés notamment à la langue. Même si les obstacles administratifs sont assez réduits, demeurent des obstacles linguistiques et culturels qui n'existent pas lorsque l'on migre de la Floride à la Californie. Cela dit, nous avions comparé les effets de la mobilité après la crise de 2008 aux États-Unis et en Europe. Nous avions observé que la mobilité avait davantage contribué à absorber les chocs en Europe qu'aux États-Unis, ce qui nous avait surpris.
En ce qui concerne les migrations sud-sud, on estime que, sur 240 millions de migrants dans le monde, environ 120 millions entrent dans des pays de l'OCDE - dont un certain nombre en provenance d'un autre pays de l'OCDE -, ce qui signifie que les 120 millions restant se dirigent vers d'autres pays. Les migrations sud-sud sont donc très importantes.
Les migrations intrarégionales constituent la part la plus dynamique des mouvements migratoires. Elles sont très développées en Europe, mais aussi en Amérique latine - entre 2009 et 2014, elles ont augmenté de 50 % -, en Asie, avec le développement de l'ASEAN et de zones de libre-échange un peu embryonnaires, et en Afrique - on décompte 15 millions de migrants entre pays africains, contre seulement 5 millions de migrants d'Afrique vers les pays de l'OCDE. Il ne faut pas oublier cette dimension intrarégionale, qui représente un enjeu majeur pour l'avenir de l'Afrique : l'existence de pôles économiques stables et dynamiques permettra seule d'absorber une partie des jeunes qui vont entrer sur le marché du travail. Lorsque j'ai été auditionné par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, j'avais expliqué qu'un Nigeria stable et prospère, compte tenu de la taille de ce pays, était essentiel pour stabiliser les flux migratoires au niveau régional. Si quelques moteurs économiques se développent en Afrique, ils joueront un rôle attractif ; dans le cas inverse, la pression migratoire vers l'Europe continuera d'augmenter, en particulier celles des jeunes qui cherchent un avenir meilleur.
M. Tourenne m'a interrogé sur les statistiques que j'ai mentionnées concernant les mineurs non accompagnés. Elles proviennent d'Eurostat et sont établies au moment de l'enregistrement de la demande d'asile. En revanche, j'ignore si les règles d'enregistrement sont harmonisées au niveau européen et si le recensement se fait une fois que l'âge a pu être déterminé de manière définitive ou au moment de l'enregistrement de la demande d'asile.
Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y ait pas de demande d'asile pour les mineurs. Ils sont accueillis de plein droit et ne sont pas expulsables...
Mais ils font l'objet de statistiques. Comme je vous le disais, en Allemagne, leur nombre est relativement sous-évalué.
Par ailleurs, vous avez mis en relation la question de l'attractivité de la France avec celle de la « fuite des cerveaux ». J'observe simplement que l'immigration qualifiée ne provient pas nécessairement des pays les moins avancés mais également et principalement de pays émergents et de pays de l'OCDE. On observe d'ailleurs une faible capacité de la France à attirer des ingénieurs allemands, indiens ou coréens. Pour être tout à fait exact, je n'ai pas dit que la France n'était pas attractive, mais qu'elle accueillait peu de migration de travail, et encore moins de travail qualifié, en dehors des étudiants passés par son système de formation. Il faudrait une approche plus détaillée pour conclure à un déficit d'attractivité.
Il faut prendre en compte le facteur linguistique, même si la France, grâce à la francophonie, dispose d'un bassin de recrutement important, ce qui n'est pas le cas d'autres pays comme la Suède ou la Finlande, dont la langue n'est pas parlée en dehors des frontières nationales. Pour ces pays, la question de l'attractivité se pose dans des termes totalement différents.
Prenons le cas de la Suède. Ce pays a la politique d'immigration de travail la plus ouverte au sein de l'OCDE, et peut-être même dans le monde. Pour venir en Suède, il suffit d'avoir une offre d'emploi ; il n'y a pas de test du marché du travail ni de minimum en termes de rémunération ou de niveau de formation, pas de contingent numérique. On peut obtenir la nationalité après trois ans de séjour, venir avec son conjoint qui peut travailler immédiatement. En 2004, la Suède a ouvert son marché du travail aux ressortissants européens, en même temps que le Royaume-Uni et l'Irlande, sans période de transition. La décision a suscité d'intenses débats préalables sur les risques encourus. Or, on n'a pas observé d'arrivées de travailleurs étrangers, alors que l'on en a recensées en Norvège - elle fait partie de l'Espace économique européen - et au Royaume-Uni. Le gouvernement a alors complètement changé d'approche et s'est demandé comment être attractif : toutes les barrières ont donc été levées, cette mesure faisant l'objet d'un consensus politique et syndical. Cette ouverture a eu lieu en pleine crise économique, à la fin de 2008, mais n'a été suivie que d'une très faible augmentation du nombre des migrants de travail. Je dois préciser que, dans ce cadre très ouvert, une seule condition demeure : le travailleur étranger doit être rémunéré exactement comme un salarié suédois. La présence des syndicats dans les entreprises fait que cette condition est vérifiée. De ce fait, le recrutement à l'étranger est nécessairement plus coûteux. Il faut ajouter que la Suède n'est pas le premier pays qui se présente à l'esprit d'un Chinois ou d'un Indien qualifié désirant s'expatrier : il pense davantage aux États-Unis, à l'Allemagne ou au Royaume-Uni. Ensuite, l'apprentissage du suédois représente un investissement relativement important.
J'ai développé un peu longuement l'exemple suédois pour vous montrer que la question de l'attractivité est beaucoup plus complexe que l'on ne le croit. Elle ne se résume pas à l'ouverture du marché du travail ni à la distribution de titres de séjour. Cette réflexion explique en partie l'échec de la carte bleue européenne : elle a ouvert un canal d'immigration vers l'Europe, mais il n'a pratiquement pas été utilisé, à l'exception du cas de l'Allemagne. Cela dit, la question de la « fuite des cerveaux » pose de vrais problèmes à certains pays, je pense en particulier aux métiers de la santé, qui méritent une approche différente.
Mes chers collègues, notre commission d'enquête va conclure son cycle d'auditions de la journée en entendant Mme Sara Abbas, directrice du bureau de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) en France, qui est une agence des Nations unies.
La crise migratoire qui touche l'Union européenne, et plus particulièrement certains de ses États membres, constitue l'un des phénomènes qui, avec le terrorisme, ont mis en lumière les limites, voire les dysfonctionnements de l'espace Schengen.
Quelles sont les caractéristiques de ces migrations ? Dans quel contexte plus général se situent-elles ? Les routes de transit observables aujourd'hui présentent-elles des particularités et ont-elles récemment évolué ? Quelle appréciation portez-vous sur les politiques migratoires menées en Europe et sur leurs conséquences pour la mise en oeuvre de Schengen ?
Outre les réponses aux interrogations de notre commission d'enquête, l'OIM a sans doute des informations à nous apporter sur les relations que l'Union européenne entretient, ou pourrait entretenir, avec les pays d'origine des flux de migrants afin de les tarir.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
À la demande de Mme Abbas, cette audition ne sera pas captée par vidéo ni retransmise sur internet, mais fera bien l'objet d'un compte rendu publié.
Vous avez la parole, Madame la Directrice.
L'OIM est une organisation internationale qui regroupe 166 États membres et dont le siège est à Genève. Avec près de 450 bureaux à travers le monde et près de 10 000 collaborateurs, l'OIM travaille sur des projets liés à la question migratoire. Depuis quelques années, nous nous attachons aux flux migratoires en direction de l'Europe.
L'OIM est présente sur les îles grecques et en Italie - à Lampedusa - pour accueillir les migrants. En 2016, environ 360 000 personnes sont entrées en Europe, principalement en Grèce et en Italie, mais aussi en Espagne et à Chypre. Ce chiffre est en diminution par rapport à 2015, année durant laquelle plus d'un million de personnes sont arrivées en Europe.
Nous les accueillons à leur arrivée, puis nous les orientons vers les services idoines. Ces flux ne concernent pas seulement des personnes pouvant prétendre au statut de réfugié, mais aussi des mineurs non accompagnés, des familles, des femmes avec ou sans enfants, des personnes âgées... La situation est donc assez complexe.
L'OIM est aussi présente dans les Balkans. Nous avons des équipes en Slovénie, en Croatie, en Serbie, en Grèce, en Italie, en Hongrie, qui vont à la rencontre des personnes pour connaître leur pays d'origine. En Italie, on trouve principalement des Nigérians, des Érythréens, des Guinéens, des Ivoiriens et des Gambiens ; en Grèce, ce sont plutôt des Syriens, des Irakiens, des Afghans et des Iraniens.
Les équipes présentes dans les Balkans et les pays limitrophes réalisent des sondages pour obtenir des profils plus précis. Nous ignorons quels sont les projets des migrants, mais l'Italie semble être le pays de destination privilégié des personnes arrivées à Lampedusa qui ont accepté de répondre à nos questions, devant l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas... Les migrants passés par la Grèce privilégient l'Allemagne comme pays de destination.
Manifestement, la France n'est pas le pays de destination des migrants...
Si nous mettons de côté l'exemple de Calais, où l'on a vu jusqu'à 10 000 personnes se rassembler l'année dernière avant de tenter de rejoindre la Grande-Bretagne, les demandes d'asile n'ont que peu augmenté en France ces dernières années, très loin derrière l'Allemagne, la Suède ou l'Autriche, par exemple.
Une personne que nous avons auditionnée ce matin a posé la problématique du règlement de Dublin et de son éventuelle modification de sorte que le pays de destination soit chargé d'examiner la demande d'asile du migrant et non plus seulement le pays d'arrivée. Que pensez-vous de cette idée au regard des réalités de terrain auxquelles sont confrontées vos équipes dans cette crise migratoire ?
Par ailleurs, le programme de relocalisation mis en place par l'Europe pour essayer de contrecarrer ce règlement de Dublin n'apparaît pas très efficace. Confirmez-vous cette analyse et, si oui, quelles autres solutions pourriez-vous préconiser ?
Si mes chiffres sont corrects, environ 8 % des 160 000 migrants visés ont été relocalisés, ce qui est très faible. Il existe un profond désaccord entre les États sur cette question : certains pays, comme la France, ont ouvert leurs portes pour accueillir les migrants relocalisés - la France est d'ailleurs en tête des pays d'accueil -, mais d'autres, comme la Hongrie, refusent de participer à ce dispositif. Il est certain que la Grèce et l'Italie ne peuvent faire face, seules, à ces flux. Il faut aider ces pays et faire en sorte de diminuer la pression migratoire qu'ils subissent.
Que pensez-vous de l'absence de politique migratoire à l'échelle européenne ? On nous a confirmé ce matin ce que nous savions déjà : l'absence de politique migratoire uniforme, sinon convergente, au sein de l'espace Schengen crée des contraintes lourdes. Est-ce un phénomène que vous constatez quotidiennement sur le terrain ?
Oui. Surtout depuis l'année dernière, nous voyons une Europe très divisée, qui n'arrive pas à se mettre d'accord...
Pour quelles raisons ? S'agit-il d'une absence de volonté politique, d'un désaccord sur la vision des choses ou, pire encore, d'une volonté de laisser faire, du moment que cela se passe chez les autres et pas chez nous ?
Depuis quelques années, nous constatons un retour du nationalisme dans un certain nombre de pays européens qui n'ont peut-être pas la même culture d'accueil que d'autres États. Nous avons réalisé une étude avec l'institut Gallup qui montre que l'Europe reste la région du monde la plus fermée : près de 54 % des personnes interrogées souhaitent que l'immigration se stabilise, voire qu'elle diminue.
Il faut toutefois regarder ces chiffres plus en détail : les pays du Nord sont plus ouverts, à l'exception de la Grande-Bretagne, et ceux du Sud plus fermés. Ce sont surtout dans ces derniers que la population souhaite voir diminuer l'immigration.
L'objectif de notre commission d'enquête étant d'analyser et d'évaluer des politiques dans le cadre de l'espace Schengen, quel regard portez-vous sur les mesures consistant à renforcer le contrôle aux frontières ?
Ce n'est pas en renforçant les frontières que l'on arrêtera les flux. Cela ne changera rien aux causes des migrations : conflits armés, comme en Syrie, par exemple, persécutions, instabilité politique, pauvreté extrême, changement climatique... On oublie souvent que l'aléa climatique fait bouger 20 millions de personnes par an.
Il faudrait plutôt s'attaquer aux causes profondes des migrations, à commencer par la question du développement économique des pays d'origine. Que se passera-t-il si Schengen disparaît ? Cela ne changera rien à l'ampleur, inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, des flux migratoires que nous constatons aujourd'hui.
Indépendamment de la crise migratoire de 2015 et de 2016, dont nous connaissons les causes, avez-vous des chiffres illustrant la mobilité mondiale ? Pensez-vous que ces flux vont continuer de croître ? Peuvent-ils se stabiliser, à défaut de diminuer ?
D'après nos chiffres, une personne sur sept dans le monde est un migrant. Il ne s'agit pas nécessairement de personnes qui franchissent une frontière : un migrant peu aussi rester à l'intérieur de son pays. Nous dénombrons actuellement 242 millions de migrants internationaux. La mobilité humaine est aujourd'hui sans précédent.
Il s'agit de l'estimation du nombre total de migrants internationaux. Au regard de tout ce qui se passe en Afrique et au Moyen-Orient, je ne vois pas comment ces flux pourraient diminuer. Si cette migration peut être réglementée, encadrée, elle peut s'avérer positive : si les prévisions du marché du travail sont bonnes, en 2050, l'Europe aura besoin de ces migrants. Il faut s'efforcer d'intégrer ces personnes, ce qui constitue un grand défi en Europe. Peut-être faudrait-il investir autant d'argent en faveur de l'intégration des migrants que pour garder les frontières...
Avez-vous analysé les différentes réglementations - plus dures ou plus souples - des pays d'arrivée des migrants ? Qu'en pensez-vous ?
Je ne peux parler de chaque pays européen, mais il est évident que certains ont des politiques beaucoup plus souples que d'autres. La Suède, par exemple, a subi une très forte pression l'année dernière, avec près de 160 000 demandeurs d'asile, en raison de sa politique plus favorable aux migrants, notamment en matière de regroupement familial. Elle a aujourd'hui fermé sa frontière avec le Danemark, ne pouvant plus faire face à ces flux, quand d'autres pays n'ont pas joué le jeu en instaurant des politiques d'accueil beaucoup plus dures. Je pense que l'harmonisation en cours de ces politiques est une bonne chose pour éviter que certains pays n'accueillent davantage de migrants que d'autres.
L'Allemagne, par exemple, a annoncé qu'elle souhaitait accueillir 700 000 migrants - sauf erreur de ma part. Elle en a accueillis beaucoup plus et revient aujourd'hui quelque peu en arrière. Comment analysez-vous cette situation ? Ces personnes seront-elles obligées de repartir ou vont-elles rester en Allemagne ?
L'Allemagne est le pays européen qui a connu le plus grand nombre de retours volontaires. Selon nos chiffres, entre le 1er janvier et le 30 juin 2016, 50 000 retours volontaires assistés par l'OIM ont eu lieu depuis l'Europe, dont 35 000 depuis l'Allemagne.
À ceux qui voient dans l'immigration une menace, on répond souvent - comme vous venez de le faire, Madame - qu'il est préférable d'aider les pays d'origine à se développer plutôt que de renforcer ses frontières. Vous avez raison, mais il ne s'agit pas de la seule solution. D'abord, parce que, bien souvent, les migrants sont ceux qui apportent le plus d'argent aux pays d'origine. Ensuite, parce que quitter son pays pour un autre est une décision individuelle et qu'il faut donc traiter cette question de manière individuelle. Il ne suffit pas de dire que les migrants doivent rester chez eux pour favoriser le développement de leur pays pour qu'il en aille ainsi.
L'Europe en a donné la meilleure illustration en 2004, au moment de l'élargissement : des pays à même de garantir à leurs citoyens un développement relativement correct en matière économique et sociale n'ont pu retenir ceux de leurs citoyens qui ont eu la possibilité de partir. En matière d'immigration, le développement n'est pas forcément la solution miracle. Il s'agit d'un processus parallèle.
Certains pays ne pratiquent absolument pas le regroupement familial. Le conjoint d'une personne ayant obtenu le droit d'entrer et de travailler dans l'un de ces pays ne peut y travailler ni même, parfois, s'y installer. J'en parle en connaissance de cause en tant que sénateur des Français de l'étranger. Quelles différences constatez-vous entre les pays qui pratiquent le regroupement familial et ceux qui ne le pratiquent pas, en termes d'intégration ?
À la suite des événements de 2015, l'Union européenne a lancé un processus de révision de l'ensemble du fonctionnement de l'espace Schengen, à la fois en matière de surveillance des frontières et de politique d'asile.
La révision du dispositif de surveillance des frontières a été très rapide - on n'a probablement jamais vu un règlement être modifié aussi rapidement ! Aujourd'hui, Frontex a un nouveau mandat et de nouvelles compétences qu'elle met déjà en oeuvre.
Parallèlement, la réforme des politiques d'asile et du règlement de Dublin est toujours en discussion. Nous nous trouvons donc dans une situation complètement asymétrique, très problématique pour les pays de première arrivée. Pensez-vous que ces derniers pourront tenir encore longtemps si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord sur la réforme de la politique d'asile et du règlement de Dublin ?
Nous aurons beaucoup parlé d'un certain nombre de flux migratoires en provenance des Balkans, de Roumanie, de Bulgarie ou d'autres pays, mais nous avons peu parlé du continent africain. La personne que nous venons d'auditionner nous a rappelé combien l'évolution démographique de ce continent était dynamique. J'y étais voilà quelques mois encore et près de quatre jeunes sur cinq envisagent de venir dans l'espace Schengen. Quelle est votre analyse d'une augmentation éventuelle des flux migratoires en provenance d'Afrique au regard des éléments que vous avez rappelés : extrême pauvreté de certains pays, difficultés climatiques croissantes et instabilité politique d'un certain nombre de pays de ce continent ?
Pourriez-vous nous préciser quelle est la position de l'OIM sur l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie ? Pour décharger la Grèce du poids des réfugiés bloqués sur son territoire, il avait été convenu d'inciter ces derniers à revenir en Turquie, à charge pour l'Europe d'accueillir, à due proportion, des réfugiés syriens actuellement présents en Turquie. Or il semble que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l'UNHCR, a critiqué cette politique et a incité les réfugiés présents en Grèce à demander le droit d'asile, ce qui bloque le processus. Dans la mesure où l'OIM relève également des Nations unies, j'aimerais savoir si vous préconisez le blocage ou l'application de ce processus.
Je vois trois causes principales à l'immigration.
Il s'agit tout d'abord, nous le constatons depuis plusieurs mois, de l'immigration pour cause de survie : des hommes, des femmes et des enfants dont la vie est menacée décident de partir pour « sauver leur peau ».
Il s'agit ensuite d'une immigration économique en raison de la très grande pauvreté. Vous avez évoqué la nécessité de favoriser le développement des pays à la source de l'immigration. C'est une question de moyen et de long terme, loin des réactions émotionnelles. C'est d'autant plus important que les moyens de communication permettent aux populations, notamment aux plus jeunes, de connaître la manière dont nous vivons en Occident. Cette immigration est très importante.
Le réchauffement climatique constitue, enfin, la troisième cause d'immigration. Et ce n'est pas aujourd'hui ni demain que nous pourrons apporter une solution à ce problème.
Disposez-vous d'éléments chiffrés sur ces trois causes d'immigration ?
Monsieur Leconte, lorsque vous évoquez la question du regroupement familial, faites-vous référence aux seuls pays européens ?
Je pensais plutôt à certains pays hors Union européenne qui accueillent des travailleurs étrangers sans accorder le regroupement familial ou, quand ils l'accordent, n'autorisent pas le conjoint arrivant à travailler sur leur sol. À partir de là se posent des questions d'intégration et d'attractivité sur lesquelles j'aimerais avoir votre analyse.
Il me semble fondamental de pouvoir s'installer avec sa famille dans le pays d'accueil. S'y opposer va à l'encontre des droits humains...
Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais je constate que certains pays ne le font pas. Ma question porte sur les conséquences de cette politique en termes d'attractivité et sur la manière dont ces pays gèrent leur immigration - je pense notamment à la Chine et à l'Inde...
J'avoue ne pas être très au fait de la politique de regroupement familial de ces pays. Ne pas pouvoir se faire accompagner de sa famille aura évidemment une grande incidence sur le choix du pays où l'on souhaite s'installer.
Je m'interrogeais aussi sur la capacité d'intégration de ces pays, ou plutôt sur le manque d'intégration que ces politiques engendrent : les gens vont travailler dans ces pays, mais ne parviennent pas à s'y intégrer. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques chiffres pour confirmer ou infirmer ce sentiment...
Je ne dispose malheureusement d'aucun chiffre sur ces points... L'évolution des flux migratoires en provenance du continent africain est une question complexe. Le Niger est aujourd'hui l'un des principaux pays africains de transit, mais c'est aussi un pays de destination. Ces dernières semaines, notamment au mois de novembre dernier, nous avons constaté une baisse très importante des flux sortants du Niger en raison du renforcement des contrôles d'identité dans ce pays. Sans papiers, les migrants ne peuvent plus traverser le Niger vers la Libye.
Nous ne disposons pas de chiffres sur la volonté de venir en Europe. Nous savons qu'environ un million de migrants sont aujourd'hui en Libye. Cela ne veut pas dire qu'ils veulent tous venir en Europe. La Libye est depuis très longtemps un pays de destination en soi. Les événements de 2011 et l'instabilité politique poussent aujourd'hui les migrants à prendre les bateaux pour venir en Europe. Ils sont 160 000 à être arrivés en Italie de cette façon en 2016. Comme je l'ai souligné, beaucoup de raisons peuvent pousser les gens à migrer -extrême pauvreté, instabilité politique... Pour autant, sur ce million de personnes, nous ne savons pas combien souhaitent réellement venir en Europe.
Depuis l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne, et d'après les chiffres dont je dispose, 777 personnes ont été renvoyées en Turquie. On constate une baisse énorme d'arrivées entre la Turquie et la Grèce. L'OIM s'efforce de garantir les droits des personnes présentes dans les hotspots qui ont été mis en place. Il me semble aussi très important de renforcer la réinstallation des Syriens depuis la Turquie, ce à quoi la France s'est attelée : 10 000 réfugiés syriens seront ainsi réinstallés d'ici à la fin de l'année - nous en sommes aujourd'hui à environ 700... Cet accord semblait assez instable au vu de la situation en Turquie. On a pensé qu'il ne serait pas viable, mais il continue d'être mis en oeuvre aujourd'hui. Environ 60 000 migrants attendent en Grèce d'être relocalisés ou de retourner dans leur pays - la Grèce pratique en effet le retour volontaire depuis plusieurs années. Ces retours sont nettement en hausse depuis l'augmentation des arrivées par la Méditerranée. Les migrants qui savent qu'ils n'obtiendront pas le statut de réfugié envisagent souvent de rentrer dignement dans leur pays d'origine.
On connaît le nombre de Syriens présents dans les pays limitrophes de la Syrie, mais je ne dispose d'aucun chiffre précis sur les migrants économiques. J'essaierai de me renseigner auprès du siège de l'OIM, si vous le souhaitez.
Il serait illusoire de penser que les migrations vont décliner ou se stabiliser. Elles vont continuer d'augmenter, notamment parce qu'il est de plus en plus facile de communiquer, de se déplacer, d'étudier à l'étranger... S'y ajoutent les crises et les difficultés que nous connaissons. Il n'y a donc aucune raison pour que les migrations diminuent.
En Europe, on mesure mal le fait que les migrations sont beaucoup plus importantes à l'échelle de l'Afrique ou de l'Asie que vers nos frontières. Les chiffres sont sans commune mesure. Voilà quelques années, Jacques Legendre et moi-même étions au Niger, petit pays de 15 millions d'habitants. L'immigration vers l'Europe y est assez faible, alors que plusieurs millions de Nigériens travaillent dans d'autres pays africains, notamment sur la côte atlantique. Les migrations sont donc beaucoup plus importantes dans les sous-ensembles régionaux que vers l'Europe, sans doute parce qu'elles sont plus faciles...
En France, c'est par le mariage qu'est attribué le plus grand nombre de titres de séjour. S'agit-il d'un phénomène propre à notre pays ? De mémoire - je parle sous le contrôle de M. Buffet - 80 000 titres de séjour sont délivrés chaque année en France pour raison de mariage, contre 30 000 titres pour les migrants économiques et 40 à 50 000 titres pour les étudiants étrangers... D'autres pays européens connaissent-ils le même phénomène d'intégration « idéale » ?
Je vous confirme tout d'abord que l'immigration sud-sud est aujourd'hui aussi importante que l'immigration sud-nord et qu'elle pourrait même la dépasser prochainement. Faites-vous référence au problème des mariages de complaisance ?
Le fait que les couples vivent ensemble favorise l'immigration. Sur 250 000 titres de séjour distribués chaque année, 80 000 sont délivrés pour permettre au conjoint d'un Français de venir s'installer dans notre pays, soit le tiers du nombre total des titres de séjour. Je me demande simplement si ce phénomène est propre à la France ou si cette proportion est la même dans les autres pays européens. Avez-vous des statistiques sur ce sujet ?
En gros, l'amour est-il la première raison d'être légalement en France quand on est étranger ?...
C'est une question très intéressante. J'imagine que les proportions doivent être les mêmes dans les autres pays européens, mais je n'ai pas de statistiques sur cette question. L'OIM suit de près les demandes d'asile, en Europe ou ailleurs, et non ce type de demandes...
Le mariage est une spécificité française, c'est l'un des charmes de notre pays.
Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions, Madame la Directrice.
La réunion est close à 17 h 15.