Mais ils font l'objet de statistiques. Comme je vous le disais, en Allemagne, leur nombre est relativement sous-évalué.
Par ailleurs, vous avez mis en relation la question de l'attractivité de la France avec celle de la « fuite des cerveaux ». J'observe simplement que l'immigration qualifiée ne provient pas nécessairement des pays les moins avancés mais également et principalement de pays émergents et de pays de l'OCDE. On observe d'ailleurs une faible capacité de la France à attirer des ingénieurs allemands, indiens ou coréens. Pour être tout à fait exact, je n'ai pas dit que la France n'était pas attractive, mais qu'elle accueillait peu de migration de travail, et encore moins de travail qualifié, en dehors des étudiants passés par son système de formation. Il faudrait une approche plus détaillée pour conclure à un déficit d'attractivité.
Il faut prendre en compte le facteur linguistique, même si la France, grâce à la francophonie, dispose d'un bassin de recrutement important, ce qui n'est pas le cas d'autres pays comme la Suède ou la Finlande, dont la langue n'est pas parlée en dehors des frontières nationales. Pour ces pays, la question de l'attractivité se pose dans des termes totalement différents.
Prenons le cas de la Suède. Ce pays a la politique d'immigration de travail la plus ouverte au sein de l'OCDE, et peut-être même dans le monde. Pour venir en Suède, il suffit d'avoir une offre d'emploi ; il n'y a pas de test du marché du travail ni de minimum en termes de rémunération ou de niveau de formation, pas de contingent numérique. On peut obtenir la nationalité après trois ans de séjour, venir avec son conjoint qui peut travailler immédiatement. En 2004, la Suède a ouvert son marché du travail aux ressortissants européens, en même temps que le Royaume-Uni et l'Irlande, sans période de transition. La décision a suscité d'intenses débats préalables sur les risques encourus. Or, on n'a pas observé d'arrivées de travailleurs étrangers, alors que l'on en a recensées en Norvège - elle fait partie de l'Espace économique européen - et au Royaume-Uni. Le gouvernement a alors complètement changé d'approche et s'est demandé comment être attractif : toutes les barrières ont donc été levées, cette mesure faisant l'objet d'un consensus politique et syndical. Cette ouverture a eu lieu en pleine crise économique, à la fin de 2008, mais n'a été suivie que d'une très faible augmentation du nombre des migrants de travail. Je dois préciser que, dans ce cadre très ouvert, une seule condition demeure : le travailleur étranger doit être rémunéré exactement comme un salarié suédois. La présence des syndicats dans les entreprises fait que cette condition est vérifiée. De ce fait, le recrutement à l'étranger est nécessairement plus coûteux. Il faut ajouter que la Suède n'est pas le premier pays qui se présente à l'esprit d'un Chinois ou d'un Indien qualifié désirant s'expatrier : il pense davantage aux États-Unis, à l'Allemagne ou au Royaume-Uni. Ensuite, l'apprentissage du suédois représente un investissement relativement important.
J'ai développé un peu longuement l'exemple suédois pour vous montrer que la question de l'attractivité est beaucoup plus complexe que l'on ne le croit. Elle ne se résume pas à l'ouverture du marché du travail ni à la distribution de titres de séjour. Cette réflexion explique en partie l'échec de la carte bleue européenne : elle a ouvert un canal d'immigration vers l'Europe, mais il n'a pratiquement pas été utilisé, à l'exception du cas de l'Allemagne. Cela dit, la question de la « fuite des cerveaux » pose de vrais problèmes à certains pays, je pense en particulier aux métiers de la santé, qui méritent une approche différente.