Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre d'intervenir devant cette commission d'enquête. Je vais répondre à ces différents points dans l'ordre où vous les avez abordés.
Vous m'avez d'abord demandé si le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire faisait une description correcte de l'investissement national en matière de recherche nucléaire.
De fait, à nos yeux, ce rapport retrace soigneusement l'ensemble des éléments de coût de la filière électronucléaire depuis plus de cinquante ans, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait ni pour cette filière ni pour aucune autre.
La Cour a pu consulter l'ensemble des comptes annuels du CEA, validés par nos commissaires aux comptes, sur toute la période d'observation. Les chiffres retenus sont donc, du moins pour ce qui nous concerne, d'une parfaite fiabilité.
À mon sens, tout conduit donc à considérer que le rapport décrit de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire, soit 55 milliards d'euros valeur 2010, au titre des cinquante-quatre années allant de 1957 à 2010. On peut donc estimer que nous avons consacré un peu plus de un milliard d'euros par an à la recherche.
Il faut savoir qu'une part significative de ces dépenses porte sur les réacteurs du futur, notamment ceux dits de quatrième génération, et pas seulement sur le parc installé et la production actuelle d'électricité. Le rapport de la Cour des comptes permet de déterminer que 80 % de ces 55 milliards d'euros bénéficient à la filière actuelle, contre 20 % à la filière du futur.
Sachant que le parc actuel aura produit 427 térawattheures à un prix de production de l'ordre de 50 euros le mégawattheure, toutes charges comprises, ce qui correspond à une valeur marchande d'environ 110 euros par mégawattheure, la part de la recherche représente au plus 2,2 % de la valeur de l'électricité produite annuellement par la filière nucléaire. Ce pourcentage est encore plus faible, environ 2 %, si l'on inclut les revenus provenant du reste de la filière industrielle des équipementiers et du cycle, qui ont également bénéficié de cette recherche. Quelle industrie pourrait poursuivre un effort d'innovation avec un pourcentage encore plus faible de ses revenus destiné à la recherche ?
L'investissement de construction de notre parc actuel de cinquante-huit réacteurs et des installations du cycle du combustible, tel que le retrace la Cour des comptes, est de 115 milliards d'euros : 96 milliards pour les réacteurs et 19 milliards pour les industries du cycle. Si l'on rapporte les charges annuelles d'exploitation de ce parc de réacteurs, soit, selon le rapport, 8,9 milliards d'euros par an au coût d'investissement actualisé, on obtient moins de 7,5 % de coût de fonctionnement, toutes charges comprises.
Ce faible pourcentage souligne à quel point, une fois l'investissement réalisé, il est essentiel d'en tirer le meilleur parti en prolongeant le fonctionnement de ces installations autant que les exigences de sûreté l'autorisent.
Vous m'avez également demandé quel commentaire m'inspirait l'évolution de cet effort financier au fil du temps, ainsi que sa répartition entre les nombreux opérateurs, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les industriels.
En reprenant les chiffres cités par la Cour des comptes sur les différentes périodes en observation, on note que, de 1957 à 1969, la moyenne annuelle des dépenses de recherche a été de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. De 1970 à 1989, ainsi que de 1990 à 2010, elle s'est élevée à 1 milliard d'euros. Force est donc de constater une grande stabilité de la part consacrée aux dépenses de recherche dans notre pays. Par ailleurs, le nombre des opérateurs est plutôt stable : la recherche est désormais réalisée soit par les industriels, dont le nombre n'a pas beaucoup augmenté au cours de ces cinquante dernières années, soit par les opérateurs publics de recherche.
À cet égard, je veux souligner que l'ANDRA n'est pas à proprement parler un opérateur de recherche de manière principale, mais plutôt un collecteur de financement public ou privé de ressources, qu'elle redistribue ultérieurement à des opérateurs de recherche, en tant qu'agence de financement, selon ses besoins de recherche en matière de stockage des déchets radioactifs, dont l'État lui a confié la responsabilité.
À mon sens, les opérateurs publics de recherche dans le domaine nucléaire sont principalement au nombre de quatre : le CEA, l'IRSN, le CNRS, ainsi que l'ensemble constitué par les universités et grandes écoles. Il y a en outre d'autres acteurs qui, ayant des activités non spécifiques au champ nucléaire, peuvent y contribuer, tel le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, pour ce qui est de l'examen de la qualité des sous-sols susceptibles d'être utilisés pour le stockage des déchets.
Il est bien évidemment indispensable que l'État se dote, à travers le soutien direct qu'il apporte à des opérateurs publics de recherche, d'une capacité durable d'expertise lui permettant d'exercer en toute compétence son rôle de stratège de la politique nationale en matière d'énergie, de contrôleur et de régulateur en matière nucléaire. De notre point de vue, c'est le sens de la mission des opérateurs publics, dont le CEA fait partie.
Une fois l'investissement réalisé par l'État, il est logique qu'il demande aux opérateurs publics, pour autant que cela ne nuise pas à leur indépendance, de valoriser les moyens et compétences ainsi acquises en les mettant à la disposition des industriels contre rétribution. C'est, je crois, une gestion intelligente des moyens publics. Les industriels y sont, pour leur part, très favorables, dans la mesure où cette mutualisation est facteur d'optimisation économique.
Le rôle de chacun des opérateurs publics me semble donc bien défini. Aux universités et au CNRS est attribué le soin de conduire la recherche de base, essentiellement organisée autour des disciplines, sur l'ensemble des problématiques de la filière. À cet égard, le CEA ne peut que souhaiter le renforcement de leur implication sur les sujets d'intérêt potentiel pour la filière, cette expertise indépendante étant un excellent moyen de répondre aux interrogations de nos concitoyens et de nourrir leur confiance dans la maîtrise des risques de la filière.
À l'IRSN est confiée l'expertise en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lui permettant d'exercer son rôle dans l'évaluation des opérateurs au service de l'État et de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Relève du CEA, enfin, la recherche scientifique et technologique sur l'ensemble de la filière, de l'exploration minière jusqu'à la gestion des déchets, en passant par la conception de réacteurs, l'optimisation des combustibles et le recyclage des matières.
Au final, je pense que l'État est en mesure de définir sa politique de filière et ses exigences en matière de sûreté de manière fondée.
Cette segmentation conduit potentiellement ces différents acteurs à des recoupements ou à des partenariats, qui sont notamment souhaitables dans les domaines se situant aux interfaces des différents champs de responsabilité. C'est par exemple le cas en matière de sûreté et de radioprotection, entre ceux qui doivent défendre leur choix en la matière et ceux qui doivent les évaluer et les contrôler.
Telle est la vision que nous avons aujourd'hui de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Vous m'avez ensuite demandé de comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part, au sein du CEA, désormais officiellement dénommé Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Le CEA qui est, comme vous le savez, un établissement public à caractère industriel et commercial, dispose d'une comptabilité analytique. Nous sommes donc en capacité de restituer finement les coûts, que l'on appelle complets, des différents programmes que nous conduisons.
Ainsi, sur la base du bilan financier 2011, qui vient de m'être remis, je suis en mesure de vous dire que nous avons consacré 550 millions d'euros en coûts complets à la recherche nucléaire, sous trois rubriques principales : les grands outils pour le développement du nucléaire, à hauteur de 208 millions d'euros ; l'optimisation du nucléaire industriel actuel, pour 173 millions d'euros ; le développement des systèmes industriels du futur, pour 168 millions d'euros. Sur cette somme, 271 millions d'euros provenaient de la subvention d'État, 279 millions d'euros d'autres ressources, dont les contrats industriels. Ces recherches ont mobilisé 3 365 personnes, ingénieurs, chercheurs et techniciens.
La même année, le CEA a consacré 214 millions d'euros, dont 84 millions d'euros de subvention d'État et 130 millions d'euros provenant d'autres ressources, aux recherches sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique associée. Ces recherches ont mobilisé environ 950 personnes, dont 801 sous statut, les autres étant des personnels type thésard ou en recherche post-doctorat.
Si l'on souhaite comparer l'effort qui vise, d'une certaine manière, à préparer l'avenir au travers des grands outils pour le développement nucléaire et le nucléaire du futur, et celui qui est consacré aux énergies renouvelables stricto sensu, on a donc 376 millions d'euros d'un côté et 214 millions d'euros de l'autre. Tels sont les éléments chiffrés précis que je suis en mesure de livrer à votre attention.
Il a été demandé au CEA, au moment où sa mission se développait à la fois dans le domaine de l'énergie nucléaire et dans celui des énergies renouvelables, de faire en sorte que, pour 1 euro dépensé pour le nucléaire du futur, 1 euro soit consacré aux énergies renouvelables. Nous essayons actuellement de répondre à cette exigence.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez par ailleurs demandé de présenter de manière consolidée le poids de la recherche publique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
Ma position actuelle d'administrateur général du CEA n'est pas la situation la plus confortable pour répondre à cette question, car je ne connais pas nécessairement dans le détail les coûts associés à chacun des programmes des différents acteurs, d'autant que le sujet n'est pas si simple.
En effet, autant le nucléaire a une typologie assez assurée permettant sans difficulté d'identifier un périmètre, autant les énergies renouvelables sont multiples, diverses et font appel à des compétences variées. Je vais donc vous citer les éléments en ma possession, en toute sincérité, mais je ne doute pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ait des chiffres plus consolidés que ceux que je possède aujourd'hui.
La recherche publique sur le nucléaire, financée sur crédits publics, s'élève à environ 430 millions d'euros par an : 271 millions d'euros pour le CEA ; 28 millions d'euros pour le CNRS ; 115 millions d'euros pour l'IRSN ; une quinzaine de millions d'euros pour les universités et les grandes écoles. Ce décompte recèle un certain nombre d'incertitudes, puisque dans certains domaines comme les matériaux ou la géologie, des études peuvent être rattachées spécifiquement à un objet nucléaire ou, au contraire, à des objets plus vastes.
La recherche financée par les industriels, soit au sein des entreprises soit par l'intermédiaire des opérateurs publics, est d'un montant à peu près équivalent, soit 480 millions d'euros. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans le rapport de la Cour des comptes.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'analyse est un peu plus complexe. Selon les chiffres dont je dispose, la recherche publique financée sur crédits publics s'élève sans doute à plus de 300 millions d'euros par an : le CEA y consacre 84 millions d'euros ; le CNRS, qui dispose de crédits publics d'environ 2 milliards d'euros, dépense de l'ordre de 60 millions d'euros dans ce domaine ; l'IFP Énergies nouvelles, l'IFPEN, finance des recherches pour une trentaine de millions d'euros, sur les 170 millions d'euros dont il bénéficie au titre de la subvention publique, tandis que les universités et les grandes écoles y consacrent environ 25 millions d'euros.
Les crédits abondés par l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, qui ont des responsabilités en la matière, sont de l'ordre 50 millions d'euros.
L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, au travers de la recherche sur les éoliennes offshore, et l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, au travers de la recherche sur les biocarburants, contribuent également à cet effort global, chacun pour 20 millions d'euros.
Mais il peut y avoir des variations extrêmement importantes. Comme vous le savez, des grands programmes d'investissements structurants pour l'avenir ont été engagés, ayant notamment des incidences dans le domaine des énergies renouvelables. Il est donc possible que, d'une année sur l'autre, on relève des fluctuations significatives dans les volumes de dépenses.
Vous m'avez interrogé sur les risques d'inefficience ou de doublon qu'était susceptible d'entraîner le nombre d'organismes publics actifs en matière de recherche.
Le constat est clair : il y a de très nombreux opérateurs de recherche qui concourent à la recherche publique dans le domaine de l'énergie, et en particulier dans les énergies renouvelables. C'est la raison pour laquelle a été créée, en 2009, sur l'initiative du CEA, en accord avec les ministères en charge de la recherche, du développement durable, de l'énergie et de l'industrie, une alliance dénommée ANCRE, Agence nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, qui réunit dix-huit membres ès qualités : le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'universités, l'IFPEN, le BRGM, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture - l'IRSTEA -, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - le CIRAD -, le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB - l'IFREMER, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - l'IFFSTAR - l'Institut national de l'environnement industriel et des risques - l'INERIS -, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - l'INRIA -, l'Institut de recherche pour le développement - l'IRD -, l'IRSN, le Laboratoire national de métrologie et d'essais - le LNE -, et l'Office national d'études et recherches aérospatiales - l'ONERA. Cette agence a pour mission, en liaison avec trois partenaires, qui sont des agences de programmation et de financement, c'est-à-dire l'ANDRA, l'ANR et l'ADEME, de coordonner notre effort de conception et de mise en oeuvre des programmes de recherche arbitrés par la puissance publique. Évidemment, il y a quatre grands contributeurs majeurs dans cette structure : le CEA, le CNRS, l'IFP et la Conférence des présidents d'universités.
Vous imaginez bien qu'une telle multitude d'acteurs nous impose d'être vigilants sur les risques d'inefficience ou de doublons. De notre point de vue, il revient à l'État d'y veiller en dernier ressort.
Pour sa part, le CEA s'est clairement concentré sur les enjeux qui sont en synergie étroite avec ses métiers de base et ses champs de compétences traditionnels : production, distribution et stockage de l'électricité ; électronique et technologies de l'information ; matériaux et transfert thermique ; génomique et biotechnologies.
C'est la raison pour laquelle le CEA se limite, en pleine responsabilité, au solaire thermique et photovoltaïque ou à la production de biocarburants de troisième génération - il s'agit par exemple de recherche sur les micro-algues pour essayer d'orienter la capacité d'un organisme végétal à produire des produits à haute valeur énergétique - au stockage et à la gestion de l'électricité pour le transport - avec tout ce qui tourne autour du véhicule électrique -, mais aussi l'habitat et le tertiaire, car il faut savoir que 43 % des énergies fossiles que nous importons à grands frais sont consacrées aux besoins de l'habitat et du tertiaire, contre 31 % au transport - dans cette logique, nous essayons de réduire la dépendance énergétique aux produits fossiles et donc de développer ces éléments alternatifs - au recyclage et au stockage de la chaleur pour l'habitat et l'industrie, à la production d'hydrogène, son stockage et sa distribution, sa conversion en électricité ou, par combinaison à la biomasse non alimentaire, en biocarburants de deuxième génération.
Il n'y pas de champ en matière de recherche technologique où le CEA soit réellement en compétition avec d'autres organismes, même s'il a besoin de concours. Il revient alors à l'ANCRE de coordonner ces initiatives. Dans ce cadre, le CEA ne se prive pas d'apporter des contributions au-delà des domaines dans lesquels il a vocation à se mobiliser prioritairement et à piloter l'action programmatique. Il peut par exemple intervenir en appui sur les problématiques matériaux ou électrotechniques de l'énergie éolienne ou des énergies marines portées par d'autres organismes.
Monsieur le rapporteur, vous souhaitez en outre connaître la répartition de la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière et savoir si cette imputation me paraît pertinente.