Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité

Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CEA
  • centrale
  • consommation
  • gaz
  • pétrole
  • renouvelable
  • électricité
  • électrique

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, d'avoir répondu à notre invitation, invitation un peu obligatoire, il faut bien le dire... (Sourires.)

Comme vous le savez, monsieur Bigot, chaque groupe politique du Sénat dispose d'un droit de tirage pour créer une commission d'enquête sur un sujet lui tenant à coeur. En l'occurrence, le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'instituer une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques.

Je vais vous demander de respecter ce que j'appellerai la règle du jeu, c'est-à-dire de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Bernard Bigot prête serment.)

Je vous remercie.

Monsieur Bigot, vous avez reçu un questionnaire de M. le rapporteur, à qui je vais céder la parole afin qu'il énonce les questions devant tous nos collègues. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus intéressant pour nos travaux. Ensuite, vous répondrez soit aux questions complémentaires de M. le rapporteur, soit aux questions supplémentaires de mes collègues et de moi-même.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur Bigot, j'ai souhaité vous poser six questions, dont certaines se subdivisent en plusieurs sous-questions.

Premièrement, le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire vous semble-t-il décrire de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire ?

Deuxièmement, au sein du CEA, pouvez-vous comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part ?

Troisièmement, comment se répartit la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière ? Cette imputation vous paraît-elle pertinente ? Qu'en est-il pour les énergies renouvelables ?

Quatrièmement, avez-vous des commentaires sur les mérites comparés, notamment en termes de coût, du remplacement de l'actuel parc nucléaire, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergie renouvelable ?

Cinquièmement, quelle est la vision du CEA sur l'état de la recherche en matière de stockage de l'électricité ? Quelles sont les perspectives, à quelle échéance et à quel prix ?

Enfin, sixièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, au travers de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et des différents dispositifs fiscaux ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre d'intervenir devant cette commission d'enquête. Je vais répondre à ces différents points dans l'ordre où vous les avez abordés.

Vous m'avez d'abord demandé si le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire faisait une description correcte de l'investissement national en matière de recherche nucléaire.

De fait, à nos yeux, ce rapport retrace soigneusement l'ensemble des éléments de coût de la filière électronucléaire depuis plus de cinquante ans, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait ni pour cette filière ni pour aucune autre.

La Cour a pu consulter l'ensemble des comptes annuels du CEA, validés par nos commissaires aux comptes, sur toute la période d'observation. Les chiffres retenus sont donc, du moins pour ce qui nous concerne, d'une parfaite fiabilité.

À mon sens, tout conduit donc à considérer que le rapport décrit de manière correcte l'investissement national en matière de recherche nucléaire, soit 55 milliards d'euros valeur 2010, au titre des cinquante-quatre années allant de 1957 à 2010. On peut donc estimer que nous avons consacré un peu plus de un milliard d'euros par an à la recherche.

Il faut savoir qu'une part significative de ces dépenses porte sur les réacteurs du futur, notamment ceux dits de quatrième génération, et pas seulement sur le parc installé et la production actuelle d'électricité. Le rapport de la Cour des comptes permet de déterminer que 80 % de ces 55 milliards d'euros bénéficient à la filière actuelle, contre 20 % à la filière du futur.

Sachant que le parc actuel aura produit 427 térawattheures à un prix de production de l'ordre de 50 euros le mégawattheure, toutes charges comprises, ce qui correspond à une valeur marchande d'environ 110 euros par mégawattheure, la part de la recherche représente au plus 2,2 % de la valeur de l'électricité produite annuellement par la filière nucléaire. Ce pourcentage est encore plus faible, environ 2 %, si l'on inclut les revenus provenant du reste de la filière industrielle des équipementiers et du cycle, qui ont également bénéficié de cette recherche. Quelle industrie pourrait poursuivre un effort d'innovation avec un pourcentage encore plus faible de ses revenus destiné à la recherche ?

L'investissement de construction de notre parc actuel de cinquante-huit réacteurs et des installations du cycle du combustible, tel que le retrace la Cour des comptes, est de 115 milliards d'euros : 96 milliards pour les réacteurs et 19 milliards pour les industries du cycle. Si l'on rapporte les charges annuelles d'exploitation de ce parc de réacteurs, soit, selon le rapport, 8,9 milliards d'euros par an au coût d'investissement actualisé, on obtient moins de 7,5 % de coût de fonctionnement, toutes charges comprises.

Ce faible pourcentage souligne à quel point, une fois l'investissement réalisé, il est essentiel d'en tirer le meilleur parti en prolongeant le fonctionnement de ces installations autant que les exigences de sûreté l'autorisent.

Vous m'avez également demandé quel commentaire m'inspirait l'évolution de cet effort financier au fil du temps, ainsi que sa répartition entre les nombreux opérateurs, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les industriels.

En reprenant les chiffres cités par la Cour des comptes sur les différentes périodes en observation, on note que, de 1957 à 1969, la moyenne annuelle des dépenses de recherche a été de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. De 1970 à 1989, ainsi que de 1990 à 2010, elle s'est élevée à 1 milliard d'euros. Force est donc de constater une grande stabilité de la part consacrée aux dépenses de recherche dans notre pays. Par ailleurs, le nombre des opérateurs est plutôt stable : la recherche est désormais réalisée soit par les industriels, dont le nombre n'a pas beaucoup augmenté au cours de ces cinquante dernières années, soit par les opérateurs publics de recherche.

À cet égard, je veux souligner que l'ANDRA n'est pas à proprement parler un opérateur de recherche de manière principale, mais plutôt un collecteur de financement public ou privé de ressources, qu'elle redistribue ultérieurement à des opérateurs de recherche, en tant qu'agence de financement, selon ses besoins de recherche en matière de stockage des déchets radioactifs, dont l'État lui a confié la responsabilité.

À mon sens, les opérateurs publics de recherche dans le domaine nucléaire sont principalement au nombre de quatre : le CEA, l'IRSN, le CNRS, ainsi que l'ensemble constitué par les universités et grandes écoles. Il y a en outre d'autres acteurs qui, ayant des activités non spécifiques au champ nucléaire, peuvent y contribuer, tel le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, pour ce qui est de l'examen de la qualité des sous-sols susceptibles d'être utilisés pour le stockage des déchets.

Il est bien évidemment indispensable que l'État se dote, à travers le soutien direct qu'il apporte à des opérateurs publics de recherche, d'une capacité durable d'expertise lui permettant d'exercer en toute compétence son rôle de stratège de la politique nationale en matière d'énergie, de contrôleur et de régulateur en matière nucléaire. De notre point de vue, c'est le sens de la mission des opérateurs publics, dont le CEA fait partie.

Une fois l'investissement réalisé par l'État, il est logique qu'il demande aux opérateurs publics, pour autant que cela ne nuise pas à leur indépendance, de valoriser les moyens et compétences ainsi acquises en les mettant à la disposition des industriels contre rétribution. C'est, je crois, une gestion intelligente des moyens publics. Les industriels y sont, pour leur part, très favorables, dans la mesure où cette mutualisation est facteur d'optimisation économique.

Le rôle de chacun des opérateurs publics me semble donc bien défini. Aux universités et au CNRS est attribué le soin de conduire la recherche de base, essentiellement organisée autour des disciplines, sur l'ensemble des problématiques de la filière. À cet égard, le CEA ne peut que souhaiter le renforcement de leur implication sur les sujets d'intérêt potentiel pour la filière, cette expertise indépendante étant un excellent moyen de répondre aux interrogations de nos concitoyens et de nourrir leur confiance dans la maîtrise des risques de la filière.

À l'IRSN est confiée l'expertise en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection lui permettant d'exercer son rôle dans l'évaluation des opérateurs au service de l'État et de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Relève du CEA, enfin, la recherche scientifique et technologique sur l'ensemble de la filière, de l'exploration minière jusqu'à la gestion des déchets, en passant par la conception de réacteurs, l'optimisation des combustibles et le recyclage des matières.

Au final, je pense que l'État est en mesure de définir sa politique de filière et ses exigences en matière de sûreté de manière fondée.

Cette segmentation conduit potentiellement ces différents acteurs à des recoupements ou à des partenariats, qui sont notamment souhaitables dans les domaines se situant aux interfaces des différents champs de responsabilité. C'est par exemple le cas en matière de sûreté et de radioprotection, entre ceux qui doivent défendre leur choix en la matière et ceux qui doivent les évaluer et les contrôler.

Telle est la vision que nous avons aujourd'hui de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Vous m'avez ensuite demandé de comparer l'effort de recherche actuellement consenti sur le nucléaire, d'une part, et sur les sources de production d'électricité renouvelable, d'autre part, au sein du CEA, désormais officiellement dénommé Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Le CEA qui est, comme vous le savez, un établissement public à caractère industriel et commercial, dispose d'une comptabilité analytique. Nous sommes donc en capacité de restituer finement les coûts, que l'on appelle complets, des différents programmes que nous conduisons.

Ainsi, sur la base du bilan financier 2011, qui vient de m'être remis, je suis en mesure de vous dire que nous avons consacré 550 millions d'euros en coûts complets à la recherche nucléaire, sous trois rubriques principales : les grands outils pour le développement du nucléaire, à hauteur de 208 millions d'euros ; l'optimisation du nucléaire industriel actuel, pour 173 millions d'euros ; le développement des systèmes industriels du futur, pour 168 millions d'euros. Sur cette somme, 271 millions d'euros provenaient de la subvention d'État, 279 millions d'euros d'autres ressources, dont les contrats industriels. Ces recherches ont mobilisé 3 365 personnes, ingénieurs, chercheurs et techniciens.

La même année, le CEA a consacré 214 millions d'euros, dont 84 millions d'euros de subvention d'État et 130 millions d'euros provenant d'autres ressources, aux recherches sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique associée. Ces recherches ont mobilisé environ 950 personnes, dont 801 sous statut, les autres étant des personnels type thésard ou en recherche post-doctorat.

Si l'on souhaite comparer l'effort qui vise, d'une certaine manière, à préparer l'avenir au travers des grands outils pour le développement nucléaire et le nucléaire du futur, et celui qui est consacré aux énergies renouvelables stricto sensu, on a donc 376 millions d'euros d'un côté et 214 millions d'euros de l'autre. Tels sont les éléments chiffrés précis que je suis en mesure de livrer à votre attention.

Il a été demandé au CEA, au moment où sa mission se développait à la fois dans le domaine de l'énergie nucléaire et dans celui des énergies renouvelables, de faire en sorte que, pour 1 euro dépensé pour le nucléaire du futur, 1 euro soit consacré aux énergies renouvelables. Nous essayons actuellement de répondre à cette exigence.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez par ailleurs demandé de présenter de manière consolidée le poids de la recherche publique sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Ma position actuelle d'administrateur général du CEA n'est pas la situation la plus confortable pour répondre à cette question, car je ne connais pas nécessairement dans le détail les coûts associés à chacun des programmes des différents acteurs, d'autant que le sujet n'est pas si simple.

En effet, autant le nucléaire a une typologie assez assurée permettant sans difficulté d'identifier un périmètre, autant les énergies renouvelables sont multiples, diverses et font appel à des compétences variées. Je vais donc vous citer les éléments en ma possession, en toute sincérité, mais je ne doute pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ait des chiffres plus consolidés que ceux que je possède aujourd'hui.

La recherche publique sur le nucléaire, financée sur crédits publics, s'élève à environ 430 millions d'euros par an : 271 millions d'euros pour le CEA ; 28 millions d'euros pour le CNRS ; 115 millions d'euros pour l'IRSN ; une quinzaine de millions d'euros pour les universités et les grandes écoles. Ce décompte recèle un certain nombre d'incertitudes, puisque dans certains domaines comme les matériaux ou la géologie, des études peuvent être rattachées spécifiquement à un objet nucléaire ou, au contraire, à des objets plus vastes.

La recherche financée par les industriels, soit au sein des entreprises soit par l'intermédiaire des opérateurs publics, est d'un montant à peu près équivalent, soit 480 millions d'euros. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans le rapport de la Cour des comptes.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, l'analyse est un peu plus complexe. Selon les chiffres dont je dispose, la recherche publique financée sur crédits publics s'élève sans doute à plus de 300 millions d'euros par an : le CEA y consacre 84 millions d'euros ; le CNRS, qui dispose de crédits publics d'environ 2 milliards d'euros, dépense de l'ordre de 60 millions d'euros dans ce domaine ; l'IFP Énergies nouvelles, l'IFPEN, finance des recherches pour une trentaine de millions d'euros, sur les 170 millions d'euros dont il bénéficie au titre de la subvention publique, tandis que les universités et les grandes écoles y consacrent environ 25 millions d'euros.

Les crédits abondés par l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, qui ont des responsabilités en la matière, sont de l'ordre 50 millions d'euros.

L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, au travers de la recherche sur les éoliennes offshore, et l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, au travers de la recherche sur les biocarburants, contribuent également à cet effort global, chacun pour 20 millions d'euros.

Mais il peut y avoir des variations extrêmement importantes. Comme vous le savez, des grands programmes d'investissements structurants pour l'avenir ont été engagés, ayant notamment des incidences dans le domaine des énergies renouvelables. Il est donc possible que, d'une année sur l'autre, on relève des fluctuations significatives dans les volumes de dépenses.

Vous m'avez interrogé sur les risques d'inefficience ou de doublon qu'était susceptible d'entraîner le nombre d'organismes publics actifs en matière de recherche.

Le constat est clair : il y a de très nombreux opérateurs de recherche qui concourent à la recherche publique dans le domaine de l'énergie, et en particulier dans les énergies renouvelables. C'est la raison pour laquelle a été créée, en 2009, sur l'initiative du CEA, en accord avec les ministères en charge de la recherche, du développement durable, de l'énergie et de l'industrie, une alliance dénommée ANCRE, Agence nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, qui réunit dix-huit membres ès qualités : le CEA, le CNRS, la Conférence des présidents d'universités, l'IFPEN, le BRGM, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture - l'IRSTEA -, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - le CIRAD -, le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB - l'IFREMER, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux - l'IFFSTAR - l'Institut national de l'environnement industriel et des risques - l'INERIS -, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique - l'INRIA -, l'Institut de recherche pour le développement - l'IRD -, l'IRSN, le Laboratoire national de métrologie et d'essais - le LNE -, et l'Office national d'études et recherches aérospatiales - l'ONERA. Cette agence a pour mission, en liaison avec trois partenaires, qui sont des agences de programmation et de financement, c'est-à-dire l'ANDRA, l'ANR et l'ADEME, de coordonner notre effort de conception et de mise en oeuvre des programmes de recherche arbitrés par la puissance publique. Évidemment, il y a quatre grands contributeurs majeurs dans cette structure : le CEA, le CNRS, l'IFP et la Conférence des présidents d'universités.

Vous imaginez bien qu'une telle multitude d'acteurs nous impose d'être vigilants sur les risques d'inefficience ou de doublons. De notre point de vue, il revient à l'État d'y veiller en dernier ressort.

Pour sa part, le CEA s'est clairement concentré sur les enjeux qui sont en synergie étroite avec ses métiers de base et ses champs de compétences traditionnels : production, distribution et stockage de l'électricité ; électronique et technologies de l'information ; matériaux et transfert thermique ; génomique et biotechnologies.

C'est la raison pour laquelle le CEA se limite, en pleine responsabilité, au solaire thermique et photovoltaïque ou à la production de biocarburants de troisième génération - il s'agit par exemple de recherche sur les micro-algues pour essayer d'orienter la capacité d'un organisme végétal à produire des produits à haute valeur énergétique - au stockage et à la gestion de l'électricité pour le transport - avec tout ce qui tourne autour du véhicule électrique -, mais aussi l'habitat et le tertiaire, car il faut savoir que 43 % des énergies fossiles que nous importons à grands frais sont consacrées aux besoins de l'habitat et du tertiaire, contre 31 % au transport - dans cette logique, nous essayons de réduire la dépendance énergétique aux produits fossiles et donc de développer ces éléments alternatifs - au recyclage et au stockage de la chaleur pour l'habitat et l'industrie, à la production d'hydrogène, son stockage et sa distribution, sa conversion en électricité ou, par combinaison à la biomasse non alimentaire, en biocarburants de deuxième génération.

Il n'y pas de champ en matière de recherche technologique où le CEA soit réellement en compétition avec d'autres organismes, même s'il a besoin de concours. Il revient alors à l'ANCRE de coordonner ces initiatives. Dans ce cadre, le CEA ne se prive pas d'apporter des contributions au-delà des domaines dans lesquels il a vocation à se mobiliser prioritairement et à piloter l'action programmatique. Il peut par exemple intervenir en appui sur les problématiques matériaux ou électrotechniques de l'énergie éolienne ou des énergies marines portées par d'autres organismes.

Monsieur le rapporteur, vous souhaitez en outre connaître la répartition de la valeur ajoutée des recherches du CEA en matière nucléaire entre lui-même et les différents industriels impliqués dans la filière et savoir si cette imputation me paraît pertinente.

La mission première du CEA est de créer de la valeur économique, de favoriser le développement de l'emploi industriel dans notre pays. Cette politique de valorisation passe par le dépôt de brevets, afin de défendre la propriété intellectuelle créée grâce aux ressources qui lui sont apportées soit par l'État, soit par ses partenaires.

Vous le savez peut-être, en 2011, nous avons déposé plus de 615 brevets. L'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, doit communiquer son classement pour 2011 la semaine prochaine, mais je peux dire que, en 2010, le CEA était classé quatrième déposant, derrière les deux grands constructeurs automobiles français et une grande entreprise de cosmétiques et de produits d'hygiène. Nous étions battus d'un brevet par cette dernière.

L'enjeu n'est pas tant de prendre des brevets multiples et nombreux que de les valoriser. Nous disposons actuellement de 3 000 familles de brevets vivants, lesquelles sont mises à la disposition des entreprises soit, si elles y ont contribué, de manière prioritaire et exclusive dans leur champ de compétence, soit, au contraire, au profit de tiers, dans une logique de valorisation. Sur ces 3 000 familles, environ la moitié fait aujourd'hui l'objet de licences.

Nous procédons de la même façon avec nos partenaires industriels dans le domaine de l'énergie. Lorsque nous sommes à l'origine d'une innovation sur les seuls crédits publics, nous cherchons logiquement à en assurer le transfert dans la sphère économique. Une alternative s'offre alors à nous.

Nous pouvons la proposer à une entreprise industrielle existante contre une juste rétribution de la propriété intellectuelle ainsi créée, une part de cette rétribution pouvant avoir la forme d'un contrat industriel financé à 100 % pour poursuivre les travaux et accompagner le transfert.

Mais nous pouvons également créer une entreprise innovante. Comme vous le savez peut-être, le CEA crée chaque année entre quatre et six entreprises nouvelles sur l'ensemble de ses champs de compétences, en particulier, aujourd'hui, dans le domaine de l'énergie.

Enfin, il peut arriver que nous répondions à une sollicitation de la part d'une entreprise. Dans ce cas-là, elle doit financer le coût du projet aussi largement que possible, à des taux variant, en fonction de la négociation, de 50 % à 130 %, selon le retour de droit de propriété intellectuelle, ce dernier taux étant bien évidemment le moyen de préparer l'avenir.

Vous m'interrogez sur la pertinence de ce système. Vous le savez, quand il s'agit de parler d'argent, les négociations sont toujours difficiles. Mais il revient au CEA de défendre au mieux les intérêts de la puissance publique, en fonction de l'appréciation qu'ont les industriels de nos performances, dans un monde où la concurrence joue, que ce soit en France ou à l'étranger. Je crois pouvoir dire que le CEA est assez bien placé à cet égard.

Vous souhaitez aussi connaître ma position sur les mérites comparés, notamment en termes de coûts, de remplacement de l'actuel parc nucléaire quand il sera devenu obsolète, soit par des réacteurs nucléaires de type EPR, soit par des sites de production utilisant des sources d'énergies renouvelables.

De mon point de vue, la question ne se pose pas exactement en ces termes. L'enjeu prioritaire est de trouver un substitut, autant que faire se peut, aux énergies fossiles que nous importons actuellement en quasi-totalité.

En effet, le coût de ces importations devient insoutenable. Je pense que vous avez tous à l'esprit que, l'année dernière, la France a importé pour 62 milliards d'euros d'énergies fossiles, alors que, en 2005, nous en avions importé la même quantité, voire un peu plus, pour une somme de 23 milliards d'euros. Vous imaginez bien que la multiplication par trois de la facture tous les six ans n'est pas durablement soutenable. Ce poste représente aujourd'hui 90 % de notre déficit commercial.

Notre pays exporte annuellement pour environ 400 milliards d'euros de biens tels que des avions, des voitures, des ponts, qui ont des durées de vie de plusieurs dizaines d'années, et en une seule année, nous importons 62 milliards d'euros sur le poste des énergies fossiles !

Par ailleurs, pour le CEA, qui est attaché à l'indépendance de notre pays et à la défense de ses intérêts supérieurs, la dépendance énergétique à 100 % dans le domaine des énergies fossiles, telle qu'elle existe aujourd'hui, est dangereuse dans un monde incertain, où ces ressources se raréfient.

À mon sens, le nucléaire et les énergies renouvables ne sont pas concurrents, mais complémentaires.

L'énergie nucléaire est une source de production d'électricité continue, difficilement modulable dans le temps, massive, planifiable et centralisée, qui doit donc répondre aux besoins de production de base d'un pays, pour sa partie fortement urbanisée et industrialisée. En moyenne annuelle, nos besoins de puissance électrique quotidiens s'élèvent à 60 gigawatts, mais ils varient entre 30 gigawatts et 105 gigawatts ; les fluctuations sont donc considérables. Ce talon de 30 gigawatts n'est pas compressible et peut donc être assuré par l'énergie nucléaire.

Les énergies renouvelables, au contraire, sont des sources de production électrique intermittentes, diffuses, bien réparties sur le territoire, répondant à des besoins flexibles. Il faut favoriser leur consommation locale, au plus près de la production, grâce à des moyens de stockage adaptés qui permettent de réduire la dimension des réseaux d'interconnexion.

Enfin, votre question portait également sur les enjeux liés à la diminution des émissions de gaz à effet de serre pour réduire le risque de changement climatique et sur les économies comparées de ces moyens de production d'électricité. Les estimations dont je dispose, pour la France, indiquent un prix de l'ordre de 50 euros pour le mégawattheure d'électricité nucléaire, toutes charges assumées, de l'ordre de 75 à 80 euros pour le mégawattheure d'électricité éolienne terrestre, de 180 euros, voire un peu plus, pour le mégawattheure d'électricité éolienne produite en mer et de 200 à 400 euros pour le mégawattheure d'électricité solaire, sans parler de la problématique de l'intermittence. Il faut avoir tous ces éléments présents à l'esprit.

La politique que préconise le CEA consiste à couvrir les besoins flexibles d'électricité à la fois par des économies et par le recours à des énergies renouvelables, y compris avec un stockage local, en remplaçant, autant que faire se peut, la consommation d'énergies fossiles, sous réserve que l'augmentation des coûts ne crée pas un handicap pour les entreprises en renchérissant de manière inacceptable leurs charges.

Par ailleurs, il faut anticiper le renouvellement des réacteurs actuels par des réacteurs de type EPR, ou peut-être, dans l'avenir, par des réacteurs de quatrième génération. Comme vous le savez, les centrales nucléaires avaient été initialement pensées comme pouvant avoir une durée de vie de trente ans. La raison en est simple : lorsque le parc nucléaire français a été construit, on a adopté la technologie des réacteurs à eau pressurisée, développée aux États-Unis, dont un certain nombre d'exemplaires avaient déjà une durée de vie de trente ans. Aujourd'hui, on constate que cette durée de vie peut être plus longue : la porter à quarante ans semble raisonnable, au vu des résultats de l'inspection menée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et les autorités de sûreté nucléaire. Si nous adoptions cette limite de quarante ans, en 2022, vingt-deux centrales nucléaires devraient être arrêtées, puisqu'elles atteindraient cet âge. Personnellement, je pense que notre pays doit réfléchir à anticiper la nécessité d'arrêter telle ou telle centrale, si les exigences de sécurité l'imposaient.

Comme vous le savez sans doute, le coût de l'électricité nucléaire, tel qu'il est attesté par le rapport de la Cour des comptes, reflète, pour 90 %, le coût des investissements, et à hauteur de 10 % le coût du fonctionnement. Si l'on prolonge la durée de vie d'une centrale d'un tiers, en la faisant passer de trente ans à quarante ans, on réduit en moyenne le coût de l'électricité de 15 % à 20 %. La prolongation de la durée d'utilisation des centrales nucléaires représente donc un enjeu majeur, comme le souligne la Cour des comptes.

Je le répète, il faut développer, autant que possible, les énergies renouvelables, en les substituant en priorité aux énergies fossiles, afin de démontrer la performance économique et la viabilité technique de ces énergies qui présentent bien des avantages, assortis de limitations que l'on connaît, notamment l'intermittence. Pour vous donner un exemple, le parc éolien allemand représente une capacité de 30 000 mégawatts installés ; en moyenne annuelle, il délivre près de 17 % de cette capacité nominale, avec des périodes sans production et des variations brusques. On ne peut donc pas, de mon point de vue, assurer la production d'énergie de base uniquement par une source d'énergie renouvelable, si l'on n'a pas trouvé préalablement de solutions au problème du stockage de l'électricité.

J'en viens précisément à votre cinquième question portant sur le stockage. Dans ce domaine, la vision du CEA est optimiste. Les efforts de recherche et développement, notamment sur le stockage électrochimique, ont permis des progrès tout à fait spectaculaires en termes de fiabilité, de cyclabilité, de durée de vie et de densité d'énergie, grâce à la compréhension des mécanismes intimes de fonctionnement de ces systèmes, mais aussi grâce aux nouveaux matériaux et aux logiques d'économies d'atomes. Aujourd'hui, on constate que le prix des batteries baisse très régulièrement, de l'ordre de 15 % à 25 % par an - je ne parle pas des batteries au plomb des véhicules standards, dont la technologie a atteint sa maturité, mais des batteries capables de stocker de grandes quantités d'énergie pour des véhicules électriques et qui pèsent, par exemple, plus de 200 kilogrammes. En 2009, l'investissement par kilowattheure stocké était de l'ordre de 1 500 euros ; le CEA s'est donné pour objectif de descendre à 250 euros, voire à 200 euros, à l'horizon de 2020. Nous sommes engagés sur la pente qui conduit du premier chiffre au deuxième, avec une amélioration considérable de ce que l'on appelle la cyclabilité : aujourd'hui, ces batteries assurent de l'ordre de 3 000 à 5 000 cycles, et nous sommes en train de développer des batteries dont on espère qu'elles assureront 20 000 cycles.

De même, les densités d'énergie s'améliorent considérablement. Par exemple, il y a quelques années, nous en étions à 0,16 kilowattheure par kilogramme et nous nous sommes donné pour objectif d'atteindre 0,3 kilowattheure par kilogramme, c'est-à-dire de doubler la performance. Aujourd'hui, on estime que le coût d'usage du stockage du kilowattheure est de l'ordre de 50 centimes d'euro et notre ambition est de réduire ce coût, avant 2020, à 5 centimes, voire à 3 centimes. Je vous rappelle que le coût de production du kilowattheure nucléaire est de 5 centimes : nous aurons donc alors atteint des niveaux de performance qui feront du stockage un élément de compétitivité.

L'enjeu est majeur : si nous voulons développer les énergies renouvelables, il faut disposer, en accompagnement, de moyens de stockage et privilégier la consommation locale. La raison en est simple : en Allemagne, pendant 165 jours par an, il faut arrêter un certain nombre d'éoliennes qui pourraient pourtant produire, parce que le réseau n'est pas suffisamment dimensionné. La production d'une éolienne, en moyenne journalière de même qu'en moyenne horaire, varie de 0 % à 100 % : pour collecter en permanence la totalité de l'énergie à l'instant où elle est produite, il faudrait dimensionner l'ensemble du réseau en fonction des jours où le vent souffle fort, soit 17 % du temps. Il est donc impossible de calibrer un réseau pour répondre à de telles exigences. Si l'on dispose d'un moyen de stockage, même partiel, de l'énergie électrique, on peut tirer un bien meilleur parti de l'investissement dans les énergies renouvelables.

Bien d'autres solutions existent, mais je n'ai pas le temps de les évoquer. Comme vous le savez, bon nombre d'énergies renouvelables, de même que le nucléaire, permettent de produire de l'électricité. Un des moyens de stocker l'électricité est de l'utiliser pour produire de l'hydrogène par décomposition de l'eau : l'hydrogène peut alors être stocké - éventuellement pour servir à la propulsion des véhicules - ou injecté dans le circuit de distribution du gaz naturel, auquel il peut être mélangé, jusqu'à hauteur de 25 %, améliorant ainsi la capacité calorifique, sans qu'il soit nécessaire de modifier les voies de distribution ni les voies d'usage. L'hydrogène peut encore être combiné avec la biomasse stockée pour produire des hydrocarbures sans perdre de carbone, donc en optimisant le recours à la biomasse dans notre pays grâce à la production de biodiesel ou de biokérosène, directement utilisables dans les circuits tels qu'ils existent aujourd'hui.

Des moyens de stockage existent donc : il faut que notre pays se dote d'une vision claire de sa politique énergétique, en tirant le meilleur parti de ses atouts. J'espère vous avoir convaincus que la France, en termes de capacités de développement technologique, peut apporter, notamment grâce aux compétences développées par le CEA, un certain nombre de réponses qu'il faudra confronter, bien évidemment, aux exigences de la compétitivité économique et à celles de la rationalité globale du système.

J'en arrive enfin à votre sixième question, relative aux dispositifs de soutien aux différentes énergies renouvelables.

Il faut encourager le développement des énergies renouvelables ; je ne crois pas que cela doive se faire au détriment du nucléaire, vous l'aurez compris. Au contraire, il faut préserver le nucléaire, pour autant qu'il se montre économe et qu'une parfaite sûreté des installations est garantie, et remplacer en partie les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Comme ces dernières ne sont pas véritablement compétitives aujourd'hui, il faut soutenir les filières.

Personnellement, j'aurais tendance à privilégier les mesures de soutien qui responsabilisent les acteurs. Ensuite, je donnerais la priorité à la progressivité : si l'électricité solaire représente seulement 1 % de notre production globale, même si elle est quatre ou cinq fois plus chère, son coût, réparti sur l'ensemble des consommateurs, reste acceptable ; en revanche, si l'on développe trop vite cette production, avant d'être parvenus à en réduire le coût, et qu'elle représente 20 % du total, tout en restant quatre fois plus chère, le coût de l'électricité pourrait augmenter de 80 %, ce qui créerait une situation inconfortable pour les entreprises et l'ensemble des consommateurs. Il n'y a pas de solution miracle ! La contribution au service public de l'électricité, la CSPE, représente plutôt un coût différé pour les consommateurs. À l'heure actuelle, plusieurs milliards d'euros sont dépensés, compte tenu de toutes les décisions prises dans le domaine des énergies renouvelables ; c'est du moins ce que je comprends des déclarations du grand électricien français.

Je suis également favorable aux dispositifs fiscaux, dans la mesure où s'ils induisent certes une dépense instantanée, ils sont un élément majeur de responsabilisation.

Pour conclure, je pense que notre pays ne fait pas assez d'efforts pour soutenir le solaire thermique, qui représente une vraie chance pour réduire les dépenses d'énergie dans le bâtiment. Nous devrions donc être beaucoup plus actifs dans ce domaine, car les technologies sont matures, il n'y a pas de craintes à nourrir quant aux progrès à accomplir. Un certain nombre de pays disposent d'une expérience industrielle dans ce secteur : il faut donc encourager toutes les initiatives.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à toutes vos questions, peut-être un peu longuement, mais j'espère avoir été suffisamment précis.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Vos réponses ont peut-être été un peu longues, monsieur l'administrateur général, mais elles étaient fort intéressantes.

Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions complémentaires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur l'administrateur général, vos réponses ont été tout à fait « carrées », en particulier en matière de chiffres. Bien que l'organisme que vous représentez s'inscrive dans une logique de forte centralisation, vos propos reflètent une volonté de développer une production de proximité pour les énergies renouvelables, notamment le solaire thermique. Cet aspect n'a pas été soulevé aussi nettement lors des autres auditions.

Vous avez parlé d'indépendance énergétique et expliqué qu'il y avait deux réponses à cette problématique : l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Or le nucléaire n'est pas tout à fait un facteur d'indépendance, eu égard à la question de l'approvisionnement en matière première ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Vous avez tout à fait raison. Aujourd'hui, nous importons 8 000 tonnes d'uranium naturel par an, qui permettent de couvrir environ 45 % de notre consommation d'énergie primaire, et 140 millions de tonnes d'équivalent pétrole, en gaz et en pétrole. De ce point de vue, la dépendance à l'égard de l'uranium naturel est donc plus simple à gérer : stocker cinq ans de consommation d'uranium naturel ne pose pas de problème insurmontable, la quantité correspondante représentant quelques centaines de mètres cubes seulement.

Ensuite, l'uranium est assez largement distribué dans le monde, comme vous le savez, et le coût, ou la valeur commerciale, de notre consommation annuelle s'élève aujourd'hui à 800 millions d'euros. Les importations de pétrole et de gaz naturel coûtent, quant à elles, 62 milliards d'euros, payés cash aux pays fournisseurs. L'uranium est à l'origine d'une production électrique d'une valeur de 60 milliards d'euros : la plus-value est essentiellement apportée par le travail de la filière, accompli localement.

Je ne conteste nullement, monsieur le rapporteur, le fait que nous dépendions de ces 8 000 tonnes d'uranium, mais nous pouvons les stocker durablement. Par ailleurs, nous pouvons jouer sur toute une palette de fournisseurs, qu'il s'agisse du Canada, de l'Australie, du Niger, du Kazakhstan, de la Namibie ou de la République centrafricaine. La situation n'est pas tout à fait comparable s'agissant des énergies fossiles, comme vous le savez.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Avant de donner la parole à nos collègues, j'aurais souhaité vous demander deux précisions suite aux questions que vous a posées notre rapporteur, monsieur l'administrateur général.

Tout d'abord, j'aurais aimé que vous vous « mouilliez » davantage concernant la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. J'ai bien compris votre message : d'ici à 2022, si l'on retient une durée de vie de quarante ans, il faudrait fermer vingt centrales dans notre pays ; il convient donc d'y réfléchir. Pour votre part, qu'en pensez-vous ? Faut-il prolonger cette durée de vie jusqu'à cinquante ou soixante ans ?

Ensuite, s'agissant de votre effort de valorisation économique, je connaissais les chiffres impressionnants que vous avez cités en termes de brevets déposés par le CEA. En revanche, je ne savais pas que vous contribuiez à créer, chaque année, de quatre à six entreprises. Quel est leur secteur d'activité ? Que deviennent-elles ensuite ? Les revendez-vous ? Êtes-vous le seul investisseur ou intervenez-vous en partenariat ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Non. Nous avons la culture du service public, mais, comme je l'ai dit, nous nous efforçons aussi de créer de la valeur.

Pour répondre à votre première question, monsieur le président, ne craignant pas l'eau, j'accepte bien volontiers de me « mouiller » ! Ma vision est très simple : le nucléaire représente un investissement lourd. Aujourd'hui, aux termes du constat de la Cour des comptes, avec un parc nucléaire qui a, en moyenne, vingt-cinq ans d'âge, le prix de l'électricité représente, à hauteur de 90 %, la valorisation de notre investissement, et, à hauteur de 10 %, les coûts de fonctionnement, de démantèlement et de gestion des combustibles usés. Il faut donc privilégier l'allongement de la durée de vie, tout en respectant une exigence absolue : la sûreté de nos installations nucléaires. Nos concitoyens peuvent, je le crois, accepter le risque nucléaire s'il est maîtrisé et en l'absence de tout relâchement de radioactivité à l'extérieur des sites nucléaires ; ils ne peuvent pas l'accepter si une contamination durable se produit, comme à Fukushima.

Qu'avons-nous fait en matière de sûreté ? Dès le début, une éprouvette contenant des échantillons de l'acier constitutif de l'enceinte du coeur, qui représente la partie non substituable de l'installation, a été placée dans chaque réacteur. On prélève régulièrement des échantillons de ces éprouvettes pour examiner comment ils évoluent. L'acier de la cuve, d'une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, est soumis en permanence à un flux de neutrons, d'une part, et à un stress thermique et mécanique, d'autre part. Pour vous donner une idée, chaque atome constitutif de cet acier est l'objet de plusieurs déplacements chaque année, comme dans un billard. La préservation des capacités mécaniques de cet acier qui assure le confinement du coeur constitue donc un véritable défi ! Or l'examen de ces échantillons laisse à penser que ce métal se comporte beaucoup mieux que prévu. D'un point de vue scientifique, ce constat est rassurant, car tout risque serait annoncé par des signes avant-coureurs, comme des fissures, qui nous permettraient d'agir par anticipation.

Autre point très important, tous les dix ans, nos centrales font l'objet d'un examen extrêmement approfondi, afin de garantir que les installations essentielles pour la sûreté du réacteur ont un comportement conforme à ce qui est attendu. Dans la situation actuelle, si le moindre risque est décelé, il le sera de manière anticipée et il n'y aura pas à hésiter : il faudra arrêter la centrale concernée. En revanche, en l'absence de risque, je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions notre investissement en arrêtant les centrales plus tôt que nécessaire.

Au vu des premiers audits de sûreté décennaux, le comportement de nos réacteurs est apparu satisfaisant et l'Autorité de sûreté nucléaire a autorisé la prolongation de leur utilisation de dix années. Je ne sais pas ce qui se passera dans dix ans et personne ne peut le dire.

À titre personnel, je formulerai la recommandation suivante : si, dans dix ans, les centrales sont encore en très bonne forme, prolongeons leur utilisation ! Mais, puisque notre parc a été construit de manière cadencée - entre 1977 et 2000, on a mis en service, chaque année, trois ou quatre réacteurs -, si un réacteur montre des signes de vieillissement qui ne permettent plus de garantir sa sûreté, les réacteurs de la même génération ne sont vraisemblablement pas dans un meilleur état. Or il n'est guère envisageable d'arrêter trois ou quatre réacteurs une même année. Il convient donc d'anticiper et de développer de nouvelles installations : quand elles fonctionneront, nous serons beaucoup plus sereins en ce qui concerne le développement durable.

Tel était le sens de la recommandation que j'avais formulée en 2003, lorsque j'étais haut commissaire à l'énergie atomique, en préconisant le lancement de l'EPR. Nous avons besoin d'un réapprentissage industriel ! Au regard des durées que nous évoquons, il est absolument indispensable d'apprendre à maîtriser les savoir-faire d'une nouvelle filière industrielle. Comme je l'ai dit, dans le passé, nous construisions trois ou quatre réacteurs par an, contre un seul actuellement. Le problème de l'EPR de Flamanville est tout à fait banal : des entretoises supérieures ne répondent manifestement pas aux exigences de qualité très élevées imposées en matière de sûreté nucléaire, et l'industriel concerné doit donc reprendre la fabrication de la pièce jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction. Les délais s'en trouvent allongés d'autant.

Je recommande donc de prolonger la durée d'utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. Parallèlement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour développer les énergies renouvelables en intégrant leurs contraintes propres afin de garantir la satisfaction de nos besoins.

Pour répondre à votre seconde question, monsieur le président, nous créons chaque année trois ou quatre entreprises. S'il existe déjà une entreprise capable d'exploiter l'innovation dont nous avons identifié le potentiel, nous n'en lançons pas une nouvelle. En revanche, dans le cas contraire, les équipes de la direction de la valorisation accompagnent les chercheurs ou l'équipe à l'origine de cette innovation pour créer une entreprise, en les « mariant » à un gestionnaire - en effet, les chercheurs ou les ingénieurs sont plutôt des créatifs, des hommes de la technique, on ne peut pas leur demander d'être « ambidextres », c'est-à-dire géniaux à la fois dans l'innovation et le management ! Nous apportons éventuellement des crédits : nous avons créé un fonds de placement, CEA Investissement, d'un montant de 25 millions d'euros, que nous avons presque consommés - j'espère que le programme des investissements d'avenir viendra l'abonder. Ces entreprises « sortent de notre giron » au terme de cinq à huit ans, lorsqu'elles ont fait la démonstration de leur viabilité. À ce moment-là, soit elles sont introduites sur le marché boursier, soit elles sont rachetées par des tiers, et nous pouvons espérer, dans certains cas, en tirer une plus-value.

Nous avons ainsi créé plus de 140 entreprises depuis 1985. Nous avons connu des échecs, mais je me souviens qu'un comité d'évaluation nous avait reproché un taux d'échec trop faible, qui pouvait laisser à penser que nous n'étions pas assez volontaristes ! Selon moi, si notre taux d'échec est plus faible que la normale, c'est tout simplement parce que notre mécanisme d'incubation est particulièrement fort et robuste.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

À vous entendre, monsieur l'administrateur général, j'ai le sentiment que l'approche du CEA est restée redoutablement franco-française. Or les auditions auxquelles nous avons procédé depuis quelques semaines attestent de la construction d'un système européen de l'électricité, marquée par un renforcement important des interconnexions et le développement massif de l'éolien, terrestre aujourd'hui, offshore demain, pour une puissance installée qui représente aujourd'hui le double du parc nucléaire français et augmente d'environ 10 gigawatts par an - la production d'électricité éolienne européenne représentera donc environ quatre fois celle de notre parc nucléaire à l'horizon de 2015.

Dans une Europe qui reste malgré tout une perspective politique majeure, la logique voudrait que l'on développe des programmes partagés, notamment entre la France et l'Allemagne, puisque les questions d'efficacité énergétique, de gestion de réseaux et de développement des énergies renouvelables - l'équivalent en photovoltaïque de la capacité de vingt-cinq tranches nucléaires doit être installé en Allemagne - devraient nous y amener.

J'en viens à ma première question : quels sont aujourd'hui vos programmes de recherche croisée avec l'Allemagne et, plus globalement, avec les pays qui s'inscrivent dans les grandes stratégies européennes de recherche définies par la Commission européenne ?

Je souhaite ensuite revenir sur le travail que vous réalisez dans le domaine des énergies renouvelables. Ces auditions ne nous permettent pas d'entrer dans le détail et je vous serais reconnaissant, puisque vous disposez d'une comptabilité analytique, de nous communiquer la liste précise et exhaustive des programmes relatifs aux énergies renouvelables sur lesquels travaille le CEA aujourd'hui. Ces éléments nous permettront d'avoir une idée plus précise de votre stratégie, en nous révélant sur quoi portent vos efforts, en termes financiers et opérationnels ; ils nous sont nécessaires pour avancer dans notre analyse.

Je suis surpris par certains chiffres : aujourd'hui, en France, le mégawattheure produit dans les grandes « fermes » photovoltaïques se négocie à 90 euros environ, donc à un prix bien inférieur à celui que vous avez mentionné. Compte tenu de notre potentiel de recherche, je m'étonne que nous n'ayons pas les mêmes ambitions dans le domaine du photovoltaïque que dans celui du stockage : si nous en sommes aujourd'hui à 90 euros le mégawattheure, nous pourrions espérer arriver à 60 euros demain, à condition que le potentiel de la recherche française soit pleinement engagé.

De même, vous n'avez pas parlé de l'efficacité énergétique, alors que l'électronique et l'intelligence des systèmes sont au coeur du travail du CEA. Il nous semble que nous sommes aujourd'hui extrêmement en retard dans la gestion de l'efficacité énergétique, notamment en ce qui concerne les effacements de pointe, alors que des réseaux intelligents permettraient de donner des conseils automatisés au consommateur. Rien de cela n'est en place et il me semble que ces préoccupations devraient être au coeur de votre action.

Comme vous n'aurez pas le temps de répondre à toutes nos questions, je me permets de réitérer ma demande : pouvez-vous nous adresser des documents détaillés qui nous permettront d'avoir une vision plus stratégique de la manière dont l'argent public est réparti entre les différents domaines de la recherche sur les énergies renouvelables ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Je reconnais que je n'ai pas parlé de l'Europe, car ma préoccupation première, en tant que gestionnaire d'un établissement qui reçoit l'essentiel de ses subsides d'un État, est d'aider cet État à faire face à ses propres besoins énergétiques. Vous avez totalement raison, nous devons avoir une politique européenne en matière d'énergie et d'importants progrès restent à accomplir à cet égard selon moi.

Je travaille en étroite concertation avec la Commission européenne sur un certain nombre de points, mais beaucoup reste à faire. La principale difficulté tient au fait qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de consensus absolu entre les différents États. L'Allemagne, vous le savez aussi bien que moi, a décidé de sortir du nucléaire : nous n'allons donc pas beaucoup travailler avec nos amis Allemands dans ce domaine, si ce n'est pour le démantèlement et l'assainissement. En revanche, dans le domaine des énergies renouvelables, nous travaillons avec eux. Dans le cadre de l'Institut européen de technologie, le CEA participe à un KIC - ce sigle signifiant knowledge and innovation community - qui réunit six pays européens souhaitant travailler au développement conjoint du nucléaire et des énergies renouvelables : nous y retrouvons nos amis Allemands. Nous nous inscrivons donc volontiers dans certains programmes européens, car l'effort de recherche peut bien évidemment être transversal.

Ne nourrissons pas trop d'illusions quant à l'existence d'une « grille électrique européenne » où tout serait partagé : lorsqu'il a fait très froid, la France a consommé quotidiennement 105 gigawatts de puissance électrique ; la totalité des interconnexions de notre pays représente une capacité de moins de 25 gigawatts, dont 5 gigawatts seulement avec l'Allemagne...

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Oui, mais cela représente un coût ! Notre logique répond à une vision systémique et non à une vision « individuelle ». Vous le savez peut-être, la France, qui est un pays où la production électrique est pourtant remarquablement distribuée, fait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des petits oiseaux et l'atmosphère : l'effet Joule, c'est-à-dire la déperdition d'énergie électrique, en est responsable. Tout cela n'est pas neutre, et il faut avoir ces éléments présents à l'esprit !

Nous sommes tout à fait désireux de travailler le plus étroitement possible avec nos amis Allemands : c'est le cas, par exemple, dans le domaine des biocarburants de deuxième génération.

J'en viens au dernier point que vous avez abordé, à savoir l'efficacité énergétique. Bien évidemment, nous pouvons considérablement progresser et le CEA est particulièrement bien placé dans ce secteur, car l'amélioration de l'efficacité énergétique consiste à rendre les systèmes « intelligents ». Aujourd'hui, cette intelligence repose essentiellement sur les technologies de l'information et nous nous efforçons d'en introduire le plus possible dans l'habitat ou l'automobile, car les coûts supplémentaires induits sont extrêmement modestes.

Par exemple, si l'on développe les véhicules électriques en France, on pourra installer une « puce » dans chaque véhicule, qui indiquera la durée de l'arrêt de celui-ci, afin que le gestionnaire du réseau puisse allouer l'électricité en fonction des besoins exprimés. En effet, 80 % des déplacements, en France, sont inférieurs à cent kilomètres, et une voiture reste à l'arrêt plus de vingt heures par jour. Avec un réseau intelligent, il sera possible de stocker dans les batteries des véhicules les ressources nécessaires et même de les récupérer. Pour donner un ordre de grandeur, si 80 % des parcours effectués par les 36 millions de véhicules utilitaires et particuliers que compte la France l'étaient grâce à un moteur électrique - aujourd'hui, les batteries de certains véhicules permettent déjà de parcourir deux cent cinquante kilomètres -, nous pourrions stocker 15 % de notre consommation moyenne d'électricité, ce qui n'est pas négligeable !

Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, monsieur le sénateur...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous avons essentiellement besoin des documents de comptabilité analytique relatifs aux programmes de recherche sur les énergies renouvelables, pour nous faire une idée de la véritable stratégie du CEA...

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Nous sommes à votre disposition pour produire les éléments correspondants. Cependant, vous devrez consolider ces informations par celles qui pourraient émaner de nos partenaires...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous en avez sûrement une idée assez précise !

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Pas pour l'ensemble de nos partenaires, car nous n'avons pas tous les mêmes manières de travailler.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

J'aimerais savoir, monsieur l'administrateur général, qui est le décideur en matière de définition des niveaux ou des types de recherche. S'agit-il d'opérateurs extérieurs ou le CEA retient-il lui-même, en interne, un certain nombre de pistes ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Nous sommes un établissement public et une part de notre budget provient d'allocations budgétaires annuelles, mais le restant est fourni par les agences de financement et par nos engagements industriels.

Le CEA a pour responsabilité de présenter sa vision de politique scientifique devant les autorités gouvernementales et devant le Parlement. Le schéma que je vous ai présenté n'est pas secret, c'est celui que j'essaie de promouvoir et de défendre. Ces choix sont sur la table et nous sommes prêts à recevoir toutes les indications souhaitables ; nous avons plutôt une compétence technique et nous attendons de connaître les choix politiques.

L'État nous demande également d'être aussi proches que possible des industriels : lorsque l'un d'entre eux nous propose des conditions intéressantes pour travailler sur un sujet donné, si cette proposition est conforme aux grandes lignes de la politique voulue par le Gouvernement, nous répondons favorablement.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Nous refusons !

On nous demande souvent pourquoi le CEA ne s'investit pas dans le développement de l'éolien. Comme je vous l'ai expliqué, j'essaie de valoriser au mieux nos compétences. J'estime que, pour l'éolien, nous n'en sommes plus à une recherche sur les systèmes, mais à une recherche spécialisée. Pour vous donner un exemple, une nacelle éolienne de 3 mégawatts ou 5 mégawatts contient entre 200 et 500 kilogrammes de matériel magnétique. Si nous pouvons aider au recyclage de ces matières ou à la substitution d'une partie d'entre elles - les métaux rares représentent, vous le savez, un enjeu stratégique mondial -, nous le ferons, bien évidemment. Mais je ne suis pas le maître du jeu, c'est l'industriel « mature » dans le domaine de l'éolien qui est susceptible de me solliciter. Je ne peux pas jouer un rôle moteur, j'ai déjà tant à faire dans les domaines où le CEA occupe un rang de leader !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé d'engager une réflexion sur l'hydrogène en tant que moyen de stockage de l'électricité. Nous serons certainement amenés à nous retrouver pour discuter de ce sujet.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Je crois beaucoup à cette voie, parce qu'elle permet de développer des systèmes cycliques et propres. Nous ne manquons pas d'eau et l'électricité est massivement produite par les énergies renouvelables et le nucléaire : nous disposons donc de tous les ingrédients et nous pouvons toujours recombiner l'hydrogène avec l'oxygène - qui, lui non plus, ne manque pas - pour obtenir à nouveau de l'eau. Un tel dispositif a un coût, puisque chaque transformation d'une énergie en une autre entraîne des déperditions. L'objet de nos recherches consiste à réduire ces déperditions.

Avec l'université de Corte et le Centre national de la recherche scientifique, nous avons créé un démonstrateur en Corse. Il s'agit du projet MYRTE, dont vous avez sûrement entendu parler : des capteurs solaires permettent de répondre aux besoins de la journée et le supplément d'énergie est stocké sous forme d'hydrogène ; pendant la nuit, on recombine l'hydrogène avec l'oxygène pour produire de l'électricité, ce qui prolonge la possibilité de production. Nous essayons ainsi de répondre à la problématique de l'intermittence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

Beaucoup d'initiatives se développent dans ce domaine à l'échelon européen. Nous devrons ensuite engager un travail législatif et réglementaire, puisque le stockage de ce genre d'énergie, vous le savez, pose d'énormes problèmes, notamment si elle doit être employée pour alimenter des véhicules.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

L'Allemagne est en train de développer un réseau de distribution d'hydrogène pour les voitures. Celles-ci fonctionneront avec des moteurs à hydrogène soit thermiques, soit alimentés par une pile à combustible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

En raison d'obstacles législatifs, nous ne pouvons pas mettre en place de bornes d'alimentation en hydrogène sur notre territoire. Mais nous y reviendrons, croyez-moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Je vais me faire l'avocat du diable, ou plutôt le porte-parole d'une personne que nous avons auditionnée il y a quelques jours...

Vous avez indiqué des chiffres extrêmement précis concernant le vieillissement des centrales nucléaires, mais je souhaite revenir sur deux points : le stockage des déchets et la durée de vie des centrales.

Tout d'abord, vous avez indiqué que la durabilité des installations ne serait connue que dans le futur. Les éléments que vous nous avez donnés sont-ils « consolidés » par rapport à cette incertitude ?

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Pour ce qui est de la durée d'utilisation, je confirme, conjointement avec EDF - qui a créé un institut international pour mener des recherches sur le vieillissement, auquel le CEA est associé -, que le vieillissement des composants principaux des réacteurs est plus lent que prévu...

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Oui, le reste est substituable. Le petit miracle du nucléaire, si j'ose dire, c'est qu'il n'y a pratiquement pas de pièces mécaniques à l'intérieur du coeur : il n'y a donc pas d'usure par frottements, etc. En revanche, les échangeurs de chaleur qui subissent le cyclone de vapeur connaissent une véritable usure : leur oxydation a été plus forte que prévu, c'est pourquoi EDF a établi un plan de remplacement de ces pièces.

En ce qui concerne la durée de vie des centrales nucléaires, je confirme que tous les éléments sont aujourd'hui plutôt favorables : aux États-Unis, certains réacteurs ont cinquante ans et fonctionnent encore. Nous disposons donc d'une véritable expérience ! Dans le domaine technologique et industriel, on peut faire beaucoup, mais on ne peut pas raccourcir le temps. Ce n'est pas en faisant fonctionner cinq réacteurs en parallèle pendant dix ans que je saurai comment chacun d'entre eux fonctionnera dans cinquante ans ! Il faut accepter d'attendre le retour d'expérience.

Pour moi, le plus important est de prolonger le plus possible la durée de vie des installations, avec une observation extrêmement attentive afin d'éviter tout risque induit. Du point de vue des scientifiques et des ingénieurs, je vous confirme qu'il n'existe pas aujourd'hui de risques particuliers, supérieurs à ceux qui existaient avec la durée de vie initialement prévue, si l'on prolonge celle-ci de dix ans. En revanche, si l'on devait constater, demain, un problème dans une centrale, il ne faudrait pas hésiter à agir !

J'en viens au deuxième aspect que vous avez soulevé. Il est clair que le nucléaire produit des déchets : il en produit à due concurrence du combustible consommé. Les 8 000 tonnes d'uranium naturel que j'ai évoquées permettent de produire 1 100 tonnes de combustible, dont 5 % sont transformées avant que ce combustible soit retiré du réacteur. Le choix technologique retenu par la France consiste à séparer ces 5 % et à recycler les 95 % restants.

Les 5 % de déchets en question, lorsqu'ils sont retirés du réacteur, émettent une radioactivité de l'ordre de 100 000 à 1 000 000 fois supérieure à la radioactivité naturelle. Si vous exposez n'importe quel organisme vivant à un tel niveau de radioactivité, vous le détruisez ! Il faut donc confiner ces déchets.

Après une première loi, en 1991, qui confiait au CEA, au CNRS et à d'autres organismes la responsabilité d'examiner les différentes pistes possibles pour la gestion des déchets, le Parlement a arrêté, en 2006, un choix de référence, fondé sur la séparation et le stockage géologique de colis vitrifiés inertant les déchets radioactifs. Même dans un dépôt d'argile, qui comporte environ 15 % d'eau - or l'eau finit par dissoudre le verre, très lentement, sur des échelles de temps qui sont de l'ordre de la centaine de milliers d'années -, on peut garantir, sur le plan scientifique, que la radioactivité ainsi introduite va décroître. Lorsqu'un atome radioactif sortira éventuellement de la couche d'argile épaisse qui se trouve entre la Haute-Marne et la Meuse, la radioactivité induite, en flux, sera de l'ordre du centième ou du millième de la radioactivité naturelle. Nous disposons désormais d'une bonne compréhension de ces mécanismes, qui nous permet de telles affirmations. La radioactivité n'est pas dangereuse, aussi longtemps qu'elle ne dépasse pas un certain seuil : notre organisme dispose de mécanismes de réparation des dommages créés par les rayonnements ionisants qui sont capables de faire face à la radioactivité naturelle dans laquelle nous baignons.

Ma conviction profonde est que nous disposons aujourd'hui d'un scénario de référence. Des incertitudes demeurent quant aux coûts, parce qu'il s'agit d'un grand projet industriel, totalement novateur. La Cour des comptes affirme très clairement que, même si le coût du stockage des déchets doublait, celui-ci ne représenterait qu'un pourcentage très faible du coût de l'électricité.

Nous nous inscrivons donc dans la logique suivante : allonger la durée de vie des réacteurs pour faire baisser le coût moyen de l'électricité, sachant qu'un « jugement de paix » reste à rendre sur le coût du stockage géologique profond. Dans tous les cas, contrairement à ce que certains disent, le nucléaire reste compétitif, y compris en intégrant la nécessité d'assumer jusqu'à la fin des temps la responsabilité d'une gestion correcte du cycle du combustible.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Vous pourrez constater sur place l'état d'avancement de ce grand chantier.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur l'administrateur général, M. le rapporteur souhaitait savoir s'il pouvait trouver sur votre site Internet des informations sur les entreprises créées par le CEA.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Nous allons vous communiquer ces informations. Je ne peux pas vous certifier que ces éléments figurent sur notre site internet ; si tel est le cas, ils ne sont certainement pas présentés entreprise par entreprise. Vous connaissez l'une de ces entreprises, Soitec, chère à M. Vial... (Sourires.) Nous avons également bon espoir de pouvoir aider Photowatt, dans le solaire, en apportant notre contribution au développement d'un procédé très innovant, l'hétérojonction. Tels sont les paris que nous nous prenons !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur l'administrateur général, je vous remercie de vos réponses très précises. Je crains que vous n'ayez donné envie à notre rapporteur de vous interroger à nouveau, vous-même ou vos collaborateurs, avant la rédaction de son rapport.

Debut de section - Permalien
Bernard Bigot, administrateur général du CEA

Je vous remercie de votre écoute.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, et de Mme Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes.

Notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a ainsi fait usage de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. L'excellent récent rapport de la Cour des comptes intitulé « Les coûts de la filière électronucléaire » constitue évidemment un élément fondamental d'information sur le sujet, c'est pourquoi il nous a paru utile d'entendre M. Lévy et Mme Pappalardo, afin qu'ils puissent nous apporter un éclairage supplémentaire.

Je rappelle que les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission d'enquête a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Monsieur Lévy, madame Pappalardo, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, sachant que je suis bien conscient du caractère particulier de cette procédure s'agissant de magistrats s'exprimant, de surcroît, au nom d'une institution collégiale :

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Gilles-Pierre Lévy prête serment.)

(Mme Michèle Pappalardo prête serment.)

Je vous donne la parole, monsieur Lévy, pour nous présenter le rapport de la Cour des comptes. M. le rapporteur vous posera ensuite quelques questions complémentaires, qui vous ont été communiquées à l'avance afin que cette audition puisse être fructueuse.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter brièvement le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, en m'appuyant sur la projection de documents Powerpoint. Mme Michèle Pappalardo et moi-même répondrons avec plaisir aux questions que vous nous poserez ; si nous ne sommes pas en mesure de le faire sur-le-champ, nous nous efforcerons de vous fournir les réponses ultérieurement.

Après avoir dressé un panorama global des dépenses prises en compte, j'évoquerai les incertitudes pesant sur les charges futures, les méthodes d'évaluation des coûts complets de production, la question stratégique de la durée de fonctionnement des centrales, les actifs dédiés et les perspectives de coût à court et à moyen terme. Je conclurai sur quelques éléments difficilement chiffrables.

L'élaboration du rapport de la Cour des comptes répond à une demande du Premier ministre en date du 17 mai 2011, faisant suite à un entretien entre le Président de la République et un groupe de représentants d'organisations non gouvernementales. Il s'agissait en particulier de déterminer si la production d'électricité nucléaire comportait des coûts cachés.

Le rapport a donc pour objet d'analyser les éléments constitutifs du coût de production - et non du prix - de l'électricité nucléaire en France. Le coût que nous avons étudié représente environ 40 % du prix, le reste étant constitué des coûts de distribution, à hauteur de 33 %, et des impôts et taxes, dont la contribution au service public de l'électricité, la CSPE.

Nous avons essayé de ramener tous les paramètres à l'année 2010, dernier exercice pour lequel nous disposons d'éléments factuels. La vocation de la Cour des comptes est d'abord d'essayer de cerner au maximum ce qui est, avant de s'interroger sur ce qui pourrait être. Nous avons ainsi étudié le parc actuel - et non le parc de réacteurs EPR, à supposer qu'il voie le jour -, composé de réacteurs PWR.

Il nous était par ailleurs demandé d'examiner la prise en compte des charges futures, les dépenses assumées par d'autres acteurs que les opérateurs - existe-t-il des dépenses qui ne sont pas intégrées dans les coûts ? -, ainsi que la question des assurances - quelle est la réalité de l'assurance implicite apportée par l'État en cas de catastrophe ? - et celle des actifs dédiés - tels qu'ils sont constitués, répondent-ils aux exigences des textes législatifs qui les définissent ?

Le délai qui nous était imparti était anormalement bref pour un travail aussi lourd. Nous avons constitué une formation réunissant des représentants des principales chambres de la Cour des comptes concernées, spécialistes de l'énergie, de l'environnement, de la recherche, du calcul économique, etc. Nous nous sommes fait assister par un groupe d'experts, en ayant soin de recruter des personnalités indépendantes. Cela s'est révélé très difficile, dans la mesure où, en pratique, la plupart des experts travaillent pour les acteurs du nucléaire ou sont fondamentalement hostiles à celui-ci. Nous sommes néanmoins parvenus à constituer ce groupe, qui nous a beaucoup apporté. Je précise que ces experts étaient de différentes sensibilités et de profils variés : pro- et anti-nucléaires, Français et étrangers - deux Belges et un Américain, ce dernier nous ayant malheureusement quittés à mi-parcours -, spécialistes de diverses disciplines, y compris du calcul économique, dans la mesure où nous cherchions notamment à apprécier des décisions de dépenses à très long terme : je pense en particulier à M. Grollier, directeur de recherche à l'Institut d'économie industrielle de Toulouse et éminent spécialiste de l'actualisation.

Les membres de ce comité nous ont aidés à « caler » le questionnement puis nous ont donné leur avis sur chaque partie du rapport avant sa présentation devant la formation concernée.

Nous avons par ailleurs demandé à une quinzaine de rapporteurs de travailler sur ces sujets dans le cadre de cinq sous-rapports. Bien entendu, nous avons appliqué les règles de contradiction inhérentes à la Cour des comptes : une première contradiction sur les sous-rapports, puis une contradiction finale.

Enfin, nous avons effectué de vingt-cinq à trente auditions et visites de sites, en nous efforçant d'entendre les principaux représentants du métier et des diverses sensibilités, c'est-à-dire les responsables des grands organismes travaillant dans le domaine de l'électricité nucléaire tels que EDF, AREVA, le CEA, etc., d'organisations non gouvernementales, pour la plupart hostiles ou réservées à l'égard de l'industrie nucléaire, des syndicats, de la Commission de régulation de l'énergie, de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, de la direction générale de l'énergie et du climat.

Nous avons pris en compte trois catégories de dépenses : les dépenses passées, les coûts intégrés dans les comptes des exploitants ou les coûts de fonctionnement, les coûts supportés par les crédits publics.

En ce qui concerne tout d'abord les dépenses passées, la construction du parc électronucléaire a coûté au total - ce montant a été ramené à sa valeur en euros de 2010 - 188 milliards d'euros : 6 milliards d'euros pour le parc de première génération, qui n'est plus en fonction, 96 milliards d'euros pour les cinquante-huit réacteurs en activité, 19 milliards d'euros pour le cycle du combustible, 55 milliards d'euros pour la recherche. Il est étonnant de constater que la recherche coûte environ 1 milliard d'euros par an depuis cinquante ans, de manière constante. On peut en déduire que c'est plutôt la taille des équipes qui commande l'effort de recherche que le budget qui commande la taille des équipes. Enfin, il convient d'ajouter une dépense de 12 milliards d'euros pour Superphénix, située à mi-chemin entre recherche et industrie, même si elle est théoriquement industrielle. Réalisé par EDF, Superphénix n'a en pratique guère fonctionné - huit mois, si mes souvenirs sont bons - et a joué autant un rôle d'instrument de recherche que d'instrument de production - il consommait d'ailleurs autant, sinon plus, que ce qu'il produisait.

Cette dépense de 188 milliards d'euros permet d'assurer 70 % de l'approvisionnement en électricité d'un pays de 65 millions d'habitants. Ce montant n'est pas totalement disproportionné si on le compare au coût d'un réseau d'autoroutes ou de TGV, mais il reste considérable : le nucléaire est d'abord une industrie d'investissements.

En ce qui concerne ensuite les coûts d'exploitation d'EDF, ils s'élèvent à 8,95 milliards d'euros en « valeur 2010 », dont 2,68 milliards d'euros de dépenses de personnel, 2,13 milliards d'euros de combustible, 2,01 milliards d'euros de consommations externes. Nous avons expertisé ces coûts, qui ont été validés par les commissaires aux comptes. Globalement, en dépit de quelques retraitements, nous confirmons le chiffre annoncé par EDF, à savoir 9 milliards d'euros.

En ce qui concerne enfin les charges et provisions futures, ces deux catégories sont séparées par l'actualisation.

Les charges brutes, c'est-à-dire les dépenses totales, s'étalent sur des durées très longues, dépassant parfois le siècle pour la gestion des déchets ultimes. Elles doivent donc être actualisées. Nous avons constaté que les taux d'actualisation employés en France étaient dans la moyenne des autres pays, à savoir 5 %, inflation comprise.

Le démantèlement coûte 31,9 milliards d'euros en charges brutes et 17,3 milliards d'euros en charges actualisées. La gestion du combustible usé coûte 14,8 milliards d'euros et le dernier coeur 3,8 milliards d'euros bruts, soit respectivement 9,1 milliards d'euros et 1,9 milliard d'euros actualisés. Enfin, la gestion des déchets ultimes coûte 28,4 milliards d'euros bruts, soit 9,8 milliards d'euros actualisés. L'écart est d'autant plus grand que les dépenses s'étalent sur une longue période.

Au total, les charges brutes s'élèvent à 79,4 milliards d'euros et les provisions à 38,4 milliards d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Pourriez-vous nous préciser davantage la différence entre les charges brutes et les provisions ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

La différence tient à l'actualisation. Les charges brutes correspondant à des dépenses étalées sur plusieurs années, elles doivent être actualisées. Le taux d'actualisation, dont la détermination n'est pas purement mathématique, fait l'objet de débats parmi les experts. C'est la raison pour laquelle siégeait, au sein du comité d'experts, un spécialiste de la question, qui vient de publier un ouvrage de 400 pages sur l'actualisation. En tout état de cause, nous avons vérifié que les méthodes employées étaient analogues à celles qui ont cours dans les autres pays. On peut certes discuter de ce qu'est un bon taux d'actualisation. On peut notamment se demander si cela a un sens d'actualiser de la même façon des dépenses très lointaines, qui reposeront sur les générations futures.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Un taux d'actualisation de 5 %, par définition, tend vers zéro sur des échéances longues, ce qui pose tout de même un problème fondamental.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

C'est l'une des vraies questions qui se posent. Dans la mesure où nous ne disposons pas de méthode absolue, nous avons beaucoup observé ce qui se pratiquait dans les sept principaux pays nucléaires autres que la France. Globalement, le taux retenu est dans la moyenne des taux employés par ces pays, à savoir 5 %, dont 2 % d'inflation.

Les dépenses telles qu'elles sont constatées sont d'abord celles qui sont prises en charge par les exploitants. Il convient à cet égard d'éviter les doubles comptes. En particulier, comment faut-il compter les dépenses prises en charge par EDF lorsqu'il s'agit d'achats de combustible ou de retraitement de combustible à AREVA ? Nous avons vérifié, en sachant que le marché n'est pas pur et parfait dans ce domaine, qu'il n'y avait pas d'anomalie. Nous sommes arrivés à la conclusion que, globalement, les prix appliqués étaient conformes à ce qui se pouvait se pratiquer sur un marché normal, et qu'il ne fallait pas les compter deux fois. Nous avons estimé, après avoir vérifié l'absence de subventions déguisées, que ces dépenses étaient bien prises en compte dans les comptes d'EDF.

J'en viens aux coûts supportés par les crédits publics.

Il existe deux types principaux de dépenses financées sur crédits publics : les dépenses de recherche et celles qui ont trait à la sécurité, à la sûreté et à la transparence.

Les dépenses de recherche, précédemment évoquées, s'élèvent à un peu plus de 1 milliard d'euros par an. Aujourd'hui, la majeure partie de ces dépenses est financée par les exploitants eux-mêmes ; nous ne devons pas les compter deux fois. Restent financés sur crédits publics 414 millions d'euros par an en 2010. À l'inverse, voilà dix ou quinze ans, la majorité des dépenses de recherche était financée sur crédits publics.

En ce qui concerne les dépenses relatives à la sécurité, à la sûreté et à la transparence, les principaux postes sont l'ASN et l'IRSN, pour la part de leurs activités concernant la production d'électricité nucléaire. Elles comprennent également les dépenses de gendarmerie, de transports, les subventions aux commissions de suivi de la transparence. Au total, 230 millions d'euros sont financés sur crédits publics dans ce cadre.

Par conséquent, s'ajoutent aux dépenses d'exploitation d'EDF et à l'ensemble des dépenses prises en compte par les exploitants 414 millions d'euros au titre de la recherche et 230 millions d'euros au titre des dépenses de sécurité, de sûreté et de transparence, soit au total, en 2010, 644 millions d'euros. Je ferai observer que ce montant est à peu près du même ordre de grandeur que le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base pour 2010, à savoir 580 millions d'euros. L'écart était beaucoup plus marqué voilà dix ou vingt ans.

En résumé, les dépenses de fonctionnement à la charge de l'exploitant s'élèvent à quelque 9 milliards d'euros en supprimant les doubles comptes ; il convient d'y ajouter 644 millions d'euros de dépenses financées par la puissance publique.

S'agissant d'une activité fortement consommatrice de capital, il convient ensuite de s'interroger sur la prise en compte des coûts du capital. Les méthodes employées font l'objet d'intenses débats parmi les experts ; j'en citerai cinq.

La première consiste à prendre en compte l'annuité d'amortissement telle qu'elle est constatée. La deuxième considère l'amortissement linéaire sur quarante ans. Trois autres méthodes appliquent un loyer à un capital : l'approche selon le coût comptable complet de production, dite C3P, où l'on réévalue le capital en fonction de l'inflation ; celle de la commission Champsaur, qui applique un loyer au capital réévalué, en cherchant à amortir le capital restant dû pour la période 2011-2025 ; enfin, la méthode du coût courant économique, qui repose sur le calcul d'un loyer par application d'un taux constant équivalant au coût moyen pondéré du capital - les capitaux d'emprunt et les capitaux propres utilisés pour financer les opérateurs - sur une base d'investissement réévaluée de l'inflation.

L'application des trois principales méthodes pour le calcul du coût total donne les résultats suivants, sensiblement différents : 1,8 milliard d'euros pour la C3P; 2,4 milliards d'euros pour la méthode Champsaur, 8,3 milliards d'euros pour celle du coût courant économique. Il faut ajouter à ces chiffres, en 2010, des investissements de maintenance de 1,7 milliard d'euros et des dépenses d'exploitation de l'ordre de 10 milliards d'euros selon la méthode employée.

Au total, quand on rapporte ces montants aux 407 térawattheures produits en 2010, on obtient un coût de 33,4 euros ou de 33,1 euros par mégawattheure selon les deux premières méthodes, mais de 49,5 euros par mégawattheure selon la dernière méthode. L'écart est donc très significatif.

En réalité, une méthode n'est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de ce que l'on en attend. Si l'on cherche une méthode pour comparer différentes énergies, celle du coût courant économique est probablement la plus adaptée. Si l'on souhaite définir un prix en permettant au consommateur de bénéficier des amortissements qui ont déjà été réalisés, la méthode Champsaur sera privilégiée. EDF préfère clairement la méthode du coût courant économique. Chacun peut adopter, en fonction de ce qu'il souhaite calculer, une méthode différente. Voilà ce que l'on peut constater sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Quel pourcentage la rémunération du capital représente-t-elle dans ces évaluations ?

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Le calcul a été fait avec un taux de 7,8 % pour le coût courant économique et de 8,4 % pour la méthode Champsaur.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Oui.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Toutes les provisions que nous avons évoquées tout à l'heure sont incluses dans ces coûts. Elles sont réparties différemment selon leur type. Les provisions pour gestion des déchets et des combustibles usés sont inscrites à la ligne « dépenses d'exploitation ». Nous sommes capables de calculer, pour chaque année, la partie des provisions correspondant à la production. En revanche, pour le démantèlement, qui concerne plutôt le capital et l'investissement, les provisions sont inscrites à la ligne « coût du capital ». Nous avons fait le calcul que vient d'exposer M. Lévy et nous avons ajouté le montant du coût de démantèlement calculé chaque année. Toutes les provisions sont donc intégrées dans ces coûts.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

C'est un autre sujet, mais l'assurance est-elle comprise ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Aujourd'hui, l'assurance représente une petite dépense pour les exploitants, moins de 100 millions d'euros par an. Elle est prise en compte, mais à un niveau dont on peut débattre, et figure dans les dépenses d'exploitation. Nous y reviendrons ultérieurement.

J'en viens à la question des coûts futurs, lesquels peuvent être discutés.

S'agissant des coûts de démantèlement, aucun opérateur, à ce jour, n'a démantelé un parc de plusieurs dizaines de réacteurs du même type. Aujourd'hui, trois méthodes peuvent être envisagées pour évaluer ces coûts.

L'ancienne méthode des coûts de référence, dite PEON, consistait à appliquer un pourcentage au coût complet des investissements. Le montant des charges ainsi calculées représentait 16 % du coût, puis 15 %. On ne comprend pas très bien sur quoi elle était fondée.

Une deuxième méthode, appliquée par EDF, la méthode dite Dampierre, consistait à analyser, à partir du cas d'une centrale type, ce que coûterait chacune des opérations de démantèlement. Cette méthode nous a paru solide. Elle a déjà été actualisée, mais elle gagnerait à l'être une nouvelle fois, car les paramètres varient dans le temps. Sur le fond, c'est en tout cas une approche cohérente, contrairement à la précédente.

Enfin, comme personne ne sait réellement comment de telles opérations se dérouleraient dans la réalité, nous nous sommes penchés sur les études menées dans les autres pays.

L'extrapolation des études internationales au coût du démantèlement du parc d'EDF amène à situer l'évaluation d'EDF, soit 18,4 milliards d'euros, tout en bas de la fourchette. L'un des opérateurs allemands estime le coût du démantèlement à 62 milliards d'euros. D'autres évaluations sont proches de celle d'EDF, comme celle de la Suède -20 milliards d'euros -, qui est probablement l'un des pays ayant le plus exploré ce sujet. D'autres encore avancent des chiffres plus de deux fois supérieurs, soit 44 milliards d'euros ou 46 milliards d'euros.

Nous avons donc étudié, à titre indicatif, quel serait l'impact du doublement des charges de démantèlement sur le coût : il entraînerait une augmentation de 5 % de celui-ci.

Le stockage profond des déchets représente une deuxième source d'incertitudes.

Il existe des désaccords importants à ce sujet entre les exploitants, qui estiment le coût de ce stockage à une quinzaine de milliards d'euros, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, en principe seul expert en la matière, qui l'évalue à quelque 35 milliards d'euros. Cet écart provient de différences d'appréciation de chaque coût, mais également d'une diversité d'approches, s'agissant notamment de la réversibilité.

La Cour des comptes n'est pas compétente pour donner un avis sur ce point. Elle évalue la sensibilité du coût à un doublement du devis du stockage profond des déchets à 1 %. En effet, la période considérée étant extrêmement longue, l'actualisation ramène le coût à un niveau peu élevé.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur le taux d'actualisation. Si nous avons constaté que le taux retenu par EDF était dans la moyenne des autres opérateurs, cette moyenne n'est pas mathématique. Un point de variation du taux d'actualisation aurait un impact de 0,8 % sur les coûts.

Voilà ce que l'on peut dire, au total, sur les coûts futurs et leur sensibilité à une variation des paramètres.

Je voudrais à présent aborder la question importante de la durée de fonctionnement des réacteurs.

C'est l'un des sujets qui nous a le plus interpellés. En pratique, la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire d'autoriser la prolongation de trente à quarante ans de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires a donné lieu à de vifs débats. L'âge moyen du parc actuel est de vingt-cinq ans ; vingt-deux réacteurs, soit 30 % de la puissance installée, auront quarante ans de fonctionnement avant la fin de 2022.

Si, juridiquement, les réacteurs, à deux exceptions près, ont une autorisation de fonctionnement pour trente ans, l'amortissement comptable que pratique EDF porte sur quarante ans, conformément aux règles de la comptabilité qui préconisent, à tort ou à raison, de retenir la durée de vie la plus probable. En réalité, EDF table, comme en témoignent des déclarations aux analystes financiers et certains articles parus récemment dans le quotidien Le Monde sous la signature d'Henri Proglio, sur une durée de vie de cinquante à soixante ans. À titre indicatif, aux États-Unis, le fonctionnement de ce type de réacteurs est autorisé pour soixante ans ; cela ne signifie pas que les Américains ont raison : c'est un constat.

Quoi qu'il en soit, si l'on devait remplacer les vingt-deux réacteurs que j'évoquais à l'instant avant la fin de 2022, compte tenu des délais de mise en oeuvre de sources d'énergie alternatives ou de réalisation d'économies d'énergie correspondantes, l'effort à fournir serait comparable à un effort de guerre. À supposer que l'on continue à recourir à l'énergie nucléaire, une dizaine d'années séparent la décision de construire un réacteur EPR de l'entrée en service de celui-ci. Nous sommes en 2012 : il faudrait donc construire une douzaine de réacteurs EPR - leur puissance étant plus élevée que celle des réacteurs actuels - d'ici à 2022. Cela me paraît hautement improbable, mais vous êtes mieux placés que moi pour en juger.

La mise en oeuvre de sources d'énergie alternative n'est pas non plus immédiate. C'est un élément important à garder à l'esprit.

Par conséquent, il est vraisemblable - mais pas certain : les Japonais ont arrêté l'essentiel de leur parc nucléaire sans préavis - que les dépenses de maintenance, qui s'assimileront à des dépenses de prolongation de la durée de vie, vont fortement augmenter. Leur incidence est supérieure à celle des dépenses futures.

Les dépenses pour investissements de maintenance d'EDF étaient en moyenne de 800 millions d'euros par an entre 2003 et 2008. En 2010, elles atteignaient 1,75 milliard d'euros. Le programme d'EDF, avant l'audit réalisé par l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima, prévoyait un budget de 50 milliards d'euros à ce titre pour la période 2011-2025, soit 3,4 milliards d'euros par an. Je précise que les dépenses mises en oeuvre aboutissent à la fois à maintenir les équipements en bon état de fonctionnement et à prolonger de vingt ans leur durée de vie.

En même temps que le Gouvernement demandait à la Cour des comptes un rapport sur les coûts de l'électricité nucléaire, il chargeait l'Autorité de sûreté nucléaire d'étudier les précautions supplémentaires à prendre après l'accident de Fukushima. Le programme de l'ASN n'a pas été formellement chiffré. L'ordre de grandeur avancé par l'ASN comme par EDF est de 10 milliards d'euros. J'ai été frappé par leur convergence de vues au cours des auditions que nous avons menées. Ils s'accordent également sur le fait que la moitié de ces dépenses sont déjà plus ou moins prises en compte dans le programme de maintenance d'EDF. Le surcoût est donc de l'ordre de 5 milliards d'euros pour la période 2011-2025, sachant que ces dépenses seront concentrées en début de période.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

S'agissant du chiffrage du programme de l'ASN, vous avez recoupé les chiffres fournis par EDF avec d'autres, mais vous n'avez pas procédé à vos propres calculs ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

La Cour des comptes n'a pas pu effectuer de tels calculs. Les conclusions de l'ASN ont été remises au mois de janvier 2012, en même temps que notre rapport. Nous en avons discuté avec les équipes d'EDF et avec l'ASN : il est frappant de constater que, alors qu'ils ne suivent pas forcément la même logique, ils arrivent à des conclusions analogues. Des appels d'offres en vue de réaliser des chiffrages détaillés sont lancés ; un délai de six mois a été prévu.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Nous avons tous été surpris de constater que les estimations étaient analogues. Le fait que la moitié des dépenses soit déjà intégrée dans les travaux de maintenance, en revanche, ne fait pas l'objet d'un consensus.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Nous avons vérifié qu'une partie de ces 10 milliards d'euros était bien prise en compte dans le programme de maintenance. Nous ne saurions préciser si elle s'élève à 4 milliards, à 5 milliards ou à 6 milliards d'euros, mais les ordres de grandeur présentés nous ont semblé tout à fait acceptables. Nous savons quelles sont les grandes masses issues de l'évaluation de l'ASN ; certaines d'entre elles figurent effectivement dans le programme de maintenance de 50 milliards d'euros.

Les conséquences de l'audit de l'ASN pour AREVA et le CEA n'ont en revanche pas du tout été chiffrées.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

J'en arrive maintenant aux actifs dédiés.

L'article 20 de la loi du 28 juin 2006 impose la constitution de provisions financées indépendamment du cycle d'exploitation, afin que l'argent nécessaire soit disponible à l'issue de celui-ci.

Au 31 décembre 2010, sur un total de 27,8 milliards d'euros de provisions actualisées à couvrir, 65 % de cette somme l'étaient par des actifs dédiés, 18 milliards d'euros par des titres financiers cotés, 4,6 milliards d'euros par des créances entre opérateurs du nucléaire, et un peu plus de 2 milliards d'euros correspondaient à 50 % des titres de RTE. Enfin, le solde, soit 2,7 milliards d'euros, n'était pas couvert.

Ce chapitre appelle quelques commentaires.

Premièrement, la loi ayant été modifiée, les exploitants sont en règle aujourd'hui - sinon, ils ne l'auraient pas été.

Deuxièmement, ces actifs sont gérés, en France, par les exploitants eux-mêmes ; dans d'autres pays, leur gestion a été confiée à d'autres acteurs. Cela peut se discuter en termes d'indépendance ou de méthodologie, sachant que les exploitants se sont efforcés d'embaucher des spécialistes de ces sujets.

Troisièmement, ces actifs correspondent aux provisions actualisées. Pour qu'ils couvrent les dépenses finales, il faut donc que leur rentabilité soit au moins égale au taux d'actualisation, soit 5 %. Si l'on considère la rentabilité des actifs financiers au cours du dernier siècle, on constate que les actions ont rapporté en moyenne plus de 5 % par an. Cela étant posé, ce qui s'est produit une fois dans l'histoire ne se reproduira pas forcément une deuxième fois. Autrement dit, notamment en période de crise financière, on peut se demander si ces actifs rapporteront bien 5 % par an sur plusieurs décennies...

Quatrièmement, l'acceptation de créances croisées entre acteurs du nucléaire peut se discuter. En effet, ces créances, certes minoritaires au regard du total - 4,6 milliards d'euros -, seront incertaines en cas de crise systémique du nucléaire. Si, demain, plus personne ne veut de l'énergie nucléaire, tous les acteurs seront en difficulté et ils ne pourront pas se rembourser mutuellement. L'État a d'ailleurs estimé que financer le CEA pour qu'il constitue des actifs destinés à rembourser des dépenses payées par ce même établissement public n'avait pas de sens. Cela signifie qu'un certain nombre de dépenses risquent de retomber sur la puissance publique.

J'évoquerai à cet instant la décision d'EDF d'allouer 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés. Cette solution est-elle raisonnable ou pas ? Sans trahir le secret des délibérations, j'indiquerai que c'est l'un des points qui ont été le plus discutés entre nous lors de la contradiction.

Dans un premier temps, nous étions très réservés. Même si les avis demeurent partagés - Michèle Pappalardo et moi en discutions encore tout à l'heure -, nous le sommes moins aujourd'hui, dans la mesure où si, en cas de crise systémique du nucléaire, les créances entre acteurs du secteur risquent de perdre de leur valeur, en revanche, tant qu'on aura de l'électricité, on aura a priori besoin de la transporter.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Les textes qui régissent RTE prévoient que la CRE garantisse une rentabilité du capital. Par conséquent, les 50 % du capital de RTE engendrent un flux de revenus normalement garanti par la CRE. On peut donc penser que l'option retenue par EDF n'est pas totalement aléatoire.

En conclusion, je ferai observer qu'il serait souhaitable de ne pas modifier la règle du jeu régulièrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous évoquez des provisions à couvrir. Cela signifie-t-il que ce n'est pas encore fait ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Non, c'est la cible. Il est prévu que la totalité des provisions soit couverte en 2015 par des actifs dédiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les opérateurs ont déjà mis en place des actifs dédiés à cette fin.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Absolument. Les provisions sont aujourd'hui couvertes à hauteur des deux tiers par des actifs dédiés, dont 75 % sans couverture croisée. Ces patrimoines financiers sont gérés par les opérateurs, mais séparément du reste de leur activité.

Cela étant précisé, plusieurs questions se posent.

Premièrement, ces actifs, qui sont essentiellement financiers - il s'agit d'actions -, se valoriseront-ils à hauteur de 5 % par an sur les vingt, trente ou cent prochaines années ?

Deuxièmement, les actifs représentant des créances entre exploitants - d'EDF sur AREVA ou d'AREVA sur EDF, par exemple -, qui représentent une part minoritaire du portefeuille d'actifs dédiés, présentent-ils la même sécurité que les autres ? Nous n'en sommes pas certains.

Troisièmement, affecter la moitié du capital de RTE à ce portefeuille d'actifs représente-t-il une solution raisonnable ? On peut, à la rigueur, considérer que oui.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

S'il fallait réaliser le dernier des actifs que vous avez cités, il faudrait bien que quelqu'un le rachète. Or ce ne pourrait être qu'EDF ou l'État, car je ne pense pas que RTE sera mis sur le marché privé. En fait, affecter 50 % du capital de RTE au portefeuille d'actifs dédiés permet à EDF de faire une économie de trésorerie. J'imagine que c'est sur ce point que porte le débat au sein de la Cour des comptes.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Pas seulement.

C'est un fait que, dans d'autres pays, des réseaux ont été privatisés, en tout ou en partie. En réalité, ceux qui achètent de tels actifs achètent un flux de revenus, théoriquement garanti par la CRE dans le cas de RTE. Certes, la loi pourrait changer sur ce point. Le réseau de transport d'électricité pourrait-il être privatisé en France, comme il l'a été dans d'autres pays ? Je ne sais pas.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Pour le moment, la loi l'exclut formellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Si RTE devait être privatisé demain, faites-moi confiance, il y aurait des candidats au rachat, car c'est une entreprise sacrément rentable !

EDF demandera vraisemblablement que la période de provisionnement soit prolongée, compte tenu des dépenses supplémentaires que risque d'entraîner la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima. Pour les 25 % restant à provisionner, la date butoir, qui est actuellement 2015, serait alors reportée de deux ou trois ans. Avez-vous eu le temps de prendre en compte cette hypothèse ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Je me bornerai à observer qu'il serait préférable de ne pas changer la règle du jeu. Il n'appartient pas à la Cour des comptes de dire au Parlement ce qu'il doit décider, mais il est clair que si EDF obtient tous les trois ou cinq ans une prolongation, cela dénature quelque peu l'exercice, sachant que, aujourd'hui, la plus grande partie des provisions sont couvertes par des actifs dédiés, répondant pour la majeure partie, mais pas en totalité, à la définition de tels actifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En dehors des incertitudes sur les actifs croisés, peut-on dire que la situation est globalement correcte au regard des provisions à couvrir ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Oui, mais pas totalement. Une part minoritaire des provisions n'est pas couverte du tout, mais c'est conforme à la loi, l'échéance ayant été reportée à 2015.

Par ailleurs, nous avons clairement un doute sur les actifs croisés, qui nous paraissent présenter un risque, outre la question, qui n'est pas totalement marginale, de la rentabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il manque au maximum 10 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Je parlerai brièvement de l'assurance, cette question ayant été soulevée. Sommes-nous bien assurés en cas de catastrophe nucléaire ?

Sur le plan de la théorie, il est très difficile de calculer une prime d'assurance contre un phénomène pour lequel il n'existe pas de série statistique significative.

Trois catastrophes nucléaires ont eu lieu à ce jour.

L'accident de Three Miles Island s'est circonscrit à l'enceinte de confinement, sans provoquer de réels dégâts à l'extérieur. Son coût peut être estimé entre 1 milliard et 2 milliards de dollars.

Il y a eu ensuite la catastrophe de Tchernobyl. L'évaluation de son coût suscite des débats sur lesquels je suis incapable de me prononcer. Les dégâts se chiffrent en centaines de milliards de dollars, mais il est très difficile de préciser davantage.

Enfin, la catastrophe de Fukushima est due autant au tsunami et au tremblement de terre consécutif qu'à l'accident nucléaire lui-même. L'évaluation du coût de ce dernier n'est pas terminée. Le Japon remettra-t-il en route ses autres centrales ou pas ? S'il ne le fait pas, l'accident de Fukushima concernera l'ensemble des centrales et le coût sera totalement différent. L'incertitude est forte sur ce point.

On m'objectera naturellement que les situations ne sont pas comparables. En particulier, il est habituel de faire observer que Tchernobyl est un accident soviétique autant qu'un accident nucléaire : la centrale était dépourvue d'enceinte de confinement, les équipes n'étaient pas suffisamment formées, etc. C'est possible. Cela étant, le risque zéro n'existe pas.

En conclusion, ce que l'on peut simplement dire, c'est qu'il est techniquement difficile de calculer le montant d'une prime d'assurance contre un risque très important qui s'est réalisé très rarement dans le passé.

Les assurances ont joué pour d'autres types de catastrophes, notamment certains tremblements de terre, en particulier celui de Californie et, dans une moindre mesure, celui de Kobé, ainsi que certains cyclones, tel Katrina. L'ordre de grandeur est la centaine de milliards de dollars.

Sur le plan factuel, voici ce que couvrent aujourd'hui les assurances, aux termes des conventions en vigueur : en cas d'accident, les exploitants sont engagés à hauteur de 91 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence d'un peu moins de 110 millions d'euros et les autres États parties à la convention à hauteur de 143 millions d'euros, soit un montant total de 340 millions d'euros, qui pèse pour plus des deux tiers sur les États.

Le protocole de 2004, qui n'a pas encore été ratifié par tous les États et qui n'est donc pas encore juridiquement en vigueur, prévoit une augmentation significative des montants que j'ai cités : les exploitants seront engagés à hauteur de 700 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence de 500 millions d'euros et les autres États parties à hauteur de 300 millions d'euros, soit un total de 1,5 milliard d'euros.

C'est l'ordre de grandeur du coût de l'accident de Three Miles Island, mais sûrement pas celui du coût de l'accident de Fukushima ou, a fortiori, de la catastrophe de Tchernobyl.

Il faut être extrêmement prudent lorsque l'on avance une estimation d'une provision dans ce domaine, car il ne faudrait pas que le public y voit l'annonce d'une catastrophe à venir. L'IRSN a estimé, à titre purement indicatif - ce n'est que le résultat du travail de deux personnes -, le coût d'un accident nucléaire grave, mais pas totalement incontrôlé, à 70 milliards d'euros. Pour couvrir ce montant, la Cour des comptes a simplement calculé qu'il faudrait provisionner 1,75 milliard d'euros par an pendant quarante années - durée de vie théorique et comptable d'une centrale nucléaire aujourd'hui. Cela s'ajouterait aux quelque 10 milliards d'euros de dépenses d'exploitation et, selon la façon dont on compte, aux 2,5 milliards à 9 milliards d'euros pour la prise en compte du capital, soit un peu moins de 2 milliards d'euros de provision par an rapportés à un total d'une vingtaine de milliards d'euros : la prime d'assurance serait donc de l'ordre de 8 %. Bien entendu, on ne constitue pas une telle provision pour se prémunir contre les conséquences d'un tremblement de terre ou d'un cyclone, par exemple. Voilà ce que l'on peut dire sur ce sujet.

En conclusion, permettez-moi de faire quatre commentaires et trois remarques.

Schématiquement, la question posée à la Cour des comptes était : les coûts de la filière électronucléaire sont-ils à peu près tous connus ? La réponse est globalement positive, sauf en ce qui concerne la prime d'assurance, au sujet de laquelle nous n'avons pas de bonne réponse.

Deuxièmement, les dépenses financées par des crédits publics ne sont pas du premier ordre si on les rapporte aux coûts pris en charge par les exploitants. Ces dépenses ont atteint 644 millions d'euros en 2010, répartis entre dépenses de recherche et coûts liés à la sécurité, à la sûreté et à la transparence. Un tel montant n'est pas négligeable, mais il n'est pas de première grandeur au regard des coûts totaux, qui s'élèvent à une vingtaine de milliards d'euros.

Troisièmement, le nucléaire, à l'évidence, est un domaine dans lequel subsistent de nombreuses incertitudes industrielles et scientifiques, d'autant plus difficiles à gérer que l'on se projette à long terme.

Quatrièmement, nous avons déjà évoqué les investissements supplémentaires demandés par l'Autorité de sûreté nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima. Ces investissements ne sont pas marginaux, mais ils ne sont pas non plus d'un ordre de grandeur radicalement différent de ceux qui étaient prévus. Leur coût s'élèverait à une dizaine de milliards d'euros, montant à comparer à la cinquantaine de milliards d'euros d'investissements envisagés sur les quinze prochaines années.

J'en viens maintenant aux trois remarques annoncées, qui vont au-delà du calcul des coûts.

En premier lieu, la durée de vie effective des centrales pose véritablement question. En tout état de cause, sauf à réduire de manière significative notre consommation d'électricité, compte tenu des délais de mise en oeuvre des solutions alternatives - économies d'énergie, construction d'EPR ou recours aux énergies renouvelables -, ne pas décider, c'est décider de prolonger la durée de vie des centrales.

En deuxième lieu, dans tous les cas, un volume considérable d'investissements sera nécessaire. Les seuls coûts de la maintenance, qui étaient inférieurs à 1 milliard d'euros par an, sont en voie de passer à quelque 4 milliards d'euros, soit 20 % des 20 milliards d'euros calculés sur la base du coût courant économique, le CCE. Cette évolution a une incidence plus significative que la prise en compte d'une incertitude forte sur le coût du démantèlement ou sur celui de la gestion des déchets.

En troisième lieu, je tiens à souligner que nous n'avons pas travaillé significativement sur la prise en compte des externalités, qu'elles soient positives ou négatives, c'est-à-dire sur les quotas de CO2 économisés ou dépensés, sur les devises économisées ou dépensées, sur les emplois créés ou supprimés, etc. Ces sujets méritent d'être étudiés mais ne faisaient pas l'objet du présent rapport.

Voilà ce que je voulais vous dire pour résumer le travail de la Cour des comptes, madame, messieurs les sénateurs. Je vous remercie de votre attention.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Nous vous remercions d'avoir orienté la présentation de votre rapport en fonction du thème de travail de notre mission d'enquête.

Monsieur le rapporteur, de nombreuses questions ont déjà reçu réponse. Souhaitez-vous néanmoins obtenir certaines précisions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je tiens tout d'abord à saluer à mon tour la qualité du travail de la Cour des comptes. Le sujet était difficile, car il existe de nombreuses incertitudes. Vous avez bien cerné l'ensemble des problèmes. Je salue également la qualité de votre exposé, au cours duquel vous avez répondu à presque toutes les questions que je souhaitais vous poser.

J'aimerais toutefois revenir sur la question de la sensibilité du coût de production de l'électricité nucléaire à la variation de certains paramètres. Il y a en effet une incertitude sur le coût du démantèlement. Vous avez indiqué que le doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % au maximum du coût de production. Une révision à la hausse du devis de stockage profond des déchets aurait quant à elle une incidence de 1 %. Enfin, une révision du taux d'actualisation aurait pour effet une augmentation du coût moyen de production de 0,8 %.

Par ailleurs, en cas de prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, l'augmentation des dépenses de maintenance aurait également une incidence sur le coût moyen de production, mais je ne vous ai pas entendu donner de pourcentage sur ce point.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Il serait compris 15 % et 20 %, mais peut-être suis-je un peu excessif...

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Il serait plutôt compris entre 10 % et 15 %.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Pourtant, avec 3,7 milliards d'euros rapportés à un total de 20 milliards, il me semble que l'on s'inscrit plutôt dans la fourchette comprise entre 15 % et 20 %.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

En fait, ce pourcentage s'établit à 9,5 % sur la base du CCE et à 15 % si l'on prend en compte le coût le plus faible, c'est-à-dire le coût comptable.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Lorsque nous disons qu'un doublement des charges de démantèlement entraînerait une hausse de 5 % du coût de production de l'électricité, il ne s'agit là ni d'un minimum ni d'un maximum. Dans l'incertitude, nous avons simplement pris une marge, qui nous semblait cohérente avec ce que l'on peut observer dans d'autres pays. Une telle hypothèse de sensibilité nous paraissait en outre correspondre aux ordres de grandeur évoqués dans les débats actuellement en cours entre l'Autorité de sûreté nucléaire et les exploitants. Toutefois, il n'y a pas de certitude : si tout le monde s'est trompé, il est possible que le chiffre réel soit supérieur !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Précisément : à part les Russes, personne n'a jamais encore totalement démantelé une centrale nucléaire et n'est donc en mesure aujourd'hui d'en préciser le coût. Tous les chiffres qui figurent sur le tableau que vous nous avez présenté correspondent à des estimations.

J'ai beaucoup apprécié la prudence dont vous avez fait preuve sur certains points, mais vous m'avez semblé assez affirmatif concernant le coût du démantèlement, alors que nous sommes aussi dans l'incertitude à ce sujet.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Je me suis certainement mal exprimé ; vous avez entièrement raison. Des équipements, de petits réacteurs ont déjà été démantelés, mais jamais un parc homogène complet. Opérer sur une telle échelle permettrait sans doute de réaliser des économies industrielles, car normalement le démantèlement du cinquantième réacteur coûterait moins cher que celui du premier, à conditions de sécurité équivalentes.

Dans l'incertitude où nous sommes effectivement sur le coût du démantèlement, nous avons considéré les estimations retenues par les pays comparables au nôtre afin d'essayer d'extrapoler au parc nucléaire français ce qui nous semblait être la moins mauvaise d'entre elles, rien de plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

J'ai la prétention d'être bien informé sur ces sujets, mais je dois dire que je ne connaissais pas ce tableau, que j'ai trouvé très intéressant.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Vous ne pouviez pas l'avoir vu auparavant, car c'est nous qui l'avons fait ! (Sourires.)

Pour le réaliser, nous nous sommes appuyés sur des chiffres disponibles dans la littérature, puis nous avons tenté de les ramener le plus possible à notre situation en termes de parc de réacteurs et à notre définition de la notion de démantèlement, laquelle recouvre des réalités très différentes selon les pays. Ainsi, elle englobe souvent, chez nos voisins, la gestion des déchets.

Jusqu'à présent, personne ne nous a dit que nous avions commis des erreurs grossières. Nous avons tenté de préciser un certain nombre d'éléments, mais il est exact que, pour l'heure, aucun réacteur du type de ceux dont nous disposons n'a jamais été démantelé.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Compte tenu des coûts de maintenance, le CCE tendrait donc vers 60 euros dans les prochaines années ? Mais si la rentabilité des actifs dédiés n'atteignait pas 5 %, cela aurait-il également une incidence sur le CCE ? Tout a-t-il déjà été pris en compte dans vos calculs ?

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Je ne sais pas comment vous parvenez à 60 euros. En 2010, le CCE s'établissait à 49,5 euros, avec 1,7 milliard d'euros d'investissements de maintenance. Le doublement des investissements de maintenance portera le CCE à 54 ou à 55 euros.

On peut bien sûr ensuite faire l'hypothèse que le coût du démantèlement va lui aussi doubler, par exemple, et aller plus loin encore, mais la seule certitude, c'est que les investissements de maintenance vont augmenter.

Par ailleurs, le taux d'actualisation peut certes évoluer, mais c'est relativement peu probable à court terme. Toutefois, on sait évaluer l'impact d'une modification de ce taux : s'il diminuait de 1 %, cela entraînerait une hausse de près de 1 % du CCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Si l'État annonçait qu'il manque 10 milliards d'euros de provisions pour démantèlement, cela entraînerait-il une augmentation du CCE, par exemple si l'on excluait le recours à des actifs croisés ?

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

La gestion des actifs est théoriquement séparée du fonctionnement. Si les actifs ne rapportaient pas 5 % par an sur une longue période, s'ils ne rapportaient que 3 %, par exemple, les exploitants devraient alors compenser le manque à gagner, ce qui pèserait sur leurs comptes.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

En trésorerie.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

On ne parle pas du tout de la même chose. Dans l'hypothèse que vous faites, le montant de la provision ne change pas : il est toujours calculé en fonction du coût de l'ANDRA, etc. Les provisions comptabilisées dans les comptes des exploitants doivent être utilisées, en partie en tout cas, pour acheter des actifs dédiés. Cela a un effet, mais pas sur le CCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

J'ai une question un peu technique à poser, mais je maîtrise un peu moins bien ce sujet que celui de l'énergie solaire.

L'un des tableaux que vous nous avez présentés indique que les dépenses annuelles d'investissement de maintenance passeraient de 3,4 milliards d'euros à 3,7 milliards d'euros, du fait des préconisations de l'ASN après l'accident de Fukushima. Quelles sont les préconisations dont la mise en oeuvre entraînera cette augmentation de 300 millions d'euros par an ? Le nucléaire français s'inscrit déjà dans une démarche de sécurisation maximale.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

L'ASN a ajouté des contraintes, dont certaines étaient déjà prévues, par exemple la création d'une salle de crise protégée dans chacune des centrales ou le rajout d'un générateur d'électricité autonome et protégé pour chaque réacteur. Ce sont là les deux principaux postes de dépenses. Chacun d'entre eux a été évalué « à la louche » à 2 milliards d'euros pour l'ensemble du parc. Le coût de la création d'une salle de crise est évalué à une centaine de millions d'euros, soit une dépense de 2 milliards d'euros au total pour vingt centrales.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Pour parvenir aux 300 millions d'euros que vous avez évoqués, nous avons simplement divisé 5 milliards d'euros par quinze ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

La parole est à M. le rapporteur, pour poser une question qui, je le crains, risque de s'écarter du sujet qui nous occupe...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Le secteur du nucléaire fait beaucoup appel à la sous-traitance, or les salariés des sous-traitants ne travaillent pas dans les mêmes conditions que les autres. Ce fait a-t-il été pris en considération par la Cour des comptes ? Avez-vous évalué le coût que représente, pour la collectivité, la prise en charge des maladies professionnelles qui peuvent résulter de cette situation ? Ce sujet est un peu difficile, mais il y a un véritable problème.

Debut de section - Permalien
Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Nous n'avons pas évalué ce que représenterait un changement de pratiques en matière de sous-traitance.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Nous n'avons pas chiffré un tel coût, d'une part parce que ce n'est pas à nous de le faire, d'autre part parce que nous ne saurions pas comment le faire.

Cela étant, sur le sujet des maladies professionnelles, de très importants progrès ont été accomplis ces derniers temps. Les maladies professionnelles ont effectivement un coût, mais il est déjà pris en compte dans les coûts d'exploitation. Nous n'avons pas insisté sur le fait que l'évolution des dépenses d'exploitation d'EDF a été relativement forte ces dernières années, puisqu'elles ont augmenté de 11 % entre 2008 et 2010. Cette tendance va se poursuivre et même s'accentuer, en raison notamment de l'évolution des modalités de recours à la sous-traitance et du renouvellement des compétences du personnel. Nous avons souligné de manière qualitative l'augmentation potentielle des coûts de personnel liée à la mise en oeuvre des préconisations de l'ASN.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je comprends qu'il soit très difficile d'établir un tel chiffrage. Vous avez tout de même souligné que ces coûts étaient pris en compte dans les charges d'exploitation.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Absolument.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Le coût de la construction de l'EPR suscite beaucoup d'interrogations ! Vous avez indiqué une fourchette, mais on sent bien que des incertitudes subsistent. Pourriez-vous nous indiquer comment vous avez calculé ce coût ?

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

Comme nous l'avons écrit dans le rapport, nous n'avons rien calculé, rien validé, et ce volontairement. La Cour des comptes ne peut pas aujourd'hui valider le coût de construction alors que celle-ci n'est pas encore achevée, et encore moins le coût de production, puisque si des hypothèses sont faites sur l'évolution des coûts d'exploitation par comparaison avec ceux des centrales actuelles, la Cour des comptes ne peut rien constater.

Nous n'avons donc nullement validé les chiffres qui nous ont été donnés et qui figurent dans le rapport : 6 milliards d'euros pour le coût de construction et entre 70 et 90 euros pour le coût de production, ce qui est d'ailleurs peut-être un peu optimiste. Ces chiffres ont été obtenus en prenant comme hypothèses un taux d'utilisation de l'EPR de 90 % - cela me paraît là aussi un peu optimiste -, une durée de vie de l'EPR de soixante ans et des coûts de production moins importants que ceux des centrales actuelles.

Les chiffres qui nous ont été donnés semblent cohérents avec ces hypothèses, mais nous ne pouvons pas les valider aujourd'hui. Nous les avons fait apparaître dans notre rapport parce qu'ils sont cités dans le débat et qu'il peut être intéressant de les connaître, mais, je le répète, nous n'avons pas calculé le coût de production de l'EPR en développement. Nous avons simplement dit et écrit clairement que, a priori, les EPR suivants devraient coûter moins chers que le premier, sans toutefois pouvoir davantage préciser les choses. Nous sommes restés extrêmement prudents sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je crains, monsieur Dantec, que vous ne restiez sur votre faim ! Je ne vois pas comment la Cour des comptes pouvait répondre sur ce point.

Cette question n'a rien à voir avec le sujet de notre commission, mais, en tant que président du groupe énergie, je peux vous indiquer que nous la suivrons de près. Le coût de l'EPR présente une grande importance pour les parlementaires que nous sommes. Pour commencer à l'appréhender, nous devrons nous intéresser aux quatre seuls réacteurs en construction aujourd'hui, à savoir le finlandais, qui est le plus ancien et aussi celui dont le chantier a le plus dérapé, celui de Flamanville et les deux chinois, dont l'un sera d'ailleurs terminé avant le nôtre.

Nous nous pencherons sur ce sujet, mais nous n'aurons malheureusement pas de réponses à nos questions au cours des travaux de cette commission d'enquête. Je comprends tout à fait l'argumentation de Mme Pappalardo : il était très difficile, pour la Cour des comptes, d'aller plus loin.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je ne m'attendais pas à apprendre aujourd'hui le prix au centime près du mégawattheure produit à Flamanville ! Je note toutefois que vous considérez que les coûts annoncés sont un peu optimistes.

Cela étant, ces estimations « à la louche » prennent-elles en compte le coût du démantèlement de l'EPR, ainsi que le coût du stockage ? En effet, le coût de 35 milliards d'euros avancé par l'ANDRA ne concerne que le parc actuel ; il ne prend pas en compte l'EPR.

Debut de section - Permalien
Michèle Pappalardo, conseillère-maître à la Cour des comptes

La méthode de calcul de ces coûts est comparable à celle qui est utilisée pour le CCE. La logique est la même. Utiliser une même méthode permet de faire des comparaisons.

Les charges futures - nous parlons d'un futur très éloigné, bien sûr - sont intégrées. Si vous souhaitez faire des comparaisons de coûts de construction, j'attire votre attention sur le fait que le coût de 6 milliards d'euros prévu aujourd'hui inclut l'ingénierie, mais pas les intérêts intercalaires. Or la durée de la construction étant longue, ces derniers auront un poids important.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous remercie vivement de vos prestations, madame Pappalardo, monsieur Lévy.

J'indique que le rapport annuel de 2011 de la Cour des comptes comporte un volet très intéressant sur la contribution au service public de l'électricité, sujet d'actualité qui entre dans le champ des préoccupations de notre commission d'enquête. Ce document datant du mois de février 2011, nous nous permettrons probablement de demander à la Cour des comptes de bien vouloir l'actualiser. Ses magistrats sont indépendants et libres de déterminer leur programme de travail, mais nous serions ravis que vous acceptiez d'accéder à cette requête. C'est la qualité de votre rapport sur les coûts de la filière électronucléaire qui nous incite à entreprendre cette démarche. Vous nous avez mis en appétit avec ce travail très important pour nous parlementaires, par conséquent ne soyez pas surpris si nous saisissons officiellement le Premier président dans les prochains jours !

Je vous renouvelle nos remerciements de vous être pliés à cet exercice et de nous avoir présenté votre rapport en tenant compte de l'objet de notre commission d'enquête.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

La commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité est ravie d'accueillir M. Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil en énergie-climat.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour les questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Jean-Marc Jancovici prête serment.)

Vous avez reçu par avance un questionnaire de la part de M. le rapporteur.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Je ne jurerai pas de cela, mais ce n'est pas important, car ce que j'ai l'intention de dire, comme en politique, est assez indépendant de la question posée ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Quoi qu'il en soit, nous vous demanderons de rester dans les limites du sujet. Après que vous aurez répondu aux six questions de M. le rapporteur, nous vous interrogerons plus avant le cas échéant.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur Jancovici, je suis désolé que le texte des questions que je souhaitais vous poser aujourd'hui ne vous soit pas parvenu.

Premièrement, comment analysez-vous le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire ? Cette source d'électricité va-t-elle, à vos yeux, demeurer compétitive d'un point de vue économique ?

Deuxièmement, êtes-vous favorable, notamment pour ce qui concerne le coût de l'électricité, à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires actuelles ou au développement d'une nouvelle génération de centrales - EPR ou quatrième génération -, propre à engager la France dans la voie de ce type de production pour le long ou le très long terme ? N'êtes-vous pas plutôt favorable à un développement des énergies renouvelables ?

Troisièmement, de manière générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ?

Quatrièmement, ces mêmes tarifs vous semblent-ils pertinents d'un point de vue environnemental, au regard du « message » à envoyer aux consommateurs ? Le cas échéant, comment devraient-ils évoluer selon vous ?

Cinquièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération - contribution au service public de l'électricité, dispositifs fiscaux ? Ce mécanisme vous paraît-il justifié dans son principe, trop ou pas assez développé, bien ou mal ciblé ? On pourrait élaborer des mécanismes de financement reposant non pas sur le consommateur, mais, par exemple, sur le contribuable ou sur les entreprises.

Sixièmement, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? La prochaine acquisition à titre onéreux desdits quotas par les électriciens va-t-elle dans le bon sens et aura-t-elle des conséquences sur le prix payé par les consommateurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

J'espère, monsieur Jancovici, que ces questions ne se trouvent pas à des années-lumière de ce que vous avez préparé ! (Sourires.)

Vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Pour étayer mon propos, je vous projetterai un document Powerpoint. Mon exposé servira d'assise à mes réponses à vos questions, monsieur le rapporteur. Elles tiendront ensuite en peu de mots.

L'essentiel de mon intervention visera à rappeler un fait simple : l'énergie est avant tout, par définition, la grandeur physique qui caractérise le changement d'état d'un système. Dire que l'énergie est une grandeur physique signifie qu'elle obéit à un certain nombre de lois. Les faits scientifiques ne sont pas des opinions : ils s'imposent à nous. Si l'on essaie de construire l'avenir en les ignorant, on va dans le mur !

Qu'il me soit permis de rappeler quelques éléments de base sur l'énergie.

L'énergie est donc, par définition, ce qui caractérise le changement. Du point de vue de l'utilisateur, un certain nombre de pratiques, aujourd'hui passées dans la vie courante, mais de manière très récente à l'échelle de l'histoire de l'humanité, supposent d'utiliser ou de restituer de l'énergie. C'est le cas si l'on modifie la température dans une pièce, si l'on met un objet en mouvement ou si on l'arrête, si l'on change une forme...

Aujourd'hui, le travail de tous les ouvriers d'usine consiste essentiellement à appuyer sur des boutons et à actionner des manettes afin de piloter des machines pour modifier, changer, déformer, extruder, aplatir, emboutir, etc. L'ouvrier moderne n'utilise donc pas plus ses muscles que l'employé des services.

Quand un corps se déplace dans un champ avec lequel il interagit, de l'énergie est mise en jeu ; idem quand une composition atomique change. Soit dit en passant, toutes les énergies que l'on utilise sur terre dérivent directement ou indirectement de l'énergie nucléaire. Enfin, l'énergie intervient quand de la matière et du rayonnement interagissent.

Par conséquent, dire que l'on utilise de l'énergie, c'est dire que l'on change le monde qui nous entoure. La conclusion qui s'impose alors est simple : l'énergie « propre » n'existe pas puisque, par définition, utiliser de l'énergie, c'est modifier ce qui nous entoure. Or être propre, n'est-ce pas laisser des lieux dans l'état dans lequel on les a trouvés ? Quand on utilise de l'énergie, c'est justement pour faire évoluer cet état.

Si l'énergie propre n'existe pas, ce qui peut exister en revanche, c'est une énergie dont les bénéfices sont significativement plus importants que les inconvénients, ou l'inverse. Comme l'énergie est une grandeur physique, ces différents aspects ne sont qu'une affaire de chiffres.

commente le document 3.)

Je vous présenterai maintenant un petit calcul qui rend compte de la totalité du monde qui nous entoure aujourd'hui. Je soutiens que les 35 heures, l'égalité entre les hommes et les femmes, le divorce, les études longues, la tertiarisation de l'économie, l'étalement urbain, la concentration urbaine, la désertification rurale, etc., s'expliquent par la comparaison entre l'énergie que sont capables de fournir nos muscles et l'énergie qui est associée à toutes les machines que nous employons, y compris le vidéoprojecteur que j'utilise en ce moment, l'ordinateur dont je me sers, le métro qui m'a amené ici, le percolateur qui vous a fait le café.

L'organisme d'un humain bien entraîné, par exemple celui d'un militaire du peloton de gendarmerie de haute montagne, qui gravit le Mont-Blanc et qui pèse 65 kilos restitue environ 0,5 kilowattheure d'énergie mécanique dans cet exercice. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont déjà escaladé le Mont-Blanc en une journée ; pour l'avoir fait, mais en deux jours, je puis vous assurer que l'effort est significatif et qu'on ne le répète pas les jours suivants !

Par conséquent, le maximum d'énergie qu'un être humain puisse fournir avec ses jambes, lesquelles sont dotées des muscles les plus puissants de son organisme, représente une fraction de kilowattheure par journée de travail. Admettons que je sois non pas un esclavagiste, mais un employeur qui rémunère correctement ses employés : si je paie un homme au SMIC pour pédaler comme un forcené dans une usine, le kilowattheure d'énergie mécanique produit me reviendra environ 200 euros ; s'il utilise ses bras, la quantité d'énergie restituée sera grosso modo dix fois inférieure et le coût de revient dix fois supérieur. Quand bien même je ne respecterais aucune des lois sociales en vigueur en France et traiterais mes employés comme des esclaves, le simple fait de devoir les maintenir en vie, les nourrir, les protéger du froid, des prédateurs, etc. me ferait payer le kilowattheure d'énergie mécanique quelques euros ou une dizaine d'euros. En comparant ce chiffre au coût de l'énergie produite par les machines, on comprend pourquoi l'esclavage a disparu !

En effet, un litre de notre très chère essence, qui affole tant les foules à l'heure actuelle, contient environ 10 kilowattheures d'énergie chimique. Après passage dans un moteur, elle produit quelques kilowattheures d'énergie mécanique. En termes de coût marginal - hors coût du moteur -, le kilowattheure d'énergie mécanique issu d'une machine sera de 1 000 à 10 000 fois moins cher que le kilowattheure produit par un travailleur humain payé au SMIC.

Par conséquent, n'importe quel différentiel de salaire dans le monde se compense par n'importe quel trajet. En mettant des machines à notre service, nous avons multiplié notre pouvoir d'achat par 50, par 100 ou par 1 000. Bref, voilà ce qui permet les acquis sociaux. Cela a quelques implications.

Tout d'abord, contrairement à une idée répandue, le prix réel de l'énergie, depuis que nous en utilisons, n'a pas augmenté ; il a même considérablement décru. Le prix réel correspond au temps de travail nécessaire pour acquérir un kilowattheure. Cette durée est la seule unité constante dans le temps pour mesurer le prix réel d'une chose. Toute autre unité monétaire est trompeuse, en particulier le prix en monnaie courante, voire le prix en monnaie constante, qui doit être ramené à ce que les gens gagnent : si la fiche de paie augmente plus vite que le prix en monnaie constante, le prix réel n'augmente pas ; il baisse.

commente le document 4.)

Cette courbe retrace le prix du pétrole, qui est le prix directeur de toutes les autres énergies, depuis 1860. On constate qu'en monnaie constante le prix du baril de pétrole entre 1880 - auparavant, il a décru parallèlement à celui de l'huile de baleine, la source d'énergie concurrente - et 1970 est resté relativement stable, aux alentours de 20 dollars. Dans le même temps, la rémunération du consommateur occidental a été multipliée par quinze à vingt, ce qui revient à dire que le prix du litre de pétrole a été divisé par quinze à vingt. En outre, ma corporation, celle des ingénieurs, ayant remarquablement travaillé et multiplié par un facteur compris entre deux à dix l'efficacité mécanique de l'utilisation d'un litre de pétrole, le coût réel du kilowattheure fourni par l'esclave énergétique qu'est la machine a été divisé par cinquante à cent en l'espace d'un siècle.

Le prix réel - c'est-à-dire exprimé en temps de travail - de n'importe quel objet pouvant être acquis aujourd'hui - une table, une chaise, une paire de lunettes, une chemise - et existant déjà il y a un siècle a été divisé par un facteur allant de cinquante à cent. C'est ce que l'on appelle l'augmentation du pouvoir d'achat. Cette augmentation peut se ramener, en première approximation - j'insiste bien sur ce point -, à la baisse du prix réel de l'énergie. Même au cours des périodes récentes, contrairement à l'idée répandue, le prix de l'énergie a continué de baisser.

commente le document 5.)

Ce superbe graphique, issu de l'excellent Service de l'observation et des statistiques, présente l'évolution des dépenses de carburants, d'électricité, de gaz et autres combustibles des ménages français depuis 1970. Comme ces dépenses augmentent, on se dit que les gens paient leur énergie de plus en plus cher. En fait, la donnée importante est leur part dans le budget des ménages, autrement dit la part du temps de travail consacrée à l'achat de l'énergie. En prenant ce paramètre en considération, on s'aperçoit que l'énergie coûte moins cher aujourd'hui qu'avant le premier choc pétrolier.

Encore une fois, contrairement à une idée très répandue, l'énergie coûte de moins en moins cher. En fait, son coût est passé, au cours des quarante dernières années, de rien à encore moins que rien : j'ai montré tout à l'heure que l'énergie mécanique valait entre un millième et un dix-millième du coût du travail humain.

commente le document 6.)

Quel type d'énergie utilisons-nous en France ? Les journalistes, dans notre pays, confondent en permanence énergie et électricité, au motif que les seuls dispositifs de production français sont non pas des puits de pétrole ou de gaz ni des mines de charbon, mais des centrales électriques.

Les Français consomment, pour l'essentiel, des combustibles fossiles importés. Il faut pomper un peu pour les extraire du sous-sol, mais également les transporter. La part du pétrole dans la consommation énergétique des Français est exactement identique à ce qu'elle est dans la consommation des Britanniques, des Allemands ou des Italiens, les Américains n'utilisant guère plus de pétrole que nous.

Contrairement à une idée courante, le recours au nucléaire ne sert pas à éviter d'utiliser du pétrole ; il sert à éviter de consommer du gaz et du charbon, ce qui, selon moi, est une excellente idée.

Vous pouvez constater, sur ce graphique, que la part du chauffage électrique est importante, mais qu'elle est loin de constituer l'essentiel du total. Notez également que, pour le résidentiel et le tertiaire, le chauffage consomme moins d'électricité que les autres usages. Autrement dit, la consommation d'électricité qui augmente le plus vite aujourd'hui dans les bâtiments n'est pas celle qui est liée au chauffage, mais celle qui sert à faire fonctionner tout le reste : les machines qui montent et qui descendent, qui cuisent, qui refroidissent, qui tournent, qui retransmettent des tas d'images extraordinaires, etc. Bref, le chauffage ne représente pas l'essentiel de la consommation électrique dans les bâtiments.

Selon moi, il est très important de garder en tête un raisonnement macroéconomique : la notion microéconomique de coût et de prix n'a pas nécessairement beaucoup de sens.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Eau chaude sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Et « autres » ? Ce sont tous les appareils électriques ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Chauffage et ECS constituent les usages thermiques de l'électricité. La catégorie « autres » recouvre les usages spécifiques : tous les moteurs électriques, les réfrigérateurs, les pompes, les machines à laver, les appareils audiovisuels, les ampoules électriques...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

La consommation d'électricité est supérieure pour ces usages spécifiques ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Oui, et elle croît plus vite !

Je n'ai pas indiqué, dans le schéma, l'évolution de la consommation électrique dans les bâtiments en France. De mémoire, elle est passée, entre 1970 et aujourd'hui, de 50 térawattheures à 250 ou 300 térawattheures. L'essentiel de l'augmentation est imputable au poste « autres », et non au chauffage électrique.

commente le document 7.)

L'une des conclusions que je tire des éléments précédents est que les outils de pilotage macroéconomique dont nous disposons aujourd'hui sont totalement trompeurs. C'est l'un des problèmes sur lesquels on bute souvent lorsqu'on établit des comparaisons économiques. Selon l'économie que nous avons apprise à l'école, il y a deux facteurs de production : le capital et le travail. Quand le PIB « flageole » - ce qui ne manque pas d'inquiéter fortement tous les élus ! -, on détaxe un peu le travail et on injecte du crédit pour augmenter le capital, afin que le PIB reprenne du souffle. En fait, cela ne fonctionne pas : depuis maintenant quarante ans, il y a trop de travail - le chômage est structurel - et trop de capital - de nombreuses bulles spéculatives se forment -, et pourtant le PIB est flageolant ! Cela signifie que le schéma que j'ai décrit n'est pas le bon.

commente le document 8.)

La bonne représentation du système est la suivante : la machine économique mondiale n'est qu'une machine à transformer en autre chose des ressources gratuites grâce à du travail, fourni par des êtres humains ou des machines. Tout ce qui se trouve dans cette salle, mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce qui s'offrira à votre regard quand vous en sortirez n'est rien d'autre que de la ressource naturelle transformée par l'action de l'homme.

Les ressources naturelles sont le fruit de 15 milliards d'années d'évolution depuis le big bang et elles sont gratuites, y compris le pétrole, le gaz, le charbon, l'uranium. Les partisans des énergies renouvelables affirment souvent que le vent et le soleil sont gratuits, mais il en est de même de toutes les autres sources d'énergie. Ce qui coûte pour le pétrole, par exemple, c'est l'accès à la ressource, qui a la mauvaise idée de se trouver sous les pieds de M. Dupont et pas sous ceux de M. Durand ! Cependant, la formation de la ressource est gratuite : personne n'a payé le moindre centime pour que se constituent les réserves de pétrole, les atomes de fer, de cuivre, de manganèse, ainsi que tout le patrimoine de la biodiversité. Ces ressources gratuites sont captées et transformées grâce à notre travail afin de devenir autre chose.

Par ailleurs, la formation de capital ne représente qu'une boucle interne au système. Le capital, par exemple l'immeuble dans lequel nous sommes, c'est des ressources et du travail passés.

Dans ce schéma, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le travail qui permet de transformer les ressources est fourni par nos muscles et par les machines dans un rapport de 1 à 200.

Cette représentation éclaire ce qui se passe depuis trente-cinq ans : s'il y a un problème de volume disponible pour l'énergie - et c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'un problème de prix -, il y a un problème de volume pour le PIB, quel que soit le prix auquel les gens ont accès à l'énergie.

Je prendrai un exemple caricatural à cet égard. Si demain matin le carburant est rationné et les volumes disponibles divisés par dix, peu importe que les gens paient le litre de carburant 50 centimes, 1 euro ou 1,5 euro plus cher : les flux de transport seront instantanément divisés par dix et, en première approximation, le PIB français sera divisé par un chiffre compris entre cinq et vingt. Ce n'est pas une question de prix de l'énergie, c'est une question de quantité disponible. Dans un marché parfait, les deux paramètres sont corrélés, mais le marché n'est pas parfait et une foule de régulations - rationnements, quotas, normes, interdictions - interviennent hors marché. Dans le monde réel, les prix et les volumes ne sont pas parfaitement asservis par le jeu de phénomènes totalement lisses. Ce qui compte, encore une fois, ce sont les volumes.

C'est exactement ce que l'on observe en France depuis le premier choc pétrolier : une contrainte pèse sur les volumes, contrainte qui a fait régresser la croissance du PIB de 3 % à 1 % par an, d'où un chômage structurel et un tas de petits inconvénients qui ne sont pas à la veille d'être résolus...

S'il y a en plus une pression sur les ressources, il y aura également une pression sur la production, quelle que soit la quantité d'énergie disponible. Par exemple, si la ressource en poissons est épuisée, vous aurez beau armer tous les chalutiers du monde avec toute l'énergie disponible, ils ne prendront aucun poisson et le PIB de la pêche sera nul.

Or, j'insiste, ni le stock de poissons ni le stock de pétrole ne sont nulle part valorisés dans les représentations économiques. Par conséquent, le prix de l'énergie ne donne qu'une vision très partielle de l'importance du système énergétique dans le fonctionnement des sociétés modernes. Les déterminants du premier ordre sont le volume disponible et celui que je peux obtenir.

commente le document 9.)

Voilà un premier graphique qui accrédite mes propos. Il retrace la variation depuis 1961 de la consommation d'énergie de la planète, en violet, et celle du PIB mondial, en bleu. Les deux sont extrêmement bien corrélées, conformément à ce que je viens de vous dire.

La première partie de mon intervention peut se résumer ainsi : mère nature nous a donné gratuitement des combustibles fossiles, qui alimentent les moteurs et la chimie, lesquels font fonctionner la totalité des machines qui nous entourent ; par ricochet, cela a induit une très forte hausse de la productivité du travail, qui a structuré l'ensemble de nos acquis sociaux. Même le divorce est un fruit de ce phénomène : on ne divorce pas dans les pays qui manquent d'énergie. En effet, un divorce amène un doublement des besoins en logement - la crise du logement est notamment due au divorce - et par voie de conséquence de la consommation d'énergie pour le chauffage et la fabrication de tous les objets de la vie courante, sans parler du transport des éventuels enfants d'un domicile à l'autre ou de la facture du psychiatre, la garde alternée étant très néfaste à l'équilibre mental de ces derniers, ainsi qu'une étude épidémiologique récente vient de le démontrer... Ce n'est pas une blague : il est prouvé que le divorce augmente instantanément la consommation d'énergie des ex-conjoints d'environ 60 % !

L'urbanisation croissante est une fonction de l'énergie croissante. Pourquoi ? Parce que quand une énergie abondante permet de faire fonctionner de nombreuses machines, il devient possible de retirer les agriculteurs des champs et les ouvriers des usines pour les employer dans des bureaux où leur fonction sera d'échanger des informations, comme nous le faisons actuellement ou comme le font les comptables, les banquiers, le personnel de la sécurité sociale. Nous ne produisons rien de physique, nous échangeons des informations. Si nous pouvons le faire, c'est parce que, ailleurs, des machines s'occupent des flux physiques à notre place et fabriquent des vêtements, de la nourriture, des voitures, des logements, etc.

En cela, une société fortement urbanisée et fortement tertiarisée n'est pas une société fortement dématérialisée ; elle est, au contraire, l'aboutissement ultime d'une société fortement consommatrice d'énergie.

Si je vous montrais la courbe de la consommation d'énergie par personne en fonction de la part du tertiaire dans l'emploi, vous pourriez constater qu'il existe une très belle corrélation à la hausse mais pas du tout à la baisse. De plus, le tertiaire comprend tous les services de transport, qui ne sont pas spécialement dématérialisés.

L'énergie, et non la technique, a joué un rôle central dans cette évolution. La technique permet de construire un ordinateur ; pour que chacun puisse avoir un ordinateur à 500 euros, il faut de l'énergie à gogo : surtout pour la fabrication, un peu pour le fonctionnement.

À ce stade, deux questions d'une importance déterminante se posent : y a-t-il un goulet d'étranglement en amont en ce qui concerne l'accès aux combustibles fossiles ? Y a-t-il un goulet d'étranglement en aval au regard du changement climatique induit par la libération de CO2 dans l'atmosphère ?

Pour répondre à la première question, il faut faire appel à un petit théorème de mathématiques. Les combustibles fossiles mettent des centaines de millions d'années à se former : 300 millions pour le charbon et 100 millions pour le pétrole. Aux échelles de temps qui nous intéressent, nous pouvons donc considérer que le stock extractible de combustibles fossiles est donné une fois pour toutes, même si l'on ne connaît pas à l'avance son niveau. Lorsqu'on puise dans un stock donné une fois pour toutes, l'extraction ne peut aller indéfiniment croissant. Elle ne peut même pas être indéfiniment constante : l'exploitation du stock part de zéro, se termine à zéro et passe par un maximum entre les deux. Cela se démontre, et c'est vrai pour le pétrole, pour le gaz, pour le charbon, pour tous les minerais métalliques de cette bonne vieille terre.

Pour toutes ces matières premières, il existe donc une entité mathématique qui s'appelle le « pic ». Celui-ci peut avoir déjà été atteint ou ne devoir l'être que dans un avenir éloigné ; il peut s'établir au niveau actuel de production ou à un niveau bien supérieur. Mais l'existence de cette entité est démontrée et son apparition est inéluctable.

En ce qui concerne le pétrole, un premier pic est très facile à discerner : le pic des découvertes, qui est déjà passé.

commente le document 12.)

Cette courbe, qui retrace les découvertes annuelles de réserves de pétrole extractibles, est passée par un maximum en 1964. À l'heure actuelle, un peu plus de 2 000 milliards de barils ont été découverts. La quantité extraite a crû jusqu'en 2005 et s'est stabilisée depuis cette date. Elle représente au total environ 1 200 milliards de barils, soit à peu près la moitié de ce qui a été découvert.

Compte tenu du délai moyen qui sépare l'apparition du pic des découvertes de celle du pic de production, donnée qui se vérifie dans toutes les grandes zones pétrolières, nous sommes au maximum de la production mondiale de pétrole. L'Agence internationale de l'énergie a même avoué que le pic de production avait été atteint en 2006. En première approximation, retenons simplement que la production annuelle de pétrole est désormais stable. Cette période de stabilité durera plus ou moins longtemps, selon le rythme d'extraction des stocks déjà connus et celui des nouvelles découvertes.

Nous sommes donc très loin des 50 milliards de barils annuels de nouvelles réserves de l'âge d'or des découvertes, quand les ingénieurs de Schlumberger exploraient le sous-sol des pays bordant le golfe Persique. Aujourd'hui, quand on découvre un gisement de seulement quelques milliards de barils, cela semble mirifique !

Le « plateau » de production durera jusqu'aux alentours de 2020, puis nous assisterons à un déclin absolument inexorable, n'en déplaise aux automobilistes français, aux gestionnaires de turbines à fioul ou aux utilisateurs de fioul lourd.

Quel sera le prix du pétrole à ce moment-là ? Selon moi, ce n'est pas le sujet. Comme je l'ai déjà souligné, ce qui importe, ce sont les volumes. Par ailleurs, au vu des expériences passées, il convient de rester extrêmement modeste quand on se risque à faire des prévisions : on gagne du temps à ne pas écouter ceux qui annoncent une prévision de prix à vingt ans pour le pétrole ! La seule certitude est que les cours vont devenir volatils.

commente le document 13.)

Voici un comparatif entre les prix réels du pétrole constatés jusqu'en 2010 et les prévisions de prix établies, année après année, par l'Agence internationale de l'énergie : il y a de quoi rire !

Il est impossible de prédire l'évolution du prix d'une matière première aussi essentielle que le pétrole, dont le marché comporte énormément de biais et d'incertitudes. Je ne sais pas quel sera le prix du pétrole à l'avenir, mais encore une fois là n'est pas la question : ce qui importe, ce sont les volumes.

commente le document 14.)

Une règle de trois fait apparaître pourquoi l'énergie et le PIB - ou GDP, gross domestic product - sont si fortement liés. Le PIB par habitant, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, est égal au produit de l'énergie par personne par la quantité d'énergie nécessaire pour obtenir 1 dollar de PIB, qui mesure l'efficacité énergétique de l'économie.

Intéressons-nous maintenant aux variations. Vous savez que la variation d'un produit est la somme des variations de ses termes. La croissance du PIB par personne est donc la somme de la croissance de l'énergie par personne - voilà pourquoi cet élément est si structurant - et de celle de l'efficacité énergétique de l'économie. La première, en moyenne mondiale, a crû de 2 % par an entre le début de la révolution industrielle et 1980. Après cette date, sa croissance est devenue presque nulle. Quant à l'efficacité énergétique de l'économie, elle augmente de 1 % par an depuis 1970. Tout cela signifie que la croissance du PIB par habitant, qui concerne essentiellement les économies dites « développées » jusqu'en 1990-1995, est passée brutalement à partir de 1980, pour des raisons physiques, de 3 % à 1 % par an, ce qui a entraîné l'apparition puis l'augmentation de la dette des États souverains, l'endettement des ménages et des entreprises, la volatilité des prix de l'énergie, l'émergence du chômage structurel, bref tous les petits désagréments que l'on nous promet de régler après la prochaine élection, mais qui ne le seront bien évidemment pas, sauf mise en oeuvre d'un nouveau « plan Marshall ».

En conclusion, toute réflexion prospective sur le prix de l'énergie doit prendre en compte le fait qu'il n'y aura pas de retour de la croissance : je n'y crois pas.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Elle vaut pour n'importe quel pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Le sigle « NRJ » recouvre le volume d'énergie ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Oui, le volume et non le prix. Le terme « NRJ/POP » désigne la quantité d'énergie par personne et par an, exprimée en kilowattheures.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Il suffit de diviser la production mondiale d'énergie - issue du pétrole, du gaz, des centrales nucléaires et hydrauliques, de la biomasse, le reste étant négligeable - par la population mondiale. Toutes les énergies peuvent s'exprimer en kilowattheures.

Ce petit calcul prouve que toute réflexion prospective sur les investissements dans les infrastructures énergétiques doit, à mon sens, s'envisager dans un contexte où nous ne retrouverons pas une croissance économique forte. Est-ce un bien ou un mal ? Là n'est pas la question. Si gérer, c'est prévoir, il faut avoir cette donnée en tête.

commente le document 15.)

Voilà une illustration de cette corrélation entre énergie et PIB à partir de 1968. L'évolution de la production mondiale de pétrole est figurée en violet. Il s'agit bien de la production, et non du prix. La variation du PIB par personne est figurée en bleu. Contrairement à une idée répandue, la co-variation des deux courbes est meilleure à partir de la fin des années quatre-vingt qu'auparavant, époque où la production de pétrole pouvait varier plus fortement sans trop affecter le PIB, et l'économie n'est pas moins sensible aujourd'hui qu'hier à la quantité de pétrole accessible, bien au contraire : les transports tiennent une place plus importante dans une économie mondialisée.

Vous pouvez également constater qu'au cours des deux derniers épisodes de crise, la chute du PIB n'a pas entraîné celle de la production de pétrole ; c'est l'inverse qui s'est produit. C'est le reflet de l'effet « volume ». Lorsque l'offre de pétrole est réduite brutalement, cela provoque, outre une hausse du prix, une baisse du PIB, celui-ci étant piloté par le volume de pétrole. Cette baisse n'est pas simplement due à l'effet inflationniste de la hausse du prix du pétrole.

Que se passera-t-il, à l'avenir, en ce qui concerne le volume de pétrole ?

commente le document 16.)

Ce graphique représente la quantité totale de pétrole à disposition de l'Europe depuis 1965. La production domestique est figurée en rose, avec un petit talon de production provenant historiquement des pays de l'Est situés non loin de la mer Caspienne. Est également prise en compte la production de la mer du Nord - dont celle de la Norvège -, qui a connu un pic en 2000 et qui décline, depuis, à raison de 5 % à 8 % par an. Les importations en provenance du reste du monde sont figurées en vert.

On constate que les importations représentent l'essentiel du pétrole consommé par les Européens. Le début du déclin « terminal » de l'accès européen au pétrole date, selon moi, de 2005. Depuis cette date, le volume de pétrole à la disposition de l'Europe a diminué de 8 %. La production mondiale étant désormais stable, en raison de l'effet d'éviction dû aux pays émergents et aux pays producteurs eux-mêmes, la fraction résiduelle mise sur le marché mondial baisse. Les importations et la production européennes décroissent, par conséquent la quantité de pétrole disponible en Europe diminue.

Or, en l'état actuel des choses, il n'y a que deux manières de faire baisser la consommation de pétrole : par la hausse des prix, forte et non régulée, ou par la récession. Mon sentiment est que nous entrons maintenant dans une ère nouvelle de l'économie européenne, qui sera marquée par de fortes hausses du prix du pétrole et la récession. C'est dans ce contexte qu'il faudra envisager nos investissements électriques.

commente le document 17.)

Voilà comment se décompose le prix du litre de super dont il a beaucoup été question il n'y a pas si longtemps. Pour l'essentiel, le prix de l'essence est constitué de taxes, qui ne sont pas seulement prélevées par la France. Les taxes encaissées par les États producteurs constituent un quart du prix. La TIPP compte pour 41 %, la TVA pour 16 % et la part de l'« affreux » Total pour 5 %. Une éventuelle suppression de la marge de Total - 10 milliards d'euros - ne réduirait que très faiblement le prix du carburant à la pompe pour le consommateur : la baisse serait de l'ordre de 5 centimes. Les ordres de grandeur ne seraient pas modifiés. En particulier, cela ne changerait rien aux paramètres liés à la rareté de la ressource ni aux dépenses d'extraction, les coûts marginaux de celle-ci augmentant très fortement pour les nouveaux gisements mis en exploitation.

Voilà pourquoi je pense le plus grand mal de l'instauration d'une TIPP flottante. Selon moi, il s'agirait d'une subvention directe aux exportations du Qatar, de la Russie et de la Libye.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

L'application de la TIPP flottante serait limitée dans le temps. Il s'agit de permettre aux entrepreneurs de respecter leurs devis.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

C'est une mesure fondée sur l'idée que le prix du pétrole finira par se stabiliser, or cela ne pourra arriver que dans un contexte de récession.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Instaurer la TIPP flottante revient donc à appauvrir l'État tant que le pétrole continue à se vendre, avant que cet appauvrissement ne s'aggrave avec la récession. Je ne suis pas sûr que ce soit la façon la plus intelligente d'utiliser l'argent public.

commente le document 18.)

Le gaz se formant géologiquement aux mêmes endroits que le pétrole, il est découvert à peu près en même temps que lui. Au début, le gaz n'intéressait pas du tout les pétroliers. Trouver du gaz était même, pour eux, une véritable calamité. Ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. Ils n'aimaient pas trouver du gaz pour une raison simple : contrairement au pétrole, le gaz coûte plus cher à transporter qu'à extraire. Le pétrole étant liquide à température ordinaire, il se transporte avec une densité d'énergie par unité de volume beaucoup plus importante que le gaz, qui obéit à la loi de Mariotte, et donc à un coût moins élevé.

Voilà pourquoi les deux tiers du pétrole extrait sur Terre passent une frontière avant d'être consommés. Cela n'est vrai que pour 25 % du gaz, le gaz naturel liquéfié représentant en particulier 8 % de la consommation mondiale de gaz. La seule vraie énergie internationale est donc le pétrole. Toutes les autres énergies sont des énergies régionales, comme le gaz, ou domestiques, comme le charbon.

Le pic des découvertes de gisements gaziers a déjà été passé depuis longtemps. Comme pour le pétrole, la production va monter puis se réduire. On raclera les réservoirs, ce qui sera plus difficile à faire que pour le pétrole. Le pic de production interviendra, selon les régions, entre maintenant et 2050.

commente le document 19.)

Voilà maintenant un graphique qui figure l'approvisionnement gazier de l'Europe. On observe une proportion inverse à celle constatée pour le pétrole. Les importations ne représentent que 40 % du total, mais le pic de production des gisements de la mer du Nord, d'où proviennent les 60 % restants, a été passé dans les années 2000. La production européenne est en léger déclin pour le moment, mais la tendance s'accélérera fortement lorsque la Norvège passera également son pic, d'ici à 2020.

Par conséquent, le remplacement, même en période de transition énergétique, de la moindre centrale nucléaire en Europe par du gaz se fera nécessairement au détriment d'une consommation de gaz ailleurs. On ne peut pas accroître la production actuelle de l'Europe, qui est déjà en baisse.

La récente décision de Mme Merkel de relancer le plan Schröder et de remplacer le nucléaire allemand par du gaz russe aura un effet d'éviction direct sur le consommateur français. Les textes européens n'interdisent pas à l'Allemagne de faire un tel choix, mais la France doit bien comprendre ce que cela signifie pour elle.

commente le document 20.)

Ce que la presse désigne de manière erronée sous le nom de gaz de schiste - pour l'essentiel, ce n'en sont pas - correspond en fait à ce que l'on appelle les gaz non conventionnels, catégorie qui recouvre trois familles de gaz.

La moins importante d'entre elles est celle des gaz de schiste, ou plus exactement de roche-mère. Ces gaz se sont formés dans la roche qui contenait les sédiments organiques à l'origine de la formation du pétrole et du gaz et n'ont pas quitté cette roche.

La deuxième famille est celle des gaz de charbon. Il s'agit tout simplement du grisou, que l'on récupère en fracturant les veines de charbon et qui est composé essentiellement de méthane.

La troisième famille est celle des gaz de réservoir compact, qui ont migré depuis la roche-mère où ils se sont formés vers une roche-réservoir, où ils se sont accumulés, comme pour le gaz ordinaire, à la particularité près que la roche-réservoir s'est par la suite un peu resédimentée. La perméabilité n'est donc plus assurée, et il faut la recréer en fracturant la roche-réservoir. Il s'agit également de techniques de fracturation, comme pour le gaz de schiste, mais sur le plan géologique cela n'a rien à voir.

On trouve du gaz de réservoir compact là où il y a du gaz tout court. On peut trouver du gaz de roche-mère là où il y a des roches-mères, mais ce n'est nullement une certitude : depuis la surface, on peut seulement savoir s'il y a des roches-mères ; pour savoir si elles contiennent du gaz, il faut forer. À titre indicatif, lorsque l'on soupçonne, après « échographie », qu'une formation géologique contient du pétrole, les forages d'exploration ne donnent rien cinq fois sur six.

Avons-nous en France des gaz de schiste ? On ne peut pas le savoir tant qu'on n'a pas foré. Y a-t-il en Europe des gaz de réservoir compact ? La réponse est non. Y a-t-il du gaz de charbon ? Pour les pays qui ont des gisements de charbon, la réponse est oui ; pour la France, où il reste très peu de charbon, la réponse est non.

Confondre gaz de schiste et gaz non conventionnels, schiste et gaz de schiste et tout extrapoler à la France est un mauvais raccourci médiatique. En réalité, nous ne savons pas si un approvisionnement en gaz de schiste est possible en France. Quand bien même cela le serait, l'exploitation du gaz de schiste est considérablement plus capitalistique que celle du gaz conventionnel.

Tout le gaz du gisement de Lacq a été extrait par un seul forage d'exploitation. Pour les gaz non conventionnels, un puits draine une surface d'environ un kilomètre carré. Il faut donc forer un puits tous les kilomètres pour exploiter un gisement : je vous laisse imaginer ce que cela donnerait dans les Cévennes ! Il faut donc pouvoir forer facilement et disposer de suffisamment de capitaux pour le faire en permanence.

commente le document 21.)

Quelles sources d'énergie sont utilisées en Europe pour fabriquer de l'électricité ? Contrairement à la réponse couramment donnée à l'occasion d'un sondage réalisé aux États-Unis, l'électricité ne sort pas du mur, il faut la produire.

En Europe, l'électricité provient en grande partie du charbon. Il entre pour moitié dans la fabrication de l'électricité allemande. Du reste, l'Energiekonzept allemand, ce n'est pas de construire principalement des éoliennes, c'est essentiellement de produire de l'électricité à partir du charbon et du gaz. L'Allemagne construit actuellement 20 gigawatts de capacité fossile pour pouvoir décommissionner les 23 gigawatts de production nucléaire actuellement en service. Avec un peu de chance, la population allemande diminuera suffisamment rapidement pour que les émissions de CO2 du pays n'augmentent pas. En tout état de cause, le plan allemand de transition énergétique repose sur l'effet combiné du vieillissement de la population et de l'augmentation de la consommation de gaz et de charbon. La presse française applaudit des deux mains, mais j'ai quelques doutes sur l'intérêt écologique du système...

Le charbon fournit donc un tiers de l'électricité européenne, le gaz entre 15 % et 20 %. Comme je l'ai souligné, la quantité de gaz disponible est déjà en baisse. Viennent ensuite l'hydroélectricité et l'éolien. À l'échelle européenne, l'éolien n'est pas significatif aujourd'hui. Peut-il le devenir ? Ne disposant pas d'assez de temps pour répondre à cette question aujourd'hui, je me bornerai à quelques observations.

Il n'existe pas, aujourd'hui, de foisonnement éolien en Europe. Il est faux de prétendre le contraire. Soit une dépression est installée sur la façade atlantique et les éoliennes injectent leur production électrique sur le réseau, de l'Espagne à la Grande-Bretagne en passant par l'Allemagne et la France, soit il n'y a pas de dépression et donc pratiquement pas de production. Il n'existe pas d'effet de compensation entre le nord et le sud de l'Europe.

Par ailleurs, je suis favorable à ce qu'on limite le bénéfice des tarifs de rachat à la production électrique dont la disponibilité est garantie de façon permanente. Sinon, cela signifie que l'intermittence induite est mise à la charge d'un autre acteur du réseau, sans que celui-ci soit prévenu ni même désigné.

L'intermittence induite oblige d'autres acteurs à prévoir des moyens de back up, de stockage ou d'effacement de consommation. En gros, dans la situation actuelle, on subventionne le producteur d'énergie éolienne pour introduire de l'intermittence dans le réseau électrique et on impose à d'autres d'assumer les surcoûts qui en découlent. Il serait préférable, à mon sens, de distinguer deux sous-catégories au sein des tarifs de rachat : l'une pour le kilowattheure garanti, à savoir celui qui est fourni de manière certaine quand on en a besoin - la production hydroélectrique entre dans cette sous-catégorie -, l'autre pour le kilowattheure injecté dans le réseau au gré de la production, ce dernier valant nécessairement moins cher. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.

Il y a donc des distinctions à faire entre les énergies renouvelables. La production électrique est mieux garantie à partir d'un stock de bois, qui peut être consommé à la demande, qu'à partir de l'éolien, qui fournit de l'électricité uniquement quand le vent souffle. Dans la mesure où l'électricité ne se stocke pas en tant que telle - on stocke de l'eau en altitude ou une séparation chimique dans une batterie -, une source intermittente a nécessairement moins de valeur pour un réseau électrique qu'une source garantie et pilotable.

commente le document 22.)

Comment vont évoluer les prix exogènes, c'est-à-dire ne dépendant pas des décisions françaises ?

Le prix du charbon est figuré dans le graphique de gauche. Il entre pour environ 50 % dans le coût de la production électrique issue du charbon. Le prix du charbon est très bien corrélé à celui du pétrole. Par conséquent, comme le prix du pétrole augmentera, sauf récession, celui du charbon suivra la même tendance.

Le prix du gaz - qui constitue 70 % du coût de production du kilowattheure produit à partir du gaz - est figuré dans le graphique de droite. Il a évolué de façon identique au niveau mondial, jusqu'au moment où les États-Unis se sont fortement décorrélés des autres zones, pour des raisons de production domestique, ce qui ne changera rien au destin des Européens, comme nous avons pu le constater récemment. Pour l'Europe, le prix du gaz continuera d'être asservi à celui du pétrole. L'électricité produite à partir du gaz coûtera donc plus cher.

commente le document 23.)

J'en viens à l'hydroélectricité. Voilà un modèle qui présente une synthèse des simulations issues du dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC. Il établit l'évolution des précipitations sur la planète selon un scénario qualifié de « charbon haut », c'est-à-dire caractérisé par une utilisation maximale du charbon consommable, avec un pic aux alentours de 2050. Il fait apparaître l'évolution des précipitations en hiver et en été dans l'hémisphère Nord : on constate que le pourtour du bassin méditerranéen s'assèche en toutes saisons et pour tous les modèles. La production hydroélectrique européenne va probablement diminuer.

Or l'hydroélectricité est la plus précieuse de toutes les formes de production électrique, car c'est la mieux modulable et la plus pilotable. La seule installation capable de délivrer 2 gigawatts dans un délai de trois minutes est un barrage. Aucune autre forme de production électrique n'en est capable ! La contrainte climatique ne sera donc pas sans incidences.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Les zones colorées en rouge s'assèchent et les précipitations augmentent dans les zones en bleu.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Non, elle présente l'évolution d'ici à la fin du siècle. En gros, l'Europe devrait avoir perdu de 20 % à 30 % de ses précipitations à cette échéance, mais de façon non continue. Il y aura des à-coups, comme en 2003 ou en 2010. Nous connaîtrons de plus en plus des situations de mise sous tension du système.

Les épisodes caniculaires importants ou de grande sécheresse présentent deux inconvénients importants : d'une part, les barrages se remplissent moins bien ; d'autre part, le refroidissement des centrales thermiques devient problématique. Or les centrales thermiques - nucléaire, gaz et charbon - représentent environ 75 % de la production d'électricité européenne.

En 2003, sur les treize dérogations demandées par EDF pour ses centrales thermiques, sept concernaient des centrales nucléaires, et six des centrales à charbon ou à pétrole. Comme nous avons l'association « Sortir du nucléaire », la presse a largement parlé des centrales nucléaires, et pas des centrales à charbon ou à gaz. Néanmoins, la problématique est identique pour toutes les centrales thermiques.

Le TGV qui se rend à Marseille passe à proximité de la centrale à charbon de Gardanne, qui est équipée de très beaux aéro-réfrigérants. Si l'on demande aux voyageurs de quoi il s'agit - je fais souvent ce test -, ils répondent que c'est une centrale nucléaire ! Dans la même situation, un Américain pensera à une centrale à charbon.

commente le document 24.)

Je terminerai mon exposé par les énergies renouvelables. Ce graphique retrace la contribution des énergies renouvelables au bilan énergétique mondial en 2010.

L'unité utilisée est le million de tonnes équivalent pétrole. La consommation mondiale équivaut à 14 000 millions de tonnes équivalent pétrole. La première énergie renouvelable est de très loin le bois, qui couvre environ 10 % de la consommation mondiale d'énergie. Vient ensuite l'hydroélectricité, qui, en équivalent primaire, représente environ 5 % de la consommation mondiale. Tout le reste tombe sous la barre de 1 % de celle-ci. J'ai fait figurer les équivalents primaires pour les énergies purement électriques.

Les agrocarburants, que j'appelle « agricarburants » car ils ne sont pas bio, représentent 0,5 % de l'énergie mondiale, soit 1,5 % du pétrole mondial. C'est ridicule. Néanmoins, afin de développer cette ressource, nous sommes déjà en train d'affamer une partie de la planète. (M. Claude Léonard s'étonne.)

En effet, il y a maintenant quinze ou vingt ans que les Américains ont affecté la totalité de la hausse de leur production de maïs à la fabrication d'éthanol. Le Mexique, pour le moment, peut encore payer des importations de maïs grâce à ses excédents pétroliers. Ces derniers disparaîtront dans quatre ou cinq ans, car la part mexicaine de la production du golfe du Mexique est en train de décliner. Que se passera-t-il alors au Mexique ? Je ne sais pas, mais cela risque d'être intéressant !

Aujourd'hui, une pression absolument évidente s'exerce sur les cultures vivrières en raison du développement des agrocarburants. Ce n'est pas la seule : une autre est due au climat.

Cela me permet de répondre en partie à l'une des questions que vous m'avez posées : est-il intéressant de fixer des tarifs de rachat exorbitants ? Ma réponse est non. C'est du gaspillage, à seule fin de se faire plaisir ! Dit autrement, tant qu'il y a de la croissance parce qu'il y a abondance de gaz, de charbon et de pétrole, une telle mesure sert uniquement à se donner bonne conscience en recyclant des surplus. Le jour où l'économie sera durement atteinte parce que l'approvisionnement français en pétrole, en gaz et en charbon commencera à décliner, on arrêtera de se livrer à ce genre de plaisanteries. C'est en 2004 que j'ai écrit pour la première fois que les subventions au photovoltaïque et à l'éolien s'arrêteraient lorsque surviendraient des récessions justement dues aux problèmes que l'on prétend ainsi éviter. Je crois que nous y sommes.

J'en ai fini avec cette présentation des quelques éléments de réflexion qui, selon moi, doivent encadrer toute analyse sur les tarifs de l'électricité en particulier, et de l'énergie en général.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En ce qui concerne les énergies non renouvelables, le pétrole est-il la source d'énergie la plus utilisée ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Oui, dans le mix mondial, le pétrole fournit un tiers de l'énergie primaire. Il représente plus de 40 % de l'énergie finale, c'est-à-dire celle qui est mise à la disposition des consommateurs. Le pétrole domine donc très largement le mix énergétique mondial.

Par ailleurs, dans le système de transport qui, aujourd'hui, est le « sang » de l'économie mondiale, la part du pétrole atteint 98 %. C'est la raison pour laquelle, à l'heure actuelle, le pétrole pilote le PIB en volume. Si demain la France se trouvait privée de moyens de transport, Paris mourrait de faim, il y aurait des émeutes et le pays s'effondrerait !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Non, le charbon !

Le pétrole représente un tiers de l'énergie primaire mondiale, le charbon 25 %, le gaz 20 %, la biomasse 10 %, le nucléaire et l'hydroélectricité 5 % chacun, et le reste de 1,5 % à 2 %.

Autre précision, le charbon sert essentiellement à produire de l'électricité, à hauteur des deux tiers des quantités extraites. Symétriquement, la première source de production électrique dans le monde est le charbon, qui fournit environ 40 % de l'électricité mondiale.

Toujours pour fixer des ordres de grandeur, j'indique que, entre 1945 et aujourd'hui, la production électrique mondiale est passée de 600 térawattheures, soit la production française actuelle, à 20 000 térawattheures. L'accès massif et démocratique à l'électricité n'est pas le fait de la révolution industrielle, c'est un acquis de la deuxième moitié du XXe siècle.

Par ailleurs, les deux tiers de l'électricité mondiale sont produits à partir de combustibles fossiles, la part du gaz étant de 25 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous remercie, monsieur Jancovici.

Monsieur le rapporteur, j'imagine que vous aimeriez maintenant obtenir des réponses à vos questions liminaires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

M. Jancovici a abordé les questions que je lui ai posées sous un certain angle.

Puisque vous avez parlé des volumes, monsieur Jancovici, pourriez-vous maintenant évoquer les coûts ? J'imagine que votre conclusion est qu'ils seront déterminés par les volumes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les volumes détermineront également les politiques énergétiques.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Pour répondre à la première question que vous m'avez posée au début de l'audition, monsieur le rapporteur, je n'ai pas lu en totalité le récent rapport de la Cour des comptes sur le coût de l'électricité nucléaire. J'en ai seulement lu la synthèse et j'ai eu plusieurs fois le plaisir de discuter avec Mme Pappalardo.

Selon moi, ce rapport est un exercice extrêmement salutaire, qui devrait être répété pour les autres formes d'énergie afin de définir les concepts et de bien préciser de quoi il est question !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

L'électricité d'origine nucléaire va-t-elle demeurer compétitive d'un point de vue économique ? Ma réponse est oui, même en tenant compte du coût des accidents possibles. En effet, si l'on veut tenir compte des externalités pour le nucléaire, il faut également le faire pour toutes les autres énergies.

Par ailleurs, la production d'un mégawattheure d'électricité à partir du charbon entraînant l'émission d'une tonne de CO2, si l'on fixe à 100 euros le coût de cette dernière, le coût de production du mégawattheure d'électricité augmente de 100 euros, soit une hausse de 10 centimes par kilowattheure électrique pour le consommateur final.

Dans un marché européen dont la finalité est d'instaurer la concurrence partout et en permanence - ce qui à mes yeux est une ânerie sans nom pour l'électricité -, comme le système s'ajuste, par la magie de la circulation des électrons, qui ne se stockent pas, non sur le coût le plus bas du dispositif de production, mais sur le plus élevé,...

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

si l'on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure par les centrales à charbon, on augmente de 100 euros le coût de production du mégawattheure pour tout le monde !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

C'est toute la magie du marché libéralisé ! C'est donc une bêtise, non pas à cause de cette hausse du coût - je suis très favorable à des augmentations de prix de l'électricité pour engendrer des économies d'énergie -, mais parce qu'on crée une rente qui va là où elle ne devrait pas aller.

Le nucléaire restera donc économique. Qu'est-ce qui est important pour la France ? Premièrement, l'état de la balance du commerce extérieur ; deuxièmement, le taux de chômage ; troisièmement, l'état des comptes publics.

Je vais peut-être vous choquer, mais le pouvoir d'achat moyen des Français n'est pas mon premier sujet de préoccupation, car sa baisse est inévitable. Plus on s'arc-boute sur le pouvoir d'achat, plus on dégrade les trois autres indicateurs que je viens d'évoquer. La grande distribution a fait le bonheur du consommateur et le malheur de notre balance commerciale, ainsi que de l'emploi français ! Les subventions à l'énergie feront le bonheur de l'automobiliste pendant une courte période. À cause de l'effet récessif des différents chocs pétroliers, elles aggraveront le chômage et la situation des comptes publics.

Si l'on prend en considération les trois critères qui doivent importer, le nucléaire est la source d'électricité dont l'incidence sur la balance commerciale est le plus faible. Certes, nous dépendons des importations d'uranium, mais celles-ci ne représentent pas grand-chose dans le prix du kilowattheure final. Par ailleurs, on peut stocker l'uranium, ce qui laisse le temps de se retourner : si le Kazakhstan nous fait des misères, on s'adressera au Canada ; si le Canada nous fait des misères, on se tournera vers l'Australie ou le Niger !

En revanche, nous avons seulement trois mois de stock de pétrole, idem pour le gaz, et donc très peu de marge de manoeuvre, comme nous avons pu le constater l'hiver dernier, lors de la vague de froid qui a entraîné une tension sur le marché du gaz. Les Russes et les Norvégiens font de nous ce qu'ils veulent. Les Norvégiens sont accommodants ; les Russes, je ne sais pas ce que cela va donner dans le temps...

Quoi qu'il en soit, nous sommes pieds et poings liés en ce qui concerne les importations de gaz. Il en va de même pour l'Espagne, qui en raison de l'intermittence de la production, a dû doubler son parc éolien d'un parc de centrales à gaz à peu près de même puissance, et qui produit aujourd'hui 2 kilowattheures au gaz pour 1 kilowattheure d'éolien.

Le nucléaire représente donc un optimum pour la production d'électricité de masse. C'est même la seule solution accessible en France : il n'est plus possible de noyer beaucoup de vallées, l'éolien, à cause du caractère diffus et intermittent de sa production, ne tiendra qu'une place limitée, de même que la biomasse. Les calculs d'ordre de grandeur mettent en lumière que le potentiel de biomasse disponible pour fabriquer de l'électricité n'est pas très étendu, surtout si l'on doit vivre dans un monde où l'on utilisera moins d'engrais.

À mes yeux, le nucléaire est donc très compétitif, et ce pour de bonnes raisons.

Faut-il prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes ? Je serais content qu'une telle décision soit prise, mais ce n'est ni à moi ni à vous d'en juger : cette responsabilité incombe à l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui a été créée, justement, pour que les décisions relatives au nucléaire ne soient pas le fait du prince. Laissons l'ASN accomplir sa mission. C'est pour moi un point de principe : soit on considère que l'ASN est techniquement compétente pour se prononcer sur l'état des installations nucléaires ; soit on considère qu'elle ne l'est pas, mais alors on remplace les personnes qui se trouvent à sa tête. Si je n'ai pas confiance en l'un de mes collaborateurs, je ne passe pas derrière lui pour refaire son travail : je le vire !

Il revient à l'exploitant de tenir compte des recommandations de l'ASN. Pour la filière graphite-gaz, il faut savoir que l'autorité de sûreté de l'époque, qui était une direction du ministère, avait critiqué ce type de réacteurs et exigé d'EDF des aménagements. EDF, jugeant les coûts trop élevés, a alors décidé de renoncer à cette filière. Il doit en aller de même pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires : il incombe à l'exploitant de faire ses calculs et de mettre en oeuvre les recommandations de l'ASN ou de renoncer à cette prolongation.

En tant que citoyen, je considère que prolonger la durée de vie des centrales nucléaires serait une bonne chose sur le plan économique. Cela étant, si l'ASN estime préférable de ne pas le faire, mon sentiment est qu'il faut construire de nouvelles centrales.

À mes yeux, les sources d'énergie fossiles comportent globalement beaucoup plus de risques que le nucléaire. Jusqu'à présent, je n'ai pas évoqué les risques globaux, notamment le changement climatique. Les « printemps arabes » sont, selon moi, très largement une conséquence de la contrainte énergie-climat. Il est évident que des déstabilisations socioéconomiques massives vont apparaître dans un monde où l'énergie fossile se fait rare et où le climat se dérègle rapidement.

Je préfère, de très loin, vivre avec le risque réel mais maîtrisé lié à l'existence d'une centrale nucléaire qu'avec le risque totalement non maîtrisé que recèle un monde devenant violent et guerrier à cause du manque de pétrole et du dérèglement du climat. Pour avoir bien étudié la question depuis cinq ans, je pense que, malheureusement, cette éventualité est loin d'être une simple vue de l'esprit.

Les tarifs actuels de l'électricité me paraissent-ils refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité ? Si l'on inclut les externalités liées aux sources d'énergie fossiles, la réponse est non. Je vous ai dit tout à l'heure que si la tonne de CO2 émise coûte 100 euros, le consommateur doit payer le kilowattheure 10 centimes plus cher.

Je persiste et signe : l'électricité ne vaut pas assez cher. Cela étant, la hausse de son prix doit profiter non pas aux gaziers et aux charbonniers, mais à l'État, via les taxes, qui assurent un recyclage national de l'argent. Les impôts sont nécessaires, toute la question est de bien les choisir.

Les taxes sur l'énergie, à mes yeux, sont de très bons impôts. Elles ne font pas obstacle, par ailleurs, à la promotion des modes de production électrique les plus favorables à la baisse du taux de chômage, à la balance commerciale et à l'équilibre des finances publiques.

Comment les tarifs devraient-ils évoluer selon moi ?

Je pense qu'il faut mettre en place un tarif progressif de l'électricité, et non pas dégressif. Plus on consomme d'électricité, plus on doit payer cher. Certes, une telle mesure est antinataliste, mais tous ceux qui s'intéressent de près à la fiscalité savent très bien qu'une bonne taxe exclut les niches. Les situations particulières doivent être prises en compte grâce à des mesures particulières. Une bonne taxe sur l'énergie a une assiette large, n'admet pas de dérogations et donne de la visibilité. Quand on commence à faire des cas particuliers, c'est le début de la fin. La situation des familles nombreuses qui ont des difficultés à payer leur facture d'électricité doit être réglée en tant que telle, par exemple en leur versant directement une allocation par enfant.

Par ailleurs, pour le gaz et le pétrole, il faut bien sûr également mettre en place une taxe carbone. Pour l'électricité, le problème est largement réglé par le système européen des quotas d'émission de CO2. Cependant, ce dernier devrait être complété de deux façons.

Tout d'abord, l'application de la directive devrait, d'entrée de jeu, être prolongée jusqu'à la fin de vie des centrales électriques, afin de donner de la visibilité aux acteurs économiques jusqu'en 2050. Voilà vingt-cinq ans qu'ils me font vivre, je les connais donc bien : sans visibilité, ils ne font rien. Le grand paradoxe est qu'un acteur économique ne sait pas payer de lui-même sa prime d'assurance : il ne calcule pas l'espérance mathématique de ses pertes pour déterminer son action, et par conséquent, en l'absence de visibilité sur le prix auquel il achètera ses quotas d'ici à 2050, il ne fera rien !

La décision de prolonger la directive jusqu'en 2050 ne dépend pas des Français, mais elle peut éventuellement résulter du lobbying que les Français seraient avisés d'exercer à Bruxelles pour que soit affiché dès à présent un prix croissant dans le temps pour les quotas mis aux enchères. Tant que l'on manquera de visibilité s'agissant de la contrainte à venir pour des infrastructures qui durent cinquante ans et qui, notamment pour le nucléaire, demandent des immobilisations de capitaux pendant huit ans avant que ne soit produit le premier kilowattheure, il n'y aura rien à espérer de ces acteurs financiarisés que sont la quasi-totalité des producteurs d'électricité du Vieux Continent. La financiarisation a beaucoup raccourci les échéances. Bruxelles fait fausse route en préconisant une telle libéralisation : le système se porte beaucoup plus mal.

Le seul moyen de corriger à peu près les choses est de mettre en place des quotas avec un prix minimum d'enchères annoncé à l'avance et quarante ans de préavis. Cela n'interdit pas, ensuite, de moduler à la baisse ou à la hausse le rythme de l'augmentation du prix, mais il faut donner de la visibilité : c'est le maître mot dans le monde économique. Si le cadre fiscal change tous les quatre matins, il est à peu près certain qu'il n'en sortira rien de sympathique.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Oui, c'est pourquoi je recommande un lobbying actif de la France à Bruxelles.

L'Allemagne prétend vouloir à la fois lutter contre le changement climatique - elle s'est dotée d'un plan très ambitieux à cet égard - et sortir du nucléaire. Soit, mais il lui faut des quotas très élevés : si elle s'en sort, tant mieux !

J'ai déjà répondu à votre question sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Selon moi, ils sont gérés en dépit du bon sens. Il faudrait plutôt mettre en place un dispositif transversal. J'en ai justement présenté un devant la Cour des comptes il n'y a pas longtemps : le coût à la tonne de CO2 évitée.

Supposons que l'on envisage de prendre une mesure dont l'effet escompté est d'éviter d'émettre du CO2 et, très accessoirement, d'importer des combustibles fossiles. Par exemple, il peut s'agir d'instaurer une prime à la casse pour les voitures ou une prime à l'installation des éoliennes. Cette mesure va déformer notre avenir : en comparant ce que serait celui-ci avec ou sans mesure, à la fois sur le plan de l'équation économique d'ensemble et sur celui des émissions de CO2, on déduit le coût à la tonne de CO2 évitée.

Ainsi, si l'on produit des panneaux photovoltaïques en France, le coût à la tonne de CO2 évitée est de l'ordre de 10 000 euros : il faut dépenser 10 000 euros d'argent public pour éviter l'émission d'une tonne de CO2. Si l'on produit de tels matériels en Chine, le solde est négatif, le temps de retour sur carbone pour un panneau fabriqué en Chine grâce à de l'électricité produite à partir de charbon chinois étant de l'ordre de trente ans, ce qui est supérieur à la durée de vie du panneau. Autrement dit, subventionner la production de panneaux photovoltaïques en Chine revient à subventionner une augmentation des émissions de CO2.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Le panneau photovoltaïque chinois est fabriqué avec de l'électricité dont la production entraîne l'émission de 800 à 900 grammes de CO2 par kilowattheure, contre 130 ou 140 grammes de CO2 par kilowattheure pour un panneau fabriqué en France. Pour un kilowattheure d'électricité chinoise consommée pour fabriquer le panneau, il faut en récupérer 6 à 8 - c'est plutôt 8 - une fois qu'il a été installé en France.

Il se trouve que la quantité de kilowattheures nécessaire pour fabriquer un panneau représente de l'ordre de trois ans de fonctionnement de ce dernier. Comme il faut récupérer huit fois plus d'électricité en France que ce qui a été consommé en Chine pour la fabrication, on en arrive à vingt-quatre années de fonctionnement, et à trente en prenant en compte les équipements annexes. Le panneau fabriqué en Chine doit donc fonctionner trente ans pour que les émissions de carbone liées à sa fabrication soient compensées.

Par conséquent, quand on a subventionné le développement du photovoltaïque en France, on a subventionné un déséquilibre commercial, une non-création d'emplois dans notre pays et une hausse des émissions de CO2 !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

On a donc eu faux sur toute la ligne, sans même parler du déséquilibre des finances publiques ! Et je suis écologiste, c'est-à-dire soucieux de préserver un monde stable pour mes enfants, en termes aussi bien de climat que de ressources biologiques et énergétiques ! Le monde a toujours comporté des risques. L'idée d'un monde sans risques est une vue de l'esprit ; il faut simplement choisir les bons.

D'autres mesures que celle que je viens d'évoquer seraient efficaces, mais elles sont moins démagogiques.

Par exemple, augmenter le prix de l'essence est une mesure qui présente un coût à la tonne de CO2 évitée extrêmement intéressant. Par ailleurs, cela permettrait d'alléger le déficit de la balance commerciale - il a été de 70 milliards d'euros l'an dernier -, de créer de l'emploi en France et d'équilibrer les finances publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je comprends qu'une augmentation du prix de l'essence puisse permettre d'améliorer les finances publiques, mais en quoi créerait-elle de l'emploi ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Parce qu'il faudra gérer un certain nombre de transitions, notamment en matière d'urbanisme.

L'urbanisme actuel ne résistera pas à une forte contrainte sur l'approvisionnement pétrolier, car une partie de la population vivant aujourd'hui dans les zones périurbaines sera mise hors du jeu économique, donc au chômage. Ce phénomène a déjà commencé : des poches de chômage apparaissent dans les zones périurbaines, par petites touches pour le moment, mais cette tendance va se renforcer.

Il faudra remplacer les voitures actuelles par des modèles de plus petite cylindrée. La mesure la plus efficace pour les trente prochaines années n'est pas de passer à la voiture électrique : c'est de remplacer des voitures qui consomment 6 litres de carburant aux 100 kilomètres par des 2 CV nouveau modèle, dont la vitesse plafonnera à 110 kilomètres à l'heure et la puissance moteur à 30 chevaux, qui pèseront 500 kilos et consommeront 1,5 litre aux 100 kilomètres. Nos ingénieurs sauront très bien concevoir de tels véhicules.

Si Renault et Peugeot se lancent dans la construction de ce genre de voitures, ce sera bénéfique pour l'emploi. Sans cela, ces sociétés feront faillite. Voyez General Motors, qui ne savait fabriquer que des voitures consommant 10 ou 15 litres aux 100 kilomètres au moment du choc pétrolier de 2008.

La TIPP a sauvé l'industrie automobile française, il faut le dire. En forçant pendant cinquante ans les constructeurs français à concevoir de petits moteurs et en amortissant les variations de prix du marché par des taxes qui dépendent des volumes et non des prix hors taxes, on a considérablement stabilisé le système.

Si je préconise une augmentation du prix de l'électricité, ce n'est pas pour faire de la peine au consommateur, c'est pour forcer le Français, qui n'en peut mais, à payer la prime d'assurance qui permettra de stabiliser le pays.

Nous serons certainement tous d'accord ici pour considérer qu'un pays qui n'est pas en paix est un pays dans lequel la prospérité est difficile à trouver. Il existe des situations qui sont des sources potentielles de conflits, y compris en France. Il peut s'agir aussi de guerres civiles larvées, d'émeutes, etc.

Le mécanisme de soutien aux différentes énergies renouvelables me paraît-il mal ciblé ? Oui. Il faudrait réaliser une étude préalable du coût à la tonne de CO2 évitée lorsque l'on envisage de prendre la moindre mesure budgétaire destinée à faire baisser les émissions de CO2. Je ne dis pas qu'il ne faut pas prendre de telles mesures, je dis qu'il faut procéder à une analyse préalable.

Enfin, le prix de l'électricité en Europe devrait-il mieux refléter le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre ? J'ai déjà répondu par l'affirmative à cette question.

À mon avis, il faut lutter pour éviter les incohérences entre la liberté, pour les pays européens, de choisir leur politique d'investissements électriques et l'obligation, pour l'Union européenne, de répercuter les variations de coût résultant des différents choix nationaux sur l'ensemble de la plaque européenne. Autrement dit, si les Allemands prennent une décision qui entraîne une augmentation du prix de l'électricité chez eux, par le jeu du système qui a été mis en place, tous les États voisins en supportent les conséquences, ce qui n'est pas normal. Ou bien les pays européens définissent tous ensemble une politique commune et en partagent les coûts - cette option serait probablement mon premier choix -, ou bien chacun est libre de sa politique et en assume seul les coûts, sans que des interconnexions permettent par exemple aux Allemands d'importer de l'électricité quand ils décident de fermer leurs centrales nucléaires. C'est un principe de responsabilisation des États.

Si les États veulent conserver une marge de manoeuvre, ils doivent assumer la responsabilité correspondante. Sinon, il faut mutualiser et aller vers plus de fédéralisme, ce qui n'est probablement pas la plus mauvaise option.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous félicite, monsieur Jancovici, vous avez bien mené votre exposé. Très sincèrement, je ne savais pas très bien où vous alliez nous mener au début de cette audition ! (Sourires.)

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

J'ajouterai une dernière précision : il ressort implicitement de tout ce que j'ai dit que l'accès au capital privé, dans un monde qui connaîtra une récession tous les trois ans, va devenir considérablement plus difficile. En creux, cela signifie qu'une forme de renationalisation des systèmes électriques ne serait probablement pas une mauvaise idée.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions complémentaires ?

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Effectivement, monsieur Jancovici, votre discours s'écarte de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant. Je pense à votre préconisation d'augmenter le prix de l'électricité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous affirmez également qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre si l'on veut éviter un changement climatique qui nous conduirait à une récession importante. Cela signifie qu'il faut réduire la dépendance au pétrole par des économies d'énergie, ...

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Essentiellement dans un premier temps.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Également. Il y a un bon mix des deux à trouver.

Je prendrai un exemple. Des calculs ont été réalisés pour le compte d'EDF, que je suis autorisé à vous communiquer. L'optimum économique, dans le bâtiment, n'est pas de ramener la consommation d'énergie primaire à 50 kilowattheures par mètre carré et par an ; il est plutôt de l'abaisser aux alentours de 100 kilowattheures et d'augmenter la part de l'électricité au détriment du chauffage au gaz et au fioul, en isolant, mais sans excès. Ramener la consommation à 80 ou à 100 kilowattheures par mètre carré et par an est déjà une jolie performance pour un certain nombre de bâtiments, notamment dans l'ancien. Par ailleurs, passer au chauffage électrique n'empêche pas de faire des choix intelligents : on peut très bien recourir à des pompes à chaleur.

Grâce à un ensemble de telles mesures, on divise par six à huit les émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment et on diminue les importations de produits pétroliers et gaziers. De surcroît, c'est excellent pour l'emploi puisque cela donne du travail aux maçons. Le véritable défi est de revaloriser le travail manuel aux yeux de nos enfants. C'est très cohérent avec ce que j'ai dit précédemment : dans un monde où l'énergie sera plus rare, tout le monde ne pourra pas travailler dans un bureau, de plus en plus de gens vont devoir se remettre à transpirer ! (Sourires.)

Un mix entre les économies d'énergie, par l'isolation, et l'électrification, avec le recours à une électricité produite sans émissions de CO2, me paraît constituer le bon arbitrage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En ce qui concerne les énergies renouvelables, en revanche, vous avez émis des réserves.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

J'ai souligné que toutes les énergies renouvelables ne se valaient pas. Nous devons être sélectifs et employer un critère de bonne gestion. Si la contrainte doit nous mettre dans une situation financière difficile, il faut faire particulièrement attention à l'efficacité de la dépense budgétaire. Installer un poêle à bois dans une maison de campagne, après l'avoir isolée, ou un chauffe-eau solaire est une excellente idée, mais poser partout dans le pays des panneaux photovoltaïques est une idée saugrenue ! Il faut donc être sélectif et bien savoir pourquoi on prend telle décision plutôt que telle autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Êtes-vous favorable à un renouvelable de proximité ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Ça dépend. Pour l'électricité, ça n'a pas de sens, mais ça en a pour la chaleur.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Le chauffe-eau solaire est tout de même fabriqué en Chine !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Il peut très bien être fabriqué en France, à condition que l'on accepte de le payer plus cher. C'est une affaire de choix : le malheur du consommateur fait le bonheur du salarié, et inversement.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Vous avez très bien démontré tout à l'heure qu'en subventionnant le photovoltaïque, on favorisait le déficit commercial et l'emploi en Chine au détriment de l'emploi en France, ainsi que la production de CO2. Cette démonstration vaut également pour le chauffe-eau solaire !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Tout dépend du système d'incitation mis en place.

Même pour le photovoltaïque, le prix du système posé varie du simple au triple selon les pays. La France est un pays de profiteurs, les effets d'aubaine sont absolument monstrueux. Encore une fois, tout dépend de la manière d'organiser le système. Si l'on importe des chauffe-eau solaires de Chine pour un montant inférieur au coût du gaz nécessaire pour produire l'eau chaude sanitaire, c'est une bonne affaire. Je ne prétends pas être dès à présent capable d'établir une liste exhaustive et régionalisée des bonnes mesures. En revanche, je sais comment déterminer la bonne réponse en fonction de la zone géographique considérée et de ce que l'on veut faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Quoi qu'il en soit, j'ai apprécié votre démonstration. Ce n'était pas le sujet, mais je regrette que nous ne vous ayons pas questionné davantage sur le transport.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

En ce qui concerne le transport, il faut augmenter le prix de l'essence et, dans le même temps, planter des « banderilles » dans le dos des constructeurs pour les inciter à réduire la consommation moyenne de leurs véhicules.

Je vais vous livrer un calcul d'ordres de grandeur qui vous intéressera peut-être. Le coût des investissements pour les infrastructures au titre du projet du Grand Paris sera à peu près de 60 milliards d'euros, avant que n'intervienne le fameux « facteur ð », entre le budget prévisionnel et le coût réel.

Par parenthèse, Mme Cécile Duflot, qui s'exprimait l'autre jour sur une chaîne de radio, a posé une question qui m'a fait sourire : qu'est-ce qui coûte finalement le double de ce qui était initialement prévu, à part l'EPR ? La réponse est simple : tout prototype industriel ! Cela est vrai aussi dans le domaine du développement des logiciels.

Pour en revenir au Grand Paris, cette dépense d'environ 60 milliards d'euros débouchera, selon nos calculs, sur un déplacement de l'ordre de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée des Franciliens...

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Soit l'on implante des lignes de transport en commun dans des zones denses, où déjà très peu de gens utilisent leur voiture, et l'on obtient essentiellement un report modal pour des personnes qui ne se déplaçaient pas en voiture, ainsi que de l'induction de trafic : des gens profitent de l'existence d'un moyen de transport en commun en bas de chez eux pour aller se balader alors que sinon ils seraient restés à la maison ! Dans ce schéma, le vrai report modal au détriment de la voiture est marginal.

Soit l'on implante des moyens de transport en commun dans des zones peu denses - par exemple on construit une station de métro sur le plateau de Saclay, au milieu de la pampa -, et alors on n'attire personne, le rayon de la zone d'attraction d'une gare n'étant que de un à deux kilomètres. Les habitants d'une zone peu dense ont tous une voiture et la nouvelle offre de transports en commun ne les attirera guère.

Soit dit en passant, le projet de desserte par le métro du plateau de Saclay aura pour premier effet d'accroître les constructions à usage tertiaire dans cette zone. Le métro n'étant pas encore construit, les résidants se déplaceront en voiture. Le jour où la construction du métro sera achevée, ils ne déménageront pas pour aller s'installer ailleurs. Un tel projet était probablement une très bonne idée en 1930 ou en 1940, mais il est totalement anachronique aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous parlez du projet du Grand Paris pour les transports ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Les projets prévus pour la petite couronne sont intelligents, ceux qui concernent la grande couronne ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux. C'est donc du gaspillage d'argent public. Je le répète, pour un coût de 60 milliards d'euros, on obtiendra un déplacement de 2 % à 3 % de la mobilité motorisée.

Je reprends maintenant l'exemple des petites voitures à faible consommation. Si, après avoir poussé Renault et Peugeot à produire des 2 CV consommant 1,5 litre aux 100 kilomètres, on instaure une prime à la casse couvrant la totalité du prix d'achat d'un tel véhicule - 10 000 euros - au bénéfice de tous les ménages franciliens qui mettront à la casse leur voiture qui consomme 6 litres aux 100 kilomètres, la dépense totale sera de 60 milliards d'euros, puisque l'on compte 6 millions de voitures en Île-de-France.

Pour la même somme, dans le premier cas, on change la vie de 3 % des utilisateurs de voiture ; dans le second, on change la vie de tous les automobilistes. Si l'on veut éviter que, dans le même temps, les recettes de la TIPP ne s'effondrent parce que la consommation de carburant aura été divisée par trois, il faut multiplier le prix de l'essence par trois. (M. le président sourit.)

Avec une telle mesure, on résout le problème posé à urbanisme constant, car ce n'est pas en dix ans que l'on peut faire déménager des gens depuis des banlieues lointaines : il faut de cinquante à cent ans pour modifier la forme des villes.

Pour répondre à la contrainte pétrolière qui commence à s'exercer aujourd'hui et qui deviendra particulièrement prégnante dans les dix à quinze prochaines années, la seule possibilité est de diminuer très rapidement, à technologie constante, la consommation unitaire des véhicules.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Je vous ai trouvé très sévère à l'égard des éoliennes et du caractère intermittent de leur production électrique. Mon département en compte environ 200, et quelques installations vont encore être réalisées. Je le traverse trois ou quatre fois par semaine, grâce à une voiture qui ne consomme pas 1,5 litre aux 100 kilomètres, et je vois rarement ces éoliennes à l'arrêt. Se mettent-elles systématiquement en marche lorsqu'elles me voient arriver ? (Sourires.)

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la production électrique injectée sur le réseau est fonction du cube de la vitesse du vent. Si la vitesse de rotation des pales double, la puissance injectée sur le réseau est multipliée par huit. Or nous avons du mal à apprécier la vitesse de rotation avec nos sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Effectivement, mais il faudrait le faire savoir au grand public, qui ignore ce fait et raisonne selon une logique du tout ou rien : soit les éoliennes tournent, soit elles ne tournent pas.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Jancovici

Voici un début de réponse à votre question.

commente le document 25.)

Des physiciens, au terme d'un long travail de fourmis, de telles informations n'étant pas centralisées, ont récupéré auprès de RTE et de plusieurs autres transporteurs d'électricité européens la puissance injectée sur le réseau par l'ensemble des éoliennes d'Espagne, d'Allemagne, de France, de Grande Bretagne, et du Danemark, le pas de temps étant l'heure, si ma mémoire est bonne.

Soit une dépression est installée sur l'Atlantique et toutes les éoliennes produisent, qu'elles soient en Allemagne, en Espagne, en France, au Royaume-Uni, etc. ; soit un anticyclone est installé sur l'Atlantique, et il ne souffle qu'un peu de vent résiduel sur Gibraltar ou dans le couloir rhodanien. Ce graphique montre que, en moyenne, sur les six mois considérés, la puissance injectée ne dépasse jamais la moitié de la puissance installée, qui est de 65 000 mégawatts. Il montre également que la puissance garantie ne représente qu'un petit pourcentage de la puissance installée. L'intermittence induite, qui doit être compensée soit par des centrales hydrauliques, soit par des centrales à gaz, apparaît clairement.

Les Espagnols ont opté pour des centrales à gaz, ce qui leur coûte maintenant très cher en importations de gaz et en émissions de CO2. Ils publient de très beaux communiqués de presse quand c'est la production éolienne qui domine, mais la production des centrales à gaz est trois fois plus souvent dans ce cas !

Les Allemands ont choisi de compenser avec des centrales à charbon. Quant aux Danois, ils ont trouvé une solution géniale. Quand le vent souffle, comme le pays est trop petit pour absorber sa propre production éolienne, il l'exporte vers les pays avec lesquels il est interconnecté, c'est-à-dire l'Allemagne et la Norvège. Le Danemark devant absolument se débarrasser de cette électricité pour sauvegarder l'équilibre du réseau électrique, il est prêt à la vendre à n'importe quel prix. À quel prix croyez-vous que la Norvège est disposée à la payer ? À un prix qui reflète le coût de production marginal d'un barrage, soit le coût des trois minutes de travail nécessaires aux ouvriers norvégiens pour ouvrir et fermer le « robinet »... Les Danois ont donc subventionné une industrie qui vend à l'exportation à un coût marginal quasiment nul. En revanche, lorsque le vent ne souffle pas et qu'ils ont besoin d'électricité, ils en achètent au producteur norvégien, qui leur fait payer le prix fort puisqu'il s'agit d'électricité de pointe !

Voilà pourquoi les Danois ont finalement mis fin aux subventions à l'éolien, qui profitaient en réalité au producteur d'électricité hydraulique norvégien. Les Norvégiens, eux, sont ravis et tout à fait favorables à l'électricité d'origine éolienne, comme, du reste, les vendeurs de gaz ! J'ai assisté, en marge de la conférence de Copenhague sur le changement climatique en décembre 2009, au meeting de l'International Gas Union. J'étais certainement le seul Français présent dans la salle et je n'ai pas aperçu un seul journaliste. Je puis vous garantir que les gaziers, tous en coeur, ont plébiscité l'éolien ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il nous reste à vous remercier et à vous féliciter de votre prestation, monsieur Jancovici.