Non. Nous avons la culture du service public, mais, comme je l'ai dit, nous nous efforçons aussi de créer de la valeur.
Pour répondre à votre première question, monsieur le président, ne craignant pas l'eau, j'accepte bien volontiers de me « mouiller » ! Ma vision est très simple : le nucléaire représente un investissement lourd. Aujourd'hui, aux termes du constat de la Cour des comptes, avec un parc nucléaire qui a, en moyenne, vingt-cinq ans d'âge, le prix de l'électricité représente, à hauteur de 90 %, la valorisation de notre investissement, et, à hauteur de 10 %, les coûts de fonctionnement, de démantèlement et de gestion des combustibles usés. Il faut donc privilégier l'allongement de la durée de vie, tout en respectant une exigence absolue : la sûreté de nos installations nucléaires. Nos concitoyens peuvent, je le crois, accepter le risque nucléaire s'il est maîtrisé et en l'absence de tout relâchement de radioactivité à l'extérieur des sites nucléaires ; ils ne peuvent pas l'accepter si une contamination durable se produit, comme à Fukushima.
Qu'avons-nous fait en matière de sûreté ? Dès le début, une éprouvette contenant des échantillons de l'acier constitutif de l'enceinte du coeur, qui représente la partie non substituable de l'installation, a été placée dans chaque réacteur. On prélève régulièrement des échantillons de ces éprouvettes pour examiner comment ils évoluent. L'acier de la cuve, d'une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, est soumis en permanence à un flux de neutrons, d'une part, et à un stress thermique et mécanique, d'autre part. Pour vous donner une idée, chaque atome constitutif de cet acier est l'objet de plusieurs déplacements chaque année, comme dans un billard. La préservation des capacités mécaniques de cet acier qui assure le confinement du coeur constitue donc un véritable défi ! Or l'examen de ces échantillons laisse à penser que ce métal se comporte beaucoup mieux que prévu. D'un point de vue scientifique, ce constat est rassurant, car tout risque serait annoncé par des signes avant-coureurs, comme des fissures, qui nous permettraient d'agir par anticipation.
Autre point très important, tous les dix ans, nos centrales font l'objet d'un examen extrêmement approfondi, afin de garantir que les installations essentielles pour la sûreté du réacteur ont un comportement conforme à ce qui est attendu. Dans la situation actuelle, si le moindre risque est décelé, il le sera de manière anticipée et il n'y aura pas à hésiter : il faudra arrêter la centrale concernée. En revanche, en l'absence de risque, je ne vois pas pourquoi nous gaspillerions notre investissement en arrêtant les centrales plus tôt que nécessaire.
Au vu des premiers audits de sûreté décennaux, le comportement de nos réacteurs est apparu satisfaisant et l'Autorité de sûreté nucléaire a autorisé la prolongation de leur utilisation de dix années. Je ne sais pas ce qui se passera dans dix ans et personne ne peut le dire.
À titre personnel, je formulerai la recommandation suivante : si, dans dix ans, les centrales sont encore en très bonne forme, prolongeons leur utilisation ! Mais, puisque notre parc a été construit de manière cadencée - entre 1977 et 2000, on a mis en service, chaque année, trois ou quatre réacteurs -, si un réacteur montre des signes de vieillissement qui ne permettent plus de garantir sa sûreté, les réacteurs de la même génération ne sont vraisemblablement pas dans un meilleur état. Or il n'est guère envisageable d'arrêter trois ou quatre réacteurs une même année. Il convient donc d'anticiper et de développer de nouvelles installations : quand elles fonctionneront, nous serons beaucoup plus sereins en ce qui concerne le développement durable.
Tel était le sens de la recommandation que j'avais formulée en 2003, lorsque j'étais haut commissaire à l'énergie atomique, en préconisant le lancement de l'EPR. Nous avons besoin d'un réapprentissage industriel ! Au regard des durées que nous évoquons, il est absolument indispensable d'apprendre à maîtriser les savoir-faire d'une nouvelle filière industrielle. Comme je l'ai dit, dans le passé, nous construisions trois ou quatre réacteurs par an, contre un seul actuellement. Le problème de l'EPR de Flamanville est tout à fait banal : des entretoises supérieures ne répondent manifestement pas aux exigences de qualité très élevées imposées en matière de sûreté nucléaire, et l'industriel concerné doit donc reprendre la fabrication de la pièce jusqu'à ce qu'elle donne satisfaction. Les délais s'en trouvent allongés d'autant.
Je recommande donc de prolonger la durée d'utilisation des centrales aussi loin que possible, car je ne vois pas pourquoi nous démantèlerions sans nécessité un réacteur, avec tous les coûts induits par le démantèlement et la multiplication du volume des déchets que cela suppose. Parallèlement, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour développer les énergies renouvelables en intégrant leurs contraintes propres afin de garantir la satisfaction de nos besoins.
Pour répondre à votre seconde question, monsieur le président, nous créons chaque année trois ou quatre entreprises. S'il existe déjà une entreprise capable d'exploiter l'innovation dont nous avons identifié le potentiel, nous n'en lançons pas une nouvelle. En revanche, dans le cas contraire, les équipes de la direction de la valorisation accompagnent les chercheurs ou l'équipe à l'origine de cette innovation pour créer une entreprise, en les « mariant » à un gestionnaire - en effet, les chercheurs ou les ingénieurs sont plutôt des créatifs, des hommes de la technique, on ne peut pas leur demander d'être « ambidextres », c'est-à-dire géniaux à la fois dans l'innovation et le management ! Nous apportons éventuellement des crédits : nous avons créé un fonds de placement, CEA Investissement, d'un montant de 25 millions d'euros, que nous avons presque consommés - j'espère que le programme des investissements d'avenir viendra l'abonder. Ces entreprises « sortent de notre giron » au terme de cinq à huit ans, lorsqu'elles ont fait la démonstration de leur viabilité. À ce moment-là, soit elles sont introduites sur le marché boursier, soit elles sont rachetées par des tiers, et nous pouvons espérer, dans certains cas, en tirer une plus-value.
Nous avons ainsi créé plus de 140 entreprises depuis 1985. Nous avons connu des échecs, mais je me souviens qu'un comité d'évaluation nous avait reproché un taux d'échec trop faible, qui pouvait laisser à penser que nous n'étions pas assez volontaristes ! Selon moi, si notre taux d'échec est plus faible que la normale, c'est tout simplement parce que notre mécanisme d'incubation est particulièrement fort et robuste.