Intervention de Alain Bazot

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 21 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Bazot président d'ufc-que choisir

Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord d'auditionner une association de consommateurs, l'UFC-Que Choisir, sur un sujet aussi crucial que les coûts de l'électricité.

Au sondage que nous avons réalisé dans le cadre d'un pacte consumériste que nous voulions adresser aux candidats à l'élection présidentielle, nous avons recueilli 56 000 réponses. Il en ressort que, en matière d'énergie, 87 % des consommateurs ont pour principale préoccupation les tarifs, bien avant donc les problèmes liés à la qualité des services.

Depuis 2008 et le début de la crise, les consommateurs, en particulier les plus modestes d'entre eux, ont subi une augmentation généralisée des prix de l'énergie : + 44 % pour les carburants et + 25 % pour le gaz. C'est dire si l'annonce par le président de la CRE d'une hausse de 30 % du prix de l'électricité dans les années à venir a de quoi les inquiéter, car celle-ci s'inscrit dans un contexte non pas de stabilité, mais bien d'envolée considérable des prix depuis quelques années.

On ne peut pas traiter la question du prix de l'électricité sans se préoccuper des problèmes liés à la précarité énergétique. Les chiffres sont là : selon l'INSEE, plus de 3 800 000 ménages se trouvent en situation de précarité énergétique. Tout récemment, le médiateur national de l'énergie a estimé à au moins 500 000 le nombre de consommateurs visés par une réduction, voire une suspension de fourniture d'électricité en 2011. Il s'agit d'une situation inacceptable. C'est dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, l'enjeu du sujet que vous avez à traiter et pour lequel vous m'avez convoqué en tant que président d'UFC-Que Choisir.

L'augmentation d'environ 30 % d'ici à 2016 que prévoit M. de Ladoucette concerne non seulement les tarifs de fourniture, de transport et de distribution, mais également la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. Dans ce contexte, au-delà des inquiétudes, cette annonce soulève un certain nombre de questions. Pour notre part, nous nous interrogeons notamment sur le cadre qui devrait entourer ces futures augmentations. Au-delà du niveau de ces augmentations, nous appelons à la plus grande vigilance en matière de lisibilité de cette future évolution.

Nous le savons, nous allons entrer dans un nouveau cycle d'investissement, où nous devrons faire face à la fois à des besoins en production, en transport, en distribution d'électricité, et à des moyens de production durables. Cela aura inévitablement pour conséquence dans le temps une augmentation significative des coûts, qui sera répercutée sur le consommateur.

Un principe figure dans la loi : le tarif réglementé doit couvrir les coûts réels supportés par les opérateurs. C'est une sorte de réalisme économique qui est ainsi posé.

Dans le même temps, le contrat de service public entre l'État et EDF qui n'a toujours pas été renégocié établit que, en tout état de cause, l'augmentation du prix ne doit pas dépasser l'inflation. La loi elle-même prévoit que le tarif doit être fixé dans le cadre de ce contrat. Néanmoins, dans la mesure où ce contrat reste par conséquent en vigueur et qu'il n'existe pas d'engagement pluriannuel de l'État avec EDF, on ne voit pas comment on pourrait mettre concrètement en oeuvre les perspectives de M. de Ladoucette.

Ces projections d'augmentation méritent d'être encadrées. Le consommateur a besoin de lisibilité et de visibilité en la matière. Si l'on veut de la prévisibilité, il est impératif de revoir le contrat de service public.

Examinons maintenant un peu plus précisément la facture d'électricité du consommateur. Elle est composée du tarif réglementé ou régulé, d'une part, de la contribution au service public de l'électricité, d'autre part.

Le tarif régulé a lui-même deux composantes : tout d'abord, ce qui est lié à la fourniture de l'énergie, de l'électricité - c'est la production - ; ensuite, ce qui est lié aux transports et à la distribution, à savoir le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE.

Le premier aspect du tarif régulé est la part liée à la fourniture. À partir de 2015, la contribution du prix de détail devra tenir compte du niveau de l'ARENH, qui a été fixé à 42 euros. Or le prix de référence historique d'approvisionnement en nucléaire s'élève à 35 euros. Ce passage de 35 euros à 42 euros entraînera une augmentation mécanique, inévitable même, de l'ordre de 11 %, uniquement pour cette part liée à la fourniture. C'est ce que le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et des réseaux de communication, le SIPPEREC, a calculé.

Je souhaite faire une remarque sur le niveau et l'évolution de l'ARENH. Son nouveau montant - 42 euros - est-il satisfaisant ou pas ?

Au regard des éléments disponibles, je dois dire que l'UFC-Que Choisir n'est pas capable de se prononcer sur le niveau de prix satisfaisant pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, tout simplement parce que ce sujet fait l'objet d'une opacité considérable. Pour tenter d'y voir plus clair, notre association a même organisé des auditions, notamment pour ses administrateurs, et sollicité des experts : M. Jean-Marc Jancovici, M. Vincent Maillard, ancien directeur des tarifs chez EDF, M. Benjamin Dessus. Pour autant, nous avons du mal à adopter une position au regard des prévisions des différents intervenants.

Après avoir annoncé une fourchette comprise entre 35 euros et 39 euros, la CRE a indiqué que le montant de l'ARENH s'élèverait à 42 euros. Au mois de janvier 2011, M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, a annoncé un tarif de 46 euros le mégawattheure. Un an après, les récents rapports de la Cour des comptes fixaient ce tarif à 49,50 euros. Pour être presque exhaustif, je rappelle que GDF-Suez, qui est l'exploitant de centrales nucléaires - vous avez reçu, je crois, l'un de ses représentants dans le cadre de cette commission d'enquête -, a avancé le chiffre de 31 euros.

Face à ces approches contradictoires des acteurs du secteur, il est très difficile pour nous, association de consommateurs, d'avoir une expertise qui permettrait de trancher sur le sujet.

Je tiens cependant à souligner, même si cela ne permet pas de répondre plus précisément à cette question, que, depuis le début, nous dénonçons ce qu'est devenu l'objectif réel de ce tarif. En réalité, ce dernier est d'abord destiné à créer artificiellement un marché et à permettre à des entrants de l'intégrer. On crée donc un tarif. Et même si l'on tentera ensuite d'en justifier le montant, il y a un vice fondamental, dans la mesure où l'intention est bien de mettre en place une concurrence qui, pour nous, est complètement artificielle.

Je ne peux pas m'empêcher de vous faire observer, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, que la libéralisation du marché de l'électricité en France, à la différence de la téléphonie mobile, n'a engendré ni une baisse des tarifs pour les consommateurs - au contraire, un mécanisme pervers a entraîné une hausse des prix - ni des bienfaits en matière d'innovation. Autant dire que le consommateur est perdant-perdant.

Le second aspect du tarif régulé tient à la part liée à l'acheminement, c'est-à-dire le TURPE, qui finance à la fois les réseaux de transport et les réseaux de distribution. Là aussi, de nombreuses incertitudes planent sur son évolution. La nouvelle structure du TURPE n'est pas encore arrêtée ; je crois qu'elle est encore en discussion. Néanmoins, nous éprouvons des inquiétudes quant à certains éléments qui peuvent accroître considérablement les coûts, en particulier le financement du compteur Linky.

Là aussi, aujourd'hui, une certaine cacophonie règne. Selon les estimations réalisées par Électricité réseau distribution France, ERDF, le niveau d'investissement nécessaire est d'environ 4 milliards d'euros, ce qui ramène le coût unitaire du compteur pour le consommateur aux alentours de 110 euros, sur une base de 35 millions de compteurs. Cela ne correspond pas du tout à la somme qui est avancée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, laquelle estime le coût de l'installation entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Évidemment, notre inquiétude est encore plus grande si l'on se réfère au coût unitaire annoncé par M. Proglio, président-directeur général d'EDF, aux alentours de 200 euros à 300 euros, soit un montant qui semble correspondre à la somme totale avancée de 8 milliards d'euros à 10 milliards d'euros.

Nous sommes très inquiets, car ces perspectives remettent totalement en cause les résultats positifs de l'étude socio-économique, étude qui était un préalable nécessaire à la généralisation de l'installation des compteurs Linky. La généralisation a donc été décidée sur la base d'une étude dont les résultats semblent, en fait, assez peu conformes à la réalité.

Cette différence entre 4 milliards d'euros et 10 milliards d'euros aura évidemment une incidence sur le TURPE. Sur ce sujet non plus, nous ne disposons pas d'une visibilité parfaite.

J'en viens maintenant à l'impact de la contribution au service public de l'électricité. La CSPE n'est pas intégrée au tarif réglementé, mais, vous le savez, elle est due par le consommateur, puisqu'elle figure sur sa facture. Elle s'est déjà envolée depuis 2004 : elle a doublé, passant de 4,5 euros à 9 euros par mégawattheure. La CRE estime à 4,3 milliards d'euros les charges prévisionnelles de service public de l'électricité au titre de 2012, dont 2,2 milliards d'euros de charges liées aux énergies renouvelables. Là encore, le président de la CRE a élaboré des hypothèses, fixant la CSPE aux alentours de 20 euros le mégawattheure.

Pour notre part, nous nous posons une question cruciale, celle du financement des énergies renouvelables. Les ménages vont subir une forte augmentation de la facture liée à la CSPE et nous devons nous interroger sur la contribution des ménages les plus modestes à cet investissement d'intérêt général. Je ne dis pas que l'on détient la réponse. Mais, finalement, sur la facture d'électricité, la CSPE apparaît comme une taxe : elle fait penser à la TVA dont on sait les effets pervers par rapport à la structure de consommation et l'inégalité et l'injustice qu'elle engendre lorsque cela prend des proportions importantes.

La deuxième question que vous m'avez adressée porte sur les différents coûts de l'électricité et sur l'imputation aux différents agents économiques. Il s'agit pour nous d'une question complexe à laquelle il nous est actuellement très difficile de répondre.

Vous le savez, la formation du tarif ressemble à un millefeuille assez inextricable, qu'il s'agisse de la construction du TURPE, de l'ARENH ou de la CSPE. Par ailleurs, les paramètres qui sont nécessaires à la fixation du tarif réglementé restent assez complexes et illisibles. À cet égard, je veux souligner le manque d'informations dont nous souffrons et les difficultés que nous avons à nous prononcer sur l'imputation des coûts ou sur l'existence ou la constitution d'une rente.

J'ouvre ici une parenthèse. Il est vrai que, dans certains secteurs d'activité économique, notre association a eu une capacité d'expertise et d'identification de rente. Ce fut par exemple le cas pour les carburants, pour lesquels la transparence est très grande : tous les chiffres sont sur la place, et, dans une telle situation - très rare ! -, il suffit que des spécialistes acceptent de se pencher sur les chiffres disponibles pour identifier l'existence éventuelle de rentes sur l'ensemble de la filière.

Pour l'électricité, cela n'a pas été possible. Je pense que les pouvoirs publics doivent pouvoir contribuer à assurer une meilleure transparence des coûts, qu'il s'agisse de la production, de l'acheminement ou du développement des énergies renouvelables. Monsieur le président, la commission d'enquête devrait beaucoup insister sur cet aspect.

Vous m'avez également interrogé sur les dispositifs fiscaux de soutien.

Les dispositifs fiscaux ou les crédits spécifiques qui permettent non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi l'installation d'équipements offrant une meilleure maîtrise de la demande énergétique ne sont pour nous ni satisfaisants ni suffisants. Ils ne sont pas assez incitatifs et ne permettent pas de traiter correctement la problématique de la précarité énergétique. Pour aller à l'essentiel, nous considérons que, d'un point de vue économique, ces aides ne sont pas optimales, car elles permettent des effets d'aubaine.

Le premier effet d'aubaine bénéficie aux installateurs. Ces derniers profitent des aides pour gonfler leurs devis et, ainsi, capter une grande partie du crédit d'impôt accordé aux consommateurs.

Le second effet d'aubaine profite aux ménages eux-mêmes, plus précisément aux plus aisés d'entre eux, qui auraient entrepris ces travaux d'efficacité énergétique de toute façon, même sans aide fiscale ou crédit d'impôt. Pour ces ménages, les aides n'ont pas véritablement d'effet incitatif.

Au-delà de ces problématiques d'aide se pose un véritable problème d'égalité sociale. Il est vrai que, en droit, tous les mécanismes sont accessibles à tous dans les mêmes conditions. Pourtant, les faits montrent qu'ils sont majoritairement utilisés par les ménages les plus aisés. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène, notamment le coût élevé des travaux qui fait que, en tout état de cause, même avec ces aides fiscales, les ménages les plus modestes renoncent. Certes, les exceptions existent et il arrive que, en cumulant plusieurs aides, des consommateurs, même à revenus modestes, parviennent à entreprendre des travaux d'amélioration. Toutefois, cela reste très limité. Fondamentalement, ce que nous dénonçons, c'est que les aides ne permettent pas la transition énergétique pour tous.

Votre quatrième question porte sur l'évolution de la consommation d'électricité ces dernières années, caractérisée par une hausse importante, de l'ordre de 25 %, de la demande de pointe. Vous souhaitez connaître la position de l'UFC-Que Choisir sur les dispositifs permettant de réguler la demande pour répondre à ces nouvelles problématiques.

Trois facteurs essentiels permettent d'expliquer cette évolution rapide de la demande de pointe : l'augmentation du nombre des ménages, le développement d'usages nouveaux de l'électricité, tels que l'informatique, la télévision, les appareils avec accumulateurs, et la poursuite du développement du chauffage électrique.

Cette pointe peut être traitée de plusieurs manières. Dans l'idéal, il faut agir sur un ensemble de leviers que sont la tarification incitative et l'information des consommateurs. L'UFC-Que Choisir est convaincue que le signal-prix permet de responsabiliser le consommateur, mais à la condition expresse que la diversification des prix que cela suppose soit à la fois claire et lisible pour lui. En France, la question de l'horo-saisonnalité des tarifs n'est pas récente, puisque les contrats qui différencient les heures creuses des heures pleines ou les dispositifs d'effacement journalier de pointe existent depuis très longtemps et ont fait leurs preuves. C'est d'ailleurs pour cette raison précise que nous déplorons les modifications statutaires intervenues en 2009, qui ont réduit l'écart tarifaire entre les heures pleines et les heures creuses et ont donc diminué l'attrait de cette tarification incitative.

Si l'on doit aller vers une diversification des tarifs en fonction des heures de pointe, nous devons être attentifs à un risque : il faut éviter de tomber dans la jungle tarifaire, phénomène que nous avons trop bien connu dans le secteur de la téléphonie. Quand un secteur connaît un tel phénomène, on sait parfaitement que la concurrence ne s'exercera pas de façon réelle, le consommateur n'étant pas en situation de procéder à des arbitrages éclairés et rationnels. La modulation des tarifs nous paraît donc une solution intelligente et efficace ; en revanche, une myriade de tarifs complexes empêche le consommateur d'être le régulateur du marché, si tant est qu'il puisse l'être !

La question de l'utilisation de l'électricité comme mode de chauffage doit être posée. Aujourd'hui, le chauffage électrique équipe 30 % des logements - c'est le deuxième mode de chauffage après le gaz -, ce qui a une incidence importante sur le niveau de la consommation. J'attire votre attention sur le fait que l'usage du chauffage électrique entraîne des surcoûts non seulement pour le consommateur détenteur de ce chauffage, mais aussi pour l'ensemble des consommateurs.

En ce qui concerne le surcoût individuel, selon les études, le choix de l'électricité, par rapport à d'autres solutions énergétiques, peut provoquer un doublement de la facture pour les ménages, en particulier lorsque le logement est une véritable « passoire thermique », ce qui est souvent le cas !

Le surcoût collectif indirect est lié aux surcapacités de production et de transport de l'électricité rendues nécessaires par l'utilisation du chauffage électrique. Les surinvestissements sont répercutés par les opérateurs sur les factures de l'ensemble des consommateurs.

La réglementation thermique 2012 limite fortement l'utilisation du chauffage électrique dans les logements neufs ; l'essentiel du problème qui persiste est dû au parc existant, sauf à développer un plan ambitieux d'isolation - il faut toujours améliorer l'isolation, parce que le combat énergétique porte non pas uniquement sur les économies d'électricité, mais sur l'économie de toute forme d'énergie - et la conversion à une autre énergie que l'électricité.

Au vu de l'enjeu que représente la maîtrise de la consommation électrique, nous attendions beaucoup d'un compteur dit « intelligent » - avant d'être intelligent, il est d'abord communiquant. Le compteur Linky devait s'inscrire dans cette grande ambition de la maîtrise de leur consommation par les consommateurs. Or, dans sa version actuelle, les potentialités d'information précieuses de ce compteur risquent de ne profiter qu'à une petite catégorie de ménages, ceux qui pourront financer des services supplémentaires que vendra le fournisseur. Autrement dit, pour consommer moins, il faudra payer plus ! Il en résultera donc une rupture d'égalité dans le droit à l'information entre, d'une part, ceux qui pourront payer un service fournissant des informations sur leur consommation ainsi que les possibilités de consommer différemment et, d'autre part, ceux qui ne le pourront pas. Pour nous - et ce n'est pas la première fois que nous le disons -, l'affichage déporté reste la pierre d'achoppement dans la conception du compteur Linky. Je n'en démords pas, nous passons à côté d'un rendez-vous historique de maîtrise de la consommation par l'ensemble des ménages !

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