Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité

Réunion du 21 mars 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous remercie beaucoup, monsieur Chabannes, d'avoir accepté notre invitation. Cela dit, vous n'aviez pas le choix ! Certes, je n'aurais pas demandé à deux gendarmes de vous amener de force, mais on ne peut pas refuser de venir à l'audition d'une commission d'enquête parlementaire. (Sourires.)

Je vous indique que cette commission d'enquête a été créée, à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l'électricité.

Le rapporteur est membre du groupe écologiste et, pour respecter les usages de la Haute Assemblée en matière d'équilibre politique, le président de la commission est membre du groupe UMP.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et son compte rendu intégral sera publié.

Je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Laurent Chabannes prête serment.)

M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire, dont il va rappeler les termes. Je vous demanderai de bien vouloir y répondre dans un laps de temps convenable de manière à ce que nos collègues puissent s'exprimer.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur Chabannes, permettez-moi de rappeler les quatre séries de questions que je vous ai adressées.

Première question : la fin du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TaRTAM, a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?

Deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - sont correctement imputés aux différents agents économiques ?

Troisième question : selon vous, quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives d'un développement important des énergies renouvelables et quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?

Quatrième et dernière question : quels moyens vous semblent à même de réduire la demande de pointe ?

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Je vous remercie beaucoup, sinon de nous avoir « invités », d'avoir souhaité nous consulter. J'avais pris quelques précautions en demandant à mon avocat quels étaient mes devoirs et mes droits. J'étais donc prévenu de ce qu'il en était. (Sourires.)

Tout d'abord, permettez-moi de vous faire une présentation rapide de l'UNIDEN, l'Union des industries utilisatrices d'énergie, avant d'évoquer la problématique des électro-intensifs.

L'UNIDEN représente les industries consommatrices d'énergie en France, pour lesquelles la maîtrise des coûts énergétiques constitue un facteur important, souvent essentiel, de compétitivité. Pour certaines de ces industries, l'électricité représente 20 %, 30 % dans le cas de l'aluminium, voire 70 % dans le cadre du chlore, du coût de revient. L'électricité est donc, pour elles, une véritable matière première stratégique. Avec de tels niveaux, l'efficacité énergétique est évidemment un objectif ancien et permanent de toutes nos industries, et nous n'avons jamais cessé de chercher à l'améliorer.

Les 41 membres que compte l'UNIDEN représentent environ 70 % de la consommation énergétique industrielle en France - si on l'évalue à 100 térawattheures, l'UNIDEN en représente 70 - et sont présents dans l'agro-alimentaire, l'automobile, la chimie, les ciments et chaux, l'électronique, les métaux, le papier, le verre... Il est à noter que tous les procédés électrochimiques et électrométallurgiques sont particulièrement électro-intensifs.

Je dirai un mot de ce qui s'est passé depuis plus de dix ans.

Historiquement, les membres de l'UNIDEN ont été les premiers à militer pour la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe. Ils ont donc été les premiers à sortir des tarifs réglementés, dès 1999.

Ils ont également été les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur les dysfonctionnements du marché de l'électricité, où l'électron est considéré comme une commodity, ces dysfonctionnements ayant eu des conséquences très graves pour nous : une spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production ; un alignement par le haut des offres de fourniture électrique ; une impossibilité de contracter à long terme et, au final, une absence de réelle concurrence, le monopole sous le contrôle de l'État ayant été remplacé par un petit monopole incontrôlé.

Face à ces dysfonctionnements, le législateur français a réagi.

À cet égard, je rappellerai toutes les décisions importantes qui ont été prises.

Ainsi, a été mis en place le dispositif qui a donné naissance à Exeltium - loi de décembre 2005 et décret de mai 2006. Après deux années d'âpres débats avec la direction de la concurrence à Bruxelles, il a obtenu le feu vert de la Commission européenne en 2008.

Ensuite, en décembre 2006, a été instauré le TaRTAM, dont ont pu bénéficier les membres de l'UNIDEN au cours de ces dernières années et qui a été prorogé à plusieurs reprises.

Le TaRTAM ayant été remis en cause par la Commission européenne, qui y voyait une aide d'État potentielle - souvenons-nous de la menace extrêmement sérieuse qui pesait alors -, la France a adopté l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, qui permet aux concurrents d'EDF d'accéder au coût réel du parc nucléaire historique.

Les consommateurs français peuvent donc bénéficier, avec l'approbation de Bruxelles, de ce parc nucléaire historique, qui est aujourd'hui en très grande partie amorti. C'est un beau résultat, que l'UNIDEN salue.

Enfin, le profil de consommation de nos membres présente deux intérêts majeurs pour le système électrique français. La plupart du temps, ils sont réguliers et prévisibles : nous sommes donc les partenaires naturels d'une production en base, qu'elle soit d'origine nucléaire ou hydraulique. En outre, par l'effacement, les industriels consommateurs d'électricité peuvent réduire leur consommation d'électricité à la demande et soulager le réseau en période de pointe ; mais nous reviendrons ultérieurement sur cette question.

À l'instar de ce qui se pratique ailleurs dans le monde et parfois dans les pays voisins, les industriels électro-intensifs français ont besoin, pour survivre, que soient actionnés quatre leviers : l'accès durable au parc nucléaire historique aux conditions définies par la CRE, sur la base des recommandations du rapport Champsaur ; une rémunération compétitive de leurs capacités d'effacement, de modulation et d'interruptibilité ; la non-participation aux coûts de développement des énergies renouvelables et la mise à l'abri du risque carbone.

J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été transmises.

La fin du TaRTAM a-t-elle posé des problèmes aux industries que vous représentez ? Le niveau auquel a été fixé l'ARENH - 42 euros - et ses perspectives d'évolution vous semblent-ils à même de maintenir la « compétitivité électrique » de la France ?

Tout d'abord, il convient de rappeler que le TaRTAM a été fixé en 2007 à un prix supérieur de 23 % à celui des tarifs réglementés. Dès 2007, l'industrie a payé son électricité à un prix qui était déjà plus élevé que celui que paient les particuliers.

Par ailleurs, il faut avoir à l'esprit - ce sujet est techniquement complexe - qu'il n'y a pas un TaRTAM, mais un prix TaRTAM spécifique à chaque site industriel, comme c'était le cas pour les tarifs réglementés.

Cela posé, concernant l'ARENH, l'article 1er de la loi NOME dispose que « le prix est initialement fixé en cohérence » avec le TaRTAM. Cette cohérence théorique initiale avec le TaRTAM a duré au maximum six mois, jusqu'au passage à 42 euros par mégawattheure, en janvier 2012. La cohérence entre le TaRTAM autour de 40 euros par mégawattheure pour un site vert et l'ARENH de juillet 2011 est vraiment apparente et très brève.

Pour connaître l'impact réel du passage à l'ARENH, l'UNIDEN a mené auprès de ses membres une étude portant sur 47 sites industriels représentant une consommation annuelle totale de 12 térawattheures. Cette étude, qui a été finalisée au début de l'année 2012, a été réalisée avec beaucoup de sérieux et de manière détaillée. Nous avons comparé, d'une part, le niveau du TaRTAM entre juillet 2010 et juin 2011 et, d'autre part, le coût d'approvisionnement sous le régime de l'ARENH en 2012.

Sans entrer dans le détail des hypothèses de calcul, que nous tenons à la disposition de votre commission, je rappelle que le coût d'un « approvisionnement ARENH » intègre un certain nombre de frais : la marge commerciale du fournisseur, le coût de la garantie bancaire et des délais de paiement à EDF.

Je vais vous livrer les résultats, que nous avons d'ailleurs communiqués à la CRE, qui cherche à élargir cette analyse.

Sur les 47 sites, 13 sites sont gagnants et 34 sites sont perdants. Ce sont les sites les plus importants qui sont aussi le plus défavorablement impactés. La hausse a été très forte puisqu'elle a été de 6 % en six mois seulement.

Et si l'on intègre la part transport et les taxes, on dénombre 41 sites perdants, avec une hausse de 7 %.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Bien sûr !

Notre étude a en outre révélé l'élément suivant.

Alors que la construction tarifaire qui fondait encore le TaRTAM permettait aux sites importants qui consomment en base de bénéficier de prix plus compétitifs, donnant ainsi un signal favorable aux consommateurs en base que nous sommes, avec les vertus que cela implique et que j'ai rappelées, l'ARENH, même calculé sur la base de la consommation en heures creuses, ne permet pas de valoriser de la même façon ce type de profil. En conséquence, les sites qui bénéficiaient des TaRTAM les plus bas ont subi les hausses les plus fortes.

À cet égard, on ne peut pas dire que la « cohérence TaRTAM » ait été envisagée « du point de vue du consommateur final », comme le recommandait le rapport Champsaur.

J'en viens au niveau de l'ARENH et à l'évolution de son prix.

Tout le monde a juré de dire la vérité, mais j'entends beaucoup de chiffres circuler. Aussi, je me finis par me demander où se trouve la vérité...

Je considère que nous n'avons pas, à notre niveau, d'expertise particulière. Notre point de vue relève de la lecture de tout ce qui a été porté à notre connaissance, ainsi que de nos expériences contractuelles, acquises à la lumière de la vie quotidienne de nos industries.

J'observe que l'évolution du prix de l'ARENH doit toujours correspondre à sa définition, à savoir refléter « les coûts du parc électronucléaire historique ».

Pour ce faire, l'ARENH doit intégrer les dépenses courantes d'exploitation, d'entretien courant, ce qui a été décidé concernant la mise à niveau « post-Fukushima », c'est-à-dire les investissements qui s'avèrent nécessaires au vu de cette catastrophe, ainsi que le provisionnement du démantèlement et du retraitement des déchets.

Quant à la prolongation de la durée de vie, elle ne pourra intervenir que lorsqu'elle aura été décidée par l'Autorité de sûreté nucléaire et que les coûts auront été constatés par la CRE.

Par ailleurs, lorsque le remplacement du parc nucléaire existant interviendra - et s'il intervient comme nous l'espérons -, il ne doit pas être financé par l'ARENH, sauf à retirer le « H » à la fin de cet acronyme.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

En effet ! Mais les propos que j'entends ne respectent pas toujours exactement cette philosophie !

L'UNIDEN rejoint les analyses convergentes du rapport Champsaur de mars 2011 et de la CRE dans sa délibération du 5 mai 2011, à savoir un prix de l'ARENH compris entre 36 et 39 euros par mégawattheure.

Des chiffres circulent, qui ajoutent plutôt à la confusion. Or, nous, nous avons besoin de clarté et de prévisibilité.

Le coût de 49,5 euros par mégawattheure mentionné par la Cour des comptes sur la base des chiffres et de la méthode économique d'EDF ne nous semble pas pertinent pour parler de l'ARENH. Ce coût ne rejoint pas les objectifs sous-tendus par l'ARENH. La Cour des comptes reconnaît que le parc nucléaire est en grande partie amorti, expliquant que « l'essentiel de l'amortissement a été concentré sur les exercices de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix ». La Cour des comptes ajoute que, à partir des bilans d'EDF, elle évalue la valeur nette comptable du parc d'EDF à 17,9 milliards d'euros. Pour nous, il n'y a pas de débat sur ce point.

La méthode du coût courant économique citée - et non pas recommandée - par la Cour des comptes équivaut à appliquer à un parc qui est, comme on vient de le voir, en grande partie amorti, et sur lequel l'essentiel du capital a déjà été rémunéré, des coûts correspondant à la construction du même parc aujourd'hui. Or il ne s'agit pas de cela, pas plus qu'il ne s'agit d'intégrer le financement d'un futur parc. La question se posera quand l'échéance sera venue, en fonction de la durée de vie des centrales nucléaires existantes - cinquante ou soixante ans, selon nous - et de l'évolution de la consommation électrique de notre pays.

D'ailleurs, la CRE a montré l'inadaptation de cette méthode au calcul du prix de l'ARENH. « Se plaçant hors du débat tarifaire », la Cour des comptes n'a pas voulu trancher sur la pertinence du coût courant économique appliqué à l'ARENH.

L'UNIDEN demande que soit vraiment clarifiée la méthode utilisée pour faire évoluer le prix de l'ARENH. Vous imaginez bien les décisions que doivent prendre nos membres. Nous attendons le décret fondateur. Nous appelons de nos voeux le début des travaux menés sous l'égide de la CRE et nous affichons notre confiance dans la pertinence du modèle de calcul retenu par la CRE.

À ce stade, nous nous bornons à observer que le niveau de 36 euros est aussi légitime que celui de 39 euros. Je rappelle tout de même que c'est un choix comptable qui fait passer d'un niveau à l'autre.

Une autre variable est essentielle aux yeux des membres de l'UNIDEN, à savoir l'évolution des volumes disponibles pour les industriels via l'ARENH.

Au-delà de l'ARENH, permettre aux industriels d'accéder, via des engagements de long terme, à des moyens de production hydroélectrique ou nucléaire serait de nature à favoriser le maintien, voire le développement, d'activités électro-intensives en France.

Après tout ce que nous avons entendu récemment, nous souhaitons que soit examinée la possibilité pour les industriels de financer les investissements de prolongation, ou certains d'entre eux, à hauteur de leurs besoins, ce qui leur permettrait d'accéder durablement au coût du parc nucléaire historique.

Autrement dit, les industriels capteraient les droits d'usage sur une partie du parc nucléaire historique, à charge pour eux de financer les investissements de prolongation.

Ce pourrait être de la responsabilité des industriels, et non pas de celle des particuliers. (M. le rapporteur fait une moue dubitative.)

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

C'est un message du président de l'UNIDEN au président de la commission, qui est très favorable à cette proposition ! (Sourires.)

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

C'est vrai !

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

J'aborderai maintenant la question de la compétitivité électrique de la France.

Si l'on regarde avec un oeil acéré certaines régions du monde - les plus pertinentes à nos yeux sont celles où se situent souvent les centres de production des industries électro-intensives -, à savoir l'Amérique du Nord, la Chine, les pays du Golfe, l'Australie, force est de constater que des décisions politiques ont été prises dans toutes ces régions pour favoriser le développement et/ou le maintien d'industries électro-intensives. Ce sont des arbitrages politiques qui ont été retenus.

En Amérique du Nord, il y a des valeurs publiques. Ainsi, aux États-Unis et au Québec, il existe des tarifs ou des prix de gré à gré réservés aux industries visant à les faire bénéficier du patrimoine énergétique local quand elles sont très sensibles au prix de l'électricité. Il existe un tarif patrimonial au Québec. Je ne cite pas son prix, qui est basé sur l'hydroélectrique du Québec ; il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision politique tendant à favoriser le maintien ou le développement d'activités industrielles sur ce territoire.

Il en est de même en Chine, grâce à l'accès à un prix de charbon très compétitif, que j'appellerai aussi « patrimonial ». Mentionnons, au passage, que les consommateurs chinois ne paient pas de composante C02. Toute la production de l'aluminium en Chine se développe pour l'essentiel avec des centrales au charbon.

C'est aussi le cas dans certains pays du Golfe, grâce à une production d'électricité à partir de gaz patrimonial. Le prix du gaz facturé aux industriels est de 1,5 dollar par million de Btu, alors que l'Europe achète son gaz entre 8 et 10 dollars par million de Btu. Les pays du Golfe ne paient pas de composante C02. Il y a donc bien un arbitrage entre le fait de vendre du gaz sur les marchés des pays développés et celui de développer une industrie locale. Ils pourraient parfaitement vendre le gaz, le liquéfier, le transporter, le regazéifier et obtenir un prix du gaz supérieur à 1,5 dollar. Ils procèdent autrement, en développant une industrie locale.

Pour notre part, nous souhaitons pouvoir accéder durablement aux prix de l'ARENH, avec des perspectives qui soient clarifiées, même si ces prix sont supérieurs aux prix pratiqués dans les zones que je viens de mentionner.

En effet, en fonction de l'électro-intensivité de nos activités, le prix de la fourniture électrique n'est pas le seul critère pour un groupe industriel qui décide d'implanter une usine, d'investir dans des installations existantes, voire de suspendre ou de reprendre la production. Au-delà du prix, il existe d'autres critères tels que la non-sensibilité au risque carbone, la disponibilité d'une production électrique de base de forte puissance et la prévisibilité du tout. Ces critères ont aussi, à nos yeux, de la valeur.

La production d'électricité nucléaire française répond à chacune de ces exigences. C'est pourquoi nos industries, dont la consommation électrique est à la fois prévisible à moyen et long terme et souvent « plate », sans à-coup, constituent un partenaire économique et stratégique idéal pour le parc nucléaire en France, comme elles le sont de la production hydroélectrique à très grande échelle au Canada ou dans certains pays du nord de l'Europe, telles la Norvège et l'Islande.

La production électronucléaire est essentielle à la compétitivité électrique de la France. Le pire des signaux qui puisse être envoyé aux industriels est que la France envisage de réduire sa production nucléaire. Les dividendes du choix nucléaire sont encore devant nous. Ainsi, la Cour des comptes a conclu « que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d'amortir les investissements sur un plus grand nombre d'années. D'autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d'investissement dans de nouvelles installations de production. »

Je ne vous surprendrai pas en disant que l'UNIDEN souhaite la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires de quarante à soixante ans. C'est la décision la plus rationnelle dans la situation énergétique et économique de notre pays.

Je pense avoir évoqué tous les points en réponse à la première question que vous m'avez posée, monsieur le rapporteur. Mais si vous voulez aborder d'autres points, j'essaierai de vous répondre.

J'en viens à votre deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les industriels électro-intensifs ?

Je répéterai un peu ce que j'ai déjà dit : la politique énergétique est une clé essentielle de la politique économique et industrielle d'un pays. Elle devrait donc être tournée vers la recherche de la meilleure combinaison entre compétitivité et risques du site France.

Il est très important que soient proposés aux différents acteurs des mécanismes adaptés à leur situation propre et aux objectifs industriels et écologiques du pays.

Les industriels électro-intensifs ont quatre particularités, que j'ai déjà mentionnées : le prix de l'électricité est une composante essentielle de leurs coûts ; ils ont un profil de consommation prévisible et régulier ; ils sont soumis à une concurrence mondiale et ils sont donc délocalisables.

Toute décision de politique énergétique et fiscale les concernant devrait tenir compte de ces particularités.

On cite souvent l'exemple allemand, en mettant en valeur sa réussite industrielle malgré un prix de l'électricité plus élevé qu'en France. À cet égard, je voudrais vous donner quelques informations parce que nous avons approfondi ce sujet pour qu'il ne donne pas lieu à des discours quelque peu évanescents et qu'on en parle au contraire en se fondant sur des faits précis.

Nous avons donc étudié la situation de nos homologues allemands, dont certaines usines appartiennent aux mêmes groupes que les nôtres. Il en ressort qu'une batterie de dispositifs permet d'amortir très largement la facture électrique des industries consommatrices allemandes.

S'agissant du coût du transport - part fixe et part variable, hors taxes et contribution -, les sites industriels allemands petits et moyens, c'est-à-dire de 5 à 20 mégawatts, paient en moyenne la moitié de ce que paient leurs homologues français.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

5 euros par mégawattheure en Allemagne, contre 10 euros en France.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui !

Pour les sites industriels plus importants, de 40 mégawatts et au-delà, le niveau est, en théorie, à peu près équivalent entre les sites français et allemands. Toutefois, les gros sites industriels allemands bénéficient d'un taux d'exemption de ces frais de transport qui peut atteindre 80 %.

On est dans des zones de coûts de transport qui sont inférieurs à 5 euros par mégawattheure, mais il y a encore un bonus très important qui est accordé aux consommateurs allemands sur la part des frais de transport, laquelle est plus faible quand la puissance est élevée.

Considérons maintenant les taxes et contributions acquittées sur la facture du transport : contribution tarifaire d'acheminement et CSPE (contribution au service public de l'électricité) en France ; surcharges compensatoires des exemptions et EEG - c'est l'équivalent allemand de la CSPE - pour le financement des renouvelables en Allemagne.

L'EEG est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour la plupart des industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros par mégawattheure pour les consommateurs domestiques. En France, le niveau de la CSPE est le même pour les consommateurs domestiques et industriels, à savoir 10 euros par mégawattheure, mais les industriels bénéficient d'un plafond. Toutefois, à y regarder de près, ce plafond ne comble pas le différentiel favorable aux industries allemandes, même si c'est bien entendu fonction de la puissance. À titre d'exemple, un site français de 60 mégawatts consommant en continu, avec le plafond de 550 000 euros, paie encore 1 euro de CSPE par mégawattheure, soit deux fois plus qu'en Allemagne. Autrement dit, même un site qui bénéficie presque à plein du plafond paie plus cher qu'en Allemagne.

Quant à la contribution censée compenser les exemptions de frais de transport, de 1,61 euro par mégawattheure, elle est elle-même réduite à 0,5 euro par mégawattheure à partir de 100 mégawattheures de consommation annuelle - un niveau très vite atteint dans nos industries -, voire de 0,25 euro pour les industriels dont la facture électrique excède 4 % du chiffre d'affaires.

En conséquence, en Allemagne, les sites petits et moyens paient, sur le poste taxes et contributions, cinq à dix fois moins qu'en France ; les sites plus importants paient environ 50 % de moins en Allemagne.

Au total, si l'on considère la facture transport toutes taxes comprises, les sites petits et moyens paient trois à quatre fois moins en Allemagne ; pour les sites importants, le plafond de CSPE appliqué en France permet de réduire le déficit en défaveur de la France, mais la facture reste 20 % moins lourde en Allemagne qu'en France. Il ne faut donc jamais oublier que, au-delà de la façade, les Allemands agissent en prenant des mesures pour favoriser leur industrie.

Je ferai un dernier point de comparaison.

L'électricité allemande est beaucoup plus carbonée, si je puis dire, que l'électricité française. C'est un fait, mais cela ne se traduira pas pour autant par une perte de compétitivité pour l'Allemagne. En effet, la directive 2009/29/CE relative au système d'échange de quotas d'émissions de CO2 reconnaît la menace de délocalisations industrielles de l'Europe vers les pays non soumis à un système comparable, ce qu'on appelle le risque de fuite de carbone. Elle autorise donc la compensation financière par les États, avec des effets directs sur l'industrie, liés à l'augmentation du coût de production dû à l'achat de quotas, mais aussi avec des effets indirects, liés à l'augmentation des prix de l'électricité, incorporant le coût des quotas achetés par les électriciens.

L'Allemagne prévoit ainsi d'ores et déjà une vaste redistribution aux industriels de la manne résultant de la mise aux enchères par l'État fédéral des quotas de CO2 aux producteurs d'électricité. Tout impact négatif sera ainsi compensé.

On en arrive à la situation paradoxale où l'Allemagne sera autorisée à compenser les surcoûts liés à la teneur carbone de leur électricité, alors que la France, dont l'électricité est décarbonée, ne pourra y prétendre, et ce même si le prix de marché intègre une part carbone - c'est le cas actuellement.

Pour conclure sur ce sujet, je dirai que l'Allemagne a mis en place des mesures qui amortissent considérablement les conséquences du choix énergétique allemand pour ses industries, un choix d'ailleurs cohérent avec ses réserves de lignite - l'Allemagne possède, selon les estimations, 250 à 350 années de réserve -, des réserves dont la France ne dispose absolument pas.

Pour répondre à la question du signal-prix, le seul signal-prix à adresser aux industriels est celui de la compétitivité de leurs activités. Les efforts d'efficacité énergétique sont déjà anciens et restent permanents. En témoignent les efforts engagés dans l'industrie du verre ou dans l'industrie de l'aluminium. Si vous examinez la consommation spécifique par tonne produite - je pourrai vous donner ces informations précises -, vous constaterez que, depuis vingt ans, elle n'a cessé de décroître.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J'aimerais avoir des éléments d'information sur l'efficacité énergétique.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Nous acceptons très volontiers que vous nous fournissiez une comparaison précise entre entreprises allemandes et françaises de verre et d'aluminium, les deux secteurs dans lesquels l'électricité est la première matière première. Notre rapporteur en tirera profit.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Nous vous les ferons parvenir.

Avant la libéralisation, on avait coutume de dire que les clients domestiques « subventionnaient » les consommateurs industriels alors même que l'égalité de traitement de la loi de 1946 s'appliquait rigoureusement dans le calcul des tarifs réglementés de vente.

Avec la sortie des tarifs, puis le TaRTAM, supérieur de 23 % au tarif réglementé, puis avec l'ARENH, dont le niveau dépasse de très loin le tarif bleu, ce sont bien les industriels qui subventionnent les domestiques. Cela ne nous semble pas aller dans le bon sens. Il ne s'agit pas d'un signal-prix très clair, adapté aux comportements de consommation.

À cet égard, je ferai un petit clin d'oeil. Si, comme le disait ici même le président d'EDF, les modes de production intermittents et aléatoires induisent un surcoût de 20 euros par mégawattheure, une consommation erratique devrait, elle aussi, être facturée plus cher qu'une consommation de base, ce qui n'est pas le cas.

De même, il nous semble intéressant de rappeler ici que les exportations d'électricité ne paient pas le transport : là encore, il n'est pas certain que le signal-prix soit le bon.

La répartition des coûts de l'électricité entre les différents acteurs constitue une décision politique, comme le montre l'exemple allemand, mais comme le montrent aussi la plupart des puissances industrielles dans le monde.

Voilà pour cette deuxième question.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

J'ai omis de mentionner, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que le rapport Énergies 2050 de MM. Mandil et Percebois retient deux catégories devant faire l'objet d'une attention particulière : les consommateurs précaires et les consommateurs industriels. Vous me direz qu'on va reporter tout l'effort sur ceux qui ne sont ni précaires ni industriels ! C'est un peu cela que nous sommes en train d'expliquer...

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

J'en viens à la troisième question : quelles seraient les conséquences pour les industries électro-intensives, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE ?

Au travers des précédentes questions, ces points ont déjà été abordés.

Il n'appartient pas à l'UNIDEN de porter un jugement sur les objectifs de développement des énergies renouvelables qui ont été décidés à l'échelon européen et ont été traduits en objectifs nationaux. En revanche, nous pouvons préciser pourquoi leurs conséquences ne doivent pas affecter les industries électro-intensives.

Les conséquences peuvent être d'ordre technico-économique et d'ordre financier.

S'agissant des conséquences technico-économiques, un développement important des énergies renouvelables renforcera la nécessité de disposer d'outils de gestion des pointes de consommation mobilisables même lorsque ces énergies, qui sont par nature intermittentes, ne pourront pas être mobilisées. Dans ce contexte, les effacements industriels sur une base volontaire ont une importance accrue.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Certes, mais encore faut-il que l'on puisse traduire cela dans les textes et dans les faits. Vous avez peut-être déjà eu ces débats ici au Sénat.

S'agissant du financement des énergies renouvelables, y compris les investissements nécessaires dans les réseaux, il ne peut pas reposer sur les industriels consommateurs d'électricité.

D'une part, les industriels ont un profil de consommation plat, qui ne correspond pas au profil de production intermittent des énergies renouvelables.

D'autre part, ce n'est pas possible économiquement : aucune industrie consommatrice ne peut durablement supporter ces coûts, sauf à imaginer que l'on traite tout le monde de la même façon partout dans le monde.

D'ailleurs, les membres de l'UNIDEN, qui, je le rappelle, sont installés un peu partout dans le monde, constatent que, nulle part, on ne demande aux industriels consommateurs de financer le développement des énergies renouvelables.

À cet égard, permettez-moi de revenir sur l'Allemagne, ce pays ayant lancé une vigoureuse politique de développement des énergies renouvelables. Ainsi que je l'ai déjà signalé, l'EEG, équivalent allemand de notre CSPE, est limité à 0,5 euro par mégawattheure pour les industriels électro-intensifs, contre 35,92 euros pour les consommateurs domestiques. Je tiens à rappeler ce chiffre, car il montre bien que le choix énergétique allemand étant un choix politique, l'Allemagne assume de le faire financer, non par les industriels, mais par les électeurs.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui, par les particuliers.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Par les consommateurs ! Ou plutôt par les contribuables !

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Par le contribuable-électeur !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous êtes allé directement au vif du sujet ! (Sourires.)

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Tout à fait ! Vous avez raison, j'aurais dû franchir les étapes les unes après les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Celui qui ne va pas au bureau de vote, il dit : « Moi, je ne paie pas ma part ! »

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

La différence est payée par le consommateur ou le contribuable et par consommateur on entend le particulier ou l'industriel.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui ! Nous sommes d'accord !

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Il doit en être de même en France. Le plafonnement appliqué aux industries en France est une nécessité, même si je vous ai montré qu'il ne suffit pas à combler le différentiel défavorable avec l'Allemagne et même s'il ne protège pas, ou peu, les industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille, contrairement au modèle allemand.

En effet, malgré l'existence d'un autre plafond à 0,5 % de la valeur ajoutée - ce plafond existe aussi - par entité légale, nombre d'industriels électro-intensifs de petite et moyenne taille paient une CSPE de plusieurs euros par mégawattheure, voire le taux nominal actuel de 9 euros par mégawattheure, à comparer au 0,5 euro payé outre-Rhin.

C'est pourquoi il ne saurait être question de réviser ces plafonnements à la hausse : c'est le moins que nous puissions demander ; tel est le message que nous vous adressons.

J'en viens à la quatrième et dernière question : quels moyens nous sembleraient à même de réduire la demande de pointe ? Quelles mesures pourraient favoriser le développement de l'effacement chez les électro-intensifs ?

Ce sujet est récurrent depuis de très nombreuses années.

L'UNIDEN observe que la forte augmentation de la demande de pointe en France s'explique par une anomalie, à savoir la part très élevée du chauffage électrique, mais aussi, relativement, par une baisse de la consommation de base par les industriels, du fait de la crise et des fermetures de sites. Je rappelle que 700 000 emplois industriels ont été détruits en France au cours de ces dix dernières années. C'est un élément que l'on retrouve dans la courbe de consommation des industries. Cela n'a pas rendu la courbe de consommation électrique de la France plus homogène avec son parc.

À titre d'exemple, le récent pic de consommation s'est traduit par une augmentation de la consommation globale de 18,7 % en février 2012 par rapport à février 2011, alors que, dans le même temps, la consommation industrielle a baissé de 3,8 %.

Réduire la part du chauffage électrique direct - les « grille-pain » - et développer des politiques d'efficacité énergétique sont les deux premières réponses évidentes, mais il ne nous appartient pas d'en décider.

En revanche, nous avons un rôle à jouer dans la gestion des épisodes de pointe. Ainsi, pratiqués par certains sites électro-intensifs depuis les années quatre-vingt, les effacements industriels ont été mobilisés lors de la vague de froid de février 2012, marquée par deux records de consommation.

Si le système électrique français a tenu bon ces jours-là, c'est grâce à la convergence de plusieurs facteurs : la disponibilité des centrales nucléaires, qui était en nette amélioration par rapport aux deux dernières années ; des stocks de gaz naturel élevés, compte tenu de la douceur qui avait prévalu jusqu'alors ; la mise à contribution des centrales thermiques au fioul ; le recours à des importations d'électricité proches de la limite des capacités de transport ; l'apport complémentaire d'énergie éolienne, cette vague de froid étant exceptionnellement accompagnée de vents soutenus ; et le recours aux capacités de cogénération et d'effacement de consommation des industriels.

Mais la convergence de tous ces éléments ne sera probablement pas toujours assurée. II faut donc donner toute sa place au potentiel d'effacement des industriels, il doit être beaucoup plus important que ce qui a été effectivement mobilisé. Il faut savoir qu'il n'a pas été mobilisé de façon si significative que cela. Et je rappelle qu'il s'agit aussi d'émissions de C02 évitées : lorsqu'un site industriel s'efface, il arrête sa production correspondante et celle-ci ne sera pas rattrapée par ailleurs ; il n'y a donc pas d'effet rebond, en quelque sorte.

Nous, nous notons qu'il existe des barrières absurdes.

À titre d'exemple, en février dernier, une usine de 40 mégawatts appartenant à l'un des membres de l'UNIDEN était à l'arrêt lorsqu'il lui a été demandé de s'effacer le lendemain, jour de pic.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Permettez-moi de vous interrompre quelques instants.

Vous dites que, lors des deux jours de pointe, les 7 et 8 février dernier, la consommation industrielle a diminué de l'ordre de 2 % à 3 % par rapport à il y a un an.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il faut comparer ce qui est comparable : il n'y avait pas de pic de pointe en février 2011.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Je voulais simplement illustrer que la consommation globale avait augmenté de 18,7 % entre février 2011 et février 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Est-ce une étude que vous avez réalisée auprès de vos 41 adhérents ?

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Ce sont les chiffres de RTE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je prends un autre exemple : une entreprise qui est fermée veut travailler le lendemain et on lui demande de s'effacer.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Elle était à l'arrêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Cette entreprise a déjà été citée lors de précédentes auditions.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

En fait, la raison pour laquelle cet industriel a redémarré le lendemain, c'est qu'il n'était pas rémunéré pour ne pas redémarrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Cela nous a été relaté. On a proposé à RTE ou à EDF, je ne sais plus, de ne pas redémarrer. Vous me rémunérez combien ? La réponse a été : rien. Donc, dans ces conditions, l'industriel a dit qu'il redémarrait.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

C'est exactement ce qui s'est passé.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui, qu'il soit rémunéré.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Si quelqu'un dit qu'il arrête toute l'année et, pendant les périodes de février, il est rémunéré...

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Il n'y a pas de danger ! Cela ne se passera pas comme cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il ne s'agit pas de caricaturer, car c'est un vrai sujet.

Le message, on le connaît, on l'a bien compris. Votre souhait de mieux rémunérer l'effacement est un vrai problème. Par rapport à ce qui est fait dans d'autres pays, notamment dans les États américains, il y a une marge de manoeuvre importante en France.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui !

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Il y a d'autres pays où il y a plus de flexibilité intellectuelle, dirons-nous, sur ce sujet.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

De la part des acteurs, c'est-à-dire des producteurs, des gestionnaires de réseaux, de l'administration.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Je pense que cela concerne tout le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

C'est un vrai enjeu technique et économique, on l'a bien compris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je veux simplement entendre M. Chabannes me dire de qui il voudrait plus de flexibilité.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Je pense que la flexibilité ne concerne pas seulement un acteur. Vous savez bien comment cela se passe en France.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Il faut quand même arriver à déplacer quelques barrières et ce n'est pas toujours très facile.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Notre système d'effacement peut être beaucoup plus performant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

M. Chabannes est peut-être gêné d'employer le terme « autorité publique »...

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Non, si l'on parle des « autorités publiques », au pluriel.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Nos préconisations pour favoriser l'effacement des industriels s'intègrent dans le contexte des travaux conduits actuellement par l'administration pour aboutir à la mise en place du mécanisme d'obligation de capacité prévu par la loi NOME. Nous avons beaucoup participé ou, en tout cas, donné notre avis. Un projet de décret a été soumis à la fin du mois de février aux acteurs. Nous avons dit qu'il ne nous semblait pas aller complètement dans la bonne direction. De notre point de vue, il manque certains points, sur lesquels on n'a pas pu obtenir satisfaction.

Sans entrer dans le détail de nos propositions, parce que le sujet est technique et aride...

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Je puis vous donner une version écrite de nos propositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Volontiers !

Quoi ? Comment ? Combien ? Quel volume ? Quel prix vous semblerait justifié ? En particulier, si vous avez des éléments de comparaison sur la manière dont sont rémunérés les effacements à l'étranger, cela nous intéresse. Du reste, plusieurs de vos groupes industriels ont des unités de production en France et à l'étranger. Cela peut être très intéressant pour nous.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Sans entrer dans le détail, je vais vous donner quelques pistes.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

C'est juste que le détail de la note est très technique et je ne veux pas vous empoisonner avec cela. Moi-même, très franchement, je m'y perds parfois. C'est un sujet compliqué ; il faut donc veiller à dire des choses précises et claires.

La première piste que nous évoquons est la suivante : les effacements pris en compte ne doivent pas exclure la valeur d'un non-redémarrage à un moment où l'équilibre du réseau le rendrait nécessaire, comme je l'ai dit.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Ces engagements de non-consommation doivent, eux aussi, être valorisés. L'industriel garantit que, si on le lui demande, sa consommation ne dépassera pas un certain niveau : il prend l'engagement, à la demande, de ne pas dépasser un certain niveau de puissance. C'est le cas de nombre de procédés industriels discontinus. C'est un véritable sujet et il n'est pas convenablement traité aujourd'hui.

Le potentiel d'effacement par engagement de non-consommation est une énorme ressource de capacité, notamment chez les industriels. Je rappelle que 3 000 mégawatts d'EJP, ou effacement jours de pointe, ont été perdus. Cela ne concerne pas seulement les industriels, mais c'est aussi un potentiel dans le secteur tertiaire et chez les consommateurs particuliers. Pour nous, industriels, c'est facile à mettre en oeuvre. Ce potentiel est important parce qu'il est facile de le mettre en oeuvre. C'est peut-être plus compliqué dans d'autres cas, mais, dans notre cas, c'est facile à mettre en oeuvre.

Deuxième piste : la valorisation des capacités de production de pointe doit se limiter explicitement aux seules capacités ne pouvant pas se rémunérer, à l'exclusion de toutes les autres. Autrement dit, il y a des capacités de production qui ne méritent pas d'être traitées comme des capacités de pointe. Sinon, il en résulterait un effet d'aubaine pour toutes les autres capacités.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Les capacités de base, qui sont certes mobilisées en période de pointe, mais qui ne pâtissent d'aucun déficit de rémunération pour leur maintien en état, contrairement à celles qui ne sont mobilisées que quelques heures par an. Or on les traite de la même façon, ce qui est quelque peu paradoxal : les unes ne supportent pas les mêmes coûts que les autres.

Un mécanisme qui serait à l'avantage des seules capacités de production, surtout de base, serait d'autant plus incompréhensible que les producteurs d'électricité ne sont pas délocalisables, contrairement aux industries électro-intensives. Or l'effet d'aubaine potentiel est énorme. Il se chiffre en centaines de millions d'euros, pour ne pas dire plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

À quel secteur pensez-vous ? Concrètement, quel type d'activité bénéficie de ces effets d'aubaine ?

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Toute la production électrique de base.

Nous recommandons de ne pas traiter tout le monde de la même façon.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

J'ai bien compris. Vous voulez que celui qui s'efface soit plus rémunéré que celui qui ne le fait pas.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Celui qui s'efface ou celui qui ne démarre pas sa capacité à ce moment-là.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Une activité saisonnière ! Ça deviendrait une activité en soi.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Nous soulignons le fait que les industriels, du fait de leur profil de consommation, qui est généralement plat, ne sont pas les responsables de la problématique de la pointe de consommation française. Nous considérons que, si l'on mettait en place ce qui est aujourd'hui recommandé - c'est que nous disons à l'administration -, le mécanisme dégraderait fortement la compétitivité des sites industriels qui ne peuvent pas s'effacer et ne permettrait aux autres sites industriels, par la valorisation de l'effort d'effacement, que de limiter la hausse de leur facture.

Ce n'est pas du tout, nous semble-t-il, l'esprit du rapport Sido-Poignant de 2010, qui est à l'origine des dispositions de la loi NOME.

Ce sujet reste en pointillé. Les débats qui ont eu lieu hier au CSE montrent que la situation n'est pas en voie d'être clarifiée. Mais j'invite les uns et les autres à être extrêmement attentifs à ce point, car il y a des sujets très sensibles derrière. On a encore le temps de s'expliquer et de modifier ce qui peut l'être. Cela nous paraît très important.

Troisième piste : il est urgent de mettre en place un mécanisme transitoire permettant d'amorcer le marché de capacité avant sa mise en oeuvre prévue en 2015. En effet, la France accuse déjà un vrai retard en la matière, alors que ses besoins sont aigus.

À titre d'exemple, l'Espagne a depuis longtemps une politique volontariste de développement et de maintien de ses capacités d'effacement industriel, et dispose aujourd'hui d'un volume de 2 gigawatts, dont une grande partie provient d'engagement de non-consommation. Des interruptions de consommation sont régulièrement réalisées, généralement au niveau régional, toute la puissance offerte au système étant parfois appelée en même temps, ce qui assure au système une gestion optimisée de la demande dans un pays où les interconnexions avec les pays frontaliers sont encore aujourd'hui extrêmement limitées.

En conclusion, je veux insister sur deux points.

Premièrement, l'effacement est le seul moyen de gestion de la pointe extrême qui permette d'éviter l'utilisation de moyens de production émetteurs de C02 que sont les turbines à combustion ou les centrales fioul lourd.

Deuxièmement, la valorisation des effacements peut aussi être un outil de politique industrielle, en contribuant à rétablir une certaine compétitivité pour les électro-intensifs installés en France. L'interruptibilité presse-bouton est sensiblement mieux rémunérée dans certains pays qu'en France, et cela fait des différences substantielles.

Au-delà, je reviens à mon propos liminaire, ce sont des décisions de politique industrielle qui visent à favoriser le maintien ou le développement des industries sur le territoire ou l'inverse.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous remercie d'avoir répondu de manière exhaustive aux questions que vous a posées M. le rapporteur, mais peut-être vos réponses ont-elles suscité de nouvelles questions.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je vous remercie, monsieur Chabannes, d'avoir répondu de manière effectivement exhaustive à mes questions.

J'ai bien compris que vous souhaitiez, sur l'effacement, une politique un peu plus souple, mais organisée. C'est ce qui ressort de tout ce que vous avez dit : vous avez besoin de lisibilité, de règles du jeu connues, tenant compte de la souplesse des sites, de la souplesse de l'activité et de la souplesse de la production. J'ai bien compris tout cela.

Nous continuerons à travailler sur cette affaire d'effacement afin qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine pour certains qui, au bout d'un moment, verraient l'effacement constituer une part de leur rémunération.

J'aimerais vous poser une question complémentaire sur la comparaison entre la France et l'Allemagne concernant le coût pour les industriels. Vous avez dit que les électro-intensifs avaient beaucoup de qualités : la régularité et la prévisibilité dans la demande d'électricité. Vous dites aussi que, même si le prix de l'électricité en Allemagne est plus élevé, il y a des dispositifs qui font que, en fin de compte, l'industriel électro-intensif allemand paie l'électricité moins cher.

J'espère que nous pourrons disposer de cette étude comparative entre le coût en Allemagne et le coût en France.

Par ailleurs, qui paie ? Certes vous avez répondu à cette question, mais j'aimerais y revenir.

S'il y a un coût de l'électricité et qu'il y a des dispenses pour les industriels, qui paie ? J'ai bien compris tout ce que vous avez dit sur le fait que, comme vous avez une production régulière, vous ne voyez pas pourquoi vous iriez payer les aléas des énergies renouvelables. J'ai cru comprendre cela. Vous dites que ce ne sont pas les industriels qui les paient en Allemagne. Alors, qui paie ? Les particuliers ? Les contribuables ? En un mot, qui paie, en Allemagne, le fait que les industriels ne paient pas entièrement le prix de l'électricité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

J'aimerais vous poser trois questions.

Je ne vous interpellerai pas sur l'interruptabilité, que vous n'avez pas évoquée, afin de ne pas vous mettre dans l'embarras avec vos ressortissants. Sur l'effacement, étant dans un secteur très concerné par les électro-intensifs, je ne peux que souscrire à vos propos, y compris pour regretter que l'on ne mobilise pas : je crois qu'en période de pointe il y avait entre 5 et 7 gigawatts disponibles au niveau du parc industriel qui auraient pu être mobilisés.

J'ai bien retenu ce que vous évoquez quant au risque de parasitage avec l'effet d'aubaine. Vous avez évoqué les discussions qui sont en cours, notamment au sein du CSE. Pourrez-vous nous communiquer vos observations sur le décret qui a fait l'objet de vos interrogations. Il est vrai que l'on en est actuellement à la mise en place du dispositif.

Par ailleurs, pour ce qui concerne le transport, vous avez évoqué la différence avec l'Allemagne. Avez-vous pris en compte dans vos observations, des aides venant de l'État fédéral et celles venant du Land ? Dans le domaine de l'hydraulique, apparaissaient très clairement les aides qui pouvaient provenir directement du Land. Cela permettrait d'apprécier, dans l'aide dont bénéficient les industriels en Allemagne, ce qui vient de l'État et ce qui viendrait éventuellement du Land ?

Enfin, sur le prix pour les électro-intensifs, vous avez longuement évoqué l'ARENH, mais n'avez pas évoqué la situation d'Exeltium. Exeltium avait été créé pour donner de la visibilité, de la garantie au niveau de la rémunération. Est-ce que la mise en place de l'ARENH justifie aujourd'hui Exeltium et quelle est la différence entre les deux pour un industriel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Le ministre de l'industrie a accordé, fin février début mars, l'exploitation de 16 sites de biomasse, me semble-t-il, sur des sites industriels qui se situent tous, à part un gros site à Aix-en-Provence ou Méreuil, entre 16 et 30 mégawatts de capacité de production électrique. Pensez-vous que c'est une tendance à la marge d'industriels qui veulent se libérer un peu de la tutelle des fournisseurs d'électricité ou bien, dans vos milieux, considère-t-on que cette situation peut s'étendre, notamment dans les industries qui sont fortes consommatrices de vapeur et qui sont en capacité de produire de l'électricité avec de la biomasse - en l'occurrence, c'est un bien grand mot, s'agissant de bois plaquettes - et dans les régions présentant une certaine densité forestière.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Si vous le permettez, monsieur le rapporteur, je répondrai ultérieurement par écrit à votre question sur les coûts précis en Allemagne, incluant toutes les exonérations, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Je ne veux pas avancer un chiffre aujourd'hui, car je sais quelle vague cela risquerait de déchaîner. (Sourires.)

Monsieur Léonard, je réfléchirai à votre question. Il y a un prix qui bénéficie de l'obligation d'achat ; cela diminue le coût de la vapeur : en général, c'est comme cela que les industriels se décident. C'était vrai pour la cogénération depuis des années ; je pense que cela reste vrai.

Pour ce qui concerne la question relative au financement de ce qui se passe en Allemagne, à notre connaissance tout vient de l'État fédéral. On ne sait pas bien ce qui se passe du côté des Länder. Cela dit nous allons examiner d'un peu plus près la question.

J'ajoute que nous avons un certain nombre de documents que nous pouvons vous laisser aujourd'hui et que nous compléterons en fonction des questions que vous nous avez posées.

Je dirai un mot d'Exeltium. Il se trouve que je suis président d'Exeltium, mais je ne peux pas, vous le comprenez bien, m'exprimer... Mais je peux quand même expliquer quelle est la philosophie d'Exeltium et quelle est la philosophie de l'ARENH.

La philosophie d'Exeltium n'est précisément pas celle de l'ARENH : ce n'est pas un accès au nucléaire historique. La philosophie d'Exeltium, c'est l'accès au parc nucléaire historique, mais à des conditions de prix aux termes desquelles les industriels participaient à l'effort de renouvellement du parc, c'est-à-dire de développement de nouvelles capacités. Philosophiquement, le prix d'Exeltium est basé sur ce qu'aurait coûté une petite série d'EPR. Les industriels avaient accepté de participer à cela, de financer en achetant des droits d'usage pendant un temps limité qui étaient « backés » par le parc nucléaire existant, afin de financer le développement de capacités nouvelles.

Évidemment, le prix qui en résulte - le contraire serait étonnant - est supérieur au prix du nucléaire historique. Si vous prenez les recommandations de la commission Champsaur et les calculs de la CRE, il s'agit bien du parc existant, avec les dépenses au centime près de l'année divisées par la production. Exeltium, c'est un investissement, un effort des industriels pour participer au développement futur, ce qui suppose de supporter un certain nombre de risques industriels matérialisés. Il s'agit vraiment d'un contrat de partenariat industriel. Exeltium a donné naissance à une première phase, qui a permis aux industriels d'activer la moitié de leurs droits, mais la seconde phase bute sur le contexte d'aujourd'hui : il y a l'accès régulé au nucléaire historique, sans engagement en capital, sans mise de fonds en capital, sans engagement à quinze ans - c'était quinze ans minimum dans le cas d'Exeltium. Les industriels qui participent y mettent du capital qu'ils ne revoient éventuellement qu'à la fin du projet. Tous ces risques sont évalués et, aujourd'hui, cela rend très difficile la concrétisation de la deuxième phase.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je vous remercie de ces précisions.

Vous n'avez pas profité de la troisième question de notre rapporteur sur la CSPE pour défendre un peu la cogénération. N'était-ce pas quelque chose que demandaient certains de vos adhérents ? Il me semblait que c'était le cas. Mais vous êtes libre de répondre comme vous l'entendez. Cela étant, j'ai été surpris que vous n'en profitiez pas pour faire passer un petit message. Prenez cela en note et, si jamais vous avez des éléments d'information à nous donner, faites-le.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Bien sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

On sait très bien que, avec la cogénération, les aides diminuent, voire sont supprimées.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mais là aussi, ce qui est intéressant c'est de pouvoir comparer ce qui est fait en France par rapport à vos concurrents directs, pour vous gros consommateurs d'électricité. C'est un élément qui m'intéresse. Si vous avez des éléments d'information, ceux-ci pourraient être utiles à notre rapporteur.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

On en a. On a eu peut-être un prisme nucléaire ce matin, parce que ce sont les sujets actuels.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Cette question ne demande pas de réponse aujourd'hui, mais nous serions ravis d'avoir des éclairages à partir de l'expérience de vos adhérents.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

À l'occasion de nos réflexions sur le marché de capacités, nous avons évidemment évoqué cette question.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Sur ce sujet également, nous pourrons vous faire parvenir de la documentation.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur Chabannes, je vous remercie beaucoup de nous avoir éclairés. Ne soyez pas surpris si notre rapporteur vous pose éventuellement par écrit une ou deux questions. Je vous saurais gré de bien vouloir y répondre pour l'aider à compléter le rapport auquel il travaille.

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Bien sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Si vous voulez faire preuve d'une certaine souplesse dans vos réponses... (Sourires.)

Debut de section - Permalien
Laurent Chabannes, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies

Bien sûr ! (Nouveaux sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mesdames, messieurs, avant que nous reprenions nos travaux, je voudrais remercier Mme Michèle Bellon, président du directoire d'ERDF, d'avoir accepté notre invitation, même si, je le signale, c'est une obligation.

Je voudrais vous rappeler l'historique de cette commission d'enquête.

Chaque groupe politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage » pour créer une commission d'enquête ou une mission commune d'information. Le groupe écologiste en a fait usage pour créer cette commission d'enquête. Voilà pourquoi, madame la présidente, nous vous auditionnons aujourd'hui.

Je vais vous demander de respecter l'obligation qui vous incombe du fait de notre statut de commission d'enquête. Pour cela, vous devez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et dites : « Je le jure. »

(Mme Michèle Bellon prête serment.)

Je vous remercie.

M. le rapporteur vous a envoyé un questionnaire assez complet. Il va rappeler les questions afin qu'elles soient enregistrées dans les comptes rendus d'auditions. Je vous demanderai de bien vouloir ensuite y répondre dans l'ordre que vous voulez, en laissant tout de même un petit laps de temps aux membres de cette commission pour qu'ils puissent vous poser des questions complémentaires.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Madame la présidente, nous vous avons adressé cinq questions que je vais résumer.

Première question : le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien en ligne avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?

Deuxième question : quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences que cela aurait sur le TURPE, en particulier dans le cas d'un scénario de forte production d'électricité renouvelable ?

Troisième question : quel commentaire faîtes-vous sur la structure actuelle de la consommation d'électricité en France, et sur sa « pointe » particulièrement élevée en cas d'hiver rigoureux ? Quels leviers d'action préconisez-vous afin de diminuer l'ampleur de ce phénomène ? Nous pourrons évoquer les contrats d'effacement de certains clients, leurs modalités et leur mise en oeuvre.

Quatrième question : quel doit être le coût du déploiement du compteur dit « intelligent », Linky, chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?

Dernière question : quel est le coût des pertes d'électricité en ligne sur les réseaux de distribution ? Y a-t-il des moyens de le réduire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Madame la présidente, vous pouvez dépasser ou compléter le champ de ces questions ; une grande liberté vous est octroyée en la matière.

Vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur le service public de la distribution de l'électricité.

Avant d'aborder le coeur du sujet et de répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je vous propose de situer le distributeur au sein du système électrique.

Créée en 2008 lors de la filialisation des activités de distribution d'EDF, ERDF est une entreprise de service public chargée de la distribution publique d'électricité sur 95 % du territoire français.

Je dirai quelques mots pour caractériser ERDF : 1,3 million de kilomètres de réseau gérés, de basse et moyenne tension, ce qui en fait le plus grand réseau d'Europe ; 35 millions de clients desservis ; 11 millions d'interventions techniques réalisées chaque année ; plus de 1 000 implantations d'ERDF sur l'ensemble du territoire ; enfin, 35 000 salariés.

Dans le contexte français, avec un prix de l'électricité particulièrement attractif et identique sur tout le territoire national, il convient de juger de la qualité de la fourniture perçue par nos citoyens non pas sur le seul temps de coupure, le critère B, sur lequel je reviendrai, mais sur la qualité globale du service public.

Lorsque j'ai pris la responsabilité d'ERDF, voilà tout juste deux ans, ma feuille de route était claire : restaurer la qualité du service public, renouer le dialogue social, rétablir la rentabilité de l'entreprise.

En effet, 2009 avait été une année noire : une crise sociale majeure, un taux de satisfaction des clients en chute libre, des concédants critiques, des résultats négatifs. Aller sur le terrain à la rencontre des élus, des clients, des salariés, des organisations syndicales, des managers a été ma première priorité.

J'ai constaté que les procédures retenues à l'occasion de l'ouverture totale des marchés, en juillet 2007, par l'ensemble des parties prenantes, avaient désorganisé et « désoptimisé » la relation entre le distributeur et ses 35 millions de clients. La notion même de « client » s'était effacée au profit de celle de « point de livraison », ou PDL. Cela s'est traduit par une « désoptimisation » de l'ensemble des interventions, entraînant ainsi une totale incompréhension et un très fort mécontentement chez nos concitoyens comme chez les élus locaux.

Ces évolutions, accompagnées d'une compression des effectifs, ont conduit à une dégradation de la qualité de service public, à une sous-traitance non maîtrisée, y compris sur notre coeur de métier, à la fermeture de sites en zones rurales et à une démotivation profonde des salariés.

Nous avons un personnel dévoué, attaché au service public. Tous nos collaborateurs sont d'accord pour faire d'ERDF un distributeur de référence. Avec eux, j'ai donc lancé le projet industriel d'ERDF, centré tout d'abord sur le client, ensuite sur le renforcement et la modernisation du réseau, la proximité territoriale, avec une organisation adaptée aux attentes de nos concitoyens en matière de service public, enfin, sur un dialogue social permanent et de qualité.

En ce qui concerne les clients, la première étape a été de simplifier les procédures d'intervention ; quatorze mois de concertation ont été nécessaires pour obtenir le feu vert, mais c'est maintenant chose faite. Des agences de raccordement ont été créées, des interlocuteurs privilégiés ont été désignés pour l'ensemble des grands clients et pour les élus. Tous les chantiers sont engagés aujourd'hui pour « réhumaniser » et améliorer la relation avec l'ensemble des parties.

Nous devons être encore plus présents sur l'ensemble du territoire. Cela passe par davantage de dialogue avec l'ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, davantage de présence, et par une application très en amont, dans les projets locaux d'aménagement du territoire, dans la préparation des schémas régionaux climat air énergie et des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables pour réussir l'insertion des énergies renouvelables, mais également dans les conférences départementales créées par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, sous l'égide des préfets, avec les autorités concédantes. Là aussi, le mouvement est engagé.

Concernant le réseau, il s'agit à la fois d'améliorer la qualité de fourniture, de le développer et de le moderniser pour intégrer les énergies nouvelles et les nouveaux usages : le véhicule électrique et demain le stockage.

ERDF est une entreprise innovante qui prépare l'avenir des réseaux de distribution, et pas seulement avec Linky. Les réseaux de distribution sont déjà dotés de systèmes technologiques évolués et bien plus smart, si vous me permettez cette expression, que la plupart des réseaux de distribution européens : agences de conduite régionales, réseaux auto-cicatrisants, les exemples ne manquent pas. Avec les nombreux démonstrateurs de réseaux intelligents qu'ERDF pilote en France, ou le projet européen Grid4EU, le distributeur français investit déjà pour les réseaux du futur.

J'en viens plus précisément aux deux premières questions de M. le rapporteur, qui concernent à la fois les investissements et le TURPE.

Je dirai d'abord quelques mots sur le TURPE.

Le TURPE, c'est le tarif d'acheminement, qui constitue l'essentiel des recettes du distributeur et du transporteur. Il représente en moyenne, respectivement 28 % et 11 % de la facture du client particulier, soit, pour ce qui nous concerne, 34,5 euros par mégawattheure.

Le TURPE est défini par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur des périodes tarifaires de quatre ans - 2009-2013 pour le TURPE 3. Il est perçu par le distributeur, qui en fait plusieurs usages.

D'une part, il reverse sa quote-part au transporteur RTE, Réseau de transport d'électricité, pour environ 3 milliards d'euros, et finance l'achat des pertes pour 1,5 milliard d'euros. D'autre part, il finance ses investissements - 2,8 milliards d'euros en 2011 - et son exploitation - 4,9 milliards d'euros -, c'est-à-dire la maintenance, l'élagage, la conduite, les interventions, ainsi que les redevances et le Fonds d'amortissement des charges d'électricité, le FACÉ, qui sont versés aux autorités concédantes pour une somme de l'ordre de 700 millions d'euros.

Ce sont donc, au total, 7,7 milliards d'euros qui sont investis dans l'économie locale.

J'évoquerai maintenant les investissements.

Nous avons investi 2,3 milliards d'euros en 2009, 2,6 milliards d'euros en 2010 et 2,8 milliards d'euros en 2011, soit une croissance moyenne de 10 % par an. Cette croissance des investissements se poursuit au même rythme et atteindra 3 milliards d'euros en 2012. Ces montants correspondent à la trajectoire TURPE 3 définie pour la période tarifaire 2009-2013.

À ces investissements réalisés par ERDF, il faut bien évidemment ajouter les investissements opérés chaque année par les autorités concédantes, majoritairement en zones rurales, soit quelque 850 millions d'euros en 2011.

Les investissements d'ERDF sont classés en deux catégories que je détaillerai : les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, d'une part, et les investissements qui concourent à la meilleure performance et la modernisation du réseau, d'autre part.

Pour la première catégorie, les investissements indispensables à la poursuite de l'exploitation, qui représentent environ les deux tiers des investissements, il s'agit essentiellement du développement du réseau, en particulier du raccordement des nouveaux clients et du raccordement des énergies renouvelables, mais également des déplacements d'ouvrages liés aux projets de voirie ou d'urbanisme, des grandes opérations d'aménagement comme la ligne à grande vitesse en Aquitaine, le Grand Paris, de tous les projets de transports en site propre, notamment les tramways, qui mobiliseront les moyens tant humains que financiers d'ERDF, enfin, du respect des obligations réglementaires en matière de sécurité et d'environnement.

En effet, le réseau de distribution d'électricité se développe, et, en 2011, ERDF a raccordé 450 000 nouveaux clients, soit près de 1,5 % de croissance, et mis en service 86 000 nouveaux sites de production d'énergie renouvelable. J'en profite pour signaler que, contrairement à certaines idées reçues, la quasi-totalité des installations de production d'énergie renouvelable est raccordée au réseau de distribution d'électricité.

À la fin de 2011, 95 % du parc éolien, pour un total de 6 063 mégawatts très exactement, et 99 % du parc photovoltaïque, pour un total de 2 321 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution. Sur la seule année 2011, plus de 2 200 mégawatts ont été raccordés sur le réseau géré par ERDF.

Pour ERDF, cet essor des énergies renouvelables implique d'importants investissements liés aux travaux de renforcement des réseaux, même si la loi NOME a mis fin à la réfaction sur le raccordement.

De surcroît, le distributeur finance les renforcements du réseau de transport, ce qu'on appelle la haute tension B, ou HTB, rendus nécessaires par l'insertion des énergies renouvelables sur les réseaux de distribution, et ce pour autant que ce soit techniquement et politiquement possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Le distributeur finance les travaux de fonctionnement du transporteur !

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

C'est exact !

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Pour 40 millions d'euros en 2011, qui devraient s'élever à 55 millions d'euros en 2012 : lorsqu'il faut créer un nouveau poste source - nous en avons créé quatre nouveaux uniquement pour les énergies renouvelables en 2011 -, il faut également y amener, soit du 63 kilovolts, soit du 90 kilovolts, qui relèvent donc de RTE. Ces renforcements du réseau de transport sont financés par ERDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il est normal que vous financiez le renforcement du réseau de distribution, mais dans quelle proportion ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Au début, il a fallu renforcer le réseau de distribution ; puis, lorsque l'interface avec RTE arrive à saturation, il devient nécessaire de renforcer le réseau RTE.

La seconde catégorie, celle qui concourt à la meilleure performance et à la modernisation du réseau, consiste, en fait, à améliorer le patrimoine, à rénover le réseau basse et moyenne tension, à enfouir les lignes là où cela se justifie, à remplacer les câbles souterrains vétustes, notamment en zones urbaines.

La baisse des investissements entre 1995 et 2005 a conduit à une lente dégradation de la qualité des réseaux. Elle a entraîné une augmentation du temps moyen annuel de coupure par client entre 2002 et 2009. Ce temps moyen, hors événements exceptionnels comme les tempêtes, est passé de 42 minutes en 2002 à 85 minutes en 2009. Rappelons que ce même indicateur, qui fait l'objet d'une normalisation, était de l'ordre de 400 minutes dans les années quatre-vingt, mais il est vrai que, à l'époque, la dépendance à l'électricité n'était pas la même. Cette diminution des investissements trouve son origine dans la baisse de plus de 25 % des tarifs en euros constants entre 1993 et 2005.

À partir de 2005, les investissements sont repartis à la hausse. En 2010, nous avons réussi à stabiliser le temps de coupure, et la tendance est aujourd'hui inversée. Je suis donc fière des résultats qu'ERDF a obtenus en 2011 ; le temps moyen de coupure, hors événements exceptionnels, s'est établi à moins de 71 minutes. Il est de 73 minutes, toutes causes confondues, en baisse de 39 % par rapport à 2010.

Avec ces résultats, nous sommes dans le peloton de tête en Europe, en ayant sans aucun doute le meilleur rapport qualité-prix. En effet, selon une étude Eurostat de 2009, et dans l'ordre décroissant des prix, le tarif d'acheminement français se classe en vingtième position sur vingt-sept. D'après cette même étude, le tarif d'acheminement moyen allemand est supérieur de 40 % à celui de la France.

Les résultats de 2011 sont la conséquence de plusieurs facteurs : une reprise significative des investissements ; une mobilisation extraordinaire de l'ensemble du personnel dans un climat social apaisé, je tenais à le souligner ; enfin, une optimisation des dépenses d'exploitation.

Les investissements ont doublé entre 2005 et 2012, passant de 1,5 milliard d'euros à 3 milliards d'euros en 2012, en euros courants, ce qu'a permis une hausse significative du tarif d'acheminement.

Par ailleurs, au-delà de ce temps moyen de coupure annuel, il est tout aussi important de réduire les disparités entre les zones rurales et les zones urbaines. Nous oeuvrons en ce sens et nous avons bien progressé en 2011, mais il reste encore beaucoup à faire.

En 2010, le temps de coupure, toutes causes confondues, avait été de plus de 700 minutes dans le Loir-et-Cher, largement touché par la tempête Xinthia et par les épisodes de neige collante de la fin de l'année 2010. En 2011, le département le plus touché a été le Morbihan, très atteint lors de la tempête Joachim, avec 193 minutes de temps de coupure.

Pour inscrire dans la durée cette amélioration de la qualité du service public qu'attendent nos concitoyens, il nous faut impérativement poursuivre sur cette voie, et surtout être constants dans nos efforts. Ce dont le réseau a le plus souffert, ces dernières années, c'est de la baisse des investissements. Il faut éviter, dans les dix prochaines années, l'effet yo-yo, l'approche court-termiste dans les décisions d'investissement et les fluctuations. La dimension industrielle des réseaux électriques impose stabilité et visibilité. Le maintien d'une politique d'investissements régulière, avec les moyens techniques et humains qui permettent sa mise en oeuvre, est indispensable pour améliorer le réseau, préparer l'avenir et tendre vers un temps de coupure raisonnable, de l'ordre de 60 minutes.

Pour donner une estimation de nos besoins dans les dix prochaines années, les incertitudes sont telles qu'il est nécessaire de prendre quelques précautions oratoires, tant l'exercice est difficile. Néanmoins, toutes les analyses s'accordent pour estimer que les évolutions des systèmes électriques générés par l'évolution des mix énergétiques vont nécessiter des investissements considérables dans les réseaux de distribution comme dans ceux du transport.

Nous estimons les besoins d'investissements sur le réseau de distribution entre 40 milliards et 45 milliards d'euros pour les dix années prochaines, hors Linky. Cette fourchette s'explique de la façon suivante : le montant de 40 milliards d'euros correspond à une hypothèse de développement des énergies renouvelables, les ENR, conforme à la programmation pluriannuelle des investissements, la PPI, et une hypothèse de flotte de 500 000 véhicules électriques à l'horizon de 2022 et à législation constante ; l'autre extrême - 45 millions - serait atteint si le véhicule électrique devait voir son développement confirmé par rapport à l'hypothèse du Livret vert du sénateur Louis Nègre, c'est-à-dire si le nombre de véhicules électriques atteignait 2 millions, ce qui représenterait pour nous 2 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, c'est-à-dire, grosso modo, 1 000 euros par véhicule électrique.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Oui.

Autre évolution possible : si, en matière d'énergies renouvelables, nous devions aller au-delà de la PPI ; aujourd'hui, notre pronostic est que, en ce qui concerne le photovoltaïque, nous sommes d'ores et déjà bien au-delà de la programmation pluriannuelle des investissements.

Concernant les évolutions réglementaires, je dirai que la multiplication des textes ces trois dernières années, concernant l'élagage ou les travaux sur l'espace public - le décret « DT DICT » -, pour légitime qu'elle soit, a conduit à une forte augmentation des coûts supportés par le distributeur pour répondre à ses nouvelles obligations. Elle va également conduire à une augmentation du temps de coupure pour travaux. Je plaiderai donc, si vous m'y autorisez, pour une meilleure prévisibilité du cadre réglementaire et une prise en compte de l'impact financier et technique sur le distributeur.

En ce qui concerne l'impact sur le niveau futur du TURPE - nous parlons de dix années, soit deux périodes et demie de TURPE -, d'une façon générale, ERDF ne souhaite pas s'écarter trop significativement de l'inflation, afin de ne pas alourdir exagérément la facture des consommateurs. L'écart souhaité ne peut pas aujourd'hui être estimé, puisque nous sommes au tout début des travaux du TURPE 4 et que cela dépendra à la fois de la structure du TURPE et du modèle tarifaire, ainsi que d'un certain nombre d'incertitudes qui restent à lever. Les travaux du TURPE 4 commencent, la Commission de régulation vient de lancer une consultation sur la structure, qui est la toute première étape de la détermination du TURPE.

Tout cela rend d'autant plus nécessaire de faire preuve de constance dans le niveau des investissements et des moyens alloués à ERDF, par une trajectoire tarifaire raisonnable pour les dix prochaines années. C'est indispensable pour maintenir sur l'ensemble du territoire le tissu industriel compétent et motivé que représentent nos nombreuses entreprises prestataires, entreprises créatrices d'emplois locaux. C'est également le cas pour renforcer la proximité des territoires.

En effet, pour la première fois depuis quinze ans, et après une baisse des effectifs de 30 % à périmètre constant depuis 2000, soit 14 000 suppressions d'emplois, ce qui a contribué à la dégradation du service public, ERDF est créateur net d'emplois en 2011, pour la première fois depuis quinze ans, avec plus de 1 700 embauches dans tous les métiers et dans tous les territoires. Parmi ces embauches, 460 sont issues de l'alternance.

Pour conclure, je dirai qu'il nous faut poursuivre et amplifier ce mouvement, tout en ayant à l'esprit que le prix de l'électricité en France constitue un facteur de compétitivité et d'indépendance nationale.

Je répondrai maintenant à votre deuxième question concernant la structure de la consommation et la « pointe ».

Tout d'abord, la notion de pointe nationale, je tiens à le souligner, est pertinente pour la gestion de l'équilibre entre l'offre et la demande à l'échelon national et pour le dimensionnement des parcs de production et du réseau de grand transport.

En ce qui concerne le réseau de distribution, globalement, les jours les plus chargés en consommation se trouvent en hiver, pour la majorité de nos 2 200 postes. Pour autant, les demandes de consommation et les productions sont réparties sur tout le territoire, ce qui conduit à chaque niveau du réseau, aussi bien pour les 2 200 postes sources qui sont les interfaces avec le réseau de transport que pour nos 750 000 postes de transformation moyenne et basse tension, à des pointes spécifiques et différenciées découlant de la diversité des usages des clients raccordés. Selon que vous vivez dans une région industrielle ou balnéaire, une station de sports d'hiver ou une zone très irriguée, les pointes ne sont pas concomitantes : la pointe nationale est la somme de toutes les courbes, ce qui signifie que nous n'avons pas une pointe nationale sur le réseau de distribution.

D'un point de vue statistique, je relève d'ailleurs que, sur les 22 jours de pointe nationale, seuls 12 jours coïncident avec des pointes constatées localement à partir des courbes de charge des postes sources, soit approximativement la moitié.

La notion de pointe a donc une réalité plus locale pour le réseau de distribution que pour le réseau de transport ou de production. Toute approche en la matière doit donc intégrer la complexité entre l'échelon national et l'échelon local.

Je souhaite par ailleurs attirer votre attention sur les conséquences possibles d'une vision purement nationale en la matière. Tout signal envoyé à l'échelle nationale à un nombre significatif de consommateurs peut engendrer des contraintes particulières sur le réseau de distribution.

En effet, dans les instants qui suivent le passage d'une plage durant laquelle le prix est élevé à une plage durant laquelle le prix est plus faible, le consommateur peut déclencher des usages flexibles qu'il peut décaler : chauffage, eau chaude sanitaire, machines à laver, véhicules électriques. Ce comportement peut être amorti sur un grand nombre de consommateurs à l'échelle nationale, ce qui permettra d'effacer la pointe nationale. Mais ce ne sera plus vrai à un niveau local, où la concentration des consommateurs asservis au signal pourrait être très dense sur une partie du réseau. C'est ce que nous appelons « l'effet rebond ».

Pour répondre à une problématique nationale, on peut alors avoir déplacé le problème à un échelon local, qui se traduira par des besoins de renforcement du réseau. Le niveau de cet effet rebond causé par le report de charge est, de plus, susceptible de s'intensifier à l'avenir avec le développement des usages intelligents asservis.

Que peut-on faire ?

Concernant les mécanismes d'effacement qui contribuent à l'ajustement - vous les abordez dans votre question, monsieur le rapporteur -, je suis favorable à leur développement, pour autant qu'ils prennent en compte la dimension locale des pointes.

Au-delà des mécanismes qui ont fait leurs preuves - heures pleines, heures creuses, par exemple -, qui permettent d'asservir un chauffe-eau ou un lave-linge et doivent être préservés, il est indispensable que les mécanismes futurs qui pourraient être envisagés impliquent bien les gestionnaires de réseaux de distribution.

À cet égard et dans le cadre du mécanisme de capacité qui doit être prochainement mis en place, ERDF a proposé des relations contractuelles tripartites entre, d'une part, RTE et ERDF qui déterminent les rôles de chacun, et, d'autre part, les fournisseurs de capacité : effacement ou production raccordée sur le réseau de distribution.

Enfin, je terminerai en rappelant que le déploiement du système Linky constitue un préalable indispensable au déploiement de masse des solutions évoquées, en donnant accès aux informations nécessaires à l'optimisation et en offrant les relais locaux pour d'éventuelles télécommandes.

Plus généralement, le développement de l'intelligence dans les réseaux, smart grids en anglais, devrait permettre de développer et de tester des systèmes évolués de pilotage de la charge, effacement en temps réel ou « horo-saisonnalité » avancée, afin de limiter les contributions aux pointes nationales et locales. C'est pourquoi ERDF participe à de nombreux démonstrateurs dans le cadre des appels à manifestations d'intérêt de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.

Je suis donc favorable au développement de nouveaux outils de flexibilité, mais il me semble important de souligner devant la commission d'enquête qu'il convient de s'assurer de leur compatibilité avec les spécificités locales des réseaux de distribution, et qu'ils doivent permettent à chacun de jouer son rôle dans l'optimisation globale du système.

Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, concerne les avantages concrets du système Linky.

Ce système est composé d'un système informatique, d'une infrastructure de communications et de compteurs communicants.

Les avantages sont multiples, à l'égard tant de l'ensemble des consommateurs que des autres acteurs du marché de l'électricité et de la collectivité : le client bénéficiera d'une facture calculée sur la base de la consommation réelle et non plus d'une estimation ; de nombreuses interventions seront réalisées à distance et ne nécessiteront plus la présence du client, par exemple la relève des compteurs, le changement de puissance, de fournisseurs ou la mise en service ; les délais d'intervention seront beaucoup plus courts, puisqu'ils seront ramenés de cinq jours actuellement à moins de vingt-quatre heures.

Le système Linky permettra également aux fournisseurs d'électricité de développer de nouvelles offres : grilles tarifaires modulant les journées, les semaines ou les saisons. En outre, Linky est un outil essentiel pour développer les outils de la maîtrise de la demande, la MDE. Il permettra aux clients de disposer d'une information de leur consommation, soit sur internet, soit par l'intermédiaire de leur fournisseur. Avec les compteurs actuels, 12 millions de ballons d'eau chaude sont pilotés à distance. Tout en maintenant cette possibilité, Linky permettra un pilotage différencié de nombreux autres équipements et usages - huit réseaux, huit circuits différents - et, bien entendu, du chauffage électrique en fonction des offres tarifaires et des services qui seront proposés.

Toutes ces nouveautés favorisent les économies d'énergie et l'effacement des pointes de consommation.

Linky permettra de mieux accueillir le développement des productions d'énergies renouvelables d'origine photovoltaïque ou éolienne et les nouveaux usages comme le véhicule électrique. Il sera ainsi un outil essentiel du pilotage des nouveaux équilibres, de la fiabilité et de la sécurité globale du réseau national de distribution d'électricité.

En effet, ces énergies renouvelables sont intermittentes, elles ont une grande variabilité, difficilement prévisionnelle, et le fait de disposer d'outils de mesure et de pilotage sera demain indispensable pour pouvoir piloter et assurer l'équilibre permanent entre l'offre et la demande.

Linky complètera les automatismes qui ont déjà été mis en place sur le réseau d'ERDF. Il facilitera le diagnostic à distance, l'optimisation des investissements et permettra des dépannages plus rapides.

Ces fonctionnalités sont-elles optimales ?

Je formulerai deux observations.

En premier lieu, les fonctionnalités ont été définies après plus de soixante réunions, la plupart organisées sous l'égide de la Commission de régulation de l'énergie. Toutes les parties prenantes ont été associées à cette concertation. Ces réunions ont permis de faire converger des visions et des intérêts parfois divergents des différents acteurs sur les fonctionnalités.

En second lieu, on peut toujours attendre la prochaine génération que le progrès pourrait nous apporter. Mais, technologiquement, non seulement Linky constitue un optimum, mais aujourd'hui il est conçu pour que ses logiciels internes, et donc ses fonctionnalités, puissent être mis à jour à distance. Si de nouvelles fonctions devaient être décidées par la suite, il ne serait pas nécessaire de remplacer les compteurs.

ERDF continue à travailler sur les solutions de demain, sur l'innovation, notamment sur les courants porteurs en ligne, mais les compteurs qui sont conçus aujourd'hui et seront déployés dans la première phase offriront l'ensemble des fonctionnalités. Seules les conditions de transmission, notamment la vitesse de transmission, seraient susceptibles d'évoluer.

Quel est le coût du système et quel est son financement ?

L'expérimentation sur 260 000 compteurs a permis de valider le budget nécessaire au déploiement complet du projet, soit environ 4,5 milliards d'euros sur la période de déploiement, c'est-à-dire sur six ans.

Un tel effort nécessite une sécurisation dans la durée. En tant que présidente d'ERDF, j'ai pris la responsabilité que cet investissement important ne se fasse pas au détriment de l'entreprise publique d'ERDF.

Le budget prévisionnel est équilibré sur vingt ans, c'est-à-dire que les gains, notamment sur les interventions, les déplacements, la relève, mais également sur les pertes, devraient couvrir, à terme, le coût de l'investissement.

Dès lors, deux dispositifs de financement sont en débat : le financement dans le cadre du TURPE, dont vous savez qu'il couvre des périodes de quatre ans, et un financement hors TURPE, c'est-à-dire un financement du surcoût Linky par ERDF.

Dans le second dispositif, ERDF finance ce surcoût et se rembourse ensuite par les gains générés par la mise en oeuvre du système. Dans ce cas, le compteur n'aurait alors rien à payer de plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur Desessard, laissez Mme Bellon terminer sa démonstration !

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Cette solution devrait être sécurisée par la régulation.

Compte tenu de la nature de l'investissement et de son montant, des conditions sont toutefois requises - M. Poniatowski connaît le sujet - pour l'obtention du prêt nécessaire au financement.

Il s'agit en fait de garantir les flux financiers d'ERDF sur la durée d'amortissement du prêt, soit vingt ans, et/ou d'obtenir un droit réel sur les actifs ainsi financés, lesquels appartiennent aux collectivités.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Des discussions sont engagées avec l'ensemble des parties prenantes, les pouvoirs publics, la CRE, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et nous essayons d'avancer.

Il est enfin important de noter que Linky procurera un chiffre d'affaires important et des emplois aux fabricants de compteurs et installateurs implantés sur le territoire national - environ 10 000 emplois directs et indirects, dont 5 000 emplois locaux directs pour les seules opérations de pause -, permettant ainsi le développement d'une filière industrielle qui a vocation à exporter le savoir-faire français. Chaque semaine, nous accueillons des délégations étrangères en visite - nous sommes très observés - et, croyez-moi, notre système a les fonctionnalités et les performances qu'il faut.

Cinquième et dernière question : quel est le coût des pertes ?

De quoi s'agit-il ? Que sont les pertes réseaux ?

Il existe deux types de pertes.

Les réseaux sont constitués de matériaux métalliques conducteurs, en général du cuivre, mais pas seulement, qui génèrent des pertes techniques : ils s'échauffent en raison de l'effet joule ; c'est un phénomène physique. La première catégorie de pertes résulte donc de la circulation du courant dans les câbles, les lignes aériennes ou les transformateurs, qui crée un échauffement naturel. Ce sont des pertes techniques que l'on ne peut pas éviter.

Par ailleurs, tous les gestionnaires de réseaux doivent également faire face à ce que nous appelons des pertes commerciales : une énergie a bien été livrée mais non facturée, du fait de différentes raisons : des tricheries de consommateurs, des consommateurs sans fournisseur, des compteurs défaillants.

L'écart entre l'énergie injectée sur le réseau et celle qui est facturée traduit à la fois les pertes techniques et les pertes commerciales.

En France, c'est l'une de nos spécificités, il a été décidé par convention que ce solde revenait à la charge du gestionnaire de réseau de distribution, et qu'il était couvert par le tarif d'acheminement.

Qu'en est-il des chiffres ?

Le rendement du réseau de distribution est, au final, de 93,8 %, compte tenu des pertes qui s'établissent à 6,2 % ou 6,3 %. Donc, au total, cela représente annuellement entre 23 et 26 terawattheures, dont environ 60 % pour les pertes techniques. Il faut remarquer que ce taux est l'un des meilleurs en Europe. Le coût correspondant aux achats des pertes par ERDF sur le marché - nous achetons sur le marché avant de pouvoir, plus tard, acheter au prix de l'ARENH, l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique - s'établit, pour 2011, à 1,5 milliard d'euros. Ce sont donc des sommes considérables. Le régulateur est particulièrement attentif à cette charge financière ; il a d'ailleurs mis en place une mesure de contrôle de notre performance dans le TURPE 3 en matière d'achat de cette énergie sur les marchés.

Comment réduire ces pertes ?

Le volume des pertes techniques est sensible au volume d'énergie acheminée. Trois facteurs ont une influence prédominante : le climat, les échanges étant différents suivant la température ; la croissance de la consommation ; enfin, la hausse de la production décentralisée.

Le niveau des pertes techniques est comparable à celui que connaissent les autres distributeurs en Europe. Nos efforts porteront donc à l'avenir sur les pertes commerciales, notamment grâce à une meilleure efficacité de la relève permise par Linky.

D'ici à 2020, nous avons ainsi pour objectif d'améliorer de plus de 10 % notre performance dans ce domaine, puis, en régime pérenne, de doter ERDF des outils de diagnostic permettant d'agir sur les pertes commerciales. Cette économie significative repose en particulier sur le saut technologique apporté par le système Linky.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis maintenant à votre disposition pour toute question complémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Madame la présidente, je vous remercie d'avoir répondu avec beaucoup de précision aux cinq questions qui vous ont été posées.

Monsieur le rapporteur, avez-vous besoin d'un complément d'explication sur l'un ou l'autre des éléments de cet exposé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Oui, monsieur le président. Je comprends votre souci : vous souhaitez que mes collègues puissent également interroger Mme Bellon. Par conséquent, je vais poser mes questions, mais, madame la présidente, vous n'êtes pas obligée d'y répondre immédiatement.

Première surprise : le reversement de 1 milliard d'euros, ou un peu plus, au transporteur. Mais j'ai cru comprendre que c'était pour payer...

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

La quote-part d'acheminement.

C'est nous qui percevons,...

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

ce que nous appelons en jargon anglais du pass route. Donc, sur notre chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros, nous reversons 3 milliards d'euros à RTE.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

C'est normal.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous avez parlé d'investissements considérables pour renforcer le réseau des énergies renouvelables.

J'aimerais qu'on me dise - soit directement, soit au travers d'un document -, en quoi l'installation d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques à l'échelon local nécessite-t-il un renforcement de réseau ? Sur combien de kilomètres ? Comment calculez-vous le coût moyen compte tenu de la diversité de situations ? Je voudrais avoir plus de précisions sur l'investissement « considérable » - je reprends votre terme - que nécessite un autre type de production que celui qui existe actuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Par comparaison, quels ont été les investissements réalisés sur le photovoltaïque dans les Landes et l'éolien dans le Pas-de-Calais, dont les situations sont totalement différentes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Sur ces questions tout de même très techniques, soit vous pouvez apporter une réponse très précise dès maintenant, et tant mieux, soit vous pourrez nous la transmettre par écrit dans des documents de travail.

Je souhaiterais obtenir une précision, madame la présidente, sur les notions générales d'investissement et de maintenance.

Vous parlez d'un investissement du réseau. J'ai parfois l'impression - je le sais, ce n'est qu'un terme - qu'il s'agit de maintenance. Par exemple, dans quelle catégorie placez-vous le remplacement de câbles ? Est-ce de l'investissement ou de la maintenance ?

J'ai été surpris, je l'ai déjà dit, des 1 000 euros par véhicule électrique nouveau. Dès qu'un particulier prend un véhicule électrique, le coût d'installation est de 1 000 euros. Donc, si La Poste, par exemple, achète dix véhicules électriques, le coût d'installation pour vous sera de 10 000 euros. Je suis vraiment très étonné.

Enfin, qu'appelle-t-on un réseau cicatrisant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Madame la présidente, M. le rapporteur vous laisse la liberté, pour certaines questions très techniques nécessitant des chiffres, de les lui communiquer plus tard.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Si vous le voulez bien, je commencerai par la fin : le réseau cicatrisant.

Lors de la dernière mission que nous avons effectuée aux États-Unis sur les smart grids - nous faisons beaucoup de benchmarking pour savoir ce que font les autres -, nous pensions que les Américains étaient très en avance. Or, c'est avec amusement que nous avons constaté qu'ils voulaient nous vendre un logiciel auto-cicatrisant - ils sont très bons en marketing -, alors que nous en utilisons déjà depuis trois ans dans l'entreprise.

En fait, sur notre réseau à moyenne tension, nous avons mis en place des automates permettant d'isoler les tronçons du réseau. Quand, par hasard - cela arrive pratiquement toutes les nuits - un véhicule percute un pylône ou qu'un incident quelconque oblige à couper l'électricité sur une partie du tronçon, il y a quelques années, il fallait envoyer une équipe pour interrompre l'électricité. Puis, petit à petit, nous avons installé des automates qui étaient commandés depuis nos agences de conduite.

L'étape suivante a consisté à mettre en place des logiciels qui simulent la totalité de nos réseaux et calculent automatiquement quel est le réseau, l'itinéraire bis le moins chargé qui permettra de délester les clients et de faire en sorte que les clients en aval du point d'interruption soient réalimentés le plus vite possible.

Le logiciel utilisé fonctionne extrêmement bien et permet de minimiser le temps de coupure en cas d'incident sur le réseau. C'est ce que l'on appelle les réseaux auto-cicatrisants, puisque le logiciel calcule, « mouline » très vite pour trouver le réseau le moins chargé et qui, après transfert, pourra supporter la charge supplémentaire.

Je vais maintenant répondre aux autres questions en remontant.

Le prix de 1 000 euros par véhicule électrique résulte des calculs qui ont été faits par nos techniciens avec l'ensemble des parties prenantes, les fabricants de véhicules électriques, les équipes interministérielles concernées par cette question.

L'hypothèse de départ est que, lorsqu'on possède un véhicule électrique, même si 80 % de la population fait moins de 40 kilomètres par jour, notamment en ville, il faut avoir une borne chez soi et une au travail ou sur la voie publique. C'est une moyenne ; il ne faut pas systématiquement deux bornes, mais c'est l'ordre de grandeur.

Les coûts ont été établis en examinant de très près les modes de vie et d'usages, et en estimant le prix du raccordement au réseau des bornes : nous en sommes arrivés à ce chiffre de 1 000 euros par véhicule.

Notre approche a été validée, « challengée » : c'est le coût de raccordement au réseau ; pour installer des bornes dans Paris, Nice ou ailleurs, il faut creuser des tranchées, casser le béton. Les travaux à faire engendrent des frais.

La différence entre investissement et maintenance est délicate, car il est vrai que ce sont deux notions un peu complexes.

La maintenance peut être par exemple l'élagage : lorsque vous coupez des arbres, que vous les taillez, vous n'effectuez aucun investissement ; pourtant, vous engagez des dépenses. Dans le poste de maintenance, qui pèse 4,9 milliards d'euros, il y a toutes les commandes de prestation, par exemple la relève. La relève est une prestation et non de la maintenance, mais elle figure dans ce fameux poste exploitation comprenant de la maintenance, de la conduite, des commandes de prestations. Ce sont des charges d'exploitation comme il en existe dans les collectivités locales.

Il faut ajouter à cette liste la masse salariale, pour 1,9 milliard d'euros, l'immobilier et les véhicules, toute la logistique, les camions nacelles, les petites voitures bleues. Tout cela fait partie des charges d'exploitation.

La liste est un peu longue. C'est pourquoi nous l'avons résumée à maintenance, conduite et élagage.

S'agissant des investissements de renforcement du réseau, nous avons déjà une idée de ce que cela nous a coûté depuis 2005 : 650 millions d'euros.

De quoi s'agit-il ?

Le producteur finance aujourd'hui la totalité du raccordement au réseau, alors que ce n'était pas le cas avant dans la mesure où nous prenions une quote-part à notre charge. Il a en effet fallu la loi NOME pour que le taux de réfaction soit supprimé.

Le réseau doit être renforcé parce qu'il est dimensionné avec des marges et des capacités d'accueil plus ou moins importantes. Or, au fur et à mesure que les installations sont raccordées, les capacités d'accueil arrivent à saturation et il faut créer un nouvel ouvrage, un poste de transformation ou un poste source.

Je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons créé quatre nouveaux postes sources en 2011 uniquement pour des grands champs de photovoltaïque et d'éolien, et nous nous apprêtons à en créer entre six et dix cette année. Un poste source, suivant sa conception, sa localisation, coûte entre 2 millions et 4 millions d'euros.

Pour créer un poste source, qui est, en plus, un poste de transformation entre le réseau de transport et notre réseau, il faut amener l'électricité très haute tension sur ce poste source, et donc les renforcements qui vont avec, ce qui correspond aux 40 millions d'euros en 2011 et aux 55 millions d'euros en 2012 que je vous ai cités tout à l'heure.

Nous n'avons pas de réseaux à dimensionnement infini. Comme un tuyau d'eau, qui a un débit limité, le réseau électrique peut être saturé. Dès lors, vous êtes obligé d'installer un tuyau à côté.

Pour les années à venir, tout dépendra du volume de raccordement.

On estime entre 550 millions et 1,4 milliard d'euros le coût du renforcement du réseau, et non du raccordement au réseau, suivant les hypothèses de développement du photovoltaïque. Alors que la PPI était, je le rappelle, de 5 700 mégawatts de photovoltaïque, nous sommes plutôt aujourd'hui sur une trajectoire de 8 000 mégawatts. Mais nous n'excluons pas un engouement ou des mesures qui permettraient d'atteindre les 12 000 mégawatts.

En tout cas, aujourd'hui, compte tenu du volume de raccordement existant et de ce que nous avons dans les tuyaux, c'est-à-dire de toutes les demandes déjà instruites ou en cours d'instruction - nous avons 1 400 mégawatts en portefeuille aujourd'hui, en plus des 2 300 mégawatts -, à la fin de l'année, nous nous attendons à 3 200 mégawatts. Donc, si nous continuons à un rythme de 900 à 1 000 mégawatts par an, les 8 000 mégawatts sont pour nous une valeur basse.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

De 550 millions à 1,4 milliard d'euros d'ici à dix ans.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Comme toutes les autres questions portaient sur dix ans, j'ai raisonné sur dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Pour les postes sources, y a-t-il du personnel ou est-ce simplement une interconnexion technique ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Il n'y a pas de personnel ; nous utilisons beaucoup de télécommandes à distance.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

L'auto-cicatrisation se fait dans les agences de conduite, où du personnel travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Ces agents supervisent à distance les 2 200 postes sources.

On crée aussi de nouveaux postes sources pour des usages consommateurs. Par exemple, en Ile-de-France, nous allons créer, dans les deux années qui viennent, un certain nombre de nouveaux postes sources, compte tenu du développement économique de Data Center.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Madame la présidente, si j'ai bien retenu tout ce que vous venez de dire, 8 00 sites de production d'énergie nouvelle seront raccordés en 2011. Il s'agit de toutes les ombrières, les petites toitures individuelles ou agricoles...

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Effectivement, il y aura 86 000 raccordements de producteurs photovoltaïques. Au total, cela fait 1 500 mégawatts. Il existe des installations de 3 kilowatts, et des installations de plusieurs mégawatts. En divisant les 1 500 mégawatts, on obtient en moyenne 15 kilowatts.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

C'est donc la conjonction de tous ces raccordements, vous venez de l'expliquer à l'instant, qui entraîne la saturation et vous oblige à recréer des postes sources ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

J'ai dit aussi que nous souhaitions être impliqués très en amont dans les schémas régionaux climat air énergie, dont la mise en place a été prévue par la loi portant engagement national pour l'environnement et dans les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que certains endroits sont saturés.

Par exemple, les lignes de la vallée du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes, où j'étais hier, sont saturées, y compris la ligne RTE de 150 000 volts. Nous devons donc créer une nouvelle ligne RTE.

Dans d'autres endroits, notamment le nord des Alpes-Maritimes, vers Saint-Auban, il va falloir créer de nouveaux postes sources.

Mais il existe aussi des lieux où des capacités d'accueil sont disponibles et où le raccordement est possible sans que cela nécessite des investissements considérables.

Par conséquent, le réseau n'est pas totalement saturé partout uniformément.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Je suis quelque peu perplexe parce que, sur le solaire que je connais un peu, un moratoire dit que 500 mégawatts sont accordés par an sur les tarifs préférentiels. Y a-t-il d'autres personnes qui se branchent malgré le tarif non préférentiel ? C'est ma première question.

Seconde question : si je comprends bien, quand le coût est important pour les centrales solaires au sol, à savoir entre 5 millions et 7 millions d'euros pour une quinzaine de kilomètres permettant de regagner le poste source, finalement une négociation s'opère directement entre l'opérateur et RTE afin de trouver un moyen de se rebrancher sur une ligne qui est beaucoup moins loin, mais à condition de créer un poste source.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Au vu du coût de raccordement, nous recherchons chaque fois les solutions optimisées. L'expérience montre que, aujourd'hui, 1 % du photovoltaïque est raccordé sur le réseau de transport. En réalité, assez peu de négociations ont abouti. Cela signifie aussi que l'on se raccorde à un niveau de tension supérieur, pour de grandes fermes photovoltaïques, et non pour de petites installations.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Cela vous laisse de la marge sur les postes sources qui ne sont pas saturés et sur lesquels on envisagerait de se brancher.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Quand cela arrive, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

C'est pourquoi vous souhaitez avoir une lisibilité en amont pour établir des plans...

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Indiquer les endroits où existent des capacités d'accueil sans surcoûts excessifs ; c'est cela qui serait raisonnable.

Je reviens sur votre question du moratoire.

Il y a eu effectivement un moratoire en décembre 2010. Ce moratoire a été débloqué par des textes qui sont sortis en mars 2011. Depuis, l'objectif, c'est 500 mégawatts par an, mais ce n'est ni une contrainte ni une clause couperet.

Actuellement, nous recevons, en nombre de demandes de raccordement - et nous avons l'obligation de raccorder - beaucoup plus que les 500 mégawatts par an. C'est pour cela que les pouvoirs publics ont mis en place un système de régulation selon lequel, pour essayer d'ajuster au mieux le tarif d'achat, on leur transmet tous les trois mois le volume de raccordement demandé et le prix de l'obligation d'achat, modifié en fonction du flux qui arrive.

D'ailleurs, il est amusant d'observer que, sur un trimestre, les courbes de demandes sont assez faibles les deux premiers mois parce que les producteurs font le pari de déposer leur demande le troisième mois en se demandant si l'évolution tarifaire du quatrième mois sera positive ou négative. En tout cas, depuis mars 2011, les deux premiers mois de chaque trimestre ont été faibles alors que le troisième mois enregistrait un pic avant de diminuer. Il y a ainsi un pic tous les trois mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Vous dites, à propos des 500 mégawatts, que 4 000 mégawatts seraient en stock à la CRE ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

C'est une autre question : c'est l'appel d'offres de la CRE.

Effectivement, la CRE a lancé un appel d'offres pour des installations de forte puissance. En l'occurrence, la puissance proposée est quatre fois supérieure à celle de l'appel d'offres. Il appartient à la CRE de choisir les projets qui se positionnent le mieux ; cela viendra en sus, pas toujours en sus d'ailleurs parce que certains ont fait des demandes préalables d'études. Donc, certains viendront en sus et d'autres viendront en substitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Qu'en est-il de l'exemple concret du producteur situé à 15 kilomètres du réseau ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Dans ce cas, il va bien falloir y aller. Or, au moment où ce producteur a fait son étude, il a bien dû voir s'il y avait ou non un réseau au près.

Il est arrivé que certains producteurs - les études et le processus de décision sont parfois longs - se mettent à un moment dans la file d'attente pour bénéficier d'une capacité d'accueil à proximité. Au bout d'un certain délai, ils perdent leur droit à raccordement s'ils ne nous donnent pas de nouvelles. En effet, un certain nombre de projets sont abandonnés en cours de route. Or, s'ils reviennent un an ou dix-huit mois après, il est possible qu'entre-temps les capacités aient été saturées et que le poste à proximité ne soit plus disponible. Il faut alors chercher plus loin le raccordement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Je poserai deux questions rapides.

Premièrement, vous avez dit que le compteur Linky avait créé 10 000 emplois, dont 5 000 pour la fabrication - Le Lot est intéressé, puisque le groupe Core en fabrique -, et 5 000 pour la pose. Cela veut dire qu'ERDF ne poserait pas les compteurs ?

Deuxièmement, vous avez évoqué les courants porteurs en ligne. On en avait beaucoup parlé à un moment donné, et je croyais qu'ils avaient disparu. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Concernant la pose des compteurs, nous avons prévu de conserver un certain pourcentage de pose par nos propres salariés, ne serait-ce que pour garder la main et notre savoir-faire.

De plus, dans certaines zones particulièrement isolées, il n'y a aucune raison de faire appel à une entreprise, parce qu'il n'y en a pas à proximité et que, de toute façon, nos salariés sont présents. Nous avons tout de même plus de 1 000 implantations sur le territoire, c'est-à-dire, grosso modo, un salarié pour 1 000 clients. Nous avons donc du monde partout sur le territoire.

Par conséquent, dans certains endroits, la pose sera réalisée par nos salariés : nous gardons 10 % à 15 % minimum de pose de compteurs par nos propres salariés. D'ailleurs, cela permettra de mieux accompagner les entreprises, de suivre les évolutions et, je le répète, de conserver notre savoir-faire.

La seconde question concerne les courants porteurs en ligne.

En fait, dans le système Linky, il y a des concentrateurs et des compteurs qui se trouvent chez l'habitant ; il y a aussi des concentrateurs qui regroupent, par grappe, les compteurs, qui sont en général situés dans des postes de transformation. Enfin, il y a un système informatique national.

Entre le compteur et le concentrateur, l'information transite par le câble, qui est aussi le câble d'alimentation en électricité. Cela s'appelle des courants porteurs en ligne, c'est-à-dire qu'on ne met pas un deuxième câble. L'information du compteur transite donc par le câble électrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

À un moment, on a eu beaucoup d'espoir, car on a cru que, comme cela se faisait en Allemagne, nous pourrions passer au numérique, y compris pour le téléphone, par les courants porteurs en ligne. Puis on en a moins parlé. C'est pour cela que je suis heureux de vous entendre.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Nous travaillons effectivement sur les courants porteurs en ligne, et nous avons pris l'option après l'avoir testée sur 260 000 compteurs. Le signal passe effectivement par les câbles.

En revanche, entre les concentrateurs et le système national, on aurait pu imaginer que l'information passe par GPRS, donc par voie téléphonique, mais il faut une puissance très importante des câbles et, techniquement, nous n'avons pas aujourd'hui la solution. Les États-Unis ont pris ce parti compte tenu des vastes étendues du territoire même s'ils n'ont pas beaucoup de compteurs aujourd'hui. Mais cela conduit à un très grand nombre de communications et à des dépenses d'exploitation importantes.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Nous, nous avons à peu près un concentrateur pour 100 à 150 compteurs, tout dépend des zones. Donc, nous divisons par 50 ou 100 les communications téléphoniques pour transmettre l'information.

Il y a un arbitrage à faire entre coût d'investissement et coût d'exploitation.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je souhaiterais poser deux questions.

Nous n'aborderons pas aujourd'hui la question de la concession et du rapport avec les collectivités locales. Il s'agit pourtant d'une question clé, mais nous ne pourrions pas la traiter en peu de temps. Mes deux questions seront donc plus précises et en lien avec les discussions précédentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Peut-être Mme Bellon pourrait-elle faire une petite réponse rapide sur la concession.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mme Bellon en a beaucoup parlé ce matin lors de la réunion sur le coût de l'énergie.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Et les questions peuvent être multiples.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Plus ou moins !

J'en viens à la montée du tarif avec le TURPE 4. Nous avons bien compris qu'il sera plus élevé que le TURPE 3. Il en est de même pour le prix de l'ARENH ; nous avons entendu la CRE sur ce point.

Ne pensez-vous pas que, demain, des consommateurs vont se doter d'énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, mais aussi le petit éolien, qui progresse mais n'est pas encore parvenu à maturité ? Ces clients chercheront d'abord à pratiquer l'autoconsommation, dans la mesure où ils feront une économie sur le prix de vente de l'électricité tout compris, et chercheront ensuite à revendre, même à un petit prix - ce sera assez secondaire dans leur projet -, l'électricité supplémentaire au moment où ils n'en auront plus besoin.

Ma première question est la suivante : comment pourrez-vous gérer une multitude d'opérateurs de ce type avec des compteurs qui marchent une fois dans un sens et une fois dans l'autre, puisque c'est un modèle économique dont on entend énormément parler aujourd'hui.

Ma seconde question porte sur Linky.

Lors des auditions précédentes, un certain nombre d'intervenants nous ont dit que, puisqu'il fallait intervenir pour installer Linky, autant procéder comme pour le ballon d'eau chaude sur le chauffage électrique. Ainsi, pour effacer la pointe, on aurait quelque chose de massif et de très opérant. Mais comment ERDF pourra-t-il gérer si Linky est couplé non pas seulement sur le ballon d'eau chaude, mais aussi sur le chauffage électrique ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

En ce qui concerne la montée du tarif - TURPE 3 et TURPE 4 -, j'ai tout de même été beaucoup plus réservée que cela. J'ai dit qu'il fallait que nous fassions des efforts constants et que nous évitions l'effet de yo-yo. À mon sens, l'augmentation du tarif d'acheminement ne doit pas être considérable. En revanche, il est vraiment important de maintenir l'effort dans la durée ; c'est du marathon.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Si vous passez de 3 milliards d'euros à 4,5 milliards d'euros d'investissements par an, il faudra quand même trouver la recette.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

C'est une augmentation très modeste par an. Actuellement, nous sommes à 3 milliards d'euros.

Quant à l'autoconsommation, qui est assez développée dans les pays nordiques, notamment en Allemagne, elle est peu pratiquée en France. Force est de constater que, vu le tarif d'achat, il n'est pas très séduisant de consommer une électricité qu'on peut vendre cinq fois plus cher, ou plus. Ce système ne s'est donc pas développé.

Au demeurant, même avec des panneaux photovoltaïques sur une toiture, on ne pourra pas se dispenser d'être raccordé au réseau, parce que, de toute façon, la nuit ou quand il n'y aura pas de soleil, il faudra bien avoir du réseau.

Ce qui me semble important dans les discussions actuelles sur la structure du tarif, c'est de savoir quelle doit être la partie fixe et la partie variable. Les coûts du réseau de distribution sont essentiellement fixes, même s'il y a une part variable avec les pertes.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je reviens sur la question de notre collègue d'une autre manière.

Parmi les 27 pays européens - tous ne sont pas concernés -, dans lesquels est-on obligé de se raccorder et de revendre au réseau, et dans lesquels peut-on être auto-producteur ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

En France, vous pourriez être auto-producteur. Vous n'y avez pas intérêt, mais c'est possible.

En Allemagne, en Hollande et en Belgique, il existe des systèmes d'autoconsommation, assortis en général de formules d'incitation. De toute façon, cela soulève la question du comptage puisque celui-ci se fait à la sortie de la production et à l'entrée de la consommation : il faut donc plusieurs compteurs.

L'Allemagne, par exemple, a mis en place une forme d'incitation financière à l'autoconsommation : les kilowattheures produits et autoconsommés sont également subventionnés, même s'ils le sont beaucoup moins que ceux qui sont revendus au réseau.

En résumé, il existe des mécanismes assez astucieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Dans tous les Länder ou seulement dans certains d'entre eux ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Dans certains, parce que vous savez qu'en Allemagne les politiques sont très différentes suivant les Länder. D'ailleurs, même le tarif d'acheminement varie : entre 55 euros et plus de 70 euros par mégawattheure, alors que nous en sommes à 45 euros tout compris, transport et distribution.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Oui, Linky est totalement bidirectionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

On va faire, comme en Allemagne, de l'autoconsommation : on passe par le compteur pour pouvoir bénéficier éventuellement d'une subvention sur l'autoproduction.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Cela fait partie des fonctionnalités, c'est faisable.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Si le réseau français tel qu'il est connaissait un boom de l'autoconsommation, des ajustements seraient peut-être nécessaires. Mais, globalement, il tient le choc.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Cela nécessiterait des investissements de la part de chaque client particulier, puisqu'il faut une boucle qui ramène l'électricité avec des modes de basculement de pilotage.

En revanche, il ne faut pas sous-estimer le fait que, de toute façon, le réseau est nécessaire en secours, comme s'il n'y avait pas de production.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

La logique que nous suivons est donc de se connecter ! Et Linky ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Pour l'effacement il n'y a aucun problème, puisque Linky est l'outil rêvé pour le faire. C'est l'un des moyens qui va nous permettre d'accompagner toutes les solutions d'effacement de pointe.

Ce système ira beaucoup plus loin qu'Ecowatt, dans lequel nous sommes aujourd'hui engagés et qui fonctionne, d'ailleurs plutôt bien, sur la base du volontariat : on suscite un geste citoyen en envoyant un texto au consommateur pour qu'il s'efface.

Demain, les clients auront la possibilité de commander à distance leur installation en cas d'alerte ou de baisse de la consommation, voire d'effectuer des modifications de façon plus automatique ou de confier cette prestation à un tiers fournisseur ou à un prestataire de service. L'effacement est donc facilité par Linky.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Ma question était précise : comme nous l'ont dit d'autres acteurs que nous avons auditionnés, tant qu'à intervenir pour installer Linky, autant le connecter directement au chauffage électrique, puisque là, il faut faire fort sur l'effacement de pointe.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Aujourd'hui, lorsqu'on installe Linky - c'est ce que l'on a fait en Indre-et-Loire et à Lyon -, on raccorde le ballon d'eau chaude, qui jusqu'alors avait un câble séparé et distinct, pour qu'il continue à recevoir son signal. D'ailleurs, l'essentiel des 0,7 % de réclamations est dû au fait que l'installateur avait oublié de raccorder le câble de ballon d'eau chaude !

Les compteurs bleus ne pouvaient malheureusement n'envoyer qu'un signal, mais Linky pourra en faire plus. Pour raccorder directement le réseau de chaleur, encore faut-il qu'il y en ait un au niveau du tableau électrique et qu'il soit bien différencié. C'est le cas dans les nouveaux logements, mais ce n'est pas ainsi partout.

Cette question a déjà été étudiée - je suis tout à fait ouverte à ce que nous la réexaminions - dans les groupes de travail pilotés par le régulateur. Certains voulaient un signal par radiofréquence, d'autres réclamaient qu'on mette un gadget directement dans le compteur Linky, par exemple en wifi. Différentes modalités sont possibles.

Il faudrait que les différents acteurs se mettent d'accord sur les modalités d'asservissement du chauffage. C'est possible par le câble, mais cela nécessite des travaux électriques intérieurs ; ce n'est pas gratuit. Les frais de déplacement pourront certes être évités, mais pas tous les travaux de modification du réseau électrique intérieur qui devront être effectués. D'autres opérateurs envisagent une communication par puce ou par ZigBee. Enfin, plusieurs systèmes permettent de communiquer entre le compteur et le radiateur.

Plusieurs solutions sont donc envisageables. Or le débat qui a eu lieu - je n'étais pas encore là - n'a pas été conclu par un arbitrage ou par un consensus sur la normalisation et une standardisation de la communication.

Linky permet tous les modes de communication, mais le choix d'une solution implantée au moment de l'installation n'est pas encore retenu. Nous sommes ouverts pour entamer un débat sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Madame la présidente, dans le calibrage des investissements que vous opérez sur les postes sources, comment intégrez-vous les schémas régionaux éoliens qui existent ou qui sont en cours de montage ? Je dis cela parce que je suis dans un secteur, le sud Aveyron, où un poste source prête à forte protestation.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Toute revendication locale devra être formulée après la réunion ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Sans plus préciser je pose la question : intégrez-vous les schémas régionaux éoliens dans le renforcement des investissements ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Oui, mais cela va beaucoup plus loin. Nous voulons que nos investissements fassent l'objet d'une concertation avec les autorités concédantes, puisque nous ne sommes pas propriétaires des réseaux, contrairement à RTE. Donc, les arbitrages et les priorités sur les investissements réseaux doivent être discutés à la maille locale. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai renforcé mon organisation locale et la responsabilisation de mes équipes locales pour que, justement, les débats aient lieu au bon niveau avec les acteurs économiques et politiques locaux, et surtout avec les autorités concédantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

La parole est à M. Claude Léonard, pour une brève question.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Madame la présidente, commencent à se généraliser à l'intérieur des appartements, des maisons, des systèmes porteurs, sur le 220 volts, de signal numérique pour la télévision, par Orange ou d'autres opérateurs. Cela entraînera-t-il une incompatibilité avec l'usage de Linky ? L'un va-t-il perturber l'autre ? Le fait d'installer le compteur intelligent Linky sera-t-il un frein à la multiplication de ces dispositifs qui permettent d'éviter des câblages ?

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Linky, comme je l'ai dit, peut communiquer dans différents modes avec les installations intérieures, y compris les box, c'est-à-dire par fil - c'est la communication filaire - en wifi, en Zigbee, par radio. Ces fonctionnalités qui permettent de couvrir tous les modes d'échanges ont été décidées avec l'ensemble des parties prenantes dont les acteurs des télécoms qui étaient associés. Ces systèmes sont compatibles. Linky va-t-il freiner les autres dispositifs ? Je n'en ai aucune idée. Là, c'est une démarche marketing.

Debut de section - Permalien
Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

C'est techniquement compatible.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Madame la présidente, cette audition s'achève. Je vous remercie beaucoup d'avoir répondu de manière très complète aux interrogations des uns et des autres. M. le rapporteur sera peut-être amené à vous interroger de nouveau, vous ou certains de vos collaborateurs, bien qu'il ait déjà obtenu de nombreuses réponses à ses questions, avant de rédiger son rapport final.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, je remercie également Mme la présidente de la clarté et de la précision de ses réponses. J'attends effectivement des informations complémentaires sur les investissements importants en faveur de la production des énergies renouvelables et le renforcement des réseaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Dans la suite de nos travaux, nous allons maintenant entendre M. Luc Oursel, président du directoire d'AREVA.

Monsieur Oursel, je vous remercie d'avoir accepté - il est vrai que vous ne pouviez pas refuser ! - notre invitation. (Sourires.)

Comme vous le savez, notre commission d'enquête porte sur un sujet pointu : le coût de l'énergie et le prix de l'électricité. Elle a été créée à l'initiative du groupe écologiste qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».

Monsieur Oursel, avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il vous pose ses questions préliminaires, je vais vous demander de prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Luc Oursel prête serment.)

Monsieur le rapporteur, je vous laisse résumer les questions que vous avez adressées à M. Oursel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur Oursel, dans votre réponse au rapport de la Cour des comptes, vous écrivez que le coût de production de l'EPR en série sera compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure. Sur quels éléments vous fondez-vous pour donner cette estimation ? Quel est le nombre d'EPR qu'il serait nécessaire de construire en France pour bénéficier de ce coût ?

Pouvezvous présenter le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qui pourrait avoir pour effet, si la décision de construire des EPR était prise, de garantir un prix d'achat minimum ? Pouvez-vous évaluer quel serait, dans les projets anglais auxquels AREVA participe, le prix d'achat de l'électricité produite par EPR ?

Quels sont vos commentaires sur la présentation des coûts de démantèlement des centrales nucléaires faite par la Cour des comptes ? Quels enseignements tirez-vous des démantèlements en cours ?

Pouvez-vous indiquer le coût de production de l'électricité à partir de sources autres que nucléaire, compte tenu des activités d'AREVA dans les énergies renouvelables, notamment dans l'éolien ?

Quelle est votre vision du stockage de l'énergie ?

Enfin, si la France décidait de renoncer aux réacteurs de quatrième génération, quel en serait l'impact sur les coûts de stockage des déchets nucléaires et sur la validité économique du choix fait par la France de retraiter les combustibles usés dans l'usine de La Hague ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de m'avoir invité dans le cadre de votre commission d'enquête et de me donner ainsi l'opportunité d'évoquer l'ensemble des sujets que vous venez d'évoquer.

Je le rappelle, notre champ de compétences est l'électricité nucléaire, ainsi qu'une partie des énergies renouvelables. Mes réponses ne pourront bien évidemment porter que sur les coûts de l'électricité, et non sur les prix.

En réponse à la première série de questions, je voudrais vous faire part du retour d'expérience d'AREVA sur l'EPR.

Selon le récent rapport de la Cour des comptes, qui est très important et très complet, le coût complet de production du mégawattheure d'EDF à Flamanville serait compris entre 70 et 90 euros. Mais il faut rappeler - cela permettra d'expliquer notre présentation à la Cour des comptes - que l'EPR en construction à Flamanville est une tête de série. Aucun réacteur nucléaire n'a été construit en France depuis maintenant bien plus de dix ans ; la filière est donc logiquement confrontée à des coûts liés à l'apprentissage, ou plutôt au réapprentissage. Il n'est pas anormal que les coûts et délais des premiers chantiers soient légèrement plus élevés que, d'une part, les estimations initiales et, d'autre part, des chantiers suivants. Nous avons déjà eu cette expérience en Finlande avec notre client TVO.

Grâce à une organisation spécifique qui fonctionne maintenant depuis 2007, nous tirons les enseignements des différents chantiers qui sont en fonctionnement, c'est-à-dire Olkiluoto 3 et Flamanville. Ce retour d'expérience a d'ores et déjà permis d'apporter des améliorations très concrètes sur les chantiers chinois de Taishan 1 et Taishan 2.

Je vais vous donner quelques exemples.

Le nombre d'heures d'ingénierie qu'il a fallu dépenser sur la chaudière nucléaire, qui est le coeur de la machine, a diminué de près de 60 % entre Olkiluoto et Taishan.

La durée de fabrication des gros composants, ceux que nous fabriquons en Bourgogne, a, elle aussi, été réduite : la baisse a été de 40 % pour les générateurs de vapeur entre Olkiluoto 3 et le premier réacteur de Taishan et de 25 % pour les cuves de réacteurs.

Quant aux délais d'approvisionnement, puisque de très nombreux composants sont achetés auprès de fournisseurs, notamment français, ils ont été réduits de 65 % pour Taishan.

Ainsi le chantier de Taishan respecte-t-il les prévisions de coûts et de délais. Sa durée de construction devrait être inférieure de 40 % à celle d'Olkiluoto.

Voilà quelle est pour nous la traduction concrète du retour d'expériences, de l'apprentissage de tous les chantiers d'EPR, et pas seulement du projet français. D'ailleurs, plus de la moitié des équipes d'AREVA affectées au projet Taishan avait déjà travaillé soit sur le projet finlandais, soit sur le chantier de Flamanville. Et cette proportion ne pourra aller qu'en augmentant avec les nouveaux projets.

Nous emmagasinons donc tout ce retour d'expérience, qui nous permet de prévoir des réductions de coûts et de délais pour l'EPR dans les prochaines années.

Nous participons à de nombreux appels d'offres, que ce soit en Europe ou ailleurs. Suivant les méthodes de calcul - on pourra revenir sur ce point -, les coûts de production d'un EPR en série seraient compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure pour les appels concernant l'Europe de l'Ouest. J'insiste, ce coût est estimé pour l'Europe de l'Ouest, car il est important de raisonner sur une zone relativement homogène en termes de coûts de production et de main-d'oeuvre.

Progressivement, l'effet tête de série se résorbe. Grâce aux efforts permanents qu'effectuent désormais de façon conjointe EDF et AREVA, la durée de construction et les coûts se réduisent peu à peu.

L'estimation de 50 à 60 euros par mégawattheure repose sur un certain nombre d'hypothèses importantes.

D'abord, les EPR seront construits par paires, pour bénéficier d'une mutualisation entre les deux EPR construits. Cela répond à la plupart des appels d'offres en Europe.

Ensuite, le taux de disponibilité de la centrale est de 92 %, ce qui est très supérieur au taux actuel de disponibilité d'EDF. Cela est essentiellement dû à des questions de design : le réacteur est conçu pour que certaines opérations de maintenance puissent se faire en temps masqué pendant son fonctionnement. Ce concept est hérité des centrales allemandes, qui ont des taux de disponibilité supérieurs aux nôtres.

Par ailleurs, l'amortissement des coûts fixes d'exploitation est supérieur à celui de la génération précédente. En effet, la puissance de l'EPR est de 1 630 mégawatts, contre 1 500 mégawatts pour l'ancien N4.

En outre, en raison de sa conception, le réacteur EPR consomme 10 % de combustible en moins que la génération précédente. Ce point est insuffisamment connu.

Enfin, la durée de vie est de 60 ans alors que, pour le N4, le calcul se faisait avec une durée de vie de l'ordre de 40 ans.

Les coûts de production de l'EPR le rendent tout à fait compétitif par rapport non seulement aux filières classiques, que ce soit le gaz ou le charbon, sans même tenir compte des hausses des prix du gaz et du CO2, mais également aux filières renouvelables. Je reviendrai plus tard sur ce point.

Vous m'avez aussi interrogé sur la capacité du système français à assurer le déploiement d'EPR. Tout dépend des hypothèses que choisirait EDF pour assurer le remplacement du parc existant.

En tout état de cause, il faut prendre en compte les caractéristiques de l'EPR.

D'une part, sa puissance moyenne installée est de 1 600 mégawatts alors que celle des centrales varie aujourd'hui entre 900 et 1 300 mégawatts, soit 1 100 mégawatts en moyenne. D'autre part, le taux de disponibilité de l'EPR est supérieur de dix points à celui des anciens réacteurs. Il faut donc évidemment moins d'EPR que de réacteurs de la génération précédente. Pour remplacer la totalité du parc, un mégawatt pour un mégawatt, il faudrait une trentaine d'EPR. Vous devriez poser la question à EDF, qui réfléchit à des scénarios permettant de lisser le programme de reconstruction.

La construction des réacteurs actuellement en service a été faite avec, nous le savons, un pic très important de chantiers lancés simultanément. En 1986, il y a eu, me semble-t-il, jusqu'à huit démarrages de réacteurs en même temps. Aujourd'hui, EDF privilégie un lissage.

De notre côté, nous avons travaillé pour que la chaîne de sous-traitance, qu'elle soit en France, pour la fabrication des forgets au Creusot, ou au Japon, pour les pièces pour lesquelles nous n'avons pas encore développé de capacité de production, soit capable de fabriquer, produire et suivre en termes d'ingénierie, selon les maillons de la chaîne, de deux à cinq EPR par an.

Selon nous, il n'y a pas de problème de capacité industrielle. Certes, il faudrait probablement ajuster, recruter des personnels, mais nous avons les capacités industrielles pour mener un programme de remplacement significatif du parc français.

Vous m'avez interrogé sur le mécanisme en cours de discussion en Grande-Bretagne, qu'il est extrêmement intéressant à suivre. Il faut rappeler que la Grande-Bretagne est le premier pays qui, à la fin des années 1980, a dérégulé massivement le système de production électrique, ce qui a fini par poser des difficultés en termes de sécurité d'approvisionnement.

En effet, il est très difficile de construire des centrales à charbon en Grande-Bretagne ; les ressources de gaz, qui ont permis pendant un moment de couvrir les besoins en électricité, sont déclinantes en mer du Nord ; enfin, le parc nucléaire britannique, de par sa conception, n'a pas une capacité énorme d'extension de durée de vie.

Dès le premier semestre de 2011, le ministère de l'énergie britannique avait lancé un livre blanc reposant sur quatre mesures principales, qui sont intéressantes à connaître.

Premièrement, est appliqué le mécanisme dit « de capacités » : la capacité est rémunérée pour permettre le développement de centrales de production d'électricité de pointe.

Deuxièmement, on instaure des standards obligatoires de performance en matière d'émission de CO2. Ainsi, s'il n'y a pas d'installation de captage du CO2, il n'est pas possible de construire des installations au charbon.

Troisièmement, un prix plancher du CO2 est mis en place, ce qui est très important au regard des fluctuations observées ces dernières années. Il permet de renforcer les technologies sobres en carbone, tout en étant neutre par rapport aux technologies utilisées : il n'avantage ni les énergies renouvelables, ni le nucléaire. Toute technologie sobre en émission de carbone bénéficie de ce mécanisme de prix plancher.

Quatrièmement, enfin, un système de tarifs de rachat est mis en place. Ces tarifs de rachat de long terme permettent à des investissements capitalistiques lourds, nécessaires aussi bien pour le nucléaire que pour les énergies renouvelables, d'être pris en compte.

Les objectifs sont clairs : mettre en place un nouveau système de production électrique et garantir la sécurité d'approvisionnement et l'indépendance énergétique, tout en assurant une très forte décarbonisation du secteur de l'électricité.

Les tarifs de rachat et le prix plancher du CO2 sont les deux éléments principaux. Ils permettent d'apporter une certaine garantie, de diminuer les incertitudes sur les prix de vente du kilowattheure et ainsi de faciliter la décision et le financement d'investissements de production d'électricité qui sont, nous le savons, lourds pour des projets très longs.

Aujourd'hui, il est encore trop tôt pour savoir quel sera exactement le prix de l'électricité. Le gouvernement britannique devrait finaliser les tarifs de rachat vers la fin de l'année 2012 ou le début de l'année 2013, pour que des contrats puissent entrer en vigueur en 2014. Ces contrats concerneront en priorité des investissements à plus courte durée de réalisation, les toutes premières centrales nucléaires devant entrer en fonctionnement en Grande-Bretagne entre 2018 et 2020.

Aujourd'hui, deux acteurs développent de tels projets : EDF, qui a d'ores et déjà démarré, avec nous, des activités d'études et de réalisation de quelques composants sur le site de Hinkley Point, et un consortium rassemblant des électriciens allemands, Horizon, lequel devrait annoncer dans les prochaines semaines le choix de la technologie qu'il retiendra.

Nous ne participons évidemment pas aux négociations de tarifs avec le gouvernement britannique. Notre travail a consisté à fournir aux électriciens nos propositions de prix sur la base desquelles ils peuvent discuter avec le gouvernement britannique.

Cette réforme est extrêmement importante ; elle doit nous faire réfléchir à la possibilité de déployer de nouveaux mécanismes permettant simultanément une décarbonisation de la production d'électricité, le maintien d'une certaine compétition et la réalisation d'investissements lourds, à un moment où, nous le savons, l'Europe doit renouveler ses investissements et mettre en place des solutions décarbonisées.

Vous m'avez aussi posé une question sur le démantèlement, sur lequel je tiens à vous rappeler quelques points importants. Dans son rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'y avait aucun coût caché dans la filière nucléaire, même s'il demeure un certain nombre d'incertitudes dans le démantèlement. Elle ne remet pas en cause l'estimation des opérateurs ; même s'il y avait un doublement des devis de démantèlement, la hausse du coût de production de l'électricité ne serait que de 5 %.

Pour AREVA, le démantèlement correspond à deux choses différentes. C'est d'abord le démantèlement de ses propres installations en tant qu'exploitant d'activités industrielles du cycle de combustibles ; c'est ensuite celui des installations de ses clients pour lesquels elle est fournisseur de services, non seulement en France, mais également en Allemagne et aux États-Unis.

En ce qui concerne nos propres installations en France, la Cour des Comptes rappelle - tous les chiffres ont été publiés dans son rapport - que les charges de démantèlement sont de l'ordre de 7 milliards d'euros et qu'elles sont correctement provisionnées. Le démantèlement a d'ores et déjà commencé pour un certain nombre d'activités.

Par exemple, l'arrêt définitif de l'usine UP2 400 de La Hague, qui avait été mise en service en 1966 et a permis le traitement de 10 000 tonnes de combustibles, a été décrété en 2003. Aujourd'hui, compte tenu de l'état d'avancement, nous estimons que le devis de démantèlement est stabilisé ; il n'a d'ailleurs pas changé entre 2006 et 2010.

En revanche, le devis de démantèlement d'Eurodif, une installation d'enrichissement qui va bientôt être arrêtée, a crû pendant cette même période, mais cette hausse s'explique par un changement de périmètre, c'est-à-dire la volonté de procéder à un démantèlement plus important, et par une augmentation du volume de déchets et de contamination à traiter. Vous avez certainement vu que nous avons prévu, dans les comptes de l'entreprise en 2011, une provision récente pour faire face à cette augmentation.

Nos démantèlements sont des opérations très spécifiques pour lesquelles nous devons compter sur notre propre expertise pour assurer les devis. Il est en effet difficile de s'appuyer sur des expertises extérieures pour des opérations comparables.

Pour nos nouvelles installations, que ce soit George Besse II, UP2/800 et UP3 à La Hague, et Melox, le démantèlement a été intégré dès la phase de conception des installations afin de l'optimiser, ce qui n'était probablement pas le cas pour les générations précédentes d'équipements.

Nous procédons à une révision périodique des devis, triennale lorsque le démantèlement n'a pas encore commencé et annuelle lorsqu'il est en cours. Nous pouvons ainsi « recaler » les choses régulièrement.

Pour le démantèlement des installations de nos clients, je tiens d'abord à insister sur le fait que, pour nous, cette activité est non pas théorique, mais bien réelle. Près de 1 500 collaborateurs, représentant l'ensemble des métiers, travaillent sur ces chantiers, pour la préparation des projets, la gestion, l'assainissement, le démantèlement et le traitement des déchets. Nous travaillons pour La Hague, le CEA, Superphénix, mais également en Allemagne, où nous avons participé au démantèlement d'un réacteur, et aux États-Unis, auprès du Department of energy.

L'accumulation de toutes ces expériences permet de fiabiliser les devis que nous préparons pour le compte de nos clients et les engagements commerciaux que nous prenons. Il en va de même des études très approfondies que nous effectuons pour préparer les opérations de démantèlement.

Pour revenir à votre question, dans le cas particulier des réacteurs, le système en France est quelque peu différent : EDF assure la maîtrise d'ouvrage et une grande partie de la maîtrise d'oeuvre et ne nous confie qu'une partie des réalisations à faire. Nous n'avons donc pas de vision globale du devis de démantèlement d'un réacteur français ; nous ne connaissons que celui de la part qui nous est confiée.

Il n'est pas étonnant que les coûts de démantèlement soient assez variables, car, comme je l'ai indiqué précédemment, ces coûts varient en fonction des hypothèses retenues pour le projet, le type d'installation, l'âge et de l'intégration, ou non, dès le démarrage du projet de démantèlement. Le fonctionnement, la conception, le génie civil, tous ces éléments sont également importants.

Le coût varie également, et cela concerne particulièrement le parc français, en fonction de la courbe d'apprentissage, de l'effet d'expérience, des économies d'échelle engendrées par la construction de plusieurs réacteurs.

Enfin, il faut prendre en compte la stratégie de démantèlement retenue par l'opérateur : un démantèlement immédiat ou différé. Un certain nombre de coûts fixes du démantèlement découlent des coûts de surveillance du site : ils varient fortement selon que le site est encore en fonctionnement pour une partie des autres réacteurs ou qu'il est totalement abandonné.

J'en reste là sur la question du démantèlement, mais je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur ce point.

J'en viens au coût de production de l'électricité à partir d'autres sources que le nucléaire. AREVA a souhaité, sous l'impulsion d'Anne Lauvergeon, et j'ai repris cette stratégie, s'engager dans le domaine des énergies renouvelables. Il s'agit d'une décision d'entreprise récente, datant d'il y a quelques années, qui s'est essentiellement traduite par des acquisitions. Nous intégrons ces activités, et nous les soutenons industriellement et commercialement pour qu'elles se développent.

Nous le faisons dans les domaines de l'éolien en mer (offshore), mais pas dans le terrestre (onshore), dans le domaine du solaire à concentration, mais pas dans le photovoltaïque, dans le domaine de la biomasse, mais aussi dans le stockage, qui est plus en phase de développement.

Je vais vous donner les coûts sur lesquels nous travaillons.

Pour l'éolien terrestre, nous observons que la moyenne de coûts est située entre 80 et 90 euros par mégawattheure, avec un investissement qui représente entre 80 % et 90 % du coût de production.

Pour l'éolien en mer, les coûts sont très variables en fonction de la distance à la terre, de la taille du champ, de la profondeur et de la qualité de la fondation, c'est-à-dire des sols marins. Vous le savez, l'appel d'offres en cours dans notre pays a retenu une fourchette de 115 à 200 euros par mégawattheure.

Les conditions de vent sont évidemment des facteurs très importants de différences. Par rapport à la France, le temps de vent efficace est en Allemagne supérieur de 30 % en moyenne. Pour des installations très capitalistiques, cet élément a un impact immédiat sur le coût du kilowattheure.

Nous participons à l'appel d'offres sur les cinq champs français et nous attendons avec impatience de connaître la décision. Nous sommes avec GDF-Suez sur certains champs et avec Iberdrola sur d'autres.

Pour les installations offshore, l'investissement représente 80 % du coût de production du mégawattheure, car il s'agit d'installations capitalistiques. La turbine compte pour une petite moitié de l'investissement. Quant aux coûts de maintenance et d'intervention, ils en représentent 20 % : pour l'éolien offshore, ils sont assez importants puisqu'il faut être prêt à réagir très rapidement en cas de panne. Tout kilowattheure perdu coûte très cher. Les conditions d'intervention rendent parfois nécessaire l'utilisation de moyens lourds, hélicoptères ou bateaux.

Nous comptons un technicien par turbine pour assurer la maintenance des champs : c'est une très bonne chose du point de vue de la création d'emplois, mais le coût à payer pour assurer une bonne réactivité des équipes est relativement significatif. Nous concevons des turbines optimisées en termes de durée de maintenance : tout est fait pour que la maintenance soit la plus limitée possible. Mais les interventions mobilisent des équipes importantes.

Sur le solaire photovoltaïque, un sujet largement débattu, nous retenons un coût de l'ordre de 250 euros par mégawattheure. Là aussi, les variations sont très importantes selon les pays. Vous le savez, les prix des panneaux ont baissé. La question qui se pose est de savoir quelle est dans cette baisse des prix la part qui résulte de l'évolution technologique, celle qui résulte de l'augmentation des séries de production et celles qui s'explique par les surcapacités de production existant aujourd'hui dans le monde - je pense en particulier à certains pays à l'est de la France qui ont tendance à casser quelque peu les prix du marché.

Pour le solaire thermique à concentration, qui est notre domaine d'activité, nous avons deux types d'application.

D'une part, nous proposons une centrale de production d'électricité : l'eau est chauffée et, à partir de miroirs, de la vapeur est produite qui fait tourner une turbine. Nous vendons souvent à l'Inde une centrale de 125 mégawatts. Vous le voyez, il s'agit d'installations de taille relativement importantes. Les prix sont, là aussi, extrêmement variables en fonction de la configuration choisie, de l'ensoleillement et du prix du terrain, ces installations prenant beaucoup de place.

Nous vendons aussi un produit très intéressant, les boosters. Cette technologie est utilisée pour réchauffer de la vapeur et augmenter la vapeur introduite, par exemple, dans des centrales à charbon. Nous avons une installation de ce type qui, couplée avec une centrale à charbon, améliore le rendement de cette dernière, tout en diminuant la consommation de charbon, et donc la production de CO2.

Vous m'avez interrogé sur les perspectives de réduction des coûts. Dans le domaine des énergies renouvelables, certaines technologies sont très mûres et d'autres ne font que démarrer. C'est enfoncer une porte ouverte que de dire que ces dernières ont évidemment un potentiel de réduction de coût plus important. Tel sera particulièrement le cas de l'éolien offshore et peut-être encore du solaire photovoltaïque. Mais il est clair qu'il va falloir faire des sauts.

Une partie des coûts de l'éolien offshore sont des coûts d'installation dérivés en fait des technologies de l'industrie pétrolière. À part un effet de série, il est difficile d'imaginer qu'on puisse faire, sur ce poste, des gains très significatifs, les technologies étant déjà disponibles.

Un des sauts importants à réaliser pour réduire le coût de l'éolien offshore sera l'augmentation de la taille de la turbine. Aujourd'hui, celle que nous commercialisons fait 5 mégawatts ; certains de nos concurrents annoncent des turbines de 6 ou 7 mégawatts. Mais un accroissement de la puissance se traduira forcément par une augmentation du poids ou par la mise ou point de matériaux plus légers, sans pour autant que cela nuise à la fiabilité. Encore une fois, il est absolument essentiel pour ces technologies offshore que la fiabilité des turbines soit parfaite afin de minimiser les temps d'intervention.

De ce point de vue, le soutien mis en place pour les énergies renouvelables est absolument nécessaire pour la réalisation de ces opérations qui vont permettre de tester de nouvelles technologies, de créer cet effet d'apprentissage que j'évoquais tout à l'heure pour le nucléaire et d'abaisser ainsi progressivement les coûts.

Vous m'avez aussi interrogé sur le stockage de l'énergie. Il s'agit d'une question-clé compte tenu de l'intermittence des ressources des énergies renouvelables. Je ne vais pas revenir sur les chiffres et sur les caractéristiques de ces énergies, mais il faut trouver des capacités pour le stockage de l'énergie.

Nous travaillons sur une solution par le biais d'Helion, qui correspond à la filière hydrogène. Nous participons ainsi à une opération concernant l'université de Corse, opération que je souhaite mettre en avant : il s'agit de la plateforme Myrte, cofinancée par AREVA, l'État français, la collectivité territoriale de Corse et l'Union européenne. Ce projet avance conformément au calendrier prévu, ce qui est important pour un projet novateur. Il s'agit d'une centrale photovoltaïque couplée à une chaîne hydrogène : le stockage se fait pendant la journée et permet d'assurer l'approvisionnement électrique de l'université pendant la nuit.

C'est aujourd'hui une installation pilote : on est encore très loin d'un déploiement industriel. Je ne souhaite donc même pas parler des coûts correspondants... Toutefois, je pense que cette première opération montre l'intérêt de se mobiliser sur ce sujet et de lancer des programmes de recherche importants.

En ce qui nous concerne, c'est la filière que nous avons choisie. Il y en a sans doute d'autres, et la sagesse serait que différentes filières soient explorées en parallèle pour permettre évidemment à la meilleure technologie de se développer.

Il existe aussi probablement de grandes variations en fonction de la taille des installations. Selon moi, la formule du stockage n'est sûrement pas une réponse unique, mais c'est une réponse variée et variable en fonction de la taille des installations.

Pour laisser de la place à nos échanges, j'en viens à votre dernière question, relative à la quatrième génération.

Il est évident que nous continuons à travailler sur ce projet. Nous y travaillons dans le cadre du projet ASTRID, mené par le CEA. C'est un projet qui, lui aussi, nous paraît très important pour assurer le développement continu de notre industrie. Cela permettra d'optimiser à la fois la consommation d'uranium et la gestion des déchets.

D'après les calendriers du démonstrateur qui nous ont été annoncés, il est aujourd'hui plutôt question d'un démarrage de la construction en 2017. Mais tout cela est susceptible d'être redéfini. Il est certain qu'il reste, dans les prochaines années, à figer les grandes options technologiques et probablement aussi à dessiner ce que seront les partenariats internationaux à nouer pour ce type de filière. Aujourd'hui, les travaux en cours, qui mobilisent déjà plusieurs dizaines d'ingénieurs, sont essentiellement franco-français puisque réalisés conjointement par EDF, AREVA et le CEA.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le rapporteur, compte tenu des précisions de Luc Oursel, avez-vous des questions subsidiaires à poser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Oui, monsieur le président, mais je laisse d'abord la parole à mon collègue Ronan Dantec, qui ne pourra rester jusqu'au terme de l'audition. Or, vous le savez, il a une question urgente à poser.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

En outre, je ne doute pas qu'il sera sobre, concret et rapide !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Mes questions ne portent que sur des points de détail.

Sur les coûts, je souhaite juste avoir une précision : quand vous évoquez des coûts compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure, à terme, pour l'EPR et entre 80 et 90 euros par mégawattheure pour l'éolien, vous parlez bien en coûts courants économiques ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Absolument.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

C'était une précision importante.

Il ne s'agit pas ici d'avoir un débat technique : cela nous prendrait du temps et je sais bien que le président me rappellerait à l'ordre !

Toutefois, serait-il possible, pour ne pas rester dans la simple affirmation, que, sans contrevenir au secret-défense, vous nous adressiez un document à la fois détaillé et synthétique ?

Il pourrait s'agir d'un tableau en trois colonnes.

La première colonne porterait sur les coûts de l'EPR de Flamanville. Aujourd'hui, on parle d'à peu près 6 milliards d'euros. Ce montant comprend notamment le génie, la chaudière, les intérêts intercalaires - question extrêmement importante, que la Cour des comptes a soulevée -, etc. Il suffirait alors d'additionner l'ensemble des lignes de la colonne pour en connaître le coût global - soit, pour l'instant, probablement aux alentours de 7 milliards d'euros.

Une deuxième colonne concernerait l'EPR chinois, dont vous nous avez dit qu'il marchait « du tonnerre de Dieu » et qu'il allait donc coûter beaucoup moins cher.

Une troisième colonne porterait sur l'EPR de série. Vous pourriez ainsi nous expliquer, peut-être, que, sur un EPR de série, vous prévoyez 1 milliard d'euros de génie civil, et non pas 2 milliards d'euros comme à Flamanville. Je prends cet exemple uniquement pour vous expliquer l'esprit de ce que nous attendons.

Avec ce tableau, il s'agirait d'avoir quelque chose de suffisamment détaillé sur l'ensemble de ces coûts pour nous permettre d'avoir une idée plus précise de la manière dont vous concevez effectivement les économies de série. Si vos propos sont intéressants, le risque est que l'on reste un peu dans l'affirmation. Or on est quand même là au coeur de notre rapport sur le coût réel de l'électricité.

Si je peux me permettre, je vous ai trouvé un peu imprudent d'annoncer un prix de série compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

En ce cas, monsieur le président, vous ajoutez à l'imprudence !

En effet, je vous rappelle qu'EDF-Energy est en train de négocier avec les autorités britanniques, et cela m'étonnerait que la négociation se fasse aux alentours de 60 euros le mégawattheure... Pour ma part, j'avais cru comprendre que l'on était parti sur une négociation à un plus haut niveau. Il est donc un peu embêtant que l'on donne déjà ce genre de chiffre.

Au-delà de mon souhait de disposer de tableaux nous donnant une vision en coûts courants économiques beaucoup plus précise, j'ai une question - une vraie, cette fois - à vous poser avant de m'éclipser. Cette question est assez simple : elle porte sur le retraitement, dont on parle finalement assez peu et que tout le monde ne pratique pas. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de continuer à retraiter ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Monsieur le sénateur, sur votre première question, j'ai probablement failli à ma tâche parce que j'avais justement essayé de prendre quelques exemples très concrets pour vous montrer comment l'effet de série se traduisait pratiquement, par exemple sur des durées de fabrication de gros composants ou sur les programmes d'ingénierie.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Nous allons donc essayer de faire le tableau que vous nous demandez.

J'ai une petite difficulté pratique concernant l'EPR de Flamanville : c'est EDF qui le construit et donc qui connaît l'ensemble des éléments du devis. Les choses sont un peu différentes pour le cas finlandais, sur lequel nous avons une vision plus complète.

S'agissant de l'EPR chinois, je vous ai apporté plusieurs précisions.

J'ai d'abord dit que l'on bénéficiait effectivement aujourd'hui de tout le retour d'expérience de la Finlande et de Flamanville.

Je vous ai également indiqué que, sur le plan budgétaire, notre objectif était une valeur comprise entre 50 et 60 euros par mégawatheure.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

50 à 60 euros par mégawatheure, cela correspond à des valeurs d'Europe occidentale, où les coûts des facteurs sont à peu près homogènes. Il est évident qu'en Chine, par exemple, les coûts de main-d'oeuvre sont différents.

Nous ne connaissons donc pas, là non plus, tous les coûts de l'EPR chinois puisque, si nous avons, sur ce dernier, une responsabilité particulière, cette dernière coïncide avec les objectifs qu'avait le gouvernement chinois.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Non.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous ne pouvez pas nous dire qu'il sera vraiment moins cher ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Non. Il sera bien sûr moins cher qu'un EPR en France, mais ce coût se décompose en fait en deux types de coûts. Vous aurez, pour des équipements, des coûts strictement identiques. Sur ce plan, vous observerez tout simplement l'effet d'expérience que je vous décrivais. Vous aurez ensuite des coûts particuliers aux marchés chinois, comme, par exemple, les coûts de construction, sur lesquels vous enregistrerez évidemment à la fois l'effet d'apprentissage et les coûts de main-d'oeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

On est bien d'accord !

Vu ce que vous venez de dire, vous connaissez le prix de l'EPR chinois.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Non ! Aujourd'hui, dans l'EPR chinois, nous ne fournissons pas tout. Ce que nous fournissons, c'est un contrat ingénierie et achat sur la partie îlot nucléaire. Par exemple, en Chine, nous ne sommes pas en charge du génie civil ; c'est le client chinois lui-même. Sur ce point, je ne dispose donc pas de la donnée pratique.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous savez que c'est moins cher, mais vous n'avez pas le coût.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Voilà. Mais je sais que c'est moins cher compte tenu des conditions de réalisation du chantier, du nombre de personnes qui y travaillent, de sa durée, ainsi que d'un certain nombre d'améliorations que, je le répète, nous avons-nous-mêmes introduites lors des chantiers précédents.

Nos comparaisons portent sur des équipements identiques. Telle vanne que nous avions achetée à un certain prix pour la Finlande nous sera vendue moins cher par le même fournisseur eu égard à l'effet d'expérience et à l'ingénierie.

S'agissant du retraitement, c'est un sujet qui mériterait un long débat ; je n'ose pas essayer de vous convaincre ce soir. Je peux toutefois vous dire que la France n'est pas la seule à avoir retenu cette option : nous avons retraité et nous continuons à retraiter pour un certain nombre d'autres pays, et pas nécessairement des pays qui ont systématiquement de grandes flottes. Je prends le cas particulier des Pays-Bas, qui exploitent une centrale et ont décidé d'y retraiter et d'y brûler du combustible MOX (mélange d'oxydes). Vous savez que le Japon a fait le choix du retraitement. Vous savez que la Chine est en passe de faire de même. Vous savez aussi que les États-Unis ont mis en place une nouvelle commission, la Blue Ribbon Commission, laquelle vient de rendre ses conclusions : si elle ne tranche pas clairement pour, elle ne tranche pas non plus contre, ce qui est inédit.

Je pense donc que la multiplicité de ces situations et le fait qu'un grand nombre de pays aient utilisé le retraitement, qu'un grand nombre de centrales, et pas seulement en France, aient brûlé du MOX constituent probablement la meilleure réponse à votre question sur la compétitivité économique et la pertinence de cette solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Cher Ronan Dantec, avez-vous eu la réponse à votre question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Monsieur le président, je n'abuserai pas du temps qui nous est collectivement imparti !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Je reviens sur la question de M. Dantec.

Avez-vous déjà une idée du coût d'un EPR que la France déciderait d'installer, par rapport à ce qui est investi sur Flamanville ? Je n'ai pas soit tout entendu, soit tout compris de ce que vous avez répondu.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Nous raisonnons en coûts de production par mégawattheure. Aujourd'hui, dans un système où les EPR seraient construits selon une certaine série, où le retour d'expérience serait cumulé, nous pensons que l'on peut viser un coût compris entre 50 et 60 euros par mégawattheure.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

C'est la réponse que vous nous avez donnée sur la manière dont vous avez répondu à des appels d'offres.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Absolument.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Pouvez-vous répéter de quels appels d'offres et de quels pays il s'agissait ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

En outre, vous avez dit que, dans presque tous les projets, il s'agissait d'une construction par paire.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Oui.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Si ! Il s'agira aussi de paires en Pologne.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Absolument. En République Tchèque, où il y a un appel d'offres en cours, c'est aussi une paire. Il en va de même en Grande-Bretagne. En Finlande, ce sont des unités seules.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Non, nous sommes consultés pour en proposer un deuxième ! Et l'appel d'offres, qui a commencé, n'émane pas du même client. Vous savez que la Finlande avait quatre réacteurs. Elle avait décidé la construction d'un cinquième réacteur - un « Finlande 5 » -, le fameux Olkiluoto 3, et elle a voté, il y a quelques années, la construction de deux réacteurs supplémentaires.

L'un sera construit par notre client actuel, TVO, et l'autre le sera par un autre client, qui s'appelle FVO. Ce client a d'ores et déjà lancé son appel d'offres. Nous sommes en concurrence avec Toshiba-Westinghouse : ce sera l'EPR contre un réacteur bouillant. Évidemment, nous avons, là, la possibilité de bénéficier du retour d'expérience du premier chantier.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Pensez-vous que vous avez des chances, malgré ce qui s'est passé sur ce premier dossier en termes de durée et de surcoût ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

D'abord, le fait que nous ayons été appelés montre bien l'intérêt qu'on nous porte.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

En effet !

On voit bien aussi, pour les Finlandais, l'intérêt, en termes de commodité d'exploitation, d'avoir un parc relativement homogène. Autre intérêt pour le client finlandais : le fait que les leçons aient été tirées des difficultés du premier chantier : nous pouvons raisonnablement faire l'hypothèse que ces difficultés ne se reproduiront pas. C'est un élément de certitude que nous offrons à nos clients.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Le coût que vous avancez est-il fonction des mégawattheures produits ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Oui. Nous donnons un coût en fonction du mégawattheure parce que nous voulons absolument illustrer, de cette façon, les caractéristiques particulières de disponibilité et de moindre consommation de combustibles de l'EPR par rapport à la génération précédente et par rapport à d'autres technologies. Raisonner seulement sur le coût en capital serait ne pas rendre compte de ces avantages.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Mais, après, vous vendez bien une machine pour x milliards ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

D'abord, suivant les appels d'offres, nous vendrons tout ou partie de cette machine, en fonction de l'organisation industrielle que voudra mettre en place le client.

Certains clients souhaiteront, par exemple, une solution packagée ou un consortium ; nous leur proposons alors d'assurer la totalité du chantier. D'autres voudront conserver un rôle de maîtrise d'oeuvre, et non pas seulement de maîtrise d'ouvrage. Dès lors, ils segmenteront la centrale en différents lots et assureront eux-mêmes la coordination. Toutes les configurations sont possibles et se pratiquent.

En outre, je vous rappelle que, lorsque nous proposons ces réacteurs, grâce au modèle intégré d'AREVA, dans un certain nombre de cas liés à l'offre de l'EPR, nous avons également une offre de fourniture de combustible à long terme.

Peut-être vous souvenez-vous que, pour les deux EPR construits en Chine, le contrat comprenait non seulement la fourniture d'une partie de la tranche de l'EPR, mais aussi la fourniture du combustible pour une longue période puisque nous avions signé pour quinze ans. L'engagement ne porte donc pas simplement sur la partie construction.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Arrive-t-il que certains de ces appels d'offres européens demandent un exploitant ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Non. Il n'y a pas de demande pour qu'un exploitant se substituant stricto sensu à l'investisseur : cela n'existe pas en Europe.

En revanche, les appels d'offres européens prévoient souvent le soutien d'un exploitant pour les phases de démarrage de la centrale et de formation des opérateurs, ce qui est tout à fait normal.

Dans un certain nombre de cas - ce pourrait être le cas en Pologne, même si ce n'est pas très clair -, les appels d'offres prévoient qu'il y ait, aux côtés de l'électricien principal, un investisseur, lequel apporte une expérience d'opérateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mais, en Pologne et en République Tchèque, qui répond à l'appel d'offres : vous ou EDF ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

En Pologne, pour la partie portant véritablement sur la construction, sur la réalisation de la centrale, nous allons répondre avec EDF. Il est toutefois possible que l'électricien polonais demande à EDF - ou à un autre - d'investir dans la centrale et d'y apporter son expérience d'opérateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Il faut, dans certains cas de figure, utiliser les bonnes relations de l'électricien polonais avec l'électricien français.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Exactement. C'est un point qui, vous vous le rappelez, avait suscité beaucoup de débats dans l'affaire des Émirats arabes unis. Nous avons aujourd'hui en la matière une réponse totalement pragmatique : nous étudions avec EDF les besoins du client et nous voyons quelle est la meilleure configuration.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Au Sénat, nous avons reçu, à deux reprises, des délégations de parlementaires polonais. Chaque fois, ils nous ont interrogés sur l'acceptabilité par l'opinion publique, sujet qui les préoccupait beaucoup. Mais la question des bonnes relations d'EDF avec l'électricien polonais était particulièrement importante à leurs yeux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Je n'envisageais pas de poser une question sur le nucléaire, mais je constate que, dans notre discussion, nous entrons énormément dans le détail des sites.

En Chine, à côté du site sur lequel l'EPR est en cours de construction, il y a déjà un « quasi-trou » pour l'EPR n° 2 et, un peu plus loin, un autre « quasi-trou » pour l'EPR n° 3.

Pouvez-vous nous communiquer les hypothèses d'application sur les EPR n° 2 et n° 3 ?

En ce qui concerne le solaire, vous nous avez donné le prix estimé du solaire photovoltaïque. Vous avez parlé du solaire par concentration, mais vous ne nous avez pas informés sur son prix, pas plus que sur celui du booster.

Enfin, en ce qui concerne le stockage, vous nous avez parlé de l'hydrogène, mais pas de la possibilité de la station de transfert d'énergie par pompage, alors que vous y avez eu recours dans le couplage nucléaire-hydraulique. Or on sait que l'Allemagne et l'Autriche se targuent de vouloir être demain les « batteries » de l'Europe, en stockant, justement, l'énergie fabriquée par les sources de production intermittentes, ce qui serait un comble.

Intégrez-vous ce stockage, notamment au niveau national ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

S'agissant tout d'abord de la Chine, vous êtes probablement allés sur le site de Taishan.

Quelle est la situation aujourd'hui ?

Taishan n° 1 est en cours de construction et Taishan n° 2, son jumeau, le suit à douze mois. Des travaux préparatoires ont déjà été faits pour accueillir Taishan n° 3 et n° 4 et, un peu plus loin, le site présente, sans toutefois qu'aucuns travaux aient encore été faits, ce qui pourrait être Taishan n° 5 et n° 6.

Aujourd'hui, sur Taishan n° 3 et n° 4, nous avons remis une offre au partenaire chinois. Mais vous savez que, pour l'instant, la Chine a suspendu son processus d'autorisation de nouvelles constructions. Ce processus devrait reprendre dans les prochains mois. À ce moment, nous espérons, compte tenu du bon déroulement de Taishan n° 1 et n° 2, avoir quelques possibilités de réaliser Taishan n° 3 et n° 4. Ce serait évidemment une belle confirmation du potentiel de l'EPR.

Au regard de ce qui m'a été décrit lors de mon dernier voyage en Chine, je pense que cette reprise du processus d'autorisation de nouvelles constructions pourrait intervenir dans le second semestre de cette année, sachant que le gouvernement chinois veut tirer tous les enseignements de Fukushima.

De ce point de vue, l'EPR présente un avantage : son passage au crible, après Fukushima, par les autorités de sûreté française, britannique et finlandaise, n'a pas montré la nécessité de procéder à des modifications majeures. Nous en sommes fiers, et je le dis sans aucune arrogance. En effet, le processus de conception de l'EPR avait très clairement intégré un certain nombre de faiblesses de cet ordre. Je prends l'exemple des fameux moteurs diesels : vous savez qu'un EPR, c'est six diesels, localisés dans deux bâtiments séparés, étanches, résistant aux chutes d'avion, etc.

Sur le solaire par concentration, je n'ai effectivement pas donné de valeur parce que, encore une fois, il faut vraiment raisonner au cas par cas. Les éléments tels que la préparation du terrain ou le transfert sur le chantier sont très spécifiques. Il me paraît donc difficile de vous donner des valeurs qui soient très pertinentes.

Concernant les stations de pompage que vous évoquiez, j'ai quelques souvenirs de mon lointain passé de haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie et du climat. Ces constructions n'entrent pas aujourd'hui dans le portefeuille de compétences d'AREVA ; c'est EDF qu'il faut essentiellement interroger sur ce point.

Il me semble toutefois que ces constructions présentent aujourd'hui non pas des problèmes techniques - tout est bien connu -, mais plutôt des problèmes d'acceptation et de sites disponibles, dans des environnements montagnards, lesquels sont ou protégés ou soumis à des contraintes très fortes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je souhaite poser une question concernant la durée de vie des centrales actuelles.

Vous savez que, dans quelques mois - ou, en tout cas, dans les prochaines années -, nous allons tous être confrontés à un grand débat. Quelle doit être la part du nucléaire dans l'électricité ? Quelle doit être celle du renouvelable ? Quelle politique faut-il avoir ? À cet égard, le coût est un paramètre parmi d'autres ; la sécurité et la sûreté des installations entrent également en ligne de compte.

Pouvez-vous donc nous donner votre appréciation sur la sûreté et sur la durée de vie des centrales actuelles ? Quel est le risque potentiel d'une prolongation de vingt ans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Si vous préférez, monsieur le président !

Je vous pose d'autant plus facilement cette question que l'EPR se veut une installation plus sûre - en tout cas, c'est ce que vous dites -, notamment en termes de béton. Peut-être pouvez-vous nous parler aussi des cuves. Il y a une expérience sur les cuves : c'est en leur sein que se fait le grand chambardement. Quelle est la durée de vie d'une cuve ? Les fissures pourraient annoncer que les cuves ne peuvent aller au-delà de trente ou quarante ans.

Vous qui, justement, avez ce souci, quand vous vendez l'EPR, de le présenter comme étant plus sûr que d'autres installations, que pensez-vous de la prolongation des centrales actuelles ? Est-ce raisonnable ? Quel est le degré de sûreté ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Vous le savez, ce sujet de l'extension de la durée de vie des centrales devient d'une grande actualité en France, avec évidemment le premier cas de Fessenheim.

Ce sujet a déjà été traité dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis, où le parc est plus ancien que le nôtre. Aujourd'hui, à la suite de contrôles menés par l'autorité de sûreté, la durée de vie d'un très grand nombre des centrales américaines a d'ores et déjà été étendue, jusqu'à soixante ans.

Il ne faut évidemment pas imaginer une situation statique, en cas d'extension de durée de vie. En France, c'est un processus qui fait l'objet d'examens décennaux, ainsi que, entre ces examens, d'inspections et de contrôles réguliers.

Pour étendre la durée de vie des centrales, il faut remplacer un certain nombre de composants. C'est ce qui s'est fait, par exemple, en France, avec les générateurs de vapeur, et c'est ce qui peut se faire avec un certain nombre d'autres composants.

Selon moi, il n'y a pas d'arbitrage à opérer entre durée de vie et sûreté. Je pense que l'extension de durée de vie ne peut se faire qu'à sûreté égale ou renforcée. Pour cela, toute une série de mesures, en particulier techniques, doivent être prises au niveau de l'exploitation, comme le remplacement de composants.

AREVA a son rôle à jouer auprès d'EDF, qui a la responsabilité de gérer les procédures d'autorisation, les conditions d'exploitation et ces programmes de modernisation et de mise en conformité avec la sûreté. Pour ma part, je ne pense pas que la prolongation puisse se faire autrement qu'à sûreté égale ou supérieure, moyennant, donc, les travaux que j'évoquais.

Pourquoi l'EPR a-t-il une durée de vie de soixante ans ? Parce que, dans sa conception, nous avons tout simplement intégré des matériaux et le savoir-faire qui n'étaient pas nécessairement disponibles pour avoir, par exemple, des générateurs de vapeur fonctionnant soixante ans sans devoir être changés. La conception, l'expérience de la circulation des fluides à l'intérieur du générateur de vapeur font partie du retour d'expérience obtenu avec EDF sur l'ensemble du parc.

Les générateurs de vapeur ont donc été changés sur cette génération, comme cela a d'ailleurs été le cas dans le monde entier. Ainsi, dans le cas de l'extension de la durée de vie des centrales américaines, que je décrivais tout à l'heure, tous les générateurs de vapeur ont été changés. En France, les générateurs de vapeur de 900 mégawatts ont été changés. Le programme de changement des générateurs de 1 300 mégawatts va intervenir.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

La cuve pose un problème de contrôle. Dans les réacteurs existants, les pièces qu'il a fallu changer ont été, par exemple, les générateurs de vapeur et, parfois, les couvercles - non pas la cuve, mais son couvercle. Je parle ici pour le compte d'EDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Hier, la Cour des comptes nous a dit qu'EDF avait constaté avec surprise que l'usure d'un élément avait été plus importante que prévue dans les centrales actuelles. Était-ce la cuve ? Cet élément a-t-il été intégré dans le calcul ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

N'ayant pas d'élément très précis en tête, je préfère rester prudent dans ma réponse. Je suis prêt toutefois, si l'élément nous est communiqué, à vous donner notre point de vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Je voudrais revenir sur l'offshore. À moins de vouloir à tout prix se positionner à l'horizon de plusieurs décennies, je ne vois pas vraiment l'intérêt qu'il y a à être présent sur l'un des projets, sauf si vous espérez une vraie diminution des coûts, lesquels atteignent des sommets au niveau de la production. J'estime donc qu'il faut plutôt être présent dans une niche de recherche et développement.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

En fait, nous avons d'abord la conviction qu'un groupe comme AREVA doit développer à la fois le nucléaire et les énergies renouvelables ; il s'agit donc véritablement d'un choix stratégique. Nous le faisons également en raison de l'intérêt qu'il y a pour nous à valoriser ainsi notre présence commerciale auprès d'un certain nombre d'électriciens.

Nous prenons également en considération la possibilité de valoriser les technologies et les compétences que nous avons accumulées dans le nucléaire. De ce point de vue, j'ai beaucoup insisté sur la disponibilité nécessaire pour les turbines offshore, lesquelles travaillent évidemment dans des environnements assez agités, assez exigeants. Sur ce plan, nous pensons qu'un groupe comme AREVA peut, par le dessin des turbines, apporter une valeur ajoutée forte et contribuer ainsi à la conception de turbines particulièrement disponibles, adaptées à cet environnement et nécessitant des temps de maintenance réduits.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous pensons qu'il est souvent plus facile de développer une turbine offshore en partant d'un carton à dessin vide que de chercher à transposer une turbine onshore en augmentant sa puissance dans un environnement marin.

Nous pensons donc qu'il y a un marché, qu'AREVA y a sa place et que les coûts vont baisser.

Le cas français de l'appel d'offres français est un peu particulier : sur les toutes premières réalisations, il faut amortir un certain nombre de nouvelles capacités, qu'il va falloir créer. Pour ce qui concerne l'appel d'offres français, je vous rappelle que, si nous disposons de deux champs, nous envisageons d'y construire deux usines de fabrication de pales, de turbines, etc. Il va bien falloir amortir ces capacités.

Pour ma part, je suis convaincu que nous n'en sommes là qu'au début.

S'agissant de la disponibilité des équipements, nous avons la chance d'avoir six turbines qui fonctionnent maintenant en mer du Nord, dans des conditions très exigeantes, et qui ont d'ores et déjà produit 15 % d'électricité de plus que ce que nous attendions.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Voulez-vous dire que la production s'est accrue de 15 % ?

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Exactement.

Je pense également que les coûts vont évoluer, grâce, justement, à cette meilleure disponibilité, aux effets de série, à l'amortissement des infrastructures, etc.

Enfin, dans une perspective de long terme, une hausse des prix de l'électricité me paraît à peu près inéluctable.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur Oursel, je vous remercie beaucoup de nous avoir répondu de manière très complète et précise.

Il n'est pas impossible que notre rapporteur vous demande de nouveaux renseignements. En effet, j'ai constaté qu'il vous écoutait avec beaucoup d'intérêt et qu'il a notamment été sensible au fait que vous êtes de ceux qui, dans le monde entier, ont le plus d'expérience en matière de démantèlement. Comme ce dernier est un élément important du coût, ne soyez pas surpris s'il revient vers vous ou vers vos services pour obtenir sur ce sujet des éléments complémentaires.

Debut de section - Permalien
Luc Oursel, président du directoire d'AREVA

Je reste bien sûr à votre disposition et vous remercie à mon tour.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre M. Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir.

Monsieur Bazot, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous n'aviez d'ailleurs pas le choix : vous êtes obligé de vous présenter devant une commission d'enquête... (Sourires.)

Comme vous le savez, cette commission d'enquête a été créée notamment à la suite du rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait application de son « droit de tirage annuel » - afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Elle a désigné M. Jean Desessard rapporteur.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.

Monsieur Bazot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

(M. Alain Bazot prête serment.)

Je vous remercie.

Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions préliminaires qu'il vous a adressées. Vous y répondrez dans l'ordre qui vous semble le plus pertinent pour nous éclairer sur ce débat important.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur Bazot, je rappelle les quatre questions que nous vous avons adressées.

Première question, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?

Deuxième question, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?

Troisième question, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et à moyen terme, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables : crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro...

Quatrième et dernière question, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - + 25 % - de la demande de pointe : quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky, et ce dernier vous semble-t-il un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous paraît-elle excessive ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord d'auditionner une association de consommateurs, l'UFC-Que Choisir, sur un sujet aussi crucial que les coûts de l'électricité.

Au sondage que nous avons réalisé dans le cadre d'un pacte consumériste que nous voulions adresser aux candidats à l'élection présidentielle, nous avons recueilli 56 000 réponses. Il en ressort que, en matière d'énergie, 87 % des consommateurs ont pour principale préoccupation les tarifs, bien avant donc les problèmes liés à la qualité des services.

Depuis 2008 et le début de la crise, les consommateurs, en particulier les plus modestes d'entre eux, ont subi une augmentation généralisée des prix de l'énergie : + 44 % pour les carburants et + 25 % pour le gaz. C'est dire si l'annonce par le président de la CRE d'une hausse de 30 % du prix de l'électricité dans les années à venir a de quoi les inquiéter, car celle-ci s'inscrit dans un contexte non pas de stabilité, mais bien d'envolée considérable des prix depuis quelques années.

On ne peut pas traiter la question du prix de l'électricité sans se préoccuper des problèmes liés à la précarité énergétique. Les chiffres sont là : selon l'INSEE, plus de 3 800 000 ménages se trouvent en situation de précarité énergétique. Tout récemment, le médiateur national de l'énergie a estimé à au moins 500 000 le nombre de consommateurs visés par une réduction, voire une suspension de fourniture d'électricité en 2011. Il s'agit d'une situation inacceptable. C'est dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, l'enjeu du sujet que vous avez à traiter et pour lequel vous m'avez convoqué en tant que président d'UFC-Que Choisir.

L'augmentation d'environ 30 % d'ici à 2016 que prévoit M. de Ladoucette concerne non seulement les tarifs de fourniture, de transport et de distribution, mais également la contribution au service public de l'électricité, la CSPE. Dans ce contexte, au-delà des inquiétudes, cette annonce soulève un certain nombre de questions. Pour notre part, nous nous interrogeons notamment sur le cadre qui devrait entourer ces futures augmentations. Au-delà du niveau de ces augmentations, nous appelons à la plus grande vigilance en matière de lisibilité de cette future évolution.

Nous le savons, nous allons entrer dans un nouveau cycle d'investissement, où nous devrons faire face à la fois à des besoins en production, en transport, en distribution d'électricité, et à des moyens de production durables. Cela aura inévitablement pour conséquence dans le temps une augmentation significative des coûts, qui sera répercutée sur le consommateur.

Un principe figure dans la loi : le tarif réglementé doit couvrir les coûts réels supportés par les opérateurs. C'est une sorte de réalisme économique qui est ainsi posé.

Dans le même temps, le contrat de service public entre l'État et EDF qui n'a toujours pas été renégocié établit que, en tout état de cause, l'augmentation du prix ne doit pas dépasser l'inflation. La loi elle-même prévoit que le tarif doit être fixé dans le cadre de ce contrat. Néanmoins, dans la mesure où ce contrat reste par conséquent en vigueur et qu'il n'existe pas d'engagement pluriannuel de l'État avec EDF, on ne voit pas comment on pourrait mettre concrètement en oeuvre les perspectives de M. de Ladoucette.

Ces projections d'augmentation méritent d'être encadrées. Le consommateur a besoin de lisibilité et de visibilité en la matière. Si l'on veut de la prévisibilité, il est impératif de revoir le contrat de service public.

Examinons maintenant un peu plus précisément la facture d'électricité du consommateur. Elle est composée du tarif réglementé ou régulé, d'une part, de la contribution au service public de l'électricité, d'autre part.

Le tarif régulé a lui-même deux composantes : tout d'abord, ce qui est lié à la fourniture de l'énergie, de l'électricité - c'est la production - ; ensuite, ce qui est lié aux transports et à la distribution, à savoir le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE.

Le premier aspect du tarif régulé est la part liée à la fourniture. À partir de 2015, la contribution du prix de détail devra tenir compte du niveau de l'ARENH, qui a été fixé à 42 euros. Or le prix de référence historique d'approvisionnement en nucléaire s'élève à 35 euros. Ce passage de 35 euros à 42 euros entraînera une augmentation mécanique, inévitable même, de l'ordre de 11 %, uniquement pour cette part liée à la fourniture. C'est ce que le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et des réseaux de communication, le SIPPEREC, a calculé.

Je souhaite faire une remarque sur le niveau et l'évolution de l'ARENH. Son nouveau montant - 42 euros - est-il satisfaisant ou pas ?

Au regard des éléments disponibles, je dois dire que l'UFC-Que Choisir n'est pas capable de se prononcer sur le niveau de prix satisfaisant pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, tout simplement parce que ce sujet fait l'objet d'une opacité considérable. Pour tenter d'y voir plus clair, notre association a même organisé des auditions, notamment pour ses administrateurs, et sollicité des experts : M. Jean-Marc Jancovici, M. Vincent Maillard, ancien directeur des tarifs chez EDF, M. Benjamin Dessus. Pour autant, nous avons du mal à adopter une position au regard des prévisions des différents intervenants.

Après avoir annoncé une fourchette comprise entre 35 euros et 39 euros, la CRE a indiqué que le montant de l'ARENH s'élèverait à 42 euros. Au mois de janvier 2011, M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, a annoncé un tarif de 46 euros le mégawattheure. Un an après, les récents rapports de la Cour des comptes fixaient ce tarif à 49,50 euros. Pour être presque exhaustif, je rappelle que GDF-Suez, qui est l'exploitant de centrales nucléaires - vous avez reçu, je crois, l'un de ses représentants dans le cadre de cette commission d'enquête -, a avancé le chiffre de 31 euros.

Face à ces approches contradictoires des acteurs du secteur, il est très difficile pour nous, association de consommateurs, d'avoir une expertise qui permettrait de trancher sur le sujet.

Je tiens cependant à souligner, même si cela ne permet pas de répondre plus précisément à cette question, que, depuis le début, nous dénonçons ce qu'est devenu l'objectif réel de ce tarif. En réalité, ce dernier est d'abord destiné à créer artificiellement un marché et à permettre à des entrants de l'intégrer. On crée donc un tarif. Et même si l'on tentera ensuite d'en justifier le montant, il y a un vice fondamental, dans la mesure où l'intention est bien de mettre en place une concurrence qui, pour nous, est complètement artificielle.

Je ne peux pas m'empêcher de vous faire observer, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, que la libéralisation du marché de l'électricité en France, à la différence de la téléphonie mobile, n'a engendré ni une baisse des tarifs pour les consommateurs - au contraire, un mécanisme pervers a entraîné une hausse des prix - ni des bienfaits en matière d'innovation. Autant dire que le consommateur est perdant-perdant.

Le second aspect du tarif régulé tient à la part liée à l'acheminement, c'est-à-dire le TURPE, qui finance à la fois les réseaux de transport et les réseaux de distribution. Là aussi, de nombreuses incertitudes planent sur son évolution. La nouvelle structure du TURPE n'est pas encore arrêtée ; je crois qu'elle est encore en discussion. Néanmoins, nous éprouvons des inquiétudes quant à certains éléments qui peuvent accroître considérablement les coûts, en particulier le financement du compteur Linky.

Là aussi, aujourd'hui, une certaine cacophonie règne. Selon les estimations réalisées par Électricité réseau distribution France, ERDF, le niveau d'investissement nécessaire est d'environ 4 milliards d'euros, ce qui ramène le coût unitaire du compteur pour le consommateur aux alentours de 110 euros, sur une base de 35 millions de compteurs. Cela ne correspond pas du tout à la somme qui est avancée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, laquelle estime le coût de l'installation entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros. Évidemment, notre inquiétude est encore plus grande si l'on se réfère au coût unitaire annoncé par M. Proglio, président-directeur général d'EDF, aux alentours de 200 euros à 300 euros, soit un montant qui semble correspondre à la somme totale avancée de 8 milliards d'euros à 10 milliards d'euros.

Nous sommes très inquiets, car ces perspectives remettent totalement en cause les résultats positifs de l'étude socio-économique, étude qui était un préalable nécessaire à la généralisation de l'installation des compteurs Linky. La généralisation a donc été décidée sur la base d'une étude dont les résultats semblent, en fait, assez peu conformes à la réalité.

Cette différence entre 4 milliards d'euros et 10 milliards d'euros aura évidemment une incidence sur le TURPE. Sur ce sujet non plus, nous ne disposons pas d'une visibilité parfaite.

J'en viens maintenant à l'impact de la contribution au service public de l'électricité. La CSPE n'est pas intégrée au tarif réglementé, mais, vous le savez, elle est due par le consommateur, puisqu'elle figure sur sa facture. Elle s'est déjà envolée depuis 2004 : elle a doublé, passant de 4,5 euros à 9 euros par mégawattheure. La CRE estime à 4,3 milliards d'euros les charges prévisionnelles de service public de l'électricité au titre de 2012, dont 2,2 milliards d'euros de charges liées aux énergies renouvelables. Là encore, le président de la CRE a élaboré des hypothèses, fixant la CSPE aux alentours de 20 euros le mégawattheure.

Pour notre part, nous nous posons une question cruciale, celle du financement des énergies renouvelables. Les ménages vont subir une forte augmentation de la facture liée à la CSPE et nous devons nous interroger sur la contribution des ménages les plus modestes à cet investissement d'intérêt général. Je ne dis pas que l'on détient la réponse. Mais, finalement, sur la facture d'électricité, la CSPE apparaît comme une taxe : elle fait penser à la TVA dont on sait les effets pervers par rapport à la structure de consommation et l'inégalité et l'injustice qu'elle engendre lorsque cela prend des proportions importantes.

La deuxième question que vous m'avez adressée porte sur les différents coûts de l'électricité et sur l'imputation aux différents agents économiques. Il s'agit pour nous d'une question complexe à laquelle il nous est actuellement très difficile de répondre.

Vous le savez, la formation du tarif ressemble à un millefeuille assez inextricable, qu'il s'agisse de la construction du TURPE, de l'ARENH ou de la CSPE. Par ailleurs, les paramètres qui sont nécessaires à la fixation du tarif réglementé restent assez complexes et illisibles. À cet égard, je veux souligner le manque d'informations dont nous souffrons et les difficultés que nous avons à nous prononcer sur l'imputation des coûts ou sur l'existence ou la constitution d'une rente.

J'ouvre ici une parenthèse. Il est vrai que, dans certains secteurs d'activité économique, notre association a eu une capacité d'expertise et d'identification de rente. Ce fut par exemple le cas pour les carburants, pour lesquels la transparence est très grande : tous les chiffres sont sur la place, et, dans une telle situation - très rare ! -, il suffit que des spécialistes acceptent de se pencher sur les chiffres disponibles pour identifier l'existence éventuelle de rentes sur l'ensemble de la filière.

Pour l'électricité, cela n'a pas été possible. Je pense que les pouvoirs publics doivent pouvoir contribuer à assurer une meilleure transparence des coûts, qu'il s'agisse de la production, de l'acheminement ou du développement des énergies renouvelables. Monsieur le président, la commission d'enquête devrait beaucoup insister sur cet aspect.

Vous m'avez également interrogé sur les dispositifs fiscaux de soutien.

Les dispositifs fiscaux ou les crédits spécifiques qui permettent non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi l'installation d'équipements offrant une meilleure maîtrise de la demande énergétique ne sont pour nous ni satisfaisants ni suffisants. Ils ne sont pas assez incitatifs et ne permettent pas de traiter correctement la problématique de la précarité énergétique. Pour aller à l'essentiel, nous considérons que, d'un point de vue économique, ces aides ne sont pas optimales, car elles permettent des effets d'aubaine.

Le premier effet d'aubaine bénéficie aux installateurs. Ces derniers profitent des aides pour gonfler leurs devis et, ainsi, capter une grande partie du crédit d'impôt accordé aux consommateurs.

Le second effet d'aubaine profite aux ménages eux-mêmes, plus précisément aux plus aisés d'entre eux, qui auraient entrepris ces travaux d'efficacité énergétique de toute façon, même sans aide fiscale ou crédit d'impôt. Pour ces ménages, les aides n'ont pas véritablement d'effet incitatif.

Au-delà de ces problématiques d'aide se pose un véritable problème d'égalité sociale. Il est vrai que, en droit, tous les mécanismes sont accessibles à tous dans les mêmes conditions. Pourtant, les faits montrent qu'ils sont majoritairement utilisés par les ménages les plus aisés. Plusieurs éléments expliquent ce phénomène, notamment le coût élevé des travaux qui fait que, en tout état de cause, même avec ces aides fiscales, les ménages les plus modestes renoncent. Certes, les exceptions existent et il arrive que, en cumulant plusieurs aides, des consommateurs, même à revenus modestes, parviennent à entreprendre des travaux d'amélioration. Toutefois, cela reste très limité. Fondamentalement, ce que nous dénonçons, c'est que les aides ne permettent pas la transition énergétique pour tous.

Votre quatrième question porte sur l'évolution de la consommation d'électricité ces dernières années, caractérisée par une hausse importante, de l'ordre de 25 %, de la demande de pointe. Vous souhaitez connaître la position de l'UFC-Que Choisir sur les dispositifs permettant de réguler la demande pour répondre à ces nouvelles problématiques.

Trois facteurs essentiels permettent d'expliquer cette évolution rapide de la demande de pointe : l'augmentation du nombre des ménages, le développement d'usages nouveaux de l'électricité, tels que l'informatique, la télévision, les appareils avec accumulateurs, et la poursuite du développement du chauffage électrique.

Cette pointe peut être traitée de plusieurs manières. Dans l'idéal, il faut agir sur un ensemble de leviers que sont la tarification incitative et l'information des consommateurs. L'UFC-Que Choisir est convaincue que le signal-prix permet de responsabiliser le consommateur, mais à la condition expresse que la diversification des prix que cela suppose soit à la fois claire et lisible pour lui. En France, la question de l'horo-saisonnalité des tarifs n'est pas récente, puisque les contrats qui différencient les heures creuses des heures pleines ou les dispositifs d'effacement journalier de pointe existent depuis très longtemps et ont fait leurs preuves. C'est d'ailleurs pour cette raison précise que nous déplorons les modifications statutaires intervenues en 2009, qui ont réduit l'écart tarifaire entre les heures pleines et les heures creuses et ont donc diminué l'attrait de cette tarification incitative.

Si l'on doit aller vers une diversification des tarifs en fonction des heures de pointe, nous devons être attentifs à un risque : il faut éviter de tomber dans la jungle tarifaire, phénomène que nous avons trop bien connu dans le secteur de la téléphonie. Quand un secteur connaît un tel phénomène, on sait parfaitement que la concurrence ne s'exercera pas de façon réelle, le consommateur n'étant pas en situation de procéder à des arbitrages éclairés et rationnels. La modulation des tarifs nous paraît donc une solution intelligente et efficace ; en revanche, une myriade de tarifs complexes empêche le consommateur d'être le régulateur du marché, si tant est qu'il puisse l'être !

La question de l'utilisation de l'électricité comme mode de chauffage doit être posée. Aujourd'hui, le chauffage électrique équipe 30 % des logements - c'est le deuxième mode de chauffage après le gaz -, ce qui a une incidence importante sur le niveau de la consommation. J'attire votre attention sur le fait que l'usage du chauffage électrique entraîne des surcoûts non seulement pour le consommateur détenteur de ce chauffage, mais aussi pour l'ensemble des consommateurs.

En ce qui concerne le surcoût individuel, selon les études, le choix de l'électricité, par rapport à d'autres solutions énergétiques, peut provoquer un doublement de la facture pour les ménages, en particulier lorsque le logement est une véritable « passoire thermique », ce qui est souvent le cas !

Le surcoût collectif indirect est lié aux surcapacités de production et de transport de l'électricité rendues nécessaires par l'utilisation du chauffage électrique. Les surinvestissements sont répercutés par les opérateurs sur les factures de l'ensemble des consommateurs.

La réglementation thermique 2012 limite fortement l'utilisation du chauffage électrique dans les logements neufs ; l'essentiel du problème qui persiste est dû au parc existant, sauf à développer un plan ambitieux d'isolation - il faut toujours améliorer l'isolation, parce que le combat énergétique porte non pas uniquement sur les économies d'électricité, mais sur l'économie de toute forme d'énergie - et la conversion à une autre énergie que l'électricité.

Au vu de l'enjeu que représente la maîtrise de la consommation électrique, nous attendions beaucoup d'un compteur dit « intelligent » - avant d'être intelligent, il est d'abord communiquant. Le compteur Linky devait s'inscrire dans cette grande ambition de la maîtrise de leur consommation par les consommateurs. Or, dans sa version actuelle, les potentialités d'information précieuses de ce compteur risquent de ne profiter qu'à une petite catégorie de ménages, ceux qui pourront financer des services supplémentaires que vendra le fournisseur. Autrement dit, pour consommer moins, il faudra payer plus ! Il en résultera donc une rupture d'égalité dans le droit à l'information entre, d'une part, ceux qui pourront payer un service fournissant des informations sur leur consommation ainsi que les possibilités de consommer différemment et, d'autre part, ceux qui ne le pourront pas. Pour nous - et ce n'est pas la première fois que nous le disons -, l'affichage déporté reste la pierre d'achoppement dans la conception du compteur Linky. Je n'en démords pas, nous passons à côté d'un rendez-vous historique de maîtrise de la consommation par l'ensemble des ménages !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le rapporteur souhaitez-vous obtenir un complément de précisions ou d'informations sur l'une ou l'autre des questions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J'ai bien compris que M. Bazot craignait une augmentation trop forte des tarifs et souhaitait que l'engagement, figurant dans le contrat de service public, de ne pas trop augmenter le prix de l'électricité soit respecté, d'autant plus que la précarité énergétique est importante.

Ensuite, sur les mesures à prendre pour améliorer l'efficacité énergétique et réduire les coûts, il a exprimé ses réticences à l'égard des méthodes adoptées, ces dernières ne semblant profiter qu'aux personnes les plus aisées.

Enfin, il a estimé que le déploiement du compteur Linky aurait pu être intéressant, mais que, dans sa configuration actuelle, ce compteur ne profitera également qu'aux personnes les plus aisées.

Deux outils existent, la maîtrise de la consommation, avec le compteur Linky, et l'amélioration de l'efficacité énergétique ; vous n'y êtes pas opposé, mais vous pensez qu'ils sont mal conçus. Que pourrions-nous faire pour rendre ces instruments vraiment utiles ? Quelle idée pouvez-vous nous suggérer ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Pour nous, ainsi que des études l'ont démontré aux États-Unis, la réelle maîtrise et la diminution de la consommation supposent que le consommateur soit en mesure d'obtenir une information sur place, en temps réel, ce que permettrait le compteur Linky. Il serait donc souhaitable que ce dernier puisse émettre une alerte en temps réel, afin de prévenir le consommateur qu'il est en situation de surconsommation, en affichant éventuellement le niveau du tarif effectivement payé. Il en résulterait alors une prise de conscience du consommateur qui serait ainsi à même de décider de différer certaines opérations. Cette « conscientisation » est importante, et ce n'est pas une consultation du niveau de la consommation sur Internet qui permettra le mieux d'y parvenir. Le consommateur doit pouvoir constater de manière instantanée qu'il consomme beaucoup...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Avec quel dispositif ? Faut-il qu'une grosse ampoule s'allume en période de surconsommation ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Le compteur Linky devrait au moins permettre un affichage sur le lieu d'habitation ; mais cette solution ne serait pas complètement satisfaisante puisque, dans la moitié des cas, le compteur sera placé à l'extérieur des bâtiments.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Lors d'une table ronde organisée au Sénat, un représentant de votre association nous avait expliqué que le consommateur français d'essence réagissait à la hausse ou à la baisse des prix de manière beaucoup plus consciente que le consommateur d'électricité, lequel n'était pas assez mature pour consommer moins quand les prix augmentent.

Cela dit, cet intervenant avait estimé qu'il faudrait apprendre à se servir du compteur Linky et que le consommateur d'électricité deviendrait peut-être aussi vigilant sur sa consommation d'électricité que sur sa consommation d'essence.

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Je pense que cette prise de conscience représente un enjeu majeur. Nous jouons notre rôle en essayant de faire prendre conscience aux consommateurs des conséquences de leurs choix de consommation. Nous sommes partisans d'une consommation responsable, qui prenne en compte les conséquences de la consommation sur l'environnement, l'emploi, etc., et nous cherchons à développer une prise de conscience de masse. Or, si cette prise de conscience passe par l'achat d'un service supplémentaire qui fournira l'information, les conditions ne sont alors pas remplies. Pour nous, l'information est un droit qui ne devrait pas être soumis au marché : dans le cas de l'électricité, nous pourrions faire en sorte que ce droit soit effectivement hors marché, puisque la technologie le permet et puisque le TURPE fait supporter au consommateur le financement du compteur Linky.

J'ajoute que ce compteur permet aussi, et nous nous en félicitons, une rationalisation de la gestion des opérateurs qui pourront réaliser des gains de productivité, de même qu'il présentera quelques avantages pour le consommateur qui n'aura plus besoin d'être présent pour le relevé du compteur, etc. Le compteur Linky offre toute une gamme de services aux professionnels, mais tout le monde en bénéficiera en définitive. Cependant, pourquoi l'information serait-elle accaparée par les fournisseurs ? Personne n'a jamais répondu à ma question sur le choix stratégique consistant à confisquer l'information pour ne la fournir que moyennant finances. Ce n'est pas un bon choix politique !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Pour vous, il faudrait non seulement que le compteur soit intelligent, mais que l'on puisse le consulter immédiatement ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Il doit communiquer l'information au consommateur, et pas seulement au professionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Vous aurez un rôle à jouer dans cette affaire, parce que vous êtes l'un des canaux d'information importants du consommateur en France. Je sais bien que le compteur Linky pourrait être encore plus intelligent, donc encore plus difficile à exploiter. Le déploiement de ce compteur représentera une amélioration certaine, et votre rôle d'information des consommateurs sera important.

J'ai bien entendu un autre message auquel je souscris d'ailleurs entièrement : il est dommage d'avoir réduit l'écart tarifaire entre les heures creuses et les heures pleines. Je suis prêt à mener ce combat à vos côtés, car il faut mener une politique incitative si l'on veut réduire la consommation de pointe à dix-neuf heures au mois de février.

La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Monsieur Bazot, vous avez beaucoup insisté sur la transparence : s'il y a un domaine où nous pouvons être entièrement d'accord avec vous, c'est bien celui-ci ! Cette commission d'enquête a précisément pour objet de faire la plus grande clarté possible. J'aimerais donc que vous nous précisiez les points sur lesquels vous auriez souhaité recueillir plus de précisions, notamment en ce qui concerne le nucléaire, afin que nous puissions obtenir également des réponses. Nous appelons en effet tous de nos voeux une plus grande transparence !

Ensuite, vous avez évoqué le chauffage électrique. Je ne reviendrai pas sur la question du surdimensionnement des installations qui en résulte, avec son coût induit pour la collectivité, mais je souhaite revenir sur celle du coût de ce mode de chauffage, notamment pour les ménages aux plus faibles revenus. J'ai entendu de nombreux débats sur ce thème qui se sont terminés de manière pudique. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la réglementation thermique 2012 soit une traduction scientifique de la réalité du chauffage électrique. En effet, dans un logement bien isolé, le chauffage électrique est le mode de chauffage le plus économique. Je veux bien admettre que, dans un habitat mal isolé, le chauffage électrique pose un problème, mais il serait bon qu'un organisme comme le vôtre puisse mettre la question en perspective : le chauffage électrique peut être une source de problèmes dans un cas, mais pas dans d'autres, notamment pour les plus défavorisés.

Enfin, je souhaite revenir sur le compteur Linky et sur la question de savoir qui doit en supporter le coût. À partir du moment où une technologie nouvelle est mise en oeuvre, il faut bien que quelqu'un la paie ! Mais - et vous avez eu raison de le souligner - la vraie question est celle du service rendu.

Il faut bien recourir aujourd'hui à des moyens technologiques nouveaux pour apporter de nouveaux services. Hier, l'option « effacement des jours de pointes », ou EJP, a apporté un service : voilà une dizaine d'années, au moment où l'effacement jouait à plein, EDF économisait 6 gigawatts, voire un peu plus. Aujourd'hui, EDF « efface » un peu moins de la moitié. Or cette option EJP revenait à un compteur Linky « bête », puisqu'il suffisait de vérifier qu'un voyant était allumé.

On observe que, quand le prix de l'eau augmente dans une commune, les consommations individuelles diminuent : je ne vois pas pourquoi les consommateurs seraient intelligents pour gérer leur consommation d'eau et bêtes pour leur consommation d'électricité. Je suis donc convaincu que les consommateurs sont capables de maîtriser leur consommation quel que soit le service fourni. Malgré vos critiques, que je comprends en partie, le compteur Linky n'offre-t-il pas au consommateur un moyen d'obtenir une information qu'il ne détient pas aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Précisément ! Nous estimons que le compteur Linky est pour le consommateur un instrument formidable de communication des éléments de consommation, et nous dénonçons le fait que les consommateurs ne puissent pas y avoir accès directement et soient obligés de payer pour les obtenir : ceux d'entre eux qui auraient le plus intérêt à mieux maîtriser leur consommation d'énergie n'auront pas les moyens de payer ce service supplémentaire qu'EDF leur proposera, puisqu'ils ont déjà du mal à régler leur facture. On ne peut pas demander au consommateur de payer plus pour obtenir des informations qui lui permettront de consommer moins !

Nous estimons que certaines informations du compteur devraient être communiquées directement aux consommateurs...

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Cela coûterait beaucoup plus cher ! J'ai pu le constater aux États-Unis, dans un État qui avait dix ans d'avance sur nous : au début, 17 % des consommateurs utilisaient vraiment le compteur intelligent et, en deux ans de temps, ils l'utilisaient de moins en moins. Nous avons d'ailleurs été très étonnés que nos interlocuteurs aient l'honnêteté de le reconnaître !

Je comprends vos arguments, mais ce qui me fait très peur, c'est que vous ne défendiez pas suffisamment un dispositif qui, certes, ne donnera pas toute l'information souhaitable, mais représente malgré tout un énorme progrès par rapport à la situation actuelle. Il est dommage que vous l'appréhendiez dès le départ de manière quasi hostile : entre rien et un outil plus cher, mais beaucoup plus performant, nous aurons Linky, et ce n'est déjà pas si mal !

Par ailleurs, l'appel d'offres qui va être lancé comporte plusieurs tranches : les premiers consommateurs équipés recevront un compteur de première génération, mais les suivants seront dotés de modèles améliorés. Si l'on n'engage pas le déploiement sous prétexte que l'information n'est pas très performante dès le départ, on peut attendre encore longtemps !

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

En ce qui concerne le coût du compteur Linky, comme je vous l'ai dit, nous avons du mal à le connaître puisque les chiffres que l'on nous donne varient du simple au double, voire presque au triple. Les études économiques préalables ont dû être réalisées un peu rapidement !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

J'ai noté que vous aviez effectivement des difficultés à obtenir des informations précises sur ce sujet.

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

En ce qui concerne le chauffage électrique, je ne vais pas botter en touche, mais je vais vous faire une confidence : le dernier conseil d'administration de l'UFC-Que Choisir a décidé de faire de cette question un « chantier prioritaire ». Notre service des études a pour mission de réaliser une étude sur le chauffage électrique en France ; pour nous, votre commission d'enquête arrive un peu trop tôt, car nous n'aimons pas prendre position publiquement tant que nous n'avons pas au moins six mois d'expertise...

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Nous procédons de différentes manières : soit nous recherchons les informations déjà disponibles, soit nous réalisons nous-mêmes des enquêtes. Nous nous appuyons sur notre réseau d'associations locales en fonction des sujets. Par exemple, lorsque nous enquêtons sur les tarifs bancaires, nous utilisons la capacité de notre réseau de proximité à nous faire remonter divers types de documents : des tarifs, des factures...

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Des factures de travaux d'amélioration de l'isolation, par exemple ?

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Si nous travaillons sur ce sujet, un des axes de recherche peut effectivement consister à comparer des factures et des devis : c'est ce que nous avions fait pour les ascenseurs. Voilà un bon exemple de création artificielle d'un marché : il suffit de décréter la nécessité de changer tous les ascenseurs dans un délai donné pour créer un effet d'aubaine. La demande est artificiellement élevée et les prix explosent : nous avions donc dénoncé la formidable efficacité du lobby des ascensoristes. En effet, un examen approfondi de l'accidentologie avait révélé que les accidents recensés étaient en majorité des accidents du travail, n'impliquant pas d'usagers. En réunissant des devis partout en France, en étudiant l'état du marché au niveau national - il s'agissait d'un marché très concentré -, nous avons pu développer une réelle expertise.

Nous aurons donc plusieurs angles d'approche dans le dossier du chauffage électrique, mais, ne travaillant pas à la sauvette, nous ne produirons pas de chiffres avant d'avoir étudié la question pendant plusieurs mois. Le collaborateur en charge de cette enquête est d'ailleurs présent dans cette salle...

Debut de section - Permalien
Alain Bazot, président d'UFC-Que Choisir

Enfin, votre première question portait sur la transparence des coûts, monsieur le sénateur Vial. Nous ne disposons effectivement d'aucune visibilité. L'UFC-Que Choisir est pour la « vérité des prix » : nous ne menons pas de combat idéologique, en cherchant, par exemple, à cacher les coûts du nucléaire. On entend souvent dire que l'électricité nucléaire n'est pas chère parce que les investissements ont été financés par les contribuables ; or nous n'arrivons pas vraiment à savoir ce qu'il en est ! Nous déplorons un véritable manque de transparence sur les coûts de mise aux normes des centrales, de leur démantèlement, du traitement des déchets. Il est clair que tous ces éléments doivent être intégrés dans le prix de l'électricité nucléaire, car il ne s'agit pas de les faire supporter indirectement à la collectivité : c'est cela la vérité des prix !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur Bazot, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions, et, surtout, de nous avoir exposé le point de vue des consommateurs.

M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre à nouveau, s'il le souhaite. En ce qui me concerne, j'ai compris que je devrai absolument m'entretenir avec vous, non pas dans le cadre de cette commission d'enquête, mais dans celui du groupe d'études de l'énergie au Sénat, à propos du compteur Linky : je suis persuadé qu'il apporte une amélioration, et j'essaierai de vous en convaincre !

Je tiens à remercier nos collègues présents depuis ce matin de leur assiduité.