Intervention de Christian Bataille

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 11 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Christian Bataille député membre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christian Bataille, député, membre de l'OPECST :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'interroger, en tant que rapporteur de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir et, plus généralement, en tant que membre de l'Office parlementaire, sur plusieurs de ces questions.

Comme vous le savez, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi, depuis sa création voilà près de trente ans, en 1983, d'une grande variété de sujets. Toutefois, l'énergie constitue, avec la santé, l'un des principaux thèmes traités par les députés et sénateurs qui en sont membres, puisque, sur plus de 150 rapports publiés à ce jour, près d'une trentaine concernent les problèmes énergétiques.

Du premier rapport traitant d'énergie, publié en décembre 1987 sur les conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à celui du 15 décembre 2011 relatif à l'avenir de la filière nucléaire, que j'ai présenté conjointement avec Bruno Sido, les parlementaires membres de l'OPECST ont, bien entendu, travaillé sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires.

Ils se sont aussi penchés sur la gestion des déchets radioactifs, et les recommandations issues de leurs études ont été reprises dans la loi du 30 décembre 1991, qui, encore aujourd'hui, régit l'avenir des déchets nucléaires.

L'Office assure aussi un suivi de la recherche en matière d'énergie. J'ai moi-même publié le premier rapport de l'Office sur ce sujet, avec Robert Galley, en juin 1998, et le tout dernier, en mars 2009, concernant l'évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie.

J'ai également cosigné avec Claude Birraux, en 2010, un rapport sur la performance énergétique des bâtiments.

J'ajouterai que, avec Robert Galley, en février 1999, nous avons publié, dans le cadre de notre étude sur l'aval du cycle nucléaire, un rapport consacré aux coûts de production de l'électricité, dont une partie des conclusions ont été reprises par la Cour des comptes dans son récent rapport. En revanche, depuis lors, l'Office n'a pas eu l'occasion de se pencher sur cette question bien spécifique et très complexe.

Votre première question, monsieur le rapporteur, porte sur notre vision de l'évolution à moyen terme du parc de production électrique. Je vais m'efforcer d'y répondre.

Il est très difficile pour les parlementaires, et pour les gouvernements, d'appréhender la durée nucléaire.

Le temps nucléaire équivaut à cinquante ans, ce qui correspond à la durée de vie maximale d'une centrale, ou encore à une période comprenant la durée de construction et de déconstruction de la centrale, et s'étendant même au-delà.

Le temps politique équivaut, pour nous, à une unité de cinq ans - six ans pour les sénateurs. C'est peu, en comparaison de la durée nucléaire. On sait combien il est difficile pour un Président de la République ou un candidat à la présidence de la République de se projeter au-delà du deuxième mandat qui suit le sien. Or le temps nucléaire correspond à dix fois un mandat présidentiel !

Dans notre rapport, nous proposons d'inscrire la filière nucléaire dans une « trajectoire raisonnée » jusqu'à la fin du XXIe siècle - cela peut sembler présomptueux, mais nous y serons vite ! -, selon un scénario énergétique alternatif, d'une part à une sortie rapide de l'énergie nucléaire que réclament certains, d'autre part à son strict maintien au niveau actuel, que d'autres souhaitent.

Cette approche conduit à envisager, à l'avenir, un ajustement du parc nucléaire lorsque les réacteurs arriveront en fin de vie ou, en d'autres termes, à acter la réduction de la part de l'énergie nucléaire, actuellement de 75 %, d'une manière progressive.

Aujourd'hui, notre perspective est une durée de vie des réacteurs de quarante ans, l'Autorité de sûreté nucléaire ayant autorisé la prolongation d'activité des réacteurs datant de trente ans. On peut même présumer que la durée de vie de ces réacteurs sera d'une cinquantaine d'années, mais ce sera à l'Autorité de sûreté nucléaire de se prononcer. Dans tous les cas, les politiques devraient prendre l'habitude de s'incliner devant le verdict technique de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Parmi les propositions que nous avons avancées avec Bruno Sido figure celle qui consiste à remplacer deux réacteurs arrêtés par un réacteur nouveau.

Cette proposition vise à répondre à une objection que l'on entend fréquemment ces temps-ci, et que l'on peut comprendre, les stratégies envisagées dans le domaine nucléaire étant critiquées surtout pour être des stratégies du « fil de l'eau » : l'on sait que la durée de vie des réacteurs actuellement en service est limitée, mais l'on n'envisage pas leur renouvellement.

Nous proposons une réduction progressive du parc des réacteurs pour permettre l'émergence d'une recherche d'énergies alternatives, qu'il s'agisse d'énergies de substitution ou d'énergies renouvelables. Mais cela prendra du temps et ne se fera pas d'un claquement de doigts.

Il me semble très important de ne pas remettre en cause la prééminence des avis de l'ASN. De son côté, l'autorité politique doit conserver la prééminence pour les autorisations de démarrage de nouvelles centrales. Enfin, il revient à l'exploitant de décider s'il souhaite engager les investissements nécessaires à la prolongation d'un réacteur ou s'il préfère remplacer celui-ci. Toutefois, au fur et à mesure de l'accroissement de l'exigence de sûreté, la seconde option deviendra, de fait, de plus en plus incontournable.

En résumé : on évite la politique du fil de l'eau et on organise une stratégie de renouvellement à 50 % en puissance des réacteurs arrêtés, ces derniers étant remplacés, non pas par des réacteurs moins chers et obsolètes en termes de sécurité, comme d'aucuns l'ont affirmé, mais par des réacteurs plus sûrs et plus chers - selon la volonté de l'exploitant, il pourra s'agir des EPR, de leurs jumeaux moins puissants du type ATMEA, ou de leurs équivalents, notamment américains ou japonais, sur les marchés internationaux.

En suivant cette stratégie, la part d'électricité d'origine nucléaire se trouverait ainsi abaissée de manière non brutale aux environs de 60 % vers 2035, au lieu de 75 % actuellement, puis de 50 % vers 2050, pour finalement aboutir à un socle, que nous proposons de ne plus réduire, de 30 % vers 2100, sachant que l'on peut compter sur l'émergence probable, vers 2045, de surgénérateurs ou réacteurs de quatrième génération.

À titre de comparaison, ce socle de 30 % correspond aux réserves allemandes de lignite. Lors de notre visite des installations énergétiques outre-Rhin, j'ai été très frappé de la manière dont les autorités allemandes ont insisté sur leurs 350 ans de réserves de lignite. Je n'imagine pas l'Allemagne se défaire de cette richesse. Pour notre part, nous ne disposons pas de telles réserves. En conséquence, même si l'on réduit la part du nucléaire, ce que les générations futures pourront décider de faire, nous devrons, me semble-t-il, conserver un socle national de réserve d'énergie.

Sur ce point, je me permets de vous renvoyer à la fin de notre rapport sur l'avenir de la filière nucléaire : le modèle énergétique allemand ne nous semble pas transposable en France, car les situations ne sont pas comparables : les Allemands peuvent se permettre d'arrêter leurs centrales nucléaires - même si l'on constate en ce moment qu'ils le font avec prudence -, parce qu'ils disposent d'un socle de lignite et d'une industrie gazière extrêmement performante - Siemens est en train de développer des centrales au gaz d'une puissance et d'une efficacité impressionnantes -, ce qui n'est pas notre cas. En revanche, nous pouvons nous inspirer de la stratégie des Allemands en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments et les logements.

Je reviens à la trajectoire que nous avons proposée et je réponds à votre question, monsieur le rapporteur : la progressivité de la démarche, qui s'étalerait sur tout le siècle, laisserait le temps nécessaire à la maturation industrielle des solutions massives de stockage de l'énergie. Nous sommes en effet arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de l'un des plus gros problèmes et que le pays qui deviendra leader en la matière décrochera le jackpot et détiendra assez largement les clefs de l'avenir.

Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, ce cadencement est le fruit du compromis que Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat et élu de l'UMP, et moi-même, rapporteur pour l'Assemblée nationale et élu du PS, avons trouvé. Il ne figure dans aucun programme politique, pas plus dans celui du PS que dans celui de l'UMP.

Je rappelle que, depuis des décennies, il existe en France un consensus sur deux grands sujets : la défense et l'énergie. Il me semble que, pour l'avenir aussi, nous devons essayer de trouver des solutions consensuelles, ce que nous avons recherché avec Bruno Sido.

Votre deuxième question, monsieur le rapporteur, porte sur les coûts futurs du nucléaire, notamment les charges futures de démantèlement des centrales et la gestion des déchets.

Je ne reviens pas sur le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, que vous connaissez par ailleurs : il fournit une analyse complète de ce volet des dépenses futures de la filière nucléaire et j'en partage très largement les conclusions.

La Cour des comptes commence par mettre en évidence la difficulté de l'exercice d'évaluation de ces charges. Ainsi, dans le cas d'EDF, les démantèlements ont à ce jour essentiellement porté sur des réacteurs de première génération de la filière graphite-gaz, aux caractéristiques peu comparables à ce qui nous attend. Quant à AREVA et au CEA, l'unicité ou l'hétérogénéité de leurs installations respectives ne facilitent pas non plus l'exercice de prévision.

Le risque de sous-évaluation des coûts de démantèlement n'est donc pas négligeable.

S'agissant des charges de gestion des déchets, j'ai été confronté à la polémique sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, qui doit être implanté près de Bure, dans la Meuse, à l'occasion de l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, à propos duquel nous avons, Claude Birraux et moi-même, cosigné deux rapports.

À l'occasion des auditions que nous avons menées avec Claude Birraux, nous avons constaté l'existence d'un conflit entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les producteurs de déchets à ce sujet. Si les producteurs - EDF en premier lieu, mais aussi AREVA et le CEA, sans oublier les petits producteurs comme les hôpitaux - ont, incontestablement, leur mot à dire s'agissant de la gestion de leurs déchets, c'est à l'ANDRA, organisme public investi par la loi de cette mission, de prendre, au final, les décisions sur les modalités de mise en oeuvre, dans le respect des exigences de sûreté fixées par l'ASN.

Je n'hésite pas à dire aux sénatrices et sénateurs ici présents que le Parlement, toutes tendances confondues, doit soutenir l'ANDRA, organisme public créé par la loi qui doit prendre ses responsabilités. Nous ne devons pas laisser cet organisme de taille modeste se faire dévorer par les mastodontes que sont EDF, le CEA et, dans une moindre mesure, AREVA. Nous devons appuyer et conforter l'Agence. À cet égard, je suis un peu inquiet de constater que, aujourd'hui, l'ANDRA procède à des appels d'offres et délègue ses pouvoirs à des entreprises privées comme Bouygues pour la construction du centre de stockage.

Dans son récent rapport, la Cour des comptes rappelle aussi, fort opportunément, le caractère incontournable de cet organisme. À juste titre, elle considère que ce débat sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue doit être relativisé, compte tenu de la durée d'exploitation prévue, qui est de 100 ans au moins. Il est en effet très probable que certaines des évolutions de nature technique ou réglementaire qui interviendront nécessairement sur une période aussi longue auront un impact sur le centre de stockage.

Toutefois, si la Cour des comptes relève les difficultés d'évaluation des charges futures de la filière nucléaire, elle souligne aussi l'impact faible, de l'ordre de quelques pour cent, de ces incertitudes sur le coût final de production de l'électricité d'origine nucléaire.

Le discours selon lequel le coût final de l'électricité augmentera fortement en raison du coût de la gestion des déchets ou du coût du démantèlement semble quelque peu biaisé. Il y aura certes une hausse, annoncée, du coût de l'électricité, mais la facture du démantèlement n'intervient que pour une part très minoritaire dans cette augmentation.

Pour les réacteurs comme pour les déchets, j'insiste sur le fait que la sûreté n'a pas de prix - je dis cela pour contredire les industriels qui voudraient réduire ces dépenses.

Pour autant, il est évidemment souhaitable de mettre en oeuvre tous les moyens possibles, de manière à encadrer au mieux l'évaluation de ces charges et les provisions afférentes, que les industriels doivent constituer sous forme d'actifs dédiés, conformément aux dispositions de la loi du 28 juin 2006.

Aussi, le 7 avril 2011, j'ai été amené à interroger en séance publique Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, sur les raisons pour lesquelles, cinq ans après le vote de la loi du 28 juin 2006 qui prévoit sa création, la Commission nationale d'évaluation des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, dite CNEF, n'avait toujours pas été mise en place. Mme Kosciuscko-Morizet n'a pas répondu immédiatement à ma question, mais j'ai eu la satisfaction de constater que, à peine deux mois plus tard, cette commission s'est enfin réunie pour la première fois.

Dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, nous avons d'ailleurs entendu le président de cette commission, M. Jean-Luc Lépine, le 27 septembre dernier. Il nous a indiqué que la commission remettrait son premier rapport au mois de juin prochain. Six ans après le vote de la loi ! Mais ce sera de toute façon une nouvelle étape importante dans la clarification de cette question.

Je vais à présent rapidement évoquer le problème de la prise en compte d'un éventuel accident nucléaire dans le coût du kilowattheure. Il apparaît clairement que cette hypothèse n'est pas prise en compte actuellement. D'ailleurs, à titre de comparaison, il n'existe pas de secteur d'activité qui prenne en compte, par exemple en l'assurant, les conséquences d'un accident majeur, considéré comme hautement improbable.

Le premier exemple qui me vient à l'esprit est celui du secteur financier aux États-Unis : non seulement il n'a pas pris en charge les conséquences sur la vie de millions, voire de milliards d'individus, de la crise mondiale qu'il a provoquée par son imprudence, mais il a de surcroît été renfloué par l'État américain, c'est-à-dire par les contribuables qu'il a appauvris !

Un autre exemple intéressant est celui de la marée noire causée en 2010 par la plate-forme pétrolière de British Petroleum Deepwater Horizon. La société BP n'était pas assurée contre les conséquences d'un tel sinistre, mais elle a été contrainte de céder des actifs pour prendre en charge les effets écologiques et sanitaires de cette catastrophe.

Dans le cas du Japon, il semble que TEPCO ne sera pas en capacité d'assumer l'intégralité des coûts directs de la catastrophe de Fukushima. En ce cas, l'État devra prendre en charge une partie de ces coûts, probablement après avoir nationalisé l'entreprise.

Les experts estiment les provisions nécessaires pour faire face aux conséquences d'un accident nucléaire majeur à une somme comprise entre 100 et 200 millions d'euros par réacteur. Un tel montant ne bouleverserait pas la compétitivité du kilowattheure nucléaire par rapport aux autres énergies. Mais il me semble que de telles sommes doivent être mobilisées en priorité pour renforcer la sécurité des installations nucléaires face aux événements extrêmes. En effet, mieux vaut prévenir que guérir. Il est d'ailleurs à noter que, dans notre pays, le coût des améliorations de sûreté envisagées après Fukushima est du même ordre de grandeur par réacteur, c'est-à-dire entre 100 et 200 millions d'euros.

Votre troisième question, monsieur le rapporteur, porte sur l'annonce d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 par le président de la Commission de régulation de l'énergie.

Comme nous l'avons indiqué dans le rapport sur la sécurité nucléaire paru au mois de juin dernier, l'industrie nucléaire doit tirer toutes les conséquences de la catastrophe de Fukushima en élevant d'un cran supplémentaire la sûreté de ses installations.

Il est certain que ce renforcement aura un impact sur le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire, mais qui ne devrait pas excéder quelques euros - moins de quatre euros, disent les experts. Nos centrales resteront donc très largement compétitives, malgré cette augmentation. En tout état de cause, cet accroissement marginal ne peut servir d'argument pour justifier la totalité des 30 % d'augmentation du prix de l'électricité annoncés par le président de la CRE.

Quant au soutien aux énergies renouvelables, il représente un coût important, qui est directement assumé par les consommateurs. Qui plus est, les engagements de rachat de l'électricité produite par ces énergies sont pris sur le long terme, avec un effet cumulatif. C'est ce qui explique pour une large part que le consommateur allemand paye aujourd'hui son électricité bien plus cher que le consommateur français.

Il n'est donc pas surprenant que nos voisins se trouvent dans une position peu enviable en Europe sur le plan de la précarité énergétique. C'est un autre sujet de réflexion, mais la précarité énergétique cause de véritables dégâts sociaux en Allemagne.

Je constate que, même en Allemagne, les conséquences lourdes de ce soutien aux énergies renouvelables posent question depuis quelques mois et donnent lieu à des conflits internes au gouvernement. Cette prise de conscience intervient au moment où les entreprises phare du secteur photovoltaïque d'outre-Rhin se trouvent dans une position extrêmement difficile. Ainsi, Q-Cells vient d'annoncer, quelques mois après Photowatt, son dépôt de bilan.

L'Espagne, qui s'était aussi engagée depuis plusieurs années dans une politique volontariste à l'égard des énergies renouvelables, a, pour sa part, purement et simplement mis fin à ses subventions, ce qui est compréhensible compte tenu de la crise que traverse ce pays.

Je pense que nous devons tirer les enseignements de ces évolutions dans les pays voisins. Devons-nous continuer à mobiliser, dans cette période de crise, des sommes conséquentes dans des subventions à la production, au risque d'aider surtout la création d'emplois en Chine et de renforcer la précarité énergétique dans notre pays ? Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées dans la recherche sur les énergies renouvelables et le stockage de l'électricité ?

Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, porte précisément sur les perspectives les plus prometteuses pour permettre l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les réseaux électriques.

Comme l'ont souligné plusieurs des intervenants qui se sont exprimés à l'occasion des auditions sur l'intégration des énergies renouvelables que nous avons organisées dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, un déploiement massif des énergies renouvelables se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par des obstacles technologiques en raison de leurs degrés de maturité divers. Même si certaines technologies progressent et que leur coût décroît très rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles, ce qui vient conforter le scénario de l'évolution progressive que nous avons proposé pour notre énergie électrique.

À cela, il faut ajouter d'autres contraintes potentielles : l'approvisionnement en métaux rares, l'acceptabilité sociale des infrastructures et, surtout, l'intermittence et la déconnexion entre lieux de production et de consommation.

La déconnexion entre production et consommation implique un fort investissement dans les réseaux, parallèlement au développement des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Or les délais de construction de lignes à très haute tension, d'environ dix ans, sont très supérieurs aux délais de mise en route des infrastructures de production, qui sont de trois à quatre ans.

Lors des entretiens que j'ai eus en Allemagne, notamment au Bade-Wurtemberg - avec la Bavière, l'un des deux Länder les plus développés d'Allemagne, et donc un gros consommateur d'électricité -, j'ai pu constater qu'il s'agissait d'un souci majeur pour nos voisins, puisqu'ils ne sont pas parvenus, et de loin, à atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés en ce domaine ces dernières années. Des mesures ont certes été prises pour pallier ces difficultés, avec notamment une centralisation des décisions en ce domaine, mais elles n'ont pas encore produit leurs effets.

Surtout, l'intermittence des énergies éolienne et solaire entraîne une production fluctuante, ce qui suppose l'existence de relais rapidement mobilisables. Les centrales à énergies fossiles étant les mieux à même de monter rapidement en charge, elles sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables - nous avons ainsi visité, près de Cologne en Rhénanie, des installations très au point utilisant le lignite.

J'ai pu également constater en Allemagne un effort d'investissement considérable de Siemens dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, qui se caractérisent par un fort rendement et une grande flexibilité. Nous avons visité de nouvelles centrales au gaz qui sont impressionnantes en termes de taux de combustion, et je suis pour ma part persuadé qu'il s'agit de l'alternative la plus naturelle dans notre pays pour pallier un déficit lié aux arrêts intempestifs de centrales nucléaires.

Dans un pays comme la France, qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes sans percées technologiques sur les moyens de stockage d'électricité impliquerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique.

C'est pourquoi il convient, par ailleurs, de développer les technologies de gestion de l'intermittence, mais c'est un vaste problème.

Tout d'abord, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux « intelligents » peuvent contribuer à compenser les fluctuations dans la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, dont le Gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation. Il ne faut toutefois pas attendre de miracles de ces réseaux, qui ne font qu'accroître la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée.

Au-delà, il faut développer les technologies de stockage d'énergie. Les auditions réalisées ont permis de faire le point sur deux pistes, encore expérimentales, mais qui paraissent bien adaptées pour répondre à des besoins de stockage massif de l'énergie.

Il s'agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, qui peuvent fonctionner en période de surproduction d'énergies renouvelables, et qui permettent de retenir l'eau dans des réservoirs pour ensuite la déverser, le moment voulu, sur les turbines.

Il s'agit, en second lieu, du stockage d'électricité dans des hydrocarbures de synthèse par fixation de l'hydrogène obtenu par électrolyse, ce qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie.

Nous avons déjà essayé de faire passer ce message, le 1er décembre dernier, à l'ANCRE, l'Alliance des organismes de recherche dans le domaine de l'énergie. Tous les efforts pour mettre au point des dispositifs de stockage d'énergie de grande capacité doivent être accrus - ils existent d'ores et déjà en France, mais ils sont insuffisants. En outre, il faut développer des partenariats avec les acteurs allemands les plus avancés, notamment sur le stockage chimique par conversion du CO2.

J'abrège ma démonstration, mesdames, messieurs les sénateurs, mais vous aurez compris que la recherche doit tenir une grande place, notamment dans les technologies de stockage, lesquelles sont complémentaires du développement des énergies renouvelables. En effet, les énergies renouvelables actuellement connues ne peuvent être développées que si nous progressons dans les méthodes de stockage.

Pour avoir moi-même auditionné les défenseurs de plusieurs méthodes de stockage, je pense à titre personnel que les STEP constituent vraiment un espoir et une technologie à développer. Si nous faisons les efforts nécessaires, nous pouvons prendre une place éminente dans la recherche mondiale en ce domaine.

Votre dernière question, monsieur le rapporteur, portait sur les perspectives ouvertes par la réduction de la consommation par l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. Comme je l'ai déjà indiqué, si le modèle énergétique allemand n'est pas transposable en France, nous devons en revanche nous inspirer de leurs succès dans ce domaine.

La performance énergétique des bâtiments met en effet en jeu 43 % de notre consommation d'énergie primaire. J'observe d'ailleurs que ce chiffre considérable donne à la question de l'énergie dans les bâtiments une place d'importance comparable à celle de l'énergie nucléaire dans notre politique énergétique : 112 millions de tonnes équivalent pétrole, ou Mtep, de production pour l'énergie nucléaire, contre 68 Mtep de consommation finale pour le secteur « résidentiel tertiaire », sachant qu'une part des 35 Mtep consommées d'un autre côté par l'industrie concerne aussi des bâtiments, car les ateliers doivent être optimisés du point de vue des flux de chaleur et de ventilation, même si l'industrie a déjà fait beaucoup d'efforts dans ce domaine.

Claude Birraux et moi-même avons eu l'occasion de nous pencher de très près sur cette question, puisque nous avons publié en décembre 2009 une étude sur la performance énergétique des bâtiments, en application d'une disposition législative introduite dans la loi Grenelle 1 à l'initiative de Bruno Sido.

Nous avons manifesté notre inquiétude quant à la manière dont était conçue la nouvelle réglementation thermique, la RT 2012, applicable depuis octobre 2011 dans les bureaux et dans les logements situés en zone de rénovation urbaine, puis à partir du 1er janvier 2013 dans toutes les habitations.

Deux aspects nous ont préoccupés.

D'abord, les normes édictées sont calculées a priori, et non pas mesurées a posteriori. Cela fait la part belle aux bureaux d'études, mais, in fine, la performance annoncée à grand renfort de colloques va s'appliquer à un parc de bâtiments virtuels. Or, si le calcul est certes utile au stade de la conception, la mesure in situ est le seul moyen de confirmer le résultat obtenu.

Ensuite, les conditions de prise en compte des progrès technologiques ne sont pas transparentes, et nous avons eu de nombreux échos sur des difficultés pour des PME à faire certifier leurs innovations, ou sur des freins à l'utilisation en France des produits couramment utilisés par des pays plus avancés dans l'efficacité énergétique des bâtiments comme la Suisse ou l'Allemagne.

Nous avons préconisé d'introduire une norme d'émission maximale de CO2, en complément de la norme de consommation maximale d'énergie primaire, afin d'assurer un traitement équilibré de l'électricité et du gaz et, par là, une incitation homogène à l'innovation technologique.

L'audition que nous avons organisée le 3 novembre dernier, et que j'ai présidée avec Bruno Sido, était spécialement configurée pour faire le point sur ces deux aspects qui nous préoccupent : la mesure de la performance réelle, celle que constateront les utilisateurs, et la prise en compte des innovations technologiques.

Le président de l'Office parlementaire avait spécialement adressé à Mme la ministre de l'écologie un courrier lui demandant un exposé sur les procédures suivies pour l'intégration des nouvelles solutions technologiques au dispositif réglementaire, document publié en annexe du rapport sur l'avenir de la filière nucléaire. Les fonctionnaires délégués par le ministère nous ont gratifiés, à la place, d'une très longue présentation de la RT 2012, sur le mode : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »

Cela montre que la structure administrative chargée du pilotage de la réglementation thermique fait pour le moins preuve d'une certaine fermeture. La réforme est pilotée sans règles claires quant à la prise en compte des innovations technologiques, alors qu'au regard des objectifs très ambitieux affichés par le Grenelle, aussi bien pour la construction que pour la rénovation, il faudra mobiliser toutes les énergies et toutes les initiatives pour réussir.

De surcroît, à la clef de ce dynamisme technologique que l'on souhaite, et qu'une régulation administrative trop opaque risque d'entraver, il y a la constitution de nouvelles filières industrielles, c'est-à-dire des investissements et des emplois dans un secteur où les perspectives de marché sont importantes, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale.

La dimension stratégique de l'effort à conduire sur l'efficacité énergétique des bâtiments, qui met en jeu 43 % de la consommation d'énergie primaire de notre pays, justifie qu'il soit piloté par une institution bénéficiant d'un statut lui assurant une compétence et une transparence incontestables.

Il me semble que cet effort pourrait constituer un beau projet pour la période qui s'ouvre, car la révolution de la performance énergétique des bâtiments est un véritable enjeu d'intérêt général.

L'autorité que nous appelons de nos voeux pourrait prendre le nom d'« agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments » ; elle serait soumise à un cadre procédural garantissant la pleine transparence de son action de régulation ; comme l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, elle devrait notamment rendre public chaque année son rapport d'activité, et l'on pourrait même demander que ce rapport soit présenté à l'occasion d'une audition devant les commissions du Parlement, ou devant l'OPECST, sur le modèle de la présentation du rapport annuel de l'Autorité de sûreté nucléaire.

En effet, comme le démontre l'annexe de notre dernier rapport, et comme je l'ai déjà souligné, si l'Allemagne ne nous paraît pas être, de manière globale, un exemple à suivre, nous devons en revanche ambitionner de faire aussi bien qu'elle en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments.

Je vous remercie de votre attention et suis maintenant prêt à répondre à des questions complémentaires, mesdames, messieurs les sénateurs.

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