Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, l'ordre du jour cet après-midi appelle l'audition de M. Christian Bataille, député, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST.
Je vous remercie, monsieur Bataille, d'avoir répondu à notre invitation.
Voilà peu, dans cette même salle, en compagnie du président de l'OPECST et de votre co-rapporteur, Bruno Sido, vous présentiez un remarquable rapport sur la sûreté de nos centrales nucléaires, à l'issue d'un énorme travail.
Le cadre est quelque peu différent aujourd'hui. Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, pour déterminer le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques. Le Bureau l'a accepté.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, monsieur Bataille, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, monsieur Bataille, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure.»
(M. Christian Bataille prête serment.)
Je vous remercie.
Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler lesdites questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de cette audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment. La souplesse est tout à fait autorisée.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
Monsieur Bataille, nous vous avons adressé cinq questions, que je me permettrai ici de synthétiser, pour gagner du temps.
Première question, compte tenu des scénarios que vous avez proposés avec M. Bruno Sido en conclusion du rapport du 15 décembre 2011 sur la filière nucléaire, pouvez-vous présenter votre vision de l'évolution à moyen terme du parc de production électrique, dans une perspective consistant à concilier l'objectif d'une moins grande dépendance au nucléaire avec celui du maintien du prix de l'électricité à un niveau acceptable ?
Deuxième question, les coûts futurs du nucléaire, qu'ils soient inévitables, comme le stockage des déchets et le démantèlement des centrales, ou incertains, comme ceux d'un éventuel accident nucléaire, vous paraissent-ils correctement pris en compte à l'heure actuelle ?
Troisième question, le président de la Commission de régulation de l'énergie a annoncé une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016. Un tel accroissement vous paraît-il inéluctable ?
Quatrième question, quelles vous paraissent être les perspectives les plus prometteuses pour permettre l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les réseaux électriques, concernant notamment le stockage d'électricité - STEP, méthanation, hydrogène, etc. - ?
Cinquième et dernière question, quelles sont les perspectives ouvertes par la réduction de la consommation grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, sujet sur lequel vous avez également été co-rapporteur, avec M. Claude Birraux, pour le compte de l'OPECST, en 2009 ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'interroger, en tant que rapporteur de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir et, plus généralement, en tant que membre de l'Office parlementaire, sur plusieurs de ces questions.
Comme vous le savez, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi, depuis sa création voilà près de trente ans, en 1983, d'une grande variété de sujets. Toutefois, l'énergie constitue, avec la santé, l'un des principaux thèmes traités par les députés et sénateurs qui en sont membres, puisque, sur plus de 150 rapports publiés à ce jour, près d'une trentaine concernent les problèmes énergétiques.
Du premier rapport traitant d'énergie, publié en décembre 1987 sur les conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à celui du 15 décembre 2011 relatif à l'avenir de la filière nucléaire, que j'ai présenté conjointement avec Bruno Sido, les parlementaires membres de l'OPECST ont, bien entendu, travaillé sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires.
Ils se sont aussi penchés sur la gestion des déchets radioactifs, et les recommandations issues de leurs études ont été reprises dans la loi du 30 décembre 1991, qui, encore aujourd'hui, régit l'avenir des déchets nucléaires.
L'Office assure aussi un suivi de la recherche en matière d'énergie. J'ai moi-même publié le premier rapport de l'Office sur ce sujet, avec Robert Galley, en juin 1998, et le tout dernier, en mars 2009, concernant l'évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie.
J'ai également cosigné avec Claude Birraux, en 2010, un rapport sur la performance énergétique des bâtiments.
J'ajouterai que, avec Robert Galley, en février 1999, nous avons publié, dans le cadre de notre étude sur l'aval du cycle nucléaire, un rapport consacré aux coûts de production de l'électricité, dont une partie des conclusions ont été reprises par la Cour des comptes dans son récent rapport. En revanche, depuis lors, l'Office n'a pas eu l'occasion de se pencher sur cette question bien spécifique et très complexe.
Votre première question, monsieur le rapporteur, porte sur notre vision de l'évolution à moyen terme du parc de production électrique. Je vais m'efforcer d'y répondre.
Il est très difficile pour les parlementaires, et pour les gouvernements, d'appréhender la durée nucléaire.
Le temps nucléaire équivaut à cinquante ans, ce qui correspond à la durée de vie maximale d'une centrale, ou encore à une période comprenant la durée de construction et de déconstruction de la centrale, et s'étendant même au-delà.
Le temps politique équivaut, pour nous, à une unité de cinq ans - six ans pour les sénateurs. C'est peu, en comparaison de la durée nucléaire. On sait combien il est difficile pour un Président de la République ou un candidat à la présidence de la République de se projeter au-delà du deuxième mandat qui suit le sien. Or le temps nucléaire correspond à dix fois un mandat présidentiel !
Dans notre rapport, nous proposons d'inscrire la filière nucléaire dans une « trajectoire raisonnée » jusqu'à la fin du XXIe siècle - cela peut sembler présomptueux, mais nous y serons vite ! -, selon un scénario énergétique alternatif, d'une part à une sortie rapide de l'énergie nucléaire que réclament certains, d'autre part à son strict maintien au niveau actuel, que d'autres souhaitent.
Cette approche conduit à envisager, à l'avenir, un ajustement du parc nucléaire lorsque les réacteurs arriveront en fin de vie ou, en d'autres termes, à acter la réduction de la part de l'énergie nucléaire, actuellement de 75 %, d'une manière progressive.
Aujourd'hui, notre perspective est une durée de vie des réacteurs de quarante ans, l'Autorité de sûreté nucléaire ayant autorisé la prolongation d'activité des réacteurs datant de trente ans. On peut même présumer que la durée de vie de ces réacteurs sera d'une cinquantaine d'années, mais ce sera à l'Autorité de sûreté nucléaire de se prononcer. Dans tous les cas, les politiques devraient prendre l'habitude de s'incliner devant le verdict technique de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Parmi les propositions que nous avons avancées avec Bruno Sido figure celle qui consiste à remplacer deux réacteurs arrêtés par un réacteur nouveau.
Cette proposition vise à répondre à une objection que l'on entend fréquemment ces temps-ci, et que l'on peut comprendre, les stratégies envisagées dans le domaine nucléaire étant critiquées surtout pour être des stratégies du « fil de l'eau » : l'on sait que la durée de vie des réacteurs actuellement en service est limitée, mais l'on n'envisage pas leur renouvellement.
Nous proposons une réduction progressive du parc des réacteurs pour permettre l'émergence d'une recherche d'énergies alternatives, qu'il s'agisse d'énergies de substitution ou d'énergies renouvelables. Mais cela prendra du temps et ne se fera pas d'un claquement de doigts.
Il me semble très important de ne pas remettre en cause la prééminence des avis de l'ASN. De son côté, l'autorité politique doit conserver la prééminence pour les autorisations de démarrage de nouvelles centrales. Enfin, il revient à l'exploitant de décider s'il souhaite engager les investissements nécessaires à la prolongation d'un réacteur ou s'il préfère remplacer celui-ci. Toutefois, au fur et à mesure de l'accroissement de l'exigence de sûreté, la seconde option deviendra, de fait, de plus en plus incontournable.
En résumé : on évite la politique du fil de l'eau et on organise une stratégie de renouvellement à 50 % en puissance des réacteurs arrêtés, ces derniers étant remplacés, non pas par des réacteurs moins chers et obsolètes en termes de sécurité, comme d'aucuns l'ont affirmé, mais par des réacteurs plus sûrs et plus chers - selon la volonté de l'exploitant, il pourra s'agir des EPR, de leurs jumeaux moins puissants du type ATMEA, ou de leurs équivalents, notamment américains ou japonais, sur les marchés internationaux.
En suivant cette stratégie, la part d'électricité d'origine nucléaire se trouverait ainsi abaissée de manière non brutale aux environs de 60 % vers 2035, au lieu de 75 % actuellement, puis de 50 % vers 2050, pour finalement aboutir à un socle, que nous proposons de ne plus réduire, de 30 % vers 2100, sachant que l'on peut compter sur l'émergence probable, vers 2045, de surgénérateurs ou réacteurs de quatrième génération.
À titre de comparaison, ce socle de 30 % correspond aux réserves allemandes de lignite. Lors de notre visite des installations énergétiques outre-Rhin, j'ai été très frappé de la manière dont les autorités allemandes ont insisté sur leurs 350 ans de réserves de lignite. Je n'imagine pas l'Allemagne se défaire de cette richesse. Pour notre part, nous ne disposons pas de telles réserves. En conséquence, même si l'on réduit la part du nucléaire, ce que les générations futures pourront décider de faire, nous devrons, me semble-t-il, conserver un socle national de réserve d'énergie.
Sur ce point, je me permets de vous renvoyer à la fin de notre rapport sur l'avenir de la filière nucléaire : le modèle énergétique allemand ne nous semble pas transposable en France, car les situations ne sont pas comparables : les Allemands peuvent se permettre d'arrêter leurs centrales nucléaires - même si l'on constate en ce moment qu'ils le font avec prudence -, parce qu'ils disposent d'un socle de lignite et d'une industrie gazière extrêmement performante - Siemens est en train de développer des centrales au gaz d'une puissance et d'une efficacité impressionnantes -, ce qui n'est pas notre cas. En revanche, nous pouvons nous inspirer de la stratégie des Allemands en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments et les logements.
Je reviens à la trajectoire que nous avons proposée et je réponds à votre question, monsieur le rapporteur : la progressivité de la démarche, qui s'étalerait sur tout le siècle, laisserait le temps nécessaire à la maturation industrielle des solutions massives de stockage de l'énergie. Nous sommes en effet arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de l'un des plus gros problèmes et que le pays qui deviendra leader en la matière décrochera le jackpot et détiendra assez largement les clefs de l'avenir.
Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, ce cadencement est le fruit du compromis que Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat et élu de l'UMP, et moi-même, rapporteur pour l'Assemblée nationale et élu du PS, avons trouvé. Il ne figure dans aucun programme politique, pas plus dans celui du PS que dans celui de l'UMP.
Je rappelle que, depuis des décennies, il existe en France un consensus sur deux grands sujets : la défense et l'énergie. Il me semble que, pour l'avenir aussi, nous devons essayer de trouver des solutions consensuelles, ce que nous avons recherché avec Bruno Sido.
Votre deuxième question, monsieur le rapporteur, porte sur les coûts futurs du nucléaire, notamment les charges futures de démantèlement des centrales et la gestion des déchets.
Je ne reviens pas sur le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, que vous connaissez par ailleurs : il fournit une analyse complète de ce volet des dépenses futures de la filière nucléaire et j'en partage très largement les conclusions.
La Cour des comptes commence par mettre en évidence la difficulté de l'exercice d'évaluation de ces charges. Ainsi, dans le cas d'EDF, les démantèlements ont à ce jour essentiellement porté sur des réacteurs de première génération de la filière graphite-gaz, aux caractéristiques peu comparables à ce qui nous attend. Quant à AREVA et au CEA, l'unicité ou l'hétérogénéité de leurs installations respectives ne facilitent pas non plus l'exercice de prévision.
Le risque de sous-évaluation des coûts de démantèlement n'est donc pas négligeable.
S'agissant des charges de gestion des déchets, j'ai été confronté à la polémique sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, qui doit être implanté près de Bure, dans la Meuse, à l'occasion de l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, à propos duquel nous avons, Claude Birraux et moi-même, cosigné deux rapports.
À l'occasion des auditions que nous avons menées avec Claude Birraux, nous avons constaté l'existence d'un conflit entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et les producteurs de déchets à ce sujet. Si les producteurs - EDF en premier lieu, mais aussi AREVA et le CEA, sans oublier les petits producteurs comme les hôpitaux - ont, incontestablement, leur mot à dire s'agissant de la gestion de leurs déchets, c'est à l'ANDRA, organisme public investi par la loi de cette mission, de prendre, au final, les décisions sur les modalités de mise en oeuvre, dans le respect des exigences de sûreté fixées par l'ASN.
Je n'hésite pas à dire aux sénatrices et sénateurs ici présents que le Parlement, toutes tendances confondues, doit soutenir l'ANDRA, organisme public créé par la loi qui doit prendre ses responsabilités. Nous ne devons pas laisser cet organisme de taille modeste se faire dévorer par les mastodontes que sont EDF, le CEA et, dans une moindre mesure, AREVA. Nous devons appuyer et conforter l'Agence. À cet égard, je suis un peu inquiet de constater que, aujourd'hui, l'ANDRA procède à des appels d'offres et délègue ses pouvoirs à des entreprises privées comme Bouygues pour la construction du centre de stockage.
Dans son récent rapport, la Cour des comptes rappelle aussi, fort opportunément, le caractère incontournable de cet organisme. À juste titre, elle considère que ce débat sur le coût du futur centre de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue doit être relativisé, compte tenu de la durée d'exploitation prévue, qui est de 100 ans au moins. Il est en effet très probable que certaines des évolutions de nature technique ou réglementaire qui interviendront nécessairement sur une période aussi longue auront un impact sur le centre de stockage.
Toutefois, si la Cour des comptes relève les difficultés d'évaluation des charges futures de la filière nucléaire, elle souligne aussi l'impact faible, de l'ordre de quelques pour cent, de ces incertitudes sur le coût final de production de l'électricité d'origine nucléaire.
Le discours selon lequel le coût final de l'électricité augmentera fortement en raison du coût de la gestion des déchets ou du coût du démantèlement semble quelque peu biaisé. Il y aura certes une hausse, annoncée, du coût de l'électricité, mais la facture du démantèlement n'intervient que pour une part très minoritaire dans cette augmentation.
Pour les réacteurs comme pour les déchets, j'insiste sur le fait que la sûreté n'a pas de prix - je dis cela pour contredire les industriels qui voudraient réduire ces dépenses.
Pour autant, il est évidemment souhaitable de mettre en oeuvre tous les moyens possibles, de manière à encadrer au mieux l'évaluation de ces charges et les provisions afférentes, que les industriels doivent constituer sous forme d'actifs dédiés, conformément aux dispositions de la loi du 28 juin 2006.
Aussi, le 7 avril 2011, j'ai été amené à interroger en séance publique Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, sur les raisons pour lesquelles, cinq ans après le vote de la loi du 28 juin 2006 qui prévoit sa création, la Commission nationale d'évaluation des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, dite CNEF, n'avait toujours pas été mise en place. Mme Kosciuscko-Morizet n'a pas répondu immédiatement à ma question, mais j'ai eu la satisfaction de constater que, à peine deux mois plus tard, cette commission s'est enfin réunie pour la première fois.
Dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, nous avons d'ailleurs entendu le président de cette commission, M. Jean-Luc Lépine, le 27 septembre dernier. Il nous a indiqué que la commission remettrait son premier rapport au mois de juin prochain. Six ans après le vote de la loi ! Mais ce sera de toute façon une nouvelle étape importante dans la clarification de cette question.
Je vais à présent rapidement évoquer le problème de la prise en compte d'un éventuel accident nucléaire dans le coût du kilowattheure. Il apparaît clairement que cette hypothèse n'est pas prise en compte actuellement. D'ailleurs, à titre de comparaison, il n'existe pas de secteur d'activité qui prenne en compte, par exemple en l'assurant, les conséquences d'un accident majeur, considéré comme hautement improbable.
Le premier exemple qui me vient à l'esprit est celui du secteur financier aux États-Unis : non seulement il n'a pas pris en charge les conséquences sur la vie de millions, voire de milliards d'individus, de la crise mondiale qu'il a provoquée par son imprudence, mais il a de surcroît été renfloué par l'État américain, c'est-à-dire par les contribuables qu'il a appauvris !
Un autre exemple intéressant est celui de la marée noire causée en 2010 par la plate-forme pétrolière de British Petroleum Deepwater Horizon. La société BP n'était pas assurée contre les conséquences d'un tel sinistre, mais elle a été contrainte de céder des actifs pour prendre en charge les effets écologiques et sanitaires de cette catastrophe.
Dans le cas du Japon, il semble que TEPCO ne sera pas en capacité d'assumer l'intégralité des coûts directs de la catastrophe de Fukushima. En ce cas, l'État devra prendre en charge une partie de ces coûts, probablement après avoir nationalisé l'entreprise.
Les experts estiment les provisions nécessaires pour faire face aux conséquences d'un accident nucléaire majeur à une somme comprise entre 100 et 200 millions d'euros par réacteur. Un tel montant ne bouleverserait pas la compétitivité du kilowattheure nucléaire par rapport aux autres énergies. Mais il me semble que de telles sommes doivent être mobilisées en priorité pour renforcer la sécurité des installations nucléaires face aux événements extrêmes. En effet, mieux vaut prévenir que guérir. Il est d'ailleurs à noter que, dans notre pays, le coût des améliorations de sûreté envisagées après Fukushima est du même ordre de grandeur par réacteur, c'est-à-dire entre 100 et 200 millions d'euros.
Votre troisième question, monsieur le rapporteur, porte sur l'annonce d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 par le président de la Commission de régulation de l'énergie.
Comme nous l'avons indiqué dans le rapport sur la sécurité nucléaire paru au mois de juin dernier, l'industrie nucléaire doit tirer toutes les conséquences de la catastrophe de Fukushima en élevant d'un cran supplémentaire la sûreté de ses installations.
Il est certain que ce renforcement aura un impact sur le coût de production de l'électricité d'origine nucléaire, mais qui ne devrait pas excéder quelques euros - moins de quatre euros, disent les experts. Nos centrales resteront donc très largement compétitives, malgré cette augmentation. En tout état de cause, cet accroissement marginal ne peut servir d'argument pour justifier la totalité des 30 % d'augmentation du prix de l'électricité annoncés par le président de la CRE.
Quant au soutien aux énergies renouvelables, il représente un coût important, qui est directement assumé par les consommateurs. Qui plus est, les engagements de rachat de l'électricité produite par ces énergies sont pris sur le long terme, avec un effet cumulatif. C'est ce qui explique pour une large part que le consommateur allemand paye aujourd'hui son électricité bien plus cher que le consommateur français.
Il n'est donc pas surprenant que nos voisins se trouvent dans une position peu enviable en Europe sur le plan de la précarité énergétique. C'est un autre sujet de réflexion, mais la précarité énergétique cause de véritables dégâts sociaux en Allemagne.
Je constate que, même en Allemagne, les conséquences lourdes de ce soutien aux énergies renouvelables posent question depuis quelques mois et donnent lieu à des conflits internes au gouvernement. Cette prise de conscience intervient au moment où les entreprises phare du secteur photovoltaïque d'outre-Rhin se trouvent dans une position extrêmement difficile. Ainsi, Q-Cells vient d'annoncer, quelques mois après Photowatt, son dépôt de bilan.
L'Espagne, qui s'était aussi engagée depuis plusieurs années dans une politique volontariste à l'égard des énergies renouvelables, a, pour sa part, purement et simplement mis fin à ses subventions, ce qui est compréhensible compte tenu de la crise que traverse ce pays.
Je pense que nous devons tirer les enseignements de ces évolutions dans les pays voisins. Devons-nous continuer à mobiliser, dans cette période de crise, des sommes conséquentes dans des subventions à la production, au risque d'aider surtout la création d'emplois en Chine et de renforcer la précarité énergétique dans notre pays ? Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées dans la recherche sur les énergies renouvelables et le stockage de l'électricité ?
Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, porte précisément sur les perspectives les plus prometteuses pour permettre l'intégration des énergies renouvelables intermittentes dans les réseaux électriques.
Comme l'ont souligné plusieurs des intervenants qui se sont exprimés à l'occasion des auditions sur l'intégration des énergies renouvelables que nous avons organisées dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, un déploiement massif des énergies renouvelables se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par des obstacles technologiques en raison de leurs degrés de maturité divers. Même si certaines technologies progressent et que leur coût décroît très rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles, ce qui vient conforter le scénario de l'évolution progressive que nous avons proposé pour notre énergie électrique.
À cela, il faut ajouter d'autres contraintes potentielles : l'approvisionnement en métaux rares, l'acceptabilité sociale des infrastructures et, surtout, l'intermittence et la déconnexion entre lieux de production et de consommation.
La déconnexion entre production et consommation implique un fort investissement dans les réseaux, parallèlement au développement des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Or les délais de construction de lignes à très haute tension, d'environ dix ans, sont très supérieurs aux délais de mise en route des infrastructures de production, qui sont de trois à quatre ans.
Lors des entretiens que j'ai eus en Allemagne, notamment au Bade-Wurtemberg - avec la Bavière, l'un des deux Länder les plus développés d'Allemagne, et donc un gros consommateur d'électricité -, j'ai pu constater qu'il s'agissait d'un souci majeur pour nos voisins, puisqu'ils ne sont pas parvenus, et de loin, à atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés en ce domaine ces dernières années. Des mesures ont certes été prises pour pallier ces difficultés, avec notamment une centralisation des décisions en ce domaine, mais elles n'ont pas encore produit leurs effets.
Surtout, l'intermittence des énergies éolienne et solaire entraîne une production fluctuante, ce qui suppose l'existence de relais rapidement mobilisables. Les centrales à énergies fossiles étant les mieux à même de monter rapidement en charge, elles sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables - nous avons ainsi visité, près de Cologne en Rhénanie, des installations très au point utilisant le lignite.
J'ai pu également constater en Allemagne un effort d'investissement considérable de Siemens dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, qui se caractérisent par un fort rendement et une grande flexibilité. Nous avons visité de nouvelles centrales au gaz qui sont impressionnantes en termes de taux de combustion, et je suis pour ma part persuadé qu'il s'agit de l'alternative la plus naturelle dans notre pays pour pallier un déficit lié aux arrêts intempestifs de centrales nucléaires.
Dans un pays comme la France, qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes sans percées technologiques sur les moyens de stockage d'électricité impliquerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique.
C'est pourquoi il convient, par ailleurs, de développer les technologies de gestion de l'intermittence, mais c'est un vaste problème.
Tout d'abord, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux « intelligents » peuvent contribuer à compenser les fluctuations dans la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, dont le Gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation. Il ne faut toutefois pas attendre de miracles de ces réseaux, qui ne font qu'accroître la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée.
Au-delà, il faut développer les technologies de stockage d'énergie. Les auditions réalisées ont permis de faire le point sur deux pistes, encore expérimentales, mais qui paraissent bien adaptées pour répondre à des besoins de stockage massif de l'énergie.
Il s'agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, qui peuvent fonctionner en période de surproduction d'énergies renouvelables, et qui permettent de retenir l'eau dans des réservoirs pour ensuite la déverser, le moment voulu, sur les turbines.
Il s'agit, en second lieu, du stockage d'électricité dans des hydrocarbures de synthèse par fixation de l'hydrogène obtenu par électrolyse, ce qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie.
Nous avons déjà essayé de faire passer ce message, le 1er décembre dernier, à l'ANCRE, l'Alliance des organismes de recherche dans le domaine de l'énergie. Tous les efforts pour mettre au point des dispositifs de stockage d'énergie de grande capacité doivent être accrus - ils existent d'ores et déjà en France, mais ils sont insuffisants. En outre, il faut développer des partenariats avec les acteurs allemands les plus avancés, notamment sur le stockage chimique par conversion du CO2.
J'abrège ma démonstration, mesdames, messieurs les sénateurs, mais vous aurez compris que la recherche doit tenir une grande place, notamment dans les technologies de stockage, lesquelles sont complémentaires du développement des énergies renouvelables. En effet, les énergies renouvelables actuellement connues ne peuvent être développées que si nous progressons dans les méthodes de stockage.
Pour avoir moi-même auditionné les défenseurs de plusieurs méthodes de stockage, je pense à titre personnel que les STEP constituent vraiment un espoir et une technologie à développer. Si nous faisons les efforts nécessaires, nous pouvons prendre une place éminente dans la recherche mondiale en ce domaine.
Votre dernière question, monsieur le rapporteur, portait sur les perspectives ouvertes par la réduction de la consommation par l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. Comme je l'ai déjà indiqué, si le modèle énergétique allemand n'est pas transposable en France, nous devons en revanche nous inspirer de leurs succès dans ce domaine.
La performance énergétique des bâtiments met en effet en jeu 43 % de notre consommation d'énergie primaire. J'observe d'ailleurs que ce chiffre considérable donne à la question de l'énergie dans les bâtiments une place d'importance comparable à celle de l'énergie nucléaire dans notre politique énergétique : 112 millions de tonnes équivalent pétrole, ou Mtep, de production pour l'énergie nucléaire, contre 68 Mtep de consommation finale pour le secteur « résidentiel tertiaire », sachant qu'une part des 35 Mtep consommées d'un autre côté par l'industrie concerne aussi des bâtiments, car les ateliers doivent être optimisés du point de vue des flux de chaleur et de ventilation, même si l'industrie a déjà fait beaucoup d'efforts dans ce domaine.
Claude Birraux et moi-même avons eu l'occasion de nous pencher de très près sur cette question, puisque nous avons publié en décembre 2009 une étude sur la performance énergétique des bâtiments, en application d'une disposition législative introduite dans la loi Grenelle 1 à l'initiative de Bruno Sido.
Nous avons manifesté notre inquiétude quant à la manière dont était conçue la nouvelle réglementation thermique, la RT 2012, applicable depuis octobre 2011 dans les bureaux et dans les logements situés en zone de rénovation urbaine, puis à partir du 1er janvier 2013 dans toutes les habitations.
Deux aspects nous ont préoccupés.
D'abord, les normes édictées sont calculées a priori, et non pas mesurées a posteriori. Cela fait la part belle aux bureaux d'études, mais, in fine, la performance annoncée à grand renfort de colloques va s'appliquer à un parc de bâtiments virtuels. Or, si le calcul est certes utile au stade de la conception, la mesure in situ est le seul moyen de confirmer le résultat obtenu.
Ensuite, les conditions de prise en compte des progrès technologiques ne sont pas transparentes, et nous avons eu de nombreux échos sur des difficultés pour des PME à faire certifier leurs innovations, ou sur des freins à l'utilisation en France des produits couramment utilisés par des pays plus avancés dans l'efficacité énergétique des bâtiments comme la Suisse ou l'Allemagne.
Nous avons préconisé d'introduire une norme d'émission maximale de CO2, en complément de la norme de consommation maximale d'énergie primaire, afin d'assurer un traitement équilibré de l'électricité et du gaz et, par là, une incitation homogène à l'innovation technologique.
L'audition que nous avons organisée le 3 novembre dernier, et que j'ai présidée avec Bruno Sido, était spécialement configurée pour faire le point sur ces deux aspects qui nous préoccupent : la mesure de la performance réelle, celle que constateront les utilisateurs, et la prise en compte des innovations technologiques.
Le président de l'Office parlementaire avait spécialement adressé à Mme la ministre de l'écologie un courrier lui demandant un exposé sur les procédures suivies pour l'intégration des nouvelles solutions technologiques au dispositif réglementaire, document publié en annexe du rapport sur l'avenir de la filière nucléaire. Les fonctionnaires délégués par le ministère nous ont gratifiés, à la place, d'une très longue présentation de la RT 2012, sur le mode : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »
Cela montre que la structure administrative chargée du pilotage de la réglementation thermique fait pour le moins preuve d'une certaine fermeture. La réforme est pilotée sans règles claires quant à la prise en compte des innovations technologiques, alors qu'au regard des objectifs très ambitieux affichés par le Grenelle, aussi bien pour la construction que pour la rénovation, il faudra mobiliser toutes les énergies et toutes les initiatives pour réussir.
De surcroît, à la clef de ce dynamisme technologique que l'on souhaite, et qu'une régulation administrative trop opaque risque d'entraver, il y a la constitution de nouvelles filières industrielles, c'est-à-dire des investissements et des emplois dans un secteur où les perspectives de marché sont importantes, à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale.
La dimension stratégique de l'effort à conduire sur l'efficacité énergétique des bâtiments, qui met en jeu 43 % de la consommation d'énergie primaire de notre pays, justifie qu'il soit piloté par une institution bénéficiant d'un statut lui assurant une compétence et une transparence incontestables.
Il me semble que cet effort pourrait constituer un beau projet pour la période qui s'ouvre, car la révolution de la performance énergétique des bâtiments est un véritable enjeu d'intérêt général.
L'autorité que nous appelons de nos voeux pourrait prendre le nom d'« agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments » ; elle serait soumise à un cadre procédural garantissant la pleine transparence de son action de régulation ; comme l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, elle devrait notamment rendre public chaque année son rapport d'activité, et l'on pourrait même demander que ce rapport soit présenté à l'occasion d'une audition devant les commissions du Parlement, ou devant l'OPECST, sur le modèle de la présentation du rapport annuel de l'Autorité de sûreté nucléaire.
En effet, comme le démontre l'annexe de notre dernier rapport, et comme je l'ai déjà souligné, si l'Allemagne ne nous paraît pas être, de manière globale, un exemple à suivre, nous devons en revanche ambitionner de faire aussi bien qu'elle en matière d'économies d'énergie dans les bâtiments.
Je vous remercie de votre attention et suis maintenant prêt à répondre à des questions complémentaires, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je vous remercie de cette très intéressante synthèse, monsieur le député.
Il me semble que Mireille Schurch souhaitait vous poser quelques questions.
Je vous remercie de votre exposé, monsieur le député.
J'ai noté que vous étiez favorable à la règle du « un sur deux » dans le domaine nucléaire - j'enlève deux réacteurs et j'en reconstruis un.
Comme vous l'avez noté dans votre rapport, L'avenir de la filière nucléaire en France, « la multiplicité des formes d'énergies renouvelables masque le fait que l'exploitation d'une grande partie d'entre elles dépend par nature d'une localisation bien précise ».
Notre commission d'enquête porte sur le coût de l'électricité, et la production d'électricité par des moyens alternatifs impose en effet une nouvelle géographie des réseaux pour relier les sites de ces productions, qui sont différents de ceux que nous connaissons, jusqu'aux sites de consommation, via des lignes à très haute tension.
Dès lors, faut-il anticiper et créer d'ores et déjà ces nouveaux réseaux ? Si oui, qui doit supporter le coût de ces investissements nécessaires au transport des énergies renouvelables, et à quelle hauteur ?
Je suis incapable de vous répondre sur l'ampleur des dépenses qu'il faudrait engager.
Nous avons pris conscience de ce problème d'acheminement lors de notre déplacement en Allemagne. Les réserves d'énergies renouvelables, notamment l'énergie éolienne, se trouvent dans le nord de l'Allemagne, tandis que le coeur de l'industrie allemande est localisé dans le Bade-Wurtemberg et en Bavière. Les Allemands sont confrontés à un problème de transport massif des énergies renouvelables vers leurs sites industriels, problème qu'ils n'ont pas résolu à ce jour.
La France est moins avancée en matière d'énergies renouvelables, mais doit réfléchir à la localisation de ses sites au plus près des lieux de consommation, de façon à éviter des dépenses exponentielles et des nuisances pour l'environnement et le paysage.
On connaît le fonctionnement de RTE et ses difficultés financières. Faut-il anticiper ? Avec quels moyens financiers ? Peut-on déjà prévoir une organisation territoriale ? Des discussions sont-elles d'ores et déjà engagées ?
La décision devra, me semble-t-il, être prise par les autorités politiques, et peut-être aussi par les exploitants, à travers une organisation plus régionalisée.
Nous devons gérer l'héritage d'installations qui suscitent des problèmes de transport, et la question ne se pose d'ailleurs pas seulement pour les énergies renouvelables.
Le transport de l'électricité produite en quantité importante à Flamanville se pose aussi, car ce lieu de production reste quand même relativement éloigné des centres industriels. Le choix de Penly aurait sans doute permis de rapprocher davantage la production d'électricité des centres industriels.
Je ne peux pas m'avancer sur les énergies renouvelables, mais je pense que nous devrons nous orienter vers des énergies de proximité, si l'on développe par exemple des STEP ou bien encore des fermes éoliennes côtières. Encore faudra-t-il réfléchir à leur consommation : certains sites peuvent en effet être séduisants pour la production d'énergie électrique, mais les consommateurs ne pas se trouver à proximité. Il convient donc de bien coordonner les deux démarches.
Ma question prolonge vos développements sur la problématique « réseaux ». Je ne reviendrai pas sur le stockage, à propos duquel vous avez été très clair. Vous avez bien montré les difficultés que rencontrent les Allemands pour transporter l'énergie entre les lieux de production et de consommation.
De manière à vous permettre d'affiner votre analyse, je souhaiterais donc vous interroger sur le principe de l'autoconsommation, qui consiste à ramener la production au plus près du terrain, puisqu'il s'agit de produire au lieu même de la consommation, ce qui n'est pas sans intérêt au regard du coût que représente la modernisation des réseaux, notamment des réseaux moyenne tension.
Avezvous approfondi cette question, qui correspond aujourd'hui au choix politique effectué par les Allemands, puisqu'ils ne paient plus la mise sur le réseau, mais la consommation sur place ?
Vous aurez noté, monsieur Bataille, que la question était posée par un sénateur savoyard, très concerné par le problème de la proximité d'entreprises hautes consommatrices d'électricité avec les centrales de production.
Par votre raisonnement, vous allez finalement à l'encontre des délocalisations sauvages que nous avons constatées ces derniers temps. Cela suppose de la part de l'État et du Gouvernement une volonté d'organisation du territoire. Il s'agirait, au fond, d'encourager l'implantation des industries consommatrices à proximité des lieux de production d'électricité.
Nous n'allons pas dans cette direction aujourd'hui, mais, après tout, quel que soit le gouvernement en place, l'État peut prendre conscience de l'avantage qu'il y aurait à lutter de cette manière contre les gaspillages énergétiques.
Il y a des contre-exemples, mais, de manière générale, en France, les installations nucléaires ont été implantées à proximité des sites de consommation. Par exemple, dans ma région, la sidérurgie était aux portes de la centrale de Gravelines. Malheureusement, ces industries consommatrices ont depuis disparu, et Pechiney n'est plus ce qu'elle était depuis son rachat par Alcan.
L'on voit donc qu'il existe aussi ce risque d'implanter des centrales pour l'éternité, alors que les industries sont mobiles. Mais l'on ne peut pas non plus tout verrouiller dans le domaine énergétique et industriel. Il faut donc essayer de choisir les implantations avec intelligence. Il me semble que les installations nucléaires de la vallée du Rhône sont intelligemment implantées. Quant à la Savoie et la Haute-Savoie, elles bénéficient de la proximité des grands centres de production d'hydroélectricité.
En parlant d'autoconsommation, je voulais aussi évoquer le cas des particuliers, les Allemands ayant recours aux énergies renouvelables, notamment au photovoltaïque.
J'enregistre votre remarque, monsieur le sénateur, mais seule l'autorité politique peut répondre à cette question. Je ne puis le faire en qualité de rapporteur de la mission parlementaire.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur, je voudrais vous demander une précision technique sur la réponse que vous avez faite à sa deuxième question, relative à la prise en compte d'un éventuel accident. Car il s'agit bien, au final, d'un élément du coût de l'électricité, intégré à la facture.
Si j'ai bien compris, vous préférez, dans votre rapport, que l'exploitant provisionne ces sommes plutôt qu'il paye une prime d'assurance. Vous avez parlé d'une provision de 100 à 200 millions d'euros par réacteur, en précisant qu'il s'agissait d'une estimation d'experts. Je n'ai pas très bien compris de quels experts il s'agissait, mais, quoi qu'il en soit, c'est un choix différent de celui qui consiste tout simplement à permettre aux exploitants de souscrire une assurance auprès d'une ou de plusieurs compagnies d'assurance. Pourquoi ce choix ?
Il s'agit d'une hypothèse. En contrepoint, nous disons aussi que nous pouvons, avec les mêmes sommes, choisir de renforcer la sécurité des centrales et de suivre les préconisations de l'Autorité de sûreté nucléaire. En réalité, nous tirons en quelque sorte les leçons de Fukushima : le coût est si important que TEPCO, qui n'est pourtant pas une entreprise pauvre, ne peut y faire face.
En effet. Cela prouve que le provisionnement que nous envisageons ne sera de toute façon pas suffisant en cas de désastre majeur et qu'il faudra à ce moment-là se tourner vers l'État.
Je souhaite tout d'abord vous poser une question technique, monsieur Bataille. Vous avez préconisé la création d'une autorité, une agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments, pour impulser une nouvelle dynamique en matière d'efficacité énergétique.
À ma grande surprise, vous avez parlé de blocages administratifs, en affirmant que les entrepreneurs, les PME et les PMI rencontraient beaucoup de problèmes pour mettre en oeuvre des économies d'énergies dans la construction des bâtiments, l'isolation, notamment.
Dans notre rapport, nous établissons un parallèle entre l'évolution de l'Autorité de régulation des télécommunications, devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, en 2005, et qui a contribué à faire de la France, en quelques années, l'un des pays du monde disposant de la meilleure offre en services numériques, du point de vue tant de la couverture et de la qualité que du prix.
L'ART puis l'ARCEP ont su canaliser les initiatives des acteurs des communications électroniques, en utilisant leur pouvoir de régulation dans des conditions de parfaite transparence.
Il s'agirait aujourd'hui de transposer ce modèle pour réussir la révolution de la performance énergétique dans les bâtiments, en fusionnant, à budget constant, les structures chargées des missions de régulation du secteur du bâtiment au sein de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et de la construction, du Centre scientifique et technique du bâtiment et de l'Agence de la maîtrise de l'énergie, en une autorité administrative indépendante, dirigée par un collège d'au moins cinq membres nommés par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, pour un mandat non renouvelable de six années, sur le modèle de l'ARCEP en matière de communications électroniques.
Bien que les deux domaines ne soient pas tout à fait comparables, cette suggestion est très intéressante.
Avez-vous une seconde question, monsieur le rapporteur ?
Oui, et elle rejoint celle que vous avez posée sur la sûreté nucléaire, monsieur le président.
En raison de l'ampleur et de l'incertitude des sommes en jeu - si nous étions sûrs qu'il faille 500 milliards d'euros tous les vingt ans, nous ferions des provisions, mais personne ne peut prévoir la gravité et encore moins la date d'un éventuel accident -, vous proposez, plutôt que de faire des provisions ou d'assurer les conséquences d'un éventuel accident nucléaire, de « mettre le paquet » sur la sûreté.
Lorsque nous avons auditionné les responsables de l'Autorité de sûreté nucléaire, ils ont rappelé qu'il y avait essentiellement deux facteurs de sécurité.
Le premier, que vous avez développé récemment dans une émission de télévision, monsieur Bataille,...
Une émission diffusée hier soir et que j'ai regardée dans son intégralité !
est celui de la sûreté humaine - process, procédures, formation, organisation humaine, tout cela est fondamental.
Vous posiez le problème de la sous-traitance, qui pourrait peut-être entraîner des risques de défaillances dans la chaîne.
Le second facteur de sécurité dont nous a parlé l'ASN, c'est le noyau dur, c'est-à-dire un certain nombre de préconisations qu'elle a faites à la suite de la catastrophe de Fukushima, notamment la présence d'un poste de commandement « bunkerisé » se trouvant à proximité du réacteur pour pouvoir intervenir en cas d'accident.
Avez-vous étudié, dans votre rapport, l'ensemble de ces procédures ? Quelles évolutions de matériel technique faut-il prévoir pour assurer la prévention d'un incident ou accident nucléaire ?
J'ai fait allusion aujourd'hui à la deuxième partie de notre rapport. La première partie, quant à elle, portait sur la sécurité et la sûreté.
M. le président s'en souvient fort bien, puisqu'il était membre de la mission dont j'étais co-rapporteur avec Bruno Sido. Une mission commune à l'Office et aux commissions permanentes du Sénat et de l'Assemblée nationale avait en effet été constituée.
Nous avons constaté, avec Bruno Sido, l'excès des chaînes de sous-traitance. Il semble d'ailleurs qu'EDF en ait conscience, puisque les responsables auditionnés nous ont déclaré qu'ils étaient en train de réintégrer certaines fonctions dans l'entreprise, notamment tout ce qui concerne la plomberie, les tuyaux. Ces fonctions ne sont plus soumises à appel d'offres mais sont réintégrées en interne.
Nous avons mesuré également le problème social posé par la sous-traitance. L'énergie nucléaire est une énergie d'élite. Pour autant, ses travailleurs doivent être traités avec davantage de dignité, ce qui n'est souvent pas le cas des sous-traitants - pour certains, qui viennent de l'autre bout de l'Europe et qui travaillent dans des conditions peu compatibles avec l'image de modernité qu'offre le nucléaire, et plus proches d'une version moderne de l'esclavage.
Maintenant, en ce qui concerne l'augmentation des coûts du fait des préconisations de l'ASN, nous avons mené nos travaux presque parallèlement aux leurs. Nous n'avons pas voulu empiéter sur leurs champs de compétence et nous prenons pour argent comptant les préconisations de l'ASN.
Toutefois, il est certain que la sûreté va coûter très cher. Je ne sais pas à combien s'élèvera la facture. EDF est en train de se mettre au niveau progressivement. Quand on pose le problème de l'arrêt de certaines centrales, c'est aussi à travers ce prisme qu'il faut l'apprécier : c'est EDF qui décidera de moderniser ou pas Fessenheim. Je pense qu'EDF va choisir de moderniser cette centrale, notamment d'effectuer les travaux préconisés pour le radier, mais ces travaux seront très coûteux.
Il me semble que l'on peut distinguer deux types de maintenance. Ce sujet avait d'ailleurs été largement abordé lors de notre déplacement à Gravelines, dans votre région, monsieur Bataille. Nous avions rencontré des sous-traitants de tout genre. Car il existe une sous-traitance de tâches simples, d'entretien - cette qualification n'est nullement péjorative - et une sous-traitance de très haute technologie. Le problème n'est pas le même, me semble-t-il. Quand vous dites qu'EDF doit changer de comportement et réintégrer une partie de la maintenance dans son activité principale, à quel type de sous-traitance faites-vous allusion ?
À la sous-traitance de haute technologie !
Les organisations syndicales elles-mêmes admettent le recours aux « nomades du nucléaire ». Ils ont sans doute un métier difficile, puisqu'ils passent d'une centrale à l'autre, mais il faut bien des équipes itinérantes pour accomplir des tâches d'entretien au moment des arrêts de tranches.
Vous avez donc raison, monsieur le président, de dire qu'il y a deux types de tâches, celles de routine et celles de plus haute technologie. C'est surtout ce dernier domaine que je visais, celui des tuyauteries, car j'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un travail très pointu, qui nécessite un haut niveau de formation que l'on ne trouve pas très facilement.
Il me reste à vous remercier, monsieur le député, au nom de tous mes collègues. C'est toujours un plaisir de vous entendre sur ce sujet que vous connaissez par coeur, et sur lequel vous « planchez » depuis des années. Vous parlez avec conviction, et j'apprécie la manière dont vous exprimez vos idées.
Je vous remercie, monsieur le président.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Sophia Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France.
Madame Majnoni d'Intignano, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à notre invitation. Il est vrai que vous n'aviez pas le choix, puisqu'il est obligatoire de répondre à l'invitation d'une commission d'enquête...
Comme cela vous a été indiqué, je vous demande, pour respecter la procédure, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Sophia Majnoni d'Intignano prête serment.)
M. Jean Desessard, rapporteur de notre commission d'enquête, va vous rappeler les questions qu'il vous a adressées. Nous vous demandons d'y répondre de préférence dans l'ordre. Toutefois, si vous souhaitez, par commodité, modifier cet ordre, sachez que nous sommes assez souples sur ce plan.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
Monsieur le président, j'ai adressé à Mme Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, six groupes de questions.
Premièrement, de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France ? Quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxièmement, la France devrait-elle, selon vous, prolonger la durée de vie des centrales existantes, investir dans le développement des nouvelles générations de réacteurs, c'est-à-dire du réacteur pressurisé européen, l'EPR, et de ce qu'on appelle la quatrième génération, ou encourager une sortie progressive du nucléaire en investissant massivement dans les énergies renouvelables ? Je précise que, selon vos réponses, ces possibilités peuvent être alternatives ou cumulatives.
Troisièmement, quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrièmement, pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer ? À combien pouvez-vous chiffrer cet investissement ?
Cinquièmement, le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Sixièmement, quelles actions convient-il de mener prioritairement, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
Madame Majnoni d'Intignano, vous avez la parole. Tâchez, s'il vous plaît, de nous laisser un peu de temps pour vous poser quelques questions complémentaires.
J'y veillerai, monsieur le président.
Pour ce qui concerne la troisième et la quatrième questions de M. le rapporteur, qui portent sur les mécanismes de soutien filière par filière et les objectifs du Grenelle, je considère qu'étant chargée spécifiquement des questions nucléaires, je n'ai pas la compétence nécessaire pour y répondre.
Sur ces questions, Greenpeace collabore avec le comité de liaison Énergies renouvelables, le CLER, dont je sais que le directeur, M. Raphaël Claustre, a déjà été entendu par votre rapporteur en audition restreinte.
En effet. M. Claustre nous a d'ailleurs apporté des réponses nombreuses.
Je m'associe aux réponses qu'il vous a faites.
Vous lui sous-traitez donc, pour ainsi dire, la troisième et la quatrième question...
C'est cela ! Pour ma part, je parlerai plutôt des questions nucléaires.
Pour nous, il est clair que les tarifs actuels de l'électricité ne reflètent pas la réalité des coûts de production, en raison notamment de la prédominance dans notre mix électrique du nucléaire, dont vous savez qu'il en représente 75 %.
En effet, trois types de coûts liés au nucléaire sont non pas cachés, comme on le dit parfois, mais sous-évalués ou mal pris en compte.
Dans un premier ensemble, figurent les coûts de long terme liés à deux charges futures : le démantèlement des centrales et la gestion des déchets.
Un autre ensemble comprend les coûts liés à la couverture du risque nucléaire, c'est-à-dire à l'assurance en cas d'accident nucléaire majeur.
La question des coûts liés au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets a déjà été largement traitée par la Cour des comptes. Dans son rapport de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire, elle a mis en évidence l'existence de lacunes et d'incertitudes. Elle estime, dans sa terminologie, que ces coûts semblent avoir été sous-évalués.
Le fait est que si l'on procède à une comparaison internationale, on constate que le montant provisionné par EDF est inférieur au minimum international correspondant à cinquante-huit réacteurs : je crois que ce minimum est de 20 milliards d'euros et qu'EDF a provisionné seulement 18 milliards d'euros.
La sous-évaluation des charges de démantèlement étant assez nette, le risque existe que, dans les prochaines années, il soit fait obligation à EDF de réviser ses modèles d'évaluation et d'augmenter ses provisions.
Certes, comme le souligne la Cour des comptes, les conséquences de cette mesure sur le prix final du kilowattheure ne seraient pas forcément significatives, puisqu'elles seraient réparties sur une très longue période. Reste que plus on repousse la réévaluation, plus ses conséquences sur le prix de l'électricité seront importantes.
Il faut donc prendre en compte cette réalité : le jour où la réévaluation interviendra, il sera nécessaire d'augmenter les provisions en vue du démantèlement. Et plus la réévaluation sera retardée, plus ses conséquences seront douloureuses pour les consommateurs.
Les coûts liés à la gestion des déchets font l'objet d'incertitudes à peu près identiques.
En France, en effet, un choix très particulier a été fait pour la gestion des déchets : les combustibles usagés sont retraités à la sortie du réacteur et les déchets les plus dangereux sont enfouis en stockage géologique à grande profondeur.
Pour l'instant, cette dernière technique est au stade de l'expérimentation. Le coût final des recherches menées au laboratoire de Bure puis de la construction d'un centre de stockage n'est pas connu. Il a été estimé à 15 milliards d'euros ; aujourd'hui, on l'évalue entre 28 et 35 milliards d'euros. Si vous interrogez l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, ses dirigeants vous répondront qu'eux-mêmes n'ont pas la réponse.
Le coût à long terme de la gestion des déchets n'étant pas entièrement connu, le risque existe que, pour ces charges aussi, il faille augmenter les provisions. Dès lors, le même problème se pose à nouveau : plus on retardera la réévaluation, plus ses conséquences seront significatives.
Greenpeace n'est pas d'accord avec la Cour des comptes lorsqu'elle estime que les coûts de démantèlement auront des conséquences très faibles sur le prix du kilowattheure - de l'ordre de 2,5 à 5 % si les provisions sont multipliées par deux.
En effet, l'hypothèse d'un doublement des charges nous paraît relativement optimiste. Songez que le démantèlement du réacteur de Brennilis, l'un des plus avancés en France, a déjà coûté plus de 400 millions d'euros - encore s'agit-il d'un réacteur de toute petite puissance : 70 mégawatts, contre 1 000 mégawatts en moyenne pour les réacteurs français.
Le montant de 300 millions d'euros par réacteur, avancé aujourd'hui par EDF, étant déjà dépassé pour un réacteur de toute petite puissance, on peut imaginer que les provisions liées au démantèlement ne feront pas que doubler, comme le suppose la Cour des comptes. Et si les provisions sont multipliées par quatre, le prix de l'électricité augmentera de 20 %, ce qui est une conséquence d'une autre ampleur.
La question des coûts liés à l'assurance du risque nucléaire sera certainement débattue dans les mois qui viennent, l'accident nucléaire de Fukushima lui ayant donné une nouvelle actualité.
La France est soumise à un régime européen et international fixé par des conventions. Un protocole additionnel a relevé à 700 millions d'euros le minimum d'assurance pour les exploitants. Toutefois, n'ayant pas été ratifié par l'ensemble des pays, il n'est pas encore appliqué.
En France, le montant d'assurance pour les exploitants est aujourd'hui fixé à 91 millions d'euros par réacteur nucléaire. Voilà quelques jours, un projet de loi a été présenté en Conseil des ministres qui vise à relever ce seuil de 91 à 700 millions d'euros. Peut-être sera-t-il adopté par le nouveau Parlement après les élections présidentielles et législatives. Toujours est-il que, pour l'instant, le montant applicable est de 91 millions d'euros par réacteur.
D'ailleurs, quand bien même le seuil serait porté à 700 millions d'euros, il se situerait dans une fourchette très basse.
En Allemagne, par comparaison, il existe un système de responsabilité illimitée. Autrement dit, en cas d'accident nucléaire, l'exploitant est redevable jusqu'au dernier centime des sommes dépensées pour gérer la catastrophe.
Comme les assurances ne peuvent pas couvrir une telle responsabilité, un montant est fixé - 2,5 milliards d'euros - pour lequel les exploitants sont obligés de s'assurer, sachant qu'en cas d'accident, il leur faudra sans doute vendre les bijoux de famille...
Le seuil prévu en France est plutôt très bas par rapport aux montants fixés dans les autres pays européens. À supposer même qu'il soit relevé à 700 millions d'euros par réacteur, il resterait à un niveau très bas.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, dont vous avez certainement prévu d'auditionner un représentant, cherche actuellement à évaluer ce que coûterait un accident nucléaire en France.
Quelques chiffres ont circulé dans la presse et ont été mentionnés par la Cour des comptes : il est question de 70 milliards d'euros pour un petit accident - avec néanmoins des rejets extérieurs -, le coût d'un accident grave pouvant atteindre 600 milliards d'euros. Vous constatez que le montant dû par l'exploitant, même porté à 700 millions d'euros, est assez faible par rapport au coût d'un accident seulement mineur.
Il est bien évident qu'en cas d'accident nucléaire, on ne se contentera pas de ne pas indemniser les victimes ! Il faudra donc bien trouver l'argent quelque part. Aujourd'hui, il semble que ce serait à l'État d'assumer cette responsabilité financière.
Évidemment, comme EDF est une entreprise publique à 85 %, vous me direz que, dans tous les cas, c'est l'État qui devrait payer... Reste que si la France adoptait un système de responsabilité illimitée assorti d'une obligation d'assurance de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, elle se rapprocherait des standards européens et internationaux, ce qui serait aussi beaucoup plus sécurisant pour la population.
Tous ces problèmes vont être débattus dans les mois qui viennent. Ils sont susceptibles d'avoir des conséquences sur le prix de l'électricité. Si l'exploitant doit s'assurer pour un montant six fois supérieur au montant actuel, ses comptes en seront nécessairement affectés.
Pour me résumer, monsieur le rapporteur, je réponds par la négative à votre première question : selon nous, le prix de l'électricité ne reflète pas la totalité des coûts, car certaines externalités, qui sont aujourd'hui pas, peu ou mal prises en compte, vont certainement voir leur coût augmenter dans les mois et les années à venir.
Vous dites que certaines externalités ne sont pas prises en compte : le démantèlement, la gestion des déchets et l'assurance. Mais si Greenpeace devait calculer leur coût, comment vous y prendriez-vous ?
Il est possible de faire ce calcul. Pour le démantèlement et la gestion des déchets, EDF le fait. Nous considérons que son estimation est basse et qu'il convient de la revoir à la hausse. La Cour des comptes va plutôt dans notre sens.
Greenpeace, en tant qu'ONG indépendante, peut fournir des contre-expertises techniques permettant de contester les chiffres d'EDF : par exemple, nous pouvons avancer le chiffre de 70 milliards d'euros, plutôt que celui de 18 milliards d'euros, pour les coûts de démantèlement.
Mais, au bout du compte, c'est au pouvoir politique de trancher sur le fondement des données techniques.
Ce qui importe, c'est que, dans vingt-cinq ans, nous ne retrouvions pas dans une situation où des provisions insuffisantes devraient être augmentées, avec des conséquences brutales sur le prix de l'électricité. C'est le risque sur lequel nous appelons à la vigilance.
Le problème du coût de l'assurance est complètement différent. Nous défendons un régime de responsabilité illimitée qui est davantage dans l'intérêt du citoyen, moins dans celui de l'industriel puisque ce dernier peut devoir payer beaucoup.
Dans ce système, on sait que le risque ne peut pas être assuré en totalité. Mais certains niveaux d'assurance sont peut-être plus acceptables que d'autres pour la société. C'est au pouvoir politique qu'il appartient de les déterminer.
Une ONG comme Greenpeace peut fournir des expertises extérieures et indépendantes pour évaluer des montants. Elle peut éventuellement élaborer des propositions législatives, mais pas beaucoup plus...
J'aborde maintenant la deuxième question de M. le rapporteur, qui porte sur la prolongation de la durée de vie des centrales et ses alternatives.
La France se trouve dans une situation très particulière compte tenu de la part de 75 % que le nucléaire représente dans son mix électrique.
Sa situation est particulière aussi parce que les réacteurs français ont été construits dans un laps de temps très court : 80 % du parc nucléaire a été construit entre 1977 et 1987. Autrement dit, 80 % des réacteurs arriveront en même temps à l'âge de quarante ans.
Sans doute, on peut débattre de la durée de vie initiale d'un réacteur : est-ce trente, quarante ou cinquante ans ? Les études techniques montrent que lorsqu'ils ont été construits, on hésitait entre trente et quarante ans, l'âge de quarante ans étant considéré comme un maximum pour des raisons techniques.
En effet, si certaines pièces d'un réacteur peuvent être remplacées, comme le générateur de vapeur, deux pièces assez décisives pour la sûreté ne peuvent pas être changées : la cuve et l'enceinte de confinement. Vous verrez que cette donnée sera déterminante pour les choix économiques à propos du remplacement du parc nucléaire.
D'ici à 2027, nous serons confrontés à l'obligation de prolonger 80 % de nos réacteurs, de les remplacer ou de leur substituer des alternatives.
Le remplacement se ferait dans une proportion de 1 pour 0,6 ou 0,7, puisqu'un EPR est beaucoup plus puissant qu'un réacteur actuel. Cependant, le coût de production du mégawattheure nucléaire par un EPR, tel qu'on l'évalue aujourd'hui, est beaucoup plus élevé que le coût de production actuel de notre électricité nucléaire : la Cour des comptes le situe entre 70 et 90 euros par mégawattheure.
À Flamanville et en Finlande, si l'EPR n'est pas à proprement parler un prototype, c'est en tout cas une tête de série. Aussi la Cour des comptes ne s'aventure-t-elle pas à prévoir le coût de production de l'électricité par un EPR dans quinze ans.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, ce coût est compris entre 70 et 90 euros par mégawattheure. Il est donc très élevé, supérieur, par exemple, au coût de production de l'électricité dans l'éolien terrestre - par différence avec l'éolien offshore.
De surcroît, le risque existe que ce coût continue d'augmenter en raison des nouvelles normes de sûreté liées à la prise en compte de l'accident de Fukushima.
Au total, pour nous, il n'est pas crédible de prétendre remplacer les réacteurs nucléaires par des EPR. Sur le plan économique, ce n'est pas une solution acceptable. Compte tenu du coût actuel de la technologie, elle entraînerait inévitablement des augmentations du prix de l'électricité.
Pour bien comprendre, il faut considérer l'histoire de l'évolution des coûts. Le nucléaire est une technologie dont on dit qu'elle a une courbe d'apprentissage négative. Autrement dit, tout au long de l'histoire du nucléaire, les technologies n'ont eu de cesse de coûter plus cher que prévu.
Leurs coûts n'ont cessé d'augmenter pour une raison facile à comprendre et que certains trouveront peut-être souhaitable : la prise en compte de la sûreté et des enseignements tirés des différents accidents.
Dans les années 1970, le coût de la troisième génération du nucléaire était évalué à 1 000 dollars par kilowatt. Aujourd'hui, les études conduites sur le sujet, notamment par l'Agence pour l'énergie nucléaire, l'AEN, font état d'un montant maximal de 6 000 dollars par kilowatt.
Il se produit donc des hausses de coût très importantes. Elles resteront très importantes après Fukushima, car, même si l'EPR prend déjà en compte un certain nombre d'enseignements tirés de Tchernobyl, Fukushima a mis en évidence un nouveau type de risques, auquel l'EPR n'a pas du tout été conçu pour faire face : le cumul d'accidents survenant au même moment.
Pour nous, le remplacement des réacteurs actuels par des EPR n'est ni crédible ni souhaitable sur le plan économique.
Deux options restent donc : la substitution et l'extension de la durée de fonctionnement.
Vous aurez compris, je pense, que la deuxième solution est privilégiée par EDF et, de manière générale, par les industriels nucléaires du monde entier.
La raison en est simple : une centrale nucléaire étant amortie au bout de vingt à trente ans, on gagne beaucoup d'argent en la faisant fonctionner plus longtemps. C'est un objectif tout à fait honorable pour une entreprise privée mais vous imaginez bien que, pour notre part, nous avons des doutes sur l'opportunité de choisir cette option.
En ce qui concerne d'abord la sûreté et la sécurité, les phénomènes de vieillissement, qui se manifestent à partir d'environ vingt ans, augmentent significativement le risque que se produise un jour un accident nucléaire majeur. À nos yeux, cette première raison suffit à justifier notre opposition à l'extension de la durée de fonctionnement des centrales.
Mais il y a, en outre, le fait qu'un aléa économique pèse sur cette option - je le mentionne quoique ce soit un aspect plus éloigné de notre coeur de métier.
En effet, nous n'avons absolument aucune idée de ce que seront les coûts de maintenance du parc nucléaire dans les années à venir.
Aujourd'hui, EDF annonce un plan de 50 milliards d'euros, auxquels il faudrait ajouter 5 milliards d'euros pour la mise à niveau post-Fukushima.
Mais ce chiffre n'est pas le premier qu'EDF ait avancé. En 2008, comme la Cour des comptes l'explique très bien dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire, EDF évaluait les coûts à 400 millions d'euros par réacteur pour une extension de la durée de fonctionnement au-delà de quarante ans. Ce montant est passé à 600 millions d'euros en 2010, puis à 900 millions d'euros en 2011, avant l'accident de Fukushima.
Par conséquent, lorsqu'EDF présente, après l'accident, un plan d'investissement de 50 milliards d'euros destiné notamment à faire face aux obligations de sûreté post-Fukushima, il ne s'agit pas d'une somme nouvelle : elle avait déjà été annoncée avant la catastrophe.
En plus de ce montant, EDF annonce 10 milliards d'euros pour le renforcement de la sûreté post-Fukushima, dont 5 milliards d'euros seraient déjà prévus dans le plan de 50 milliards d'euros. Mais l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, n'ayant pas encore défini ses prescriptions, il est impossible de prévoir le coût des aménagements de sûreté postérieurs à la catastrophe de Fukushima.
Vous voyez qu'un aléa économique très important pèse sur les coûts de maintenance à supporter pour obtenir le prolongement de la durée de fonctionnement du parc au-delà de quarante ans.
Ce premier aléa est aggravé par l'aléa pesant sur la durée de fonctionnement elle-même. En effet, il ne suffira pas d'investir 55 milliards d'euros pour que l'ASN autorise une prolongation de la durée de fonctionnement des centrales jusqu'à soixante ans. En France, ce n'est pas ainsi que les choses se passent.
Je sais que vous avez le pouvoir de changer la loi mais, dans son état actuel, celle-ci prévoit des visites décennales et un réexamen du niveau de sûreté des réacteurs tous les dix ans au moins.
C'est en fonction de cet examen que l'ASN décidera si les réacteurs sont en état de continuer à fonctionner pendant un an, deux ans, trois ans ou davantage. Ayant indiqué très clairement qu'elle n'avait pas l'intention de changer ce système, elle ne donnera pas à EDF un blanc-seing pour vingt ans.
Aujourd'hui, l'ASN est incapable de prévoir si l'état des cuves permettra la poursuite du fonctionnement des installations après quarante ans. Personne ne peut le dire.
Le moment venu, si l'ASN constate que l'état de certaines cuves ne permet pas la poursuite du fonctionnement, elle n'hésitera pas à demander l'arrêt des réacteurs concernés.
Autrement dit, il faudrait investir au moins 55 milliards d'euros et peut-être davantage pour une durée de fonctionnement impossible à prévoir...
Je souhaite attirer votre attention sur un phénomène assez étrange : dans certains cas, parce qu'elle est une entreprise publique, EDF pourrait avoir tendance à réaliser des investissements financièrement plus risqués que ceux auxquels consentiraient des entreprises privées.
Pour vous le faire comprendre, je vais prendre l'exemple des projets nucléaires au Royaume-Uni.
Aujourd'hui, tout le monde sait que le nucléaire, comme Citigroup l'a montré dans son rapport « New Nuclear - The Economics Say No », est l'énergie la plus capitalistique, c'est-à-dire celle qui demande, à l'origine, les investissements en capital les plus importants. Le nucléaire, très cher à la construction, est moins cher au fonctionnement : c'est ainsi que les industriels s'y retrouvent.
Les coûts des dernières générations augmentant, il devient nécessaire de trouver des incitations fortes, notamment réglementaires, pour rendre financièrement intéressants les investissements dans la construction de centrales nucléaires.
Dans son rapport, Citigroup a établi qu'en l'absence de sécurisation des tarifs d'achat ou d'incitations passant, par exemple, par des mécanismes d'achat de la tonne de CO2, il est financièrement trop dangereux pour une entreprise privée d'investir dans la construction d'une nouvelle centrale nucléaire. Il faut donc, pour qu'une entreprise se lance dans un tel projet, qu'elle bénéficie du soutien très fort d'un État.
Il y a une semaine, RWE et E.ON se sont retirés des projets nucléaires au Royaume-Uni. Évidemment, il serait trop simpliste de prétendre qu'il y a une seule raison à ce choix. J'imagine bien que la réorientation stratégique de l'Allemagne à incité ces entreprises à prendre cette décision.
Toujours est-il que lorsque leurs présidents-directeurs généraux déclarent qu'il est aujourd'hui plus intéressant, du point de vue du retour sur investissement, d'investir dans les énergies renouvelables plutôt que de le faire dans le nucléaire, ils envoient aux marchés un signal relativement négatif au sujet de la construction de nouvelles centrales.
On peut donc se demander comment EDF, entreprise publique, se retrouve seule à investir sur un marché dont les entreprises privées se retirent.
De là vient notre interrogation sur le rôle d'EDF : est-elle toujours une entreprise de service public, dont la mission est d'investir dans la sécurisation du système électrique français pour les vingt, trente ou quarante prochaines années, ou bien réalise-t-elle des investissements risqués sur des marchés étrangers ? Pour l'instant, on a plutôt l'impression qu'elle réalise des investissements risqués sur des marchés étrangers...
La question de l'extension de la durée de fonctionnement se pose dans les mêmes termes, puisqu'il est très risqué d'investir 55 milliards d'euros dans une technologie dont on ne sait ni ce qu'elle coûtera en définitive ni même combien de temps elle pourra fonctionner.
Si EDF, entreprise publique, ne pouvait pas compter sur le soutien de l'État, je ne suis pas sûre qu'elle se lancerait dans un tel investissement. Demandez donc à des banquiers s'ils seraient prêts à le financer !
Monsieur le rapporteur, je réponds à votre deuxième question que nous sommes en faveur d'une sortie progressive du nucléaire, assortie d'investissements massifs dans les énergies de substitution, c'est-à-dire les énergies renouvelables.
Je vous conseille d'utiliser le fabuleux outil conçu par Bloomberg. Il permet de connaître la date à laquelle l'énergie solaire atteindra la grid parity, la parité avec le réseau, en fonction du pays et du retour sur investissement attendu : en France, ce sera entre 2014 et 2016.
Plus le temps passera, plus les énergies renouvelables seront compétitives et moins le nucléaire le sera. Maintenir le nucléaire est donc un choix purement politique.
Dans votre deuxième groupe de questions, monsieur le rapporteur, vous m'interrogiez aussi sur la quatrième génération, c'est-à-dire, en France, les réacteurs au sodium.
Sans être spécialiste de cette question, je peux vous répondre que le projet Astrid, mené par le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, sur le site de Marcoule, et qui a reçu 1 milliard d'euros dans le cadre du grand emprunt, n'est pas le premier projet de recherche sur les réacteurs au sodium.
Superphénix, en effet, était déjà un réacteur au sodium. Je crois que le Sénat a publié de très bons rapports sur son fonctionnement et sur son arrêt.
On a polémiqué en prétendant que Superphénix aurait été arrêté par un gouvernement de gauche pour des raisons politiques, sous la pression des écologistes. Mais si l'on considère la manière dont ce réacteur a fonctionné, on s'aperçoit qu'il était techniquement très difficile de le rendre rentable. Ce n'est donc pas seulement en raison de l'opposition des écologistes que Superphénix a été arrêté.
Le CEA a souhaité continuer d'investir dans cette filière dans le cadre du projet Astrid. Mais, aujourd'hui, rien ne permet d'affirmer que le réacteur Astrid fonctionnerait mieux que Superphénix.
De plus, vous n'ignorez pas que le sodium présente de graves inconvénients techniques et économiques, puisqu'il a besoin d'être maintenu en permanence dans un état liquide, de sorte que, quinze ans après l'arrêt de Superphénix, il faut encore refroidir sans interruption les cuves de sodium pour éviter un accident industriel.
Selon nous, il n'est pas souhaitable d'investir 1 milliard d'euros, et certainement davantage, dans une technologie particulièrement risquée qui, pour l'instant, ne fonctionne pas bien.
En outre, l'horizon temporel de ce projet est très lointain, puisque nous n'avons aucune certitude qu'il sera développé avant 2030 ou 2040. Or nous avons besoin d'investir bien avant, puisqu'à ces dates 80 % de notre parc nucléaire aura déjà atteint quarante ans de fonctionnement.
Pour nous, investir dans le projet Astrid est une perte de temps et d'argent. Sans parler des problèmes de prolifération puisque l'objectif de ce réacteur, comme EDF et AREVA vous l'ont sans doute expliqué, est de fonctionner à la fois avec de l'uranium appauvri et du plutonium. Ce qui implique de nouveaux transports de plutonium et des risques accrus liés à l'utilisation de cet élément dans un réacteur.
Ni sur le plan économique ni sur le plan de la sûreté Astrid ne constitue, selon nous, un choix souhaitable.
Pour vos troisième et quatrième questions, monsieur le rapporteur, je vous répète que je m'en remets aux réponses que le CLER vous a apportées.
Dans votre cinquième question, vous liez l'intermittence au rôle d'énergie d'appoint. Mais en Allemagne, par exemple, les énergies renouvelables fournissent un peu plus de 20 % de l'électricité, le nucléaire un peu moins de 20 %. Je ne suis pas sûre qu'on puisse parler d'appoint à propos d'énergies qui représentent 20 % du mix électrique...
Reste que le problème d'intermittence est tout à fait réel.
Depuis 2006, Greenpeace publie tous les deux ans un scénario de transition énergétique appelé « Révolution énergétique ». Il n'existe pas à l'échelle française, mais on le trouve à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale.
Dans ces scénarios, nous réduisons significativement ce qu'on appelle la base - laquelle, dans le mix électrique français, est entièrement nucléaire - et nous développons massivement les réseaux intelligents de distribution, les smart grids. C'est notamment grâce à eux que nous résolvons le problème de l'intermittence.
De son côté, l'association négaWatt, dont vous auditionnerez peut-être un représentant, prévoit le développement du stockage de l'électricité par méthanation.
L'électricité peut aussi être stockée par d'autres méthodes. En Espagne et en Suisse, par exemple, on utilise un système combiné consistant à se servir de l'électricité d'origine éolienne pour remonter l'eau des barrages.
Il est sûr que des avancées technologiques sont encore nécessaires, en matière tant de réseaux que de stockage de l'électricité. Mais elles ne se produiront certainement pas tant que les dépenses publiques de recherche et de développement dans le domaine de l'énergie seront allouées pour 60 % au nucléaire et pour seulement 20 % aux énergies renouvelables...
Qu'il reste des défis à relever, nous ne le nions pas. Mais nous réclamons que les investissements soient orientés de manière à préparer les ruptures technologiques.
Du reste, en matière de stockage comme de smart grids, nous avons un peu de temps devant nous pour trouver des solutions. En effet, les énergies renouvelables représentent seulement 12 % de notre production électrique - encore la très grande majorité de cette production provient-elle de la filière hydroélectrique.
Votre sixième question, monsieur le rapporteur, porte sur la consommation d'électricité.
À nos yeux, il s'agit d'un problème fondamental. On se sert beaucoup, comme d'un argument, de la comparaison entre le prix de l'électricité en France et son prix dans d'autres pays.
Mais la différence entre le prix du kilowattheure en Allemagne et en France, selon les informations dont je dispose, ne résulte pas d'un écart dans les coûts de production. Elle est liée aux taxes et aux coûts de transport de l'électricité. En Allemagne, en effet, les taxes sont trois fois plus élevées qu'en France : elles représentent 12 % du prix final de l'électricité, contre 4 % en France.
Il faut donc prêter attention au fait que les différences de prix ne résultent pas forcément des choix de production. Elles peuvent dépendre de choix politiques, notamment du niveau des taxes.
Par ailleurs, que le prix du kilowattheure en France soit peu élevé ne signifie pas que le consommateur paie une facture elle aussi peu élevée. En effet, nous consommons beaucoup plus d'électricité que nos voisins.
Je ne vous apprendrai pas que nous avons développé un parc électronucléaire de très grande dimension, que certains disent être surdimensionné. Il a fallu inciter à la consommation d'électricité pour rentabiliser cet investissement.
C'est la raison pour laquelle on a développé le chauffage électrique, qui est aujourd'hui présent dans 30 % des logements français et 60 % des logements neufs.
Selon nous, c'est une catastrophe, puisqu'en période de pointe, le chauffage électrique peut représenter jusqu'à 30 % de la consommation, ce qui est considérable.
Vous m'avez demandé quelles actions devraient être menées pour réduire la consommation d'électricité. Le bâtiment et l'habitat représentant une très grande partie de la consommation, les priorités sont l'isolation et le remplacement du chauffage électrique.
Dans les logements neufs, où sa présence est aberrante, le chauffage électrique doit être banni. Il sera beaucoup plus difficile de le bannir des logements anciens, mais on pourrait étudier la mise en place d'incitations tarifaires.
Aujourd'hui, tous les usagers paient le kilowattheure au même prix, y compris en période de pointe, alors que la pointe résulte pour 30 % du chauffage électrique en période hivernale.
Il ne serait pas inenvisageable de faire payer plus cher les consommateurs qui disposent d'un chauffage électrique. De cette façon, on inciterait non seulement au remplacement des convecteurs électriques par de nouveaux convecteurs plus performants, s'il n'y a pas d'autre solution, mais aussi au développement de solutions collectives de chauffage alternatives à l'électricité.
Pour nous, donc, il est clair que l'effort doit porter prioritairement sur l'habitat.
Faire payer l'électricité plus cher, c'est une solution politique radicale...
L'énergie est un choix politique !
Mais, avec cette suggestion, vous abandonnez une longue tradition de péréquation qui permet à tout le monde de payer l'électricité au même prix. C'est quasi révolutionnaire !
C'est vrai et cette question est d'autant plus importante qu'à mon avis - mais je n'ai pas une connaissance approfondie du problème -, le chauffage électrique étant le moins cher à l'achat, le logement social doit en être massivement équipé.
Par conséquent, le chauffage électrique sanctionne malheureusement les plus pauvres, dont les factures d'électricité sont très importantes. Si vous en avez chez vous, vous savez que le chauffage électrique coûte très cher - à moins que le logement ne soit très bien isolé.
Madame Majnojni d'Intignano, nous vous remercions beaucoup. Les positions de Greenpeace, que vous venez de nous présenter, sont très claires sur toute une série de questions.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous des informations complémentaires ?
Monsieur le président, bien que Mme Majnojni d'Intignano nous ait apporté des réponses toujours précises, claires et argumentées, je souhaite en effet lui poser plusieurs questions complémentaires.
Premièrement, certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont indiqué que des centrales américaines avaient fonctionné pendant soixante ans. Quel est votre avis sur ce point ?
Deuxièmement, vous avez insisté sur la nécessité d'investir dans le développement de l'éolien terrestre, c'est-à-dire celui dont le coût actuel, compris entre 60 et 80 euros par mégawattheure, est compétitif par rapport au coût du nucléaire. Mais quelle est la position de Greenpeace au sujet de l'éolien offshore, dont les coûts sont plus élevés et qui réclame de grandes installations ?
Troisièmement, on nous a dit que les panneaux photovoltaïques n'étaient plus fabriqués en Europe, que leur fabrication entraînait des rejets importants de CO2 et qu'elle portait atteinte à des filières industrielles. Avez-vous réfléchi à cette question ?
Quatrièmement, certaines personnes auditionnées ont fait valoir que le chauffage électrique pouvait être intéressant, à condition que l'isolation des bâtiments soit de bonne qualité. Autrement dit, une isolation thermique réussie pourrait autoriser ce type de chauffage. Qu'en pensez-vous ?
Cinquièmement, à quels organismes de réflexion dans le domaine de la politique énergétique Greenpeace, association de défense de l'environnement au sens large, est-elle associée ? Participez-vous, avec les producteurs d'électricité, à des comités nationaux de réflexion sur la stratégie énergétique ?
À propos des centrales américaines, je pense que vos interlocuteurs ont voulu parler de l'obtention d'une extension des licences d'exploitation.
Aujourd'hui, aucun réacteur, d'aucun modèle, n'a jamais fonctionné plus de quarante-sept ans. Environ cent trente-trois réacteurs ont été fermés dans le monde : leur moyenne d'âge est de vingt-deux ans. Les réacteurs américains n'ont jamais fonctionné pendant soixante ans.
Il est vrai, en revanche, que l'autorité de sûreté américaine ne suit pas la même méthode que l'ASN. Elle a d'ores et déjà accordé des licences d'exploitation pour vingt années supplémentaires, au-delà de la durée de quarante ans prévue par la licence initiale.
Une grande partie du parc a obtenu l'autorisation de fonctionner pendant vingt nouvelles années. Aux États-Unis, à la différence de la France, il n'y a pas d'examen de sûreté décennal. Cette politique peut être jugée contestable, dans la mesure où on ne sait pas ce qui peut se passer pendant vingt ans.
Aux États-Unis, en outre, la charge de la preuve est inversée par rapport à la France : c'est à l'autorité de sûreté d'apporter la preuve d'une défaillance, ce qui est surprenant en matière de sûreté.
Pour ce qui concerne l'éolien offshore, Greenpeace y est plutôt favorable. En effet, nous aurons besoin des différentes énergies renouvelables.
En revanche, nous trouvons que la politique énergétique actuelle n'est pas suffisamment décentralisée. Aujourd'hui, on construit de grosses unités de production centralisée, ce qui nécessite parfois l'installation de nouvelles lignes à très haute tension et des investissements dans les réseaux.
Ce système n'est pas du tout celui que nous défendons. Nous prônons un modèle très décentralisé, dans lequel l'usager devient producteur d'une partie de sa consommation.
Évidemment, nous aurons toujours besoin d'unités d'appoint centralisées, qui pourront être de l'éolien offshore ou de la biomasse - laquelle n'est pas intermittente.
Nous étudions ces questions dans le cadre de la préparation du scénario énergétique pour la France que nous publierons au mois de septembre. Greenpeace y indiquera ses préférences entre les différentes énergies renouvelables.
Il est clair que nous ne sommes pas opposés à l'éolien offshore. Mais nous regrettons que l'on réfléchisse en permanence à la création de nouveaux moyens de production centralisés. Ce qu'il faut, à nos yeux, c'est un changement de paradigme énergétique.
Exactement.
S'agissant des panneaux solaires, quand bien même ils sont fabriqués en Chine, il faut considérer que leur bilan CO2 reste inférieur à celui des combustibles fossiles. Je vous rappelle que l'uranium est extrait un peu partout dans le monde, mais certainement pas en France...
Établir un bilan CO2 consiste à calculer les émissions sur la totalité d'un cycle de vie. Ni le nucléaire ni les énergies renouvelables n'ont un bilan nul, tout simplement parce que l'extraction et le transport des matières premières nécessitent de l'énergie.
Par ailleurs, les énergies renouvelables créent davantage d'emplois que le nucléaire. En Allemagne, par exemple, 382 000 emplois directs - sans parler des autres - leur sont liés.
Dans la filière électronucléaire française, même si j'ai l'impression que les chiffres ne sont plus très clairs ces derniers mois, une étude de PricewaterhouseCoopers fait état de 125 000 emplois directs, sans compter les emplois indirects et les emplois induits.
L'ordre de grandeur est donc bien inférieur. Au total, on emploie huit fois moins de personnes en France dans le nucléaire qu'en Allemagne dans les énergies renouvelables.
Je ne suis pas capable de vous dire si nous avons perdu entièrement la filière industrielle du panneau solaire. Je sais qu'il reste quelques producteurs français, même si la Chine est aujourd'hui un producteur important. Mais à supposer même que tous les panneaux solaires soient fabriqués à l'étranger, les besoins liés à l'installation, qui ne sont pas délocalisables, sont ceux qui réclament la plus grande qualité de main-d'oeuvre.
De toute façon, le secteur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique - si tant est qu'on puisse parler d'un seul secteur - crée aujourd'hui davantage d'emplois que le nucléaire pour un kilowattheure produit.
Quant au chauffage électrique, il provoque dans tous les cas une augmentation de la pointe.
Évidemment, la priorité est d'isoler correctement l'habitat : c'est la façon la plus efficace de lutter contre le gaspillage d'électricité. Mais l'installation de chauffages électriques, notamment dans 60 % des bâtiments neufs, est une catastrophe parce que ces chauffages augmentent la pointe.
Le parc nucléaire français est dimensionné pour faire face à la pointe maximale sur dix ans. Autrement dit, on produit trop d'électricité pendant toute l'année, sauf peut-être le 10 février dernier, où la production n'a pas été suffisante.
Ce système s'autodétruit : alors que nous exportons en permanence une électricité dont l'Europe a peu besoin, nous aurons toujours besoin d'importer parce que l'installation de nouveaux chauffages électriques augmente sans cesse la pointe. Or, tout ce qui augmente la pointe est dommageable pour le prix de l'électricité comme pour la sûreté.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé à quels organismes nous sommes associés.
Aujourd'hui, à ma connaissance, la seule structure institutionnelle dont Greenpeace soit membre dans le domaine de l'énergie est le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, le HCTISN, dont les attributions concernent davantage la sûreté que la politique de l'énergie de façon générale.
Dans le cadre de ce Haut comité, nous préparons un rapport sur la participation du public aux processus de décision en matière nucléaire. Nous constatons notamment un manque de participation du public à l'échelle sectorielle, c'est-à-dire au-dessus du projet. Autrement dit, si la participation du public est plutôt satisfaisante au niveau du projet, elle est très faible au niveau de la mise en place de la réglementation.
Par exemple, le comité chargé de la programmation pluriannuelle des investissements, la PPI, est composé seulement d'industriels et de quelques associations, dont Greenpeace ne fait pas partie. Dans notre rapport, nous demandons que les comités de ce type soient plus largement ouverts aux associations.
Nous voulons aussi qu'on y fasse entrer d'autres experts que des techniciens, comme des sociologues, des politologues ou des économistes. En matière nucléaire, en effet, les enjeux ne sont pas seulement techniques. La question se pose aussi de l'acceptation du risque. Il est donc important que des sociologues, par exemple, puissent aussi être consultés.
Comme vous pouvez le constater, Greenpeace est assez peu associée à ce type de réflexions.
Ne siégez-vous pas, en outre, au sein des commissions locales d'information, les CLI, de certaines centrales nucléaires ?
En effet, nous faisons partie de plusieurs CLI.
Parce que nous sommes seulement deux, ce qui ne nous permet pas de siéger dans toutes les CLI !
De plus, pour entrer dans une CLI, il faut disposer d'un ancrage local. Nous avons eu des discussions avec plusieurs d'entre elles sur ce point, car nous estimons que, même sans disposer toujours d'un tel ancrage, nous pouvons utilement contribuer au débat. La discussion a notamment eu lieu avec la CLI de Tricastin, au sein de laquelle nous n'avons pas pu entrer.
Dans la mesure où il réside dans la Manche, mon collègue a un intérêt direct à siéger dans les CLI de ce département : nous faisons donc partie des CLI de la Hague et de Flamanville, ainsi que de celle du centre de stockage de la Manche.
Par ailleurs, nous essayons d'intégrer la CLI du Blayais, ainsi, je crois, que celle de Bugey. Mais les membres des groupes locaux par l'intermédiaire desquels nous agissons sur le terrain sont des bénévoles : ils n'ont pas toujours le temps ni les connaissances nécessaires pour siéger au sein des CLI.
Au bout du compte, les structures dont nous faisons partie sont compétentes davantage en matière de sûreté et de sécurité qu'en matière d'énergie.
Madame Majnoni d'Intignano, je souhaite vous faire part d'une observation et vous poser une question.
D'abord, j'ai observé que vous avez parlé du nucléaire comme d'une énergie de pointe, ce qui m'a un peu surpris... Le nucléaire, en effet, est plutôt une énergie de base !
Vous avez raison. Le nucléaire est une énergie de base et, si j'ai parlé d'énergie de pointe, c'était par erreur. J'ai simplement voulu souligner que l'utilisation du chauffage électrique augmentait la pointe.
Entendu.
En présentant vos orientations sur un certain nombre de choix politiques, vous avez notamment insisté sur les smart grids. J'aimerais connaître votre position sur l'autoconsommation, en espérant être mieux compris que tout à l'heure, lorsque l'interlocuteur à qui je posais la même question a cru que je voulais parler de l'autoconsommation industrielle, alors que je pensais à celle des particuliers.
En matière de production d'électricité photovoltaïque, les Allemands ont abandonné la rémunération à la mise sur réseau pour privilégier un modèle de consommation sur place, dans lequel le producteur utilise lui-même son énergie.
Madame Majnoni d'Intignano, que pensez-vous de ces nouvelles visions liées aux smart grids ?
J'insiste sur le fait que je n'ai pas une connaissance pointue de cette question.
Toutefois, je sais que les acteurs avec lesquels nous travaillons, comme le CLER, soutiennent plutôt le modèle allemand, dans lequel ceux qui produisent de d'électricité peuvent la consommer directement. En France, au contraire, on est obligé de revendre l'électricité pour la racheter.
Personne ne s'en plaint ! Vendre puis racheter, c'est financièrement très intéressant...
J'imagine que cela dépend de la fluctuation des prix.
Non. En France, il est très intéressant de vendre l'électricité d'origine photovoltaïque que l'on produit pour racheter son électricité au prix payé par tous les Français.
Aujourd'hui, en France, c'est effectivement intéressant, en raison des tarifs régulés et des tarifs d'achat.
C'est véritablement une activité très intéressante sur le plan financier.
Je vous répète que je ne suis pas du tout spécialiste de cette question. Je vous conseille donc de demander son point de vue à Raphaël Claustre.
De toute manière, nous allons entendre à nouveau les représentants EDF pour leur demander des précisions, en particulier sur les coûts liés au démantèlement et à la gestion des déchets.
Je ne suis pas sûre qu'ils vous donneront beaucoup plus d'informations qu'à la Cour des comptes...
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Permettez-moi de vous rappeler, mon cher collègue, que Mme Majnoni d'Intignano nous a prévenus qu'elle ne répondrait pas à la troisième et à la quatrième question, comme elle en a tout à fait le droit, car elles ne font pas partie de son domaine de compétence.
Madame Majnoni d'Intignano, vous avez annoncé la publication prochaine par Greenpeace d'un scénario sur l'avenir énergétique de la France. Les hypothèses que vous allez présenter seront-elles chiffrées ? Je suis frappé par le fait que, dans votre propos, vous avez donné assez peu de chiffres...
Il est difficile de chiffrer !
Vous dites que l'État soutient EDF. C'est vrai, mais il a aussi soutenu les chemins de fer, Concorde, Airbus !
Vous soutenez que les énergies renouvelables créent de nombreux emplois. C'est vrai, mais, en qualité de conseiller général, je sais que l'aide sociale crée aussi des emplois dans les départements... Le problème est de savoir qui les paie. C'est pourquoi j'insiste sur les aspects financiers.
Entendons-nous bien. Nous ne remettons pas en cause le modèle public d'EDF, dont l'État est actionnaire à 85 %. Au contraire, nous nous demandons si EDF est véritablement encore une entreprise française de service public.
Sur le plan financier, je sais que les concepteurs du scénario négaWatt travaillent actuellement sur un chiffrage, mais un chiffrage se fait par étapes.
Pour ce qui nous concerne, comme c'est la première fois que nous allons publier un scénario énergétique pour la France, nous commencerons par présenter les choix technologiques et les options que nous privilégions. Toutefois, nous présenterons quelques ordres de grandeur portant sur des investissements.
De même qu'il est difficile pour EDF de chiffrer ses coûts de maintenance pour les vingt prochaines années, de même il est difficile de déterminer le montant des investissements qui seront nécessaires, surtout pour des énergies dont les coûts diminuent en permanence et à un rythme très rapide.
Des chiffres, nous vous en présenterons. Je ne sais pas s'ils répondront à vos attentes.
Que l'on prolonge la durée de vie du parc nucléaire, que l'on construise de nouvelles centrales ou que l'on privilégie d'autres sources d'énergie, le fait est que des investissements seront nécessaires. Mais vous avez raison de souligner que, selon l'option choisie, les montants ne seront pas forcément les mêmes.
Monsieur le rapporteur, voulez-vous poser une autre question à Mme Majnoni d'Intignano ?
Monsieur le président, je souhaite que, pour conclure, Mme Majnoni d'Intignano donne son sentiment sur notre commission d'enquête et les thèmes que nous avons abordés... (Sourires.)
Monsieur le rapporteur, nos auditions n'étant pas terminées, il est un peu tôt pour conclure ! (Nouveaux sourires.)
Madame Majnoni d'Intignano, M. le rapporteur vous a tendu une perche... Voulez-vous la saisir ?
Nous n'avons pas du tout abordé la question du prix de l'électricité qui, selon la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, va augmenter de 30 % d'ici à 2016. Beaucoup pensent que le prix actuel de l'électricité ne reflète pas la réalité de son coût. Il risque donc de continuer d'augmenter.
Il est très clair que, dans les dix ans qui viennent, des décisions devront êtres prises. Mais si tout le monde perçoit cette nécessité comme une terrible chape de plomb, Greenpeace considère au contraire qu'il s'agit d'une véritable opportunité économique.
En effet, nous pouvons développer des filières industrielles performantes et de nouveaux secteurs de pointe, à l'image de ce que le nucléaire a été pendant plus de trente ans. En amorçant la transition énergétique, nous avons une vraie opportunité de créer de la richesse et des emplois.
Nous ne voyons pas là une perspective horrible, qui va multiplier le prix de l'électricité par douze et nous faire sombrer dans une terrible crise ! Je crois qu'il y a beaucoup d'hypocrisie sur ce sujet.
Nous ne prônons pas la sortie du nucléaire en un an, par la substitution de pétrole et de gaz aux centrales. Mais le Japon n'a pas eu le choix. En un an, il a dû sortir du nucléaire. Aujourd'hui, un seul réacteur fonctionne encore.
Je vous crois, monsieur le président. Le fait est que ce n'est plus beaucoup.
Avant l'hiver, tous les industriels ont crié au loup en annonçant des coupures d'électricité et des black-out inévitables. Rien de cela ne s'est produit. La réalité est donc parfois éloignée de l'image que l'on s'en fait...
En conclusion, au lieu de considérer la transition énergétique comme un poids, il serait peut-être temps d'en faire une véritable opportunité économique !
Madame Majnoni d'Intignano, je vous rassure : M. le rapporteur pose régulièrement la question du prix de l'électricité et de la prévision d'augmentation faite par la CRE. Mais il est libre de la poser à qui il veut. Toutefois, bien qu'il n'ait pas souhaité vous la poser, vous aviez tout à fait le droit de nous donner votre avis !
Nous vous remercions beaucoup d'avoir répondu à toutes nos questions avec conviction...
Greenpeace est une association très efficace sur le plan de la communication et nombre des positions que vous avez exposées devant nous étaient déjà parvenues à notre connaissance à l'occasion de diverses déclarations plus ou moins anciennes.
Quoi qu'il en soit, nous vous remercions beaucoup de vous être prêtée à cet exercice et de nous avoir répondu avec précision.