Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 juin 2022 à 16h50
Voisinage et élargissement — Bilan et perspectives du partenariat oriental : communication de mme gisèle jourda et m. andré reichardt

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapporteure :

Je n'aurais jamais imaginé lorsque, très régulièrement, avec de nombreux collègues comme Pascal Allizard, André Gattolin, Simon Sutour ou René Danesi, nous avons travaillé au suivi du partenariat oriental et des contrats d'association qui l'ont accompagné, que nous en arriverions un jour à la situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui.

La guerre en Ukraine relance fortement la question des frontières de l'Union européenne. Le Président de la République avait déclaré que l'OTAN était « en état de mort cérébrale ». Nous voyons bien, aujourd'hui, l'importance de cette organisation. Les frontières qui avaient été fortement remodelées lors de la chute de l'Union soviétique, à l'issue de la perestroïka, sont à nouveau bouleversées.

Tous nos interlocuteurs, ambassadeurs, diplomates, experts, n'hésitent pas à parler de basculement, de bouleversement des relations internationales, de point de rupture historique. Il est certain en tout cas que nous vivons un moment comparable, par l'ampleur de ses conséquences prévisibles à l'échelle du continent, au choc que nous avons connu lorsque le mur de Berlin est tombé, et qui nous a conduits à remodeler notre vision politique.

Après les vingt premières années de ce siècle, ces événements marquent donc véritablement une entrée très particulière dans le XXIe siècle historique. C'est dans cette perspective géopolitique que nous avons abordé la question du partenariat oriental, chère à notre commission, et qui concerne à la fois les contours de l'Europe et les relations que celle-ci entretient avec ses voisins.

Quel est le bilan du partenariat oriental ? Ce concept ambitieux est né dans des circonstances historiques bien particulières. Il s'agissait au départ de bâtir une politique de voisinage pour une Union européenne construite par agrandissements successifs après l'élargissement à l'Est de 2004. C'est la politique européenne de voisinage (PEV), à laquelle font référence les articles 206 et 207 pour le commerce et 216 à 219 pour les accords internationaux du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cette politique comporte deux volets. Le premier est orienté vers la Méditerranée et concerne les dix pays suivants : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine, Syrie, et Tunisie. Le second, orienté vers l'Est, concerne au départ six pays ayant fait partie de l'Union soviétique, dont trois du Caucase méridional - l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie - et trois pays frontaliers de l'Union européenne, la Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine. Ces six pays font l'objet du partenariat oriental. Décidé en 2008, sur initiative de la Suède et de la Pologne, inauguré le 7 mai 2009 sous présidence tchèque, ce partenariat constitue la déclinaison orientale de la politique européenne de voisinage.

Quels sont ses objectifs ?

Le principal objectif du partenariat oriental est d'accélérer l'association politique et d'approfondir l'intégration économique entre l'Union européenne et ses voisins. Le niveau d'intégration et de coopération reflète l'attachement de chaque pays partenaire aux valeurs, aux normes et aux structures européennes, ainsi que les progrès réalisés dans ce sens. Le partenariat oriental vise à promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, à renforcer la sécurité énergétique, à favoriser les réformes sectorielles, à encourager les contacts personnels, à soutenir le développement économique et social et à fournir des fonds supplémentaires à des projets visant à réduire les inégalités socioéconomiques et à améliorer la stabilité. L'objectif global était d'ancrer à l'Ouest ces pays où l'Europe et la Russie se disputent l'influence.

Sur le plan du suivi institutionnel, des sommets du partenariat oriental se sont tenus, avant la pandémie, tous les deux ans. Ils ont réuni des chefs d'État ou de gouvernement des États membres de l'Union européenne et des pays partenaires, ainsi que des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne et, depuis sa création, du Service européen d'action extérieure (SEAE).

Le partenariat oriental a fêté son dixième anniversaire en 2019. Le 18 mars 2020, la Commission européenne et le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont publié une communication conjointe intitulée « La politique du partenariat oriental au-delà de 2020 : renforcer la résilience - un partenariat oriental qui profite à tous ».

Ce document a servi de base aux discussions lors de la visioconférence du 18 juin 2020. Dans le contexte de la pandémie de covid-19 et de ses lourdes répercussions socioéconomiques dans l'ensemble de l'Europe, les dirigeants du partenariat oriental ont reconnu son importance stratégique et appelé à la continuation de cet espace commun de démocratie, de prospérité et de stabilité partagées, ancré dans leurs valeurs communes, au moyen d'un ordre international fondé sur les règles du droit international.

Depuis, les priorités du partenariat oriental pour l'après-2020 ont été annoncées en juillet 2021 et confirmées le 15 décembre 2021 lors du dernier sommet, dans un contexte devenu lourd de menaces pour l'Ukraine. Six objectifs y ont été affirmés : des économies résilientes, durables et intégrées ; des institutions comptables de leurs actes, l'État de droit et la sécurité ; une résilience environnementale et climatique ; une transformation numérique résiliente ; des sociétés résilientes, respectueuses de l'égalité entre hommes et femmes, justes et inclusives ; et, enfin, un objectif global de renforcement de la communication stratégique. Ces objectifs sont déclinés en vingt programmes avec le soutien technique et financier de l'Union européenne.

Conçu sur un schéma identique afin de permettre aux pays concernés de se rapprocher de l'Union européenne sans en faire partie, le partenariat était censé reposer sur un outil commun, à décliner selon les partenaires : l'accord d'association avec l'Union européenne. Très tôt, cependant, sont apparues des différences, voire des divergences importantes selon les pays, qui ont nécessité des adaptations.

Ainsi, la Biélorussie s'est exclue d'elle-même du dispositif en juin 2021, avant même la guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine, dans un contexte marqué par le fort durcissement du régime d'Alexandre Loukachenko et la non-reconnaissance par l'Union européenne des élections frauduleuses d'août 2020. L'Union européenne avait d'ailleurs pris plusieurs paquets de sanctions sévères contre des entités et personnes biélorusses. Avant ces dernières péripéties, elle avait toujours fait preuve d'une conditionnalité stricte, exigeant la libération et la réhabilitation des prisonniers politiques comme préalable à toute négociation et à toute participation pleine de Minsk au partenariat. En pratique, ce pays a décidé d'abandonner sa souveraineté à la Russie, lui octroyant le droit de stationner en permanence des troupes sur son territoire, auxquelles il a ensuite laissé libre passage pour l'invasion de l'Ukraine par le nord.

Venons-en aux deux pays voisins du Caucase du Sud : l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Arménie a négocié avec l'Union européenne, dès 2013, un partenariat global et renforcé qui a été signé en 2017 avant d'entrer pleinement en vigueur l'an dernier.

Le cas de l'Arménie a été particulièrement problématique pour le partenariat oriental. En effet, dans la mesure où ce pays avait rejoint l'Union économique eurasiatique, la Commission européenne ne souhaitait pas l'accueillir dans la politique contractuelle du partenariat oriental. Grâce notamment aux efforts de notre commission, qui a plaidé la cause arménienne à Bruxelles, la double appartenance a finalement été autorisée, ce qui a permis au partenariat oriental de perdurer.

Dans ces conditions, l'accord signé en 2017 avec l'Arménie diffère largement de ceux qui ont été signés avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Il n'en reste pas moins un accord de « libre-échange approfondi et complet », compatible avec les relations étroites que l'Arménie a toujours entretenues avec la Russie, son premier partenaire économique et commercial, alors que l'Union européenne, en seconde position, représente moins de 20 % de ses échanges.

La priorité de cet État enclavé, dépendant de Moscou pour nombre de ses approvisionnements et pour sa défense, reste d'assurer sa stabilité politique intérieure et régionale, constamment mise à mal par la question du Haut-Karabagh. La guerre des 44 jours qui y a opposé l'Arménie et l'Azerbaïdjan du 27 septembre au 9 novembre 2020 n'a pris fin que grâce à l'intervention des troupes russes, qui y maintiennent toujours un équilibre précaire. Les deux pays, membres du partenariat oriental, ont néanmoins engagé, en avril dernier, des pourparlers de paix auxquels a participé Charles Michel, le président du Conseil européen. L'Union européenne n'a cessé d'appeler à un règlement négocié, global et durable du conflit - y compris sur le statut du Haut-Karabagh - et continue d'apporter son soutien au processus mené par les coprésidences du groupe de Minsk de l'OSCE. À cet égard, il est intéressant de noter qu'un dialogue tripartite a été engagé récemment entre la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur ces questions régionales.

De son côté, l'Azerbaïdjan est un partenaire économique majeur de l'Union européenne, à laquelle il consacrait en 2020 près de 36 % de ses échanges, principalement des exportations de pétrole. Les exportations énergétiques de l'Azerbaïdjan vers l'Union européenne ont par ailleurs augmenté depuis l'achèvement du projet de corridor gazier sud européen, qui achemine, depuis décembre 2020, du gaz naturel de la mer Caspienne vers l'Europe.

Des négociations pour mettre au point un accord renforcé, semblable à celui conclu avec l'Arménie, ont débuté dès 2017. À ce jour, elles n'ont pas abouti. Le nouvel accord devrait permettre de traiter des questions relatives à la politique, au commerce et à l'énergie, ou encore des conditions de la création éventuelle d'un régime d'exemption de visa. Il devrait contenir des dispositions solides sur la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux. Or, selon le dernier rapport annuel de l'Union européenne sur les droits de l'Homme et la démocratie dans le monde, l'état général des droits de l'Homme et de la démocratie en Azerbaïdjan reste préoccupant. Nous préconisons une relance des négociations et souhaitons qu'elles aboutissent. Le contexte géopolitique né de la guerre en Ukraine renforce l'intérêt d'un tel accord, tant pour l'Azerbaïdjan que pour l'Union européenne.

Un troisième groupe d'États partenaires est constitué du trio Géorgie-Moldavie-Ukraine, au sein duquel il convient de faire une place particulière à la Géorgie. Comme nous l'avions souligné, René Danesi et moi-même, dans notre rapport d'information « La Géorgie, bon élève du partenariat oriental » rendu devant notre commission le 13 octobre 2018, la Géorgie a consenti des efforts importants dans ce partenariat, dont les origines remontent à la guerre de 2008. Je ne dirai jamais assez la pertinence du dispositif mis en place à l'époque sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et qui permet aujourd'hui, au travers d'une mission de l'Union européenne, de veiller sur les « lignes de démarcation » dans les territoires d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, occupés par la Russie. La Géorgie, pourtant très affectée par cette situation dramatique, n'a jamais souhaité mettre de l'huile sur le feu.

Il convient donc de faire à ce pays une place particulière, en raison de ses relations spécifiques avec la Russie, qui la rapprochent de l'Arménie et, dans une certaine mesure, de la Moldavie, mais aussi en raison de la polarisation de sa vie politique interne. Le gouvernement actuel, dominé par le Rêve géorgien - un parti fondé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili -, ainsi que l'opposition, qui se réclame encore en bonne partie de l'ancien président Mikhaïl Saakachvili, emprisonné et à l'état de santé très fragile, sont résolument engagés dans le projet européen de la Géorgie.

Dans le sillon de l'Ukraine et de la Moldavie, la Géorgie a déposé le 3 mars dernier sa candidature en vue d'une adhésion à l'Union européenne. Ces trois pays ont pleinement conscience que le préalable à l'adhésion est l'obtention du statut de candidat et nous devrions être fixés sur cette question dès la semaine prochaine. Quoi qu'il en soit, la Géorgie estime être le pays du trio le plus avancé sur la voie des réformes. Lorsque nous nous sommes rendus sur place à l'époque pour préparer notre rapport, nous pouvions en effet considérer que la Géorgie présentait le visage du meilleur élève de la classe.

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