Commission des affaires européennes

Réunion du 14 juin 2022 à 16h50

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Mes chers collègues, nous poursuivons notre travail avec deux sujets importants.

Le premier concerne le programme proposé par la Commission européenne pour réaliser les ambitions numériques de l'Union européenne. Au début de son mandat, en 2019, la Commission a fixé ses priorités jusqu'en 2024, au sommet desquelles figurent la transition climatique et la transformation numérique.

Contre toute attente, la pandémie aura donné un coup d'accélérateur à la numérisation de l'économie et de la société européennes. Elle aura aussi révélé nos dépendances et mis au jour l'urgente nécessité de renforcer notre souveraineté numérique, comme le fit ensuite la guerre en Ukraine pour ce qui est de notre souveraineté énergétique.

Le plan de relance européen met l'accent sur ces deux volets. Sa partie la plus importante, baptisée « Facilité pour la reprise et la résilience », et dotée de 672,5 milliards d'euros, vient alimenter des programmes nationaux devant respecter un certain nombre de critères : 37 % des dépenses, par exemple, doivent servir les objectifs environnementaux européens et au moins 20 % doivent être consacrés à la transition numérique - développement des compétences numériques de base pour toute la population, déploiement de la fibre, production de puces ou encore numérisation des systèmes de santé...

Le Sénat plaide depuis plusieurs années - Catherine Morin-Desailly a été pionnière en la matière - pour que l'Europe affirme sa souveraineté numérique en mettant l'accent sur les données, les technologies et les infrastructures et pour qu'elle fixe les normes en ce domaine au lieu de suivre celles des autres. L'enjeu porte à la fois sur les normes techniques et sur les normes juridiques. C'est la raison pour laquelle Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly ont examiné avec attention le programme d'action numérique que la Commission propose de suivre d'ici à 2030, ainsi que le projet de déclaration européenne des droits et principes numériques qui l'accompagne.

Ces textes, publiés respectivement en septembre et janvier derniers, ont vocation à être adoptés selon la procédure législative ordinaire pour le premier, et par consensus : leur négociation a déjà débuté au Conseil, mais le Parlement européen ne les a pas encore examinés en séance plénière. Au terme de leur travail, nos rapporteures nous soumettent aujourd'hui une proposition de résolution européenne et un projet d'avis politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Dès le début de sa mandature, la Commission von der Leyen avait fait de la transition numérique l'une de ses priorités. Depuis, la pandémie de covid-19 a crûment confirmé l'importance des technologies numériques dans toute une série de domaines clefs, mais aussi mis en évidence nos dépendances excessives à l'égard de certains fournisseurs extra-européens de solutions et technologies numériques.

Prenant acte de ce nouveau contexte, la présidente von der Leyen a affirmé, dans son discours sur l'état de l'Union de septembre 2020, son ambition de « faire de la décennie qui s'ouvre la décennie numérique de l'Europe ». Les deux textes dont nous discutons aujourd'hui visent ainsi à structurer la transition numérique européenne pour les années et les décennies à venir.

Le programme d'action numérique européen à l'horizon 2030 entend principalement renforcer la souveraineté numérique de l'Union et sa résilience, augmenter l'intensité numérique des entreprises et des services publics pour en améliorer la compétitivité et l'efficacité et promouvoir un environnement numérique centré sur l'humain.

Il définit des objectifs numériques ambitieux pour l'Union européenne, à un horizon de dix ans, dans quatre domaines : compétences numériques ; infrastructures ; transformation numérique des entreprises ; transformation numérique des services publics. Ces objectifs seraient ensuite déclinés au sein de chaque État membre. Le programme met également en place des mécanismes de suivi des progrès au regard de ces objectifs, ainsi qu'un cadre visant à faciliter les projets numériques multi-pays.

Parallèlement, un projet de « Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique » énonce les principes cardinaux que l'Union s'engage à promouvoir et à respecter dans tous les aspects de la transition numérique, notamment lors de la mise en oeuvre du programme d'action. Dans l'esprit de la Commission, cette déclaration des droits devait être pleinement intégrée au programme d'action, dont elle constituait en quelque sorte le volet « valeurs ».

Il faut tout d'abord saluer cette démarche, encourageante à double titre : d'une part, il s'agit de la première stratégie numérique globale qui s'écarte de la politique de « silo » ; d'autre part, on observe une inflexion par rapport à l'approche qui prévalait jusqu'ici : alors que la Commission Juncker était focalisée sur la construction d'un marché européen du numérique, la commission actuelle positionne l'Union comme un offreur de services et un acteur industriel. Ainsi, le programme prévoit que 20 % des microprocesseurs devront être produits en Europe d'ici à 2030. Dans cette perspective, la Commission a présenté récemment le fameux Chips Act.

Ce nouveau positionnement est indispensable pour atteindre l'objectif de souveraineté numérique figurant explicitement dans le règlement. Toutefois, la démarche se heurte à deux obstacles : la pertinence des objectifs retenus et les modalités de leur mise en oeuvre.

Si les objectifs sont ambitieux, ils semblent parfois manquer de réalisme. Déterminés à l'échelle de l'Union, ils ne tiennent compte ni des caractéristiques des États ni de leur situation initiale. Est-il réaliste de vouloir couvrir en 5G toutes les zones habitées, indépendamment des contraintes géographiques ? La manière dont les objectifs seront déclinés par pays mériterait, a minima, d'être clarifiée. La Commission, par exemple, vise 75 % d'entreprises utilisant le cloud d'ici à 2030. Comment le taux d'effort pourrait-il être le même pour les pays nordiques, qui se situent déjà au-dessus de 50 %, et pour les pays d'Europe de l'Est, qui plafonnent sous les 20 % ?

En outre, le mécanisme de reporting et de suivi des progrès semble excessivement bureaucratique et risque d'engendrer des coûts administratifs importants : chaque État membre devrait élaborer une feuille de route numérique annuelle exposant sa contribution aux objectifs numériques de l'Union, assortie d'un calendrier de mise en oeuvre et d'un chiffrage des investissements nécessaires. Le suivi de ces feuilles de route nationales serait inclus dans le Semestre européen et la Commission serait habilitée à émettre des recommandations aux États membres. Dans sa proposition, la Commission évoquait même la possibilité de sanctions.

Les négociations au Conseil ont permis d'alléger le processus, la Commission ayant même précisé qu'aucune sanction financière ne pourrait être infligée aux États membres qui ne rempliraient pas leurs objectifs. Cependant, le Parlement européen pourrait conduire les co-législateurs à revenir sur ces allègements.

Un autre point d'achoppement important entre les États membres et la Commission concerne le financement du programme : la Commission estime que, en sus des fonds fournis par les différents programmes européens, y compris le plan de résilience, 120 milliards d'euros seront nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par la proposition pour 2030. Elle a délibérément exclu la question du financement des discussions pour éviter qu'elle ne constitue un point de fixation. Mais, in fine, qui paiera ? Les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft -, comme on commence à l'entendre, ou - plus sûrement - les États ?

Sur le fond, il nous semble que les objectifs proposés se focalisent trop sur les questions d'infrastructures - 5G, semi-conducteurs, edge computing, cloud... -, au détriment de la maîtrise des technologies ou, par exemple, des algorithmes sensibles.

Maîtriser les infrastructures ne règle pas tout : si les entreprises françaises du cloud sont bien positionnées sur la partie Infrastructure as a Service (Iaas), elles affichent un retard important sur le volet logiciel et applications - Software as a Service (Saas) - par rapport à leurs concurrentes américaines. Or c'est de ce volet logiciel que ces dernières tirent l'essentiel de leur création de valeur et c'est bien grâce à lui qu'elles ont développé des offres intégrées leur permettant de « capturer » leurs utilisateurs avec des applications « clefs en main ».

De ce point de vue, les objectifs d'amélioration des compétences numériques des Européens sont particulièrement pertinents : la Commission envisage que 80 % des 16-74 ans possèdent, en 2030, les compétences numériques de base, contre 54 % aujourd'hui, et qu'il y ait en Europe au moins 20 millions de spécialistes des technologies de l'information et de la communication (TIC), à parité femmes-hommes. Nous en sommes aujourd'hui à seulement 8,4 millions, dont un sixième de femmes. Les professionnels du secteur estiment la pénurie de talents à 10 000 personnes par an en France, aussi bien pour les emplois supérieurs que pour les emplois intermédiaires. Pour atteindre ces objectifs, il faut accélérer fortement les rythmes de croissance.

L'Union agit : le plan européen d'action en matière d'éducation numérique de 2020 a établi pour la première fois un cadre européen global dans le domaine des compétences numériques, en redéployant des financements importants issus notamment du programme Europe numérique. Mais la compétence de l'Union en la matière n'est qu'une compétence d'appui : par exemple, la Commission ne peut créer, de son propre chef, un certificat de compétences numériques européen sur le modèle du certificat Pix français. La reconnaissance des compétences numériques entre les différents États membres n'est effective que pour certaines briques de formation universitaire, dans des domaines spécifiques tels que l'intelligence artificielle ou la cybersécurité. Or cette question des compétences est cruciale.

En outre, pour atteindre le double objectif de compétitivité et d'autonomie stratégique, il faut une stratégie globale cohérente qui joue sur tous les facteurs. L'amélioration des compétences doit donc s'accompagner d'un soutien affirmé à la recherche et à l'innovation et d'une véritable politique industrielle. Les efforts de l'Union dans ces domaines - qui sont réels - doivent être mis en synergie, dans une logique de clusters, alliant infrastructures de recherche et tissus industriels spécialisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Mener une telle politique industrielle suppose de prendre des mesures propices au développement. Plusieurs de nos interlocuteurs souhaiteraient que la commande publique favorise plus directement l'innovation et le passage à l'échelle d'acteurs européens pour faciliter la construction d'un écosystème numérique européen compétitif. Sans même parler de la Chine, c'est ce que font les Américains depuis toujours. L'administration Biden a même, tout récemment, décidé de durcir le Buy American Act. Face à ces pratiques, nous autres, Européens, continuons de faire preuve d'une naïveté assez coupable. Ne serait-il pas grand temps de débattre sérieusement d'une préférence européenne dans les marchés publics, au moins pour certains composants critiques et secteurs sensibles ? Ne serait-il pas temps, comme le font aussi les Américains, de soutenir plus fermement la croissance de nos PME, en mettant en place un Small Business Act européen ?

Pour justifier le recours quasi systématique aux entreprises américaines, on nous dit que les entreprises européennes ne seraient pas à la hauteur, qu'elles seraient incapables de répondre aux besoins de nos administrations. Mais ce sont les lobbyistes des Gafam - il faudra d'ailleurs se pencher un jour sur la question de la régulation du lobbying - qui ont construit, à coups de millions, ce mythe selon lequel les entreprises numériques européennes auraient dix ans de retard sur leurs concurrentes américaines. Je ne prétends pas que Google ou Microsoft n'offrent pas des produits et services de très haute qualité, mais les situations où elles ont une vraie valeur ajoutée concernent une minorité des cas d'usage ; pour tout le reste, nos entreprises ont des performances à faire valoir et il nous revient de les soutenir.

Ces politiques s'inscrivent dans le temps long. Or, 2030, c'est déjà demain. La transformation rapide des métiers du numérique impose de renforcer les formations scientifiques et techniques de manière générale, de même que l'apprentissage des mathématiques dans l'éducation primaire, sans se focaliser outre mesure sur les technologies clefs actuelles, qui seront peut-être dépassées demain.

Soutenir la filière des microprocesseurs n'est pas inutile, mais cela n'aura de pertinence, in fine, qu'en accompagnant tout l'écosystème attenant, notamment en matière de compétences et d'usage. En ce qui concerne la question des usages, il est crucial de concentrer les efforts de numérisation sur les secteurs clefs pour notre autonomie stratégique afin de maximiser les bienfaits de la numérisation - je pense notamment aux secteurs de la santé, de l'énergie ou des transports, où il est nécessaire de rééquilibrer les rapports de force avec les acteurs extra-européens.

De manière générale, les objectifs du programme d'action sont très peu prospectifs : aucune mention n'est faite de la 6G, par exemple, pourtant déjà en développement.

Plus fondamentalement, nous avons le sentiment que le programme d'action échoue à fixer un cap global pour la transformation numérique de l'Europe. On trouve certes des objectifs chiffrés concernant la transformation numérique des entreprises et celle des services publics, mais quelle réflexion d'ensemble sur la transformation des usages du numérique ou sur la valeur ajoutée du numérique pour l'économie, pour l'efficacité des services publics et pour l'amélioration du bien-être de nos concitoyens ? Aucune étude d'impact globale n'a été menée pour définir et fonder les objectifs posés par la proposition. Lors de nos travaux de 2015, nous avions déjà déploré qu'aucune étude n'ait été menée sur la transformation de l'emploi. En sept ans, nous n'avons donc absolument pas progressé !

Nous avons aussi noté la quasi-absence d'objectifs chiffrés concernant la transition verte - on nous dit que les noeuds de edge computing devront être climatiquement neutres, mais rien sur le reste. Cela est d'autant plus regrettable que la numérisation aura un rôle clef dans cette transition verte. Afficher des objectifs en matière de consommation énergétique des outils numériques, par exemple, serait utile pour lever certaines réticences à une numérisation globale de nos sociétés.

Il est indispensable que la Commission, qui entend réévaluer les objectifs chiffrés du programme au plus tard en 2026, consulte largement, notamment des universitaires et des chercheurs, pour se donner les moyens d'anticiper les évolutions technologiques et d'usage à venir et de positionner l'Europe en pionnière dans ces nouveaux champs, aussi bien à l'horizon 2030 que sur le temps long.

Le contenu de la déclaration des droits et principes numériques est très consensuel : il s'agit de respecter les droits fondamentaux de la Charte européenne des droits de l'Homme et de prévenir toute atteinte aux droits sociaux tels que définis dans le socle européen des droits sociaux. Son processus d'adoption, par consensus entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, est d'ailleurs inspiré du processus d'adoption de ce dernier.

À l'origine, la Commission imaginait lui donner une valeur contraignante en y faisant référence dans le programme d'action, dont la mise en oeuvre par les États membres aurait aussi été évaluée à la lumière de la déclaration. Pour sa part, la Commission s'engageait à décliner les différents items de la déclaration dans toutes les actions et législations européennes dans le domaine numérique. Le Conseil a toutefois supprimé la référence à la déclaration dans le programme d'action, jugeant le contrôle d'objectifs qualitatifs trop aléatoire. Le texte se trouve ainsi réduit à une déclaration d'intention politique.

Il n'est toutefois pas dépourvu d'intérêt, concrétisant la conception européenne d'un numérique centré sur l'humain, qui pourra servir de référence pour des initiatives de la Commission dans des domaines comme le droit à la déconnexion. La déclaration se distingue notamment par une attention particulière portée à la protection des enfants, à laquelle nous sommes particulièrement attachées.

J'insiste par ailleurs sur le fait que l'affichage de ces valeurs n'est pas, comme on l'entend parfois, une manière détournée pour l'Union d'empêcher des acteurs économiques étrangers d'opérer sur son marché. La réalité de la pénétration des acteurs américains sur le marché européen nous démontre tous les jours le contraire. Cette ambition européenne de protéger les citoyens européens à travers des normes est tout à fait légitime ; elle fait partie intégrante de la notion de souveraineté numérique et nous devons en tirer toutes les conséquences dans nos relations avec nos partenaires extra-européens. Je pense notamment à la probable future décision d'adéquation concernant le transfert de données à caractère personnel vers les États-Unis.

Je vous rappelle l'invalidation du Privacy shield voilà un an et demi. Joe Biden a récemment estimé, lors d'un déplacement en Europe, qu'il était urgent de signer un nouvel accord concernant le transfert des données des Européens vers les États-Unis. Pourrions-nous toutefois accepter un accord qui ne permettrait pas de respecter le règlement général de protection des données (RGPD) ? C'est une vraie question. Cette réflexion sur la promotion active, voire offensive, de nos valeurs et de nos normes à l'international, en bilatéral ou dans les instances multilatérales, manque à mon sens cruellement si l'Union veut réellement se donner un horizon numérique.

Il est très important aussi que les pays européens parlent d'une seule voix et siègent dans les instances internationales pour pouvoir y promouvoir des normes et des standards conformes à leurs valeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Cela fait longtemps que nous travaillons sur ces sujets. En dépit de réels progrès, nous avons encore tendance, dans ce domaine, à penser en silos.

C'est bien d'insister sur les infrastructures, mais j'abhorre le terme de « cluster » employé par la Commission. Ce qu'il faudrait, c'est créer un écosystème. Si j'étais facétieux, je dirais que la souveraineté numérique se réduit aujourd'hui à la souveraineté du numérique sur l'économie, alors qu'il faudrait rétablir une souveraineté sur le numérique.

L'Union européenne peut jouer sur une influence normative, elle crée des standards, mais il n'est pas facile d'encadrer des secteurs extrêmement mouvants, ni de savoir lesquels vont devenir critiques. Or l'on ne se dote pas des instruments intellectuels permettant de suivre les évolutions rapides des technologies numériques. Les normes européennes sont importantes pour protéger les citoyens, mais elles peuvent aussi entraver une dynamique, quand on sait le temps qu'il faut pour construire ou réviser une directive ou un règlement.

Il manque fondamentalement à l'Union des moyens financiers pour espérer construire une souveraineté numérique. Dans certains domaines requérant des investissements conséquents, nous devons aussi penser à multiplier les accords bilatéraux, car tout ne peut pas être coordonné au niveau européen. C'est le cas par exemple de la cybersécurité, qui relève des choix et des orientations stratégiques des États.

Catherine Morin-Desailly l'avait déjà souligné dans son rapport L'Union européenne, colonie du monde numérique ?, publié en 2013 : les textes normatifs ne suffisent pas, il faut aussi des moyens et une politique industrielle.

Or l'Union européenne conserve une vision encore très « mécano » de cette politique : elle propose des plans sectoriels, de nouvelles infrastructures, sans voir que la meilleure protection pour nos industries, c'est l'écosystème dans lequel elles évoluent. On peut racheter une licorne, pas un écosystème. La construction d'écosystèmes est notre principal levier de souveraineté, mais nous devons faire preuve de plus de souplesse si nous voulons construire et développer de tels écosystèmes.

La semaine dernière, nous étions plusieurs à assister au forum international de la cybersécurité, un sujet qui concerne à la fois les acteurs publics - gendarmerie, armée, État - et les entreprises. C'est une autre condition de notre souveraineté : nous devons développer une véritable culture de cybersécurité. Malheureusement, les moyens sont encore très insuffisants au niveau européen, et nous avons du mal à conserver nos compétences.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Houllegatte

En matière de numérique, il ne faut jamais désespérer. Certaines batailles peuvent être perdues, mais les guerres ne sont jamais terminées, d'autant que 80 % des services que l'on utilisera dans dix ans sont encore à inventer. L'Europe peut encore se positionner sur des innovations de rupture.

On parle beaucoup d'infrastructures et d'usages, mais il faut aussi parler de services. Du côté des services d'hébergement, est-il vraiment pertinent de développer un véritable cloud européen ? L'initiative Gaïa-X ne semble pas sur le point d'aboutir dans l'immédiat.

Du côté des logiciels, nous restons extrêmement dépendants des produits développés par les Gafam. Des groupes d'utilisateurs de grands comptes commencent à se structurer, mais comment l'Europe pourrait-elle favoriser cette structuration pour promouvoir des logiciels sous souveraineté européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je partage la philosophie de la proposition de résolution, qui souligne à la fois les ambitions de la stratégie numérique européenne, notamment en termes de souveraineté, mais aussi ses limites, qui tiennent notamment aux moyens prévus pour sa mise en oeuvre. Tout l'intérêt de cette proposition de résolution est de pointer ces insuffisances pour nourrir un débat plus exigeant.

Se pose aussi le problème des moyens. La Commission ayant décidé que la stratégie européenne n'aurait aucune incidence sur le budget de l'Union, comment dégager les moyens considérables dont nous avons besoin pour organiser le rattrapage européen ?

Je remarque par ailleurs que l'on parle de souveraineté, d'écosystème, d'investissements publics plus importants et d'utilisation de la commande publique, mais jamais d'acteurs publics ni de service public. Or, pourra-t-on durablement reconstruire une souveraineté numérique en finançant uniquement les acteurs privés, qui sont à tout moment susceptibles de travailler avec les Gafam ?

En décidant, au début de la numérisation, de confier les nouveaux services au secteur privé, on a marginalisé durablement le service public dans ces secteurs. Aujourd'hui, les acteurs publics n'ont pas d'autres interlocuteurs que les grands groupes privés, et nous peinons en effet à construire un écosystème pouvant répondre à cet objectif politique de souveraineté.

L'alinéa 40 de la proposition de résolution invite à mobiliser le levier de la commande publique en faveur des acteurs européens du numérique, mais il faudrait peut-être aussi préciser qu'on entend le mobiliser en reconstituant des acteurs publics du numérique.

Si nous voulons effectuer une transition numérique inclusive et durable, comme les conclusions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe le préconisent, les enjeux d'accès aux services, de maîtrise et de protection des données sont essentiels, au-delà du développement de nos moyens industriels. Pour quelle finalité d'usage ? Il y a incontestablement des manques en la matière que je tenais à souligner. Je souscris toutefois aux remarques critiques et aux points d'attention soulevés dans la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Sur la question des services publics, le plan d'action prévoit que 100 % des usagers doivent avoir accès à des services publics sous forme dématérialisée et numérique. Il faut toutefois veiller également à ne pas exclure les citoyens qui n'ont pas encore accès au numérique.

Je partage l'avis de Jean-Michel Houllegatte : en France, des générations entières ont ainsi été enfermées dans les solutions proposées par Microsoft, qui avait offert des conditions avantageuses à l'Éducation nationale pour utiliser sa suite Office. Il faut sans doute promouvoir des solutions plus nationales ou européennes, en commençant par se tourner vers les grands comptes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

En effet, nous avons perdu des batailles, mais pas la guerre du numérique. Nous sommes toutefois à la croisée des chemins. La pandémie nous a réveillés dans bien des domaines, en révélant les carences de nos politiques industrielles, notamment dans le numérique, alors que nous étions à l'origine de la création d'internet.

On peut encore inverser la vapeur et recouvrer, brique après brique, non pas une souveraineté numérique totale, qui signifierait aussi un repli sur nous-mêmes, mais une autonomie et une capacité à influer sur notre destin. Avec la guerre en Ukraine et la balkanisation de l'internet qui se profile, il est vraiment temps de déployer une stratégie globale et offensive qui ne se limite pas au développement d'un marché numérique par les usages. Nous devons redevenir acteurs de l'écosystème et promouvoir une industrie digne de ce nom.

Nous ne saurions trop insister sur le besoin immense de formation, initiale et continue : des millions d'emplois nous manquent aujourd'hui. Et les ingénieurs qui sortent de nos écoles informatiques sont attirés ailleurs par de meilleurs salaires... Si nous ne payons pas correctement nos chercheurs, nous n'aurons pas la matière grise nécessaire à cette politique.

Les politiques industrielles ne peuvent être menées qu'avec une véritable commande publique. À cet égard, il y a un véritable bashing, dans lequel nous nous laissons entraîner. La stratégie du cloud de confiance, par exemple, qu'on nous a vantée ces derniers mois, sous-entend que nos entreprises ne seraient pas capables de traiter les données de santé, ce qui est parfaitement faux ! Nous avons interrogé des industriels, qui nous ont tous confirmé qu'elles en étaient capables. Ce qu'ils réclament, ce serait l'équivalent d'un Buy European Act ou d'un Small Business Act. Pour y parvenir, chaque État membre doit se responsabiliser. Sinon, nous ne pourrons pas créer l'écosystème dont nous avons besoin.

Sur Gaïa-X, nous avons interrogé l'entrepreneur français Scaleway, qui nous a expliqué que c'était une belle ambition au démarrage, mais que les objectifs de cette mission, qui consistait justement à créer un cloud véritablement souverain au niveau européen, avaient été remis en cause par certains, au point de laisser entrer les Chinois et les Américains dans le projet.

J'insiste, quoi qu'il en soit, sur la nécessité d'orienter nos commandes publiques pour construire une politique industrielle.

Nous disposons d'une multitude de textes qui vont tous dans le même sens, mais il nous manque un pilotage public plus clair. C'est pourquoi nous avons maintes fois réclamé qu'un haut-commissaire au numérique s'empare de ces questions en France, et même au niveau européen. Il faut une instance de coordination de ces politiques qui sont éminemment transversales. Peut-être que M. Le Maire, désormais ministre en charge de la souveraineté numérique et industrielle, s'emparera de ce pilotage politique global.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Nous pourrions peut-être, dans la résolution, dire que nous déplorons l'insuffisance relative des moyens mis en oeuvre au regard des objectifs énoncés. Entre l'ambition affichée dans le programme et les moyens mis en oeuvre aujourd'hui, il y a un fossé...

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Oui. Dans tous les domaines, nous sommes loin du compte.

Nous pourrions ajouter « appelle à mobiliser, aux niveaux de l'Union européenne et des Etats membres, des moyens supplémentaires, à la hauteur des objectifs affichés au service de l'ambition numérique de l'Union ».

Il en est ainsi décidé.

La commission adopte la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je souhaite aborder un autre sujet.

Nous avons adopté le 5 avril la proposition de résolution européenne sur le paquet climat, après son examen par trois commissions. Ce texte est à présent examiné par le Parlement européen, qui s'apprête à le modifier en profondeur. Ainsi, la fin des quotas gratuits est repoussée de quatre ans, l'accord sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est également retardé, et le fonds social pour le climat est remis en question !

Il y a là un problème de méthode : une fois que nous avons émis nos recommandations, pouvons-nous assister en spectateurs au détricotage de ce plan, quitte à réagir après coup ? Ne devrions-nous pas plutôt étoffer nos capacités de suivi et d'alerte ?

Se confirme en revanche la perspective d'une adoption définitive de l'interdiction de la vente des véhicules neufs à combustion interne en 2035. Au regard des implications considérables de cette décision - industrielles, énergétiques, sociétales -, la constitution d'une mission d'information serait bienvenue. Nous sommes en effet assaillis de questions sur ce qui va rapidement devenir un sujet du quotidien. Une telle mission permettrait notamment d'évaluer les investissements à prévoir pour faire face aux conséquences de cette évolution. Un accompagnement social sera nécessaire, car l'achat d'une voiture électrique représente un coût considérable. Il faudra aussi investir massivement dans les bornes de recharge, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Pour chaque borne de recharge, on se demande comment les utilisations seront réparties dans chaque quartier...

Sur la question du climat, nos trois commissions ont travaillé de concert avec succès. Remettre en place un dispositif comparable me semble, dans l'immédiat, peu commode. Je vous propose donc plutôt de mener un travail de suivi interne à notre commission, quitte, si nous avons besoin de l'appui des autres commissions, à organiser de nouveau un travail conjoint avec elles.

Créer une mission d'information sur les conséquences de l'interdiction de la vente de véhicules à moteur thermique, pourquoi pas ? Je vais prendre contact sur ce point avec les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire et du développement durable. Le droit de tirage des groupes pourrait aussi être utilisé pour créer une mission sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Au Parlement européen, le texte devrait être adopté en séance plénière courant juillet. Ensuite, il y aura le trilogue. Nous avons donc encore un peu de temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous allons maintenant entendre une communication de nos collègues Gisèle Jourda et André Reichardt, rapporteurs sur le partenariat oriental. Ce partenariat est le nom donné en 2009 à la déclinaison vers l'Est de la politique de voisinage de l'Union européenne, déclinaison qui s'est imposée à la suite du conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008 et du conflit gazier entre l'Ukraine et la Russie en 2009. Ce partenariat a été noué, il y a donc une douzaine d'années, avec la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Moldavie, l'Ukraine et la Biélorussie ; en complément, l'Union européenne entreprenait de négocier un accord d'association avec chacun de ces pays pris individuellement, quand la Russie ambitionnait parallèlement de les intégrer dans un projet concurrent, l'Union eurasiatique.

Ces six États vivent écartelés entre leurs puissants voisins, pris entre la volonté d'intensifier leurs relations avec l'Union européenne et la nécessité de maintenir d'étroites relations avec la Russie, ce qui nourrit les tensions entre l'Union européenne et la Russie ; certains de ces pays ont depuis fait leur choix, comme la Biélorussie, définitivement sortie du partenariat oriental il y a un an pour consentir à devenir une forme de deuxième Russie ou, à l'inverse, comme l'Ukraine, dont le tropisme européen s'est trouvé galvanisé par l'agression russe en février dernier. Il nous a semblé que cet événement récent, qui a conduit plusieurs des pays du partenariat oriental à demander leur intégration dans l'Union européenne et a donc changé profondément la donne, exigeait que notre commission tente de tirer un bilan de ce partenariat et d'imaginer quelles pourraient être ses perspectives dans la recomposition géopolitique en cours.

Je remercie donc nos rapporteurs Gisèle Jourda et André Reichardt d'avoir travaillé à cet effet et de nous communiquer aujourd'hui le résultat de leurs travaux. C'est un sujet d'actualité : nous avons reçu récemment le président de la Rada, nous nous entretiendrons demain avec l'ambassadrice de Géorgie, nous avons rencontré la présidente de la Moldavie...

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je n'aurais jamais imaginé lorsque, très régulièrement, avec de nombreux collègues comme Pascal Allizard, André Gattolin, Simon Sutour ou René Danesi, nous avons travaillé au suivi du partenariat oriental et des contrats d'association qui l'ont accompagné, que nous en arriverions un jour à la situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui.

La guerre en Ukraine relance fortement la question des frontières de l'Union européenne. Le Président de la République avait déclaré que l'OTAN était « en état de mort cérébrale ». Nous voyons bien, aujourd'hui, l'importance de cette organisation. Les frontières qui avaient été fortement remodelées lors de la chute de l'Union soviétique, à l'issue de la perestroïka, sont à nouveau bouleversées.

Tous nos interlocuteurs, ambassadeurs, diplomates, experts, n'hésitent pas à parler de basculement, de bouleversement des relations internationales, de point de rupture historique. Il est certain en tout cas que nous vivons un moment comparable, par l'ampleur de ses conséquences prévisibles à l'échelle du continent, au choc que nous avons connu lorsque le mur de Berlin est tombé, et qui nous a conduits à remodeler notre vision politique.

Après les vingt premières années de ce siècle, ces événements marquent donc véritablement une entrée très particulière dans le XXIe siècle historique. C'est dans cette perspective géopolitique que nous avons abordé la question du partenariat oriental, chère à notre commission, et qui concerne à la fois les contours de l'Europe et les relations que celle-ci entretient avec ses voisins.

Quel est le bilan du partenariat oriental ? Ce concept ambitieux est né dans des circonstances historiques bien particulières. Il s'agissait au départ de bâtir une politique de voisinage pour une Union européenne construite par agrandissements successifs après l'élargissement à l'Est de 2004. C'est la politique européenne de voisinage (PEV), à laquelle font référence les articles 206 et 207 pour le commerce et 216 à 219 pour les accords internationaux du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cette politique comporte deux volets. Le premier est orienté vers la Méditerranée et concerne les dix pays suivants : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Palestine, Syrie, et Tunisie. Le second, orienté vers l'Est, concerne au départ six pays ayant fait partie de l'Union soviétique, dont trois du Caucase méridional - l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie - et trois pays frontaliers de l'Union européenne, la Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine. Ces six pays font l'objet du partenariat oriental. Décidé en 2008, sur initiative de la Suède et de la Pologne, inauguré le 7 mai 2009 sous présidence tchèque, ce partenariat constitue la déclinaison orientale de la politique européenne de voisinage.

Quels sont ses objectifs ?

Le principal objectif du partenariat oriental est d'accélérer l'association politique et d'approfondir l'intégration économique entre l'Union européenne et ses voisins. Le niveau d'intégration et de coopération reflète l'attachement de chaque pays partenaire aux valeurs, aux normes et aux structures européennes, ainsi que les progrès réalisés dans ce sens. Le partenariat oriental vise à promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, à renforcer la sécurité énergétique, à favoriser les réformes sectorielles, à encourager les contacts personnels, à soutenir le développement économique et social et à fournir des fonds supplémentaires à des projets visant à réduire les inégalités socioéconomiques et à améliorer la stabilité. L'objectif global était d'ancrer à l'Ouest ces pays où l'Europe et la Russie se disputent l'influence.

Sur le plan du suivi institutionnel, des sommets du partenariat oriental se sont tenus, avant la pandémie, tous les deux ans. Ils ont réuni des chefs d'État ou de gouvernement des États membres de l'Union européenne et des pays partenaires, ainsi que des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne et, depuis sa création, du Service européen d'action extérieure (SEAE).

Le partenariat oriental a fêté son dixième anniversaire en 2019. Le 18 mars 2020, la Commission européenne et le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont publié une communication conjointe intitulée « La politique du partenariat oriental au-delà de 2020 : renforcer la résilience - un partenariat oriental qui profite à tous ».

Ce document a servi de base aux discussions lors de la visioconférence du 18 juin 2020. Dans le contexte de la pandémie de covid-19 et de ses lourdes répercussions socioéconomiques dans l'ensemble de l'Europe, les dirigeants du partenariat oriental ont reconnu son importance stratégique et appelé à la continuation de cet espace commun de démocratie, de prospérité et de stabilité partagées, ancré dans leurs valeurs communes, au moyen d'un ordre international fondé sur les règles du droit international.

Depuis, les priorités du partenariat oriental pour l'après-2020 ont été annoncées en juillet 2021 et confirmées le 15 décembre 2021 lors du dernier sommet, dans un contexte devenu lourd de menaces pour l'Ukraine. Six objectifs y ont été affirmés : des économies résilientes, durables et intégrées ; des institutions comptables de leurs actes, l'État de droit et la sécurité ; une résilience environnementale et climatique ; une transformation numérique résiliente ; des sociétés résilientes, respectueuses de l'égalité entre hommes et femmes, justes et inclusives ; et, enfin, un objectif global de renforcement de la communication stratégique. Ces objectifs sont déclinés en vingt programmes avec le soutien technique et financier de l'Union européenne.

Conçu sur un schéma identique afin de permettre aux pays concernés de se rapprocher de l'Union européenne sans en faire partie, le partenariat était censé reposer sur un outil commun, à décliner selon les partenaires : l'accord d'association avec l'Union européenne. Très tôt, cependant, sont apparues des différences, voire des divergences importantes selon les pays, qui ont nécessité des adaptations.

Ainsi, la Biélorussie s'est exclue d'elle-même du dispositif en juin 2021, avant même la guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine, dans un contexte marqué par le fort durcissement du régime d'Alexandre Loukachenko et la non-reconnaissance par l'Union européenne des élections frauduleuses d'août 2020. L'Union européenne avait d'ailleurs pris plusieurs paquets de sanctions sévères contre des entités et personnes biélorusses. Avant ces dernières péripéties, elle avait toujours fait preuve d'une conditionnalité stricte, exigeant la libération et la réhabilitation des prisonniers politiques comme préalable à toute négociation et à toute participation pleine de Minsk au partenariat. En pratique, ce pays a décidé d'abandonner sa souveraineté à la Russie, lui octroyant le droit de stationner en permanence des troupes sur son territoire, auxquelles il a ensuite laissé libre passage pour l'invasion de l'Ukraine par le nord.

Venons-en aux deux pays voisins du Caucase du Sud : l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Arménie a négocié avec l'Union européenne, dès 2013, un partenariat global et renforcé qui a été signé en 2017 avant d'entrer pleinement en vigueur l'an dernier.

Le cas de l'Arménie a été particulièrement problématique pour le partenariat oriental. En effet, dans la mesure où ce pays avait rejoint l'Union économique eurasiatique, la Commission européenne ne souhaitait pas l'accueillir dans la politique contractuelle du partenariat oriental. Grâce notamment aux efforts de notre commission, qui a plaidé la cause arménienne à Bruxelles, la double appartenance a finalement été autorisée, ce qui a permis au partenariat oriental de perdurer.

Dans ces conditions, l'accord signé en 2017 avec l'Arménie diffère largement de ceux qui ont été signés avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Il n'en reste pas moins un accord de « libre-échange approfondi et complet », compatible avec les relations étroites que l'Arménie a toujours entretenues avec la Russie, son premier partenaire économique et commercial, alors que l'Union européenne, en seconde position, représente moins de 20 % de ses échanges.

La priorité de cet État enclavé, dépendant de Moscou pour nombre de ses approvisionnements et pour sa défense, reste d'assurer sa stabilité politique intérieure et régionale, constamment mise à mal par la question du Haut-Karabagh. La guerre des 44 jours qui y a opposé l'Arménie et l'Azerbaïdjan du 27 septembre au 9 novembre 2020 n'a pris fin que grâce à l'intervention des troupes russes, qui y maintiennent toujours un équilibre précaire. Les deux pays, membres du partenariat oriental, ont néanmoins engagé, en avril dernier, des pourparlers de paix auxquels a participé Charles Michel, le président du Conseil européen. L'Union européenne n'a cessé d'appeler à un règlement négocié, global et durable du conflit - y compris sur le statut du Haut-Karabagh - et continue d'apporter son soutien au processus mené par les coprésidences du groupe de Minsk de l'OSCE. À cet égard, il est intéressant de noter qu'un dialogue tripartite a été engagé récemment entre la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie sur ces questions régionales.

De son côté, l'Azerbaïdjan est un partenaire économique majeur de l'Union européenne, à laquelle il consacrait en 2020 près de 36 % de ses échanges, principalement des exportations de pétrole. Les exportations énergétiques de l'Azerbaïdjan vers l'Union européenne ont par ailleurs augmenté depuis l'achèvement du projet de corridor gazier sud européen, qui achemine, depuis décembre 2020, du gaz naturel de la mer Caspienne vers l'Europe.

Des négociations pour mettre au point un accord renforcé, semblable à celui conclu avec l'Arménie, ont débuté dès 2017. À ce jour, elles n'ont pas abouti. Le nouvel accord devrait permettre de traiter des questions relatives à la politique, au commerce et à l'énergie, ou encore des conditions de la création éventuelle d'un régime d'exemption de visa. Il devrait contenir des dispositions solides sur la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux. Or, selon le dernier rapport annuel de l'Union européenne sur les droits de l'Homme et la démocratie dans le monde, l'état général des droits de l'Homme et de la démocratie en Azerbaïdjan reste préoccupant. Nous préconisons une relance des négociations et souhaitons qu'elles aboutissent. Le contexte géopolitique né de la guerre en Ukraine renforce l'intérêt d'un tel accord, tant pour l'Azerbaïdjan que pour l'Union européenne.

Un troisième groupe d'États partenaires est constitué du trio Géorgie-Moldavie-Ukraine, au sein duquel il convient de faire une place particulière à la Géorgie. Comme nous l'avions souligné, René Danesi et moi-même, dans notre rapport d'information « La Géorgie, bon élève du partenariat oriental » rendu devant notre commission le 13 octobre 2018, la Géorgie a consenti des efforts importants dans ce partenariat, dont les origines remontent à la guerre de 2008. Je ne dirai jamais assez la pertinence du dispositif mis en place à l'époque sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et qui permet aujourd'hui, au travers d'une mission de l'Union européenne, de veiller sur les « lignes de démarcation » dans les territoires d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, occupés par la Russie. La Géorgie, pourtant très affectée par cette situation dramatique, n'a jamais souhaité mettre de l'huile sur le feu.

Il convient donc de faire à ce pays une place particulière, en raison de ses relations spécifiques avec la Russie, qui la rapprochent de l'Arménie et, dans une certaine mesure, de la Moldavie, mais aussi en raison de la polarisation de sa vie politique interne. Le gouvernement actuel, dominé par le Rêve géorgien - un parti fondé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili -, ainsi que l'opposition, qui se réclame encore en bonne partie de l'ancien président Mikhaïl Saakachvili, emprisonné et à l'état de santé très fragile, sont résolument engagés dans le projet européen de la Géorgie.

Dans le sillon de l'Ukraine et de la Moldavie, la Géorgie a déposé le 3 mars dernier sa candidature en vue d'une adhésion à l'Union européenne. Ces trois pays ont pleinement conscience que le préalable à l'adhésion est l'obtention du statut de candidat et nous devrions être fixés sur cette question dès la semaine prochaine. Quoi qu'il en soit, la Géorgie estime être le pays du trio le plus avancé sur la voie des réformes. Lorsque nous nous sommes rendus sur place à l'époque pour préparer notre rapport, nous pouvions en effet considérer que la Géorgie présentait le visage du meilleur élève de la classe.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Il est vrai que le projet européen est porté par la Géorgie depuis la « Révolution des roses » de 2003. Il s'est accentué après la guerre d'août 2008, qui s'est soldée par un accord de cessez-le-feu conclu grâce à la médiation de la présidence française de l'Union européenne. La Russie a reconnu l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, depuis lors forment « russifiées ». Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Géorgie fait preuve de ce fait d'une extrême prudence dans ses relations avec la Russie. Quelle que soit l'issue de la guerre, elle craint en effet que son territoire - en particulier celui des deux régions occupées par la Russie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud - ne devienne une cible. Aussi a-t-elle choisi de ne pas prendre elle-même de sanctions contre la Russie, provoquant l'ire de Kiev et d'une partie de l'opposition géorgienne. Signalons tout de même que la Géorgie veille à l'application et au non-contournement des sanctions prises par l'Union européenne. À ce jour, elle n'a pas été prise en défaut à cet égard, quoi qu'en dise l'Ukraine.

La Géorgie a conclu un accord d'association, comportant un accord de libre-échange approfondi et complet, dès 2016. L'UE est son premier partenaire économique. Elle représentait environ 27 % de l'ensemble des échanges du pays en 2020. Elle fournit chaque année au pays un soutien financier et technique de plus de 100 millions d'euros, consacré au développement économique, à la bonne gouvernance, à la mobilité des personnes et à l'éducation. La Géorgie a bénéficié d'une aide de quelque 20 millions d'euros dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, l'UE lui fournissant des équipements de défense.

Malgré le retrait, l'été dernier, par le parti au pouvoir - le Rêve géorgien - d'un accord politique interne conclu au printemps sous l'égide de Charles Michel et le rejet, également l'an dernier, d'une tranche d'aide macro-financière de 75 millions d'euros, sans doute en raison de l'incapacité du pays à remplir le critère de conditionnalité, la Géorgie a déposé sa candidature en vue d'une adhésion à l'Union en même temps que la Moldavie, le 3 mars dernier, anticipant sans doute une démarche qu'elle comptait entreprendre ultérieurement. La société civile géorgienne s'est par ailleurs pleinement mobilisée pour accueillir de très nombreux réfugiés d'Ukraine.

Il reste toutefois à la Géorgie beaucoup à faire pour progresser sur la voie de l'État de droit et nul doute qu'un avis favorable de la Commission européenne à son adhésion serait assorti de nombreuses conditions. Quoi qu'il en soit, le partenariat oriental représente un facteur d'équilibre puissant pour ce pays voisin de l'Iran, proche de la Turquie, de l'Azerbaïdjan et de la Russie, qui se revendique de culture européenne même si, géographiquement, son appartenance à l'Europe peut être interrogée.

La Moldavie est un autre pays concerné de près par la guerre en Ukraine et préoccupé par ses relations avec la Russie. Elle a déposé sa demande d'adhésion en même temps que la Géorgie, le 3 mars dernier. Elle a remis ses réponses au premier questionnaire de la Commission le 22 avril et soumis la seconde partie de son questionnaire de candidature le 13 mai dernier.

L'Union européenne est le premier partenaire commercial, le premier investisseur étranger et le premier donateur d'aide pour la Moldavie. Dès le 1er septembre 2014, l'Union européenne et la Moldavie ont signé un accord d'association comprenant un programme de réformes important, ainsi que la mise en oeuvre d'une zone de libre-échange éliminant progressivement les droits de douane entre les deux parties. La libéralisation des visas de court séjour, permettant aux Moldaves de circuler librement dans l'espace Schengen pour une période de trois mois, est effective depuis avril 2014.

La présidente de la République de Moldavie, Mme Maia Sandu, a été reçue par le président du Sénat le 19 mai dernier, en présence du président de notre commission, Jean-François Rapin. La présidente Sandu a remis le pays sur la voie des réformes après les dérives oligarchiques de son prédécesseur et le vice-Premier ministre moldave et ministre des affaires étrangères et de l'intégration européenne, M. Nicu Popescu, a réitéré vendredi dernier, au Sénat, le très fort engagement du gouvernement et des institutions moldaves envers l'Union européenne.

Le pays a été bouleversé par la guerre en Ukraine, d'abord en raison d'un très fort afflux de réfugiés : plus de 400 000 réfugiés sont arrivés sur le territoire moldave, dont près de 90 000 y sont restés. La moitié des réfugiés sont des enfants, qui doivent être scolarisés. L'économie, qui commençait à peine à se redresser après la récession provoquée par la pandémie, a été très durement affectée par les conséquences de la guerre en Ukraine. Le gouverneur de la Banque centrale de Moldavie estime que le taux d'inflation a atteint 31 % au second trimestre de 2022. Ceux qui se plaignent, chez nous, d'une inflation à 8 % environ pourront y voir un lot de consolation ! La situation énergétique - les prix de l'énergie ont bondi de 400 % - reste très difficile. Le pays est très dépendant de la Russie, via la Transnistrie, majoritairement peuplée de russophones. L'accès aux engrais est difficile et le blocage du port d'Odessa a un impact majeur.

Outre la candidature à l'Union européenne, la principale préoccupation moldave tient actuellement aux risques de déstabilisation de la Transnistrie, où stationnent des forces russes. Rappelons que la Moldavie est attachée à son statut de neutralité, ce qui ne l'empêche pas de se préoccuper de sa défense : elle bénéficie notamment à ce titre d'une aide de la Facilité européenne pour la paix à hauteur de 40 millions d'euros.

Il est probable que le sort de la Moldavie soit lié, du point de vue de l'adhésion, à celui de l'Ukraine, dont elle est très proche. La Moldavie est aussi très proche, à tous points de vue, de la Roumanie. Quelle que soit la réponse de l'Union européenne à la candidature du pays, le partenariat oriental, dont ce n'était sans doute pas la vocation initiale, a grandement contribué à la perspective européenne de la Moldavie.

J'en viens enfin à l'Ukraine, dont le destin a basculé le 24 février dernier avec l'invasion russe. Dès le 28 février, ce pays déposait sa candidature pour intégrer l'Union européenne, ce qui représente un défi considérable. La décision relève d'abord des chefs d'État ou de gouvernement. Elle devrait faire l'objet de négociations lors du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 qui clôturera la Présidence française, après un avis de la Commission européenne qui pourrait être connu le 17 juin prochain.

L'article 49 du Traité sur l'Union européenne donne à tout État européen partageant les valeurs de l'Union la possibilité d'y adhérer. À cet égard, la demande de l'Ukraine est légitime. Ainsi que l'a déclaré le président Larcher en recevant le président de la Rada dans la salle des conférences du Sénat mardi dernier, il ne fait aucun doute que « l'Ukraine a écrit en lettres de sang plusieurs des conditions exigées pour obtenir le statut de candidat ».

Au travers de sa résistance à l'agression russe, le peuple ukrainien se bat en effet, avec courage et détermination, pour les valeurs communes et fondatrices de l'Union européenne et pour le projet européen dans son ensemble. Ces valeurs sont inscrites à l'article 2 du traité sur l'Union européenne : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes ».

Ce sont d'abord ces valeurs qui légitiment la candidature de l'Ukraine, qui serait néanmoins considérée différemment si elle n'avait déjà parcouru une partie du chemin vers l'Europe grâce au partenariat oriental. La procédure a été de facto accélérée par la Commission européenne, qui rendra son avis en un temps record. Mais trois conditions doivent encore être remplies pour permettre l'adhésion de l'Ukraine. Tout d'abord, une négociation devra construire l'unanimité des volontés des États au Conseil européen, où le moindre vote contraire pourrait bloquer la procédure. Ensuite, le Parlement européen devra procéder à un vote à la majorité de ses membres. Enfin, une ratification devra intervenir dans les 27 États membres, soit par les parlements nationaux, soit, dans les pays où la Constitution l'exige, par la voie du référendum.

Toutes ces étapes sont nécessaires pour reconnaître simplement la vocation de l'Ukraine à devenir officiellement candidate, voire lui octroyer directement le statut de pays candidat. Viendraient ensuite l'ouverture des négociations d'adhésion, elles-mêmes soumises à de nombreuses conditions, puis leur éventuelle clôture et, enfin, l'adhésion pleine et entière. Il s'agit donc d'un processus inévitablement long et complexe, la Turquie peut en témoigner...

Proportionnellement au PIB, l'Union européenne est, devant les États-Unis en proportion du PIB, le premier partenaire, investisseur et donateur d'aide pour l'Ukraine. Elle lui a fourni une aide considérable : aide d'urgence, aide humanitaire pour l'accueil, la gestion des flux, les soins et la santé apportée aux réfugiés et aux familles ukrainiennes - 700 millions d'euros -, mais aussi aide sécuritaire, dans le domaine des équipements, des matériels, des moyens de défense - 1,5 milliard d'euros -, assistance macro-financière, etc.

L'Union européenne fournit également à l'Ukraine une aide structurée dans la durée. Jusqu'au dépôt de la demande d'adhésion le 28 février dernier, l'accord d'association, entré en vigueur dès le 1er septembre 2017, était le principal moyen de rapprochement de l'Ukraine et de l'Union européenne dans le cadre du partenariat oriental. Ce dernier favorise l'approfondissement des liens politiques, le renforcement des liens économiques et le respect des valeurs communes. Autant d'objectifs rappelés, avant même le déclenchement de la guerre, lors du Sommet du partenariat oriental du 15 décembre dernier et qui restent d'actualité.

En conclusion, le partenariat oriental s'est adapté à l'évolution spectaculaire du contexte géopolitique. Conçu selon un schéma commun, il s'est progressivement différencié. Même si la réponse de l'Union européenne aux trois demandes de candidature qui lui ont été adressées sera suivie de négociations difficiles, nous pouvons faire l'hypothèse - et même souhaiter - qu'elle soit positive. Cela constituerait un geste politique très fort de l'Union envers l'Ukraine, qui se bat pour son intégrité, sa souveraineté, la démocratie et les droits de l'Homme, alors que la Russie a perpétré d'abominables crimes de guerre sur son territoire.

Nous avons constaté que le partenariat oriental a fonctionné - bien que cela ne fût pas souhaité au départ - à plusieurs vitesses. Trois niveaux ont pu, en effet, être discernés : celui de la Biélorussie, qui s'est elle-même mise en retrait, celui des pays du Caucase du Sud - Arménie et Azerbaïdjan - et enfin, celui des trois pays candidats à l'adhésion à l'Union. Cette différenciation a permis au partenariat oriental de s'adapter à la situation singulière des six pays concernés.

Nous pensons donc que le partenariat oriental doit perdurer, qu'il doit être maintenu en vie et qu'il n'est pas soluble dans l'élargissement de l'Union européenne. Sa dimension politique est évidente : il a permis d'arrimer le destin de ces pays à celui de l'Europe. Il ancre non seulement une aspiration, mais aussi un modèle de développement économique et social européen. Au-delà des aides d'urgence, il a permis des investissements considérables : au total, 17 milliards d'euros d'investissements publics et privés sont mobilisables pour les cinq pays qui en font désormais partie, dans le présent cadre financier pluriannuel d'ici à 2027. En outre, la Facilité européenne pour la paix a alloué quelque 2 milliards d'euros à la défense de l'Ukraine en 2022, 40 millions d'euros à la Moldavie et 20 millions d'euros à la Géorgie. Il s'agit d'un soutien déterminant.

Si elle est approuvée, la candidature de ces trois pays ouvre un très long processus d'acquisition de l'ensemble de la réglementation communautaire. Au-delà de cet aspect réglementaire, les progrès restant à accomplir dans ces pays sur le plan des valeurs, en matière d'État de droit ou de justice par exemple, sont néanmoins tels qu'un avis favorable de la Commission serait, à n'en pas douter, assorti d'un grand nombre de conditions.

Au terme de ce processus, l'accès aux fonds structurels et à l'ensemble des fonds européens devrait décupler les moyens mis à la disposition de ces pays par l'UE. Cela suppose un très long apprentissage, dans tous les domaines.

Pendant ce temps, qu'il serait périlleux d'évaluer à ce stade, l'adaptation de ces pays doit se poursuivre et le partenariat oriental en est l'un des instruments. Il devra être approfondi, élargi, complété, peut-être dans le cadre de la « communauté politique européenne » appelée de ses voeux par le président Macron à Strasbourg le 9 mai dernier et reprise par le président Charles Michel sous le vocable de « communauté géopolitique européenne ». Ce concept polysémique ne doit pas rester un mot : comme l'a déclaré le président de la Rada ici même, l'Europe sera jugée sur ses actes, non sur ses paroles.

Cette nouvelle « communauté » n'a pas, selon nous, vocation à se substituer au processus d'adhésion, mais au contraire à l'accompagner pendant la transition. Cette nouvelle communauté politique européenne ne devrait être rien d'autre pour nous qu'un partenariat oriental renouvelé, enrichi, complété par l'accès à certaines politiques ou dispositifs de l'UE, si les conditions sont remplies par les pays qui y sont associés. On pense en particulier aux enjeux énergétiques, si importants pour la souveraineté et la résilience de l'UE. Le partenariat oriental pourrait ouvrir la voie dans ce domaine, et nous souhaitons que l'accord avec l'Azerbaïdjan soit conclu. Les réseaux électriques de l'Ukraine et de la Moldavie ont déjà été synchronisés avec succès au réseau continental européen le 16 mars 2022.

D'autres dimensions de partenariat en matière de souveraineté et d'indépendance européennes pourraient aussi être proposées, en matière économique, numérique ou de médias par exemple, selon un échéancier précis, à négocier au niveau de l'Union européenne avec les pays concernés, dans le cadre d'un dialogue exigeant.

Il y a un formidable effort d'imagination, d'invention et de créativité à fournir pour répondre au défi historique auquel l'Europe est aujourd'hui confrontée. Elle peut en sortir plus forte, plus unie et plus indépendante dans ses relations avec son voisinage comme avec le reste du monde, face aux grandes puissances. Loin de disparaître avec la perspective de l'élargissement, le partenariat oriental renouvelé peut selon nous renaître, au service de cette ambition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

La présidente moldave est venue en France deux fois en un an. On sent bien la volonté de ce pays d'adhérer à l'Union européenne et d'intégrer pleinement ses valeurs. Il reste toutefois dans ce pays de vrais sujets à régler, notamment en matière de corruption, en particulier de la justice. Mais un magistrat y a été désigné pour se dédier à la lutte contre les juges corrompus.

La France a d'emblée fait preuve de prudence concernant l'adhésion de l'Ukraine. Toutefois, au fil des auditions que nous avons conduites - je pense en particulier à celle du président de la Rada -, nous avons compris que l'Ukraine avait besoin d'un geste européen fort. Le fait d'obtenir le statut de candidat, c'est pour eux un geste fort, même s'ils savent que le processus sera ensuite très long.

Le président Larcher s'est également exprimé sur ce point : il nous semble important que le Conseil européen prenne favorablement position en ce sens la semaine prochaine.

Dans nos échanges avec la présidente moldave, nous avons constaté qu'elle n'était pas opposée à un accompagnement du pays dans le cadre du partenariat oriental, mais qu'elle ne voulait pas que cela l'enferme dans une nasse qui empêcherait par la suite la Moldavie de poursuivre son avancée vers l'adhésion à l'Union. Elle ne veut pas être cantonnée à une sous-Union.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

La pandémie ne nous a pas permis d'effectuer un suivi suffisamment régulier de ces accords. Nous nous sommes rendus seulement deux fois en Ukraine et deux fois en Géorgie.

Or il arrive fréquemment que les efforts entrepris en matière de corruption, de justice et de transparence soient balayés par les changements de régime politique. En Géorgie, un juge anticorruption avait également été nommé, mais quand nous sommes revenus faire une évaluation de l'accord deux ans plus tard, il n'existait plus, et d'autres critères d'adhésion n'étaient plus remplis.

Il est toujours nécessaire d'entendre une pluralité d'interlocuteurs issus de différents milieux. Les représentants politiques ou institutionnels peuvent brosser un tableau, contredit ensuite par les syndicats ou la société civile.

Dans la situation actuelle, étant donné la puissance de l'onde de choc provoquée par le conflit en Ukraine, nous ne voulons pas que les acquis du partenariat oriental soient dilués, mais au contraire qu'ils soient recalibrés pour pouvoir intégrer les bases des futures négociations dans le cadre du processus d'adhésion. Le partenariat oriental est en permanence sujet à des évolutions et des enrichissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Ajoutons qu'en Ukraine, un travail de reconstruction considérable devra être mené, ce qui impliquera nécessairement une réflexion sur l'ampleur du partenariat oriental, car ce pays ne pourra alors pas bénéficier de la solidarité de l'Union en tant qu'État membre.

La réunion est close à 18 h 40.