Intervention de Cédric O

Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique — Réunion du 9 septembre 2020 à 16h30
Audition de m. cédric o secrétaire d'état chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Cédric O, secrétaire d'État :

Dans les temps que nous vivons, ce sujet me semble absolument essentiel socialement, économiquement et démocratiquement. C'est un enjeu pour continuer à faire société dans un monde de plus en plus numérique. Avant d'aborder les difficultés, soulignons quand même que la révolution numérique a été synonyme d'ouverture au monde, d'accès à des biens culturels, de simplicité pour une partie de nos concitoyens, y compris parmi ceux qui sont les plus en difficulté. Lorsque la Caisse d'allocations familiales (CAF), par exemple, a décidé de passer de l'actualisation physique à une actualisation en ligne, le taux de non-recours a drastiquement diminué. Le numérique est donc porteur de simplicité, de développement économique et d'ouverture au monde dès lors que l'on met les moyens et que l'on fait les efforts nécessaires.

Pour reprendre un terme d'un philosophe qui a beaucoup travaillé sur le numérique et la technologie, Bernard Stiegler, disparu il y a quelques mois, le numérique est un pharmakon. À la suite du confinement, nous avons vu sa face positive et sa face négative de manière paroxystique. D'un côté, le confinement a été supportable, parce qu'il y avait le numérique : nous avons pu continuer à travailler - le Sénat a pu continuer à exercer son rôle démocratique -, à garder des relations avec nos proches, à nous cultiver, à avoir des loisirs. De l'autre, pour tous ceux qui n'étaient pas connectés, qui ne savaient pas s'en servir ou qui n'étaient pas suffisamment équipés - je pense aux familles nombreuses dans lesquelles un seul enfant pouvait éventuellement suivre des cours en ligne -, la fracture numérique est venue se surajouter aux fractures territoriale, sociale et économique.

L'Insee estime qu'un Français sur six n'utilise pas d'ordinateur et qu'un Français sur trois manquerait de compétences basiques. Nous savons qu'une part importante de la population est laissée de côté ou se sent laissée de côté par la transformation numérique, qui, je l'ai dit, est un enjeu social et de développement économique. C'est également un enjeu territorial ; je ne reviens pas sur le sujet.

J'ajouterai que c'est un enjeu sociétal et démocratique. Le fait que certains de nos concitoyens ne puissent avoir recours à certains services basiques, qu'ils soient publics ou privés, comme la possibilité d'actualiser sa situation auprès de Pôle emploi, de télécharger une attestation de sortie pendant le confinement ou de consulter ses comptes en ligne, pose certes problème, mais, ce qui est en jeu, c'est le sentiment d'appartenance au monde, à la société. Lorsque l'on rencontre des médiateurs numériques ou des travailleurs sociaux, ils nous disent que les questions posées par les personnes accompagnées, au-delà de savoir comment créer un compte en ligne ou envoyer un mail, portent très rapidement sur les données, les fausses informations en ligne, la gestion des écrans par les parents. Outre le problème d'urgence, il y a d'abord un problème de grammaire et le sentiment de ne plus comprendre comment le monde évolue. C'est très fréquent, mais ce n'est pas une fatalité. Au demeurant, ce n'est pas grave, car le numérique ne doit pas devenir une obligation. Il est indispensable que tout ne soit pas numérique. L'essentiel est d'ouvrir les opportunités à ceux qui le veulent et à ceux qui le peuvent et, donc, de rendre disponibles et accessibles des solutions pour accompagner les Français.

Depuis deux ans, l'État déploie une Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Présentée par Mounir Mahjoubi, cette stratégie s'appuie sur trois éléments : rendre autonomes les personnes qui peuvent l'être, aider les aidants en les dotant d'outils et de structures, soutenir et augmenter les initiatives des collectivités territoriales. Pour suivre ce sujet, depuis maintenant quelques années, puisque j'étais conseiller numérique du Président de la République, il me semble que la difficulté est qu'il faut en même temps résoudre le problème et créer les conditions de sa résolution.

Heureusement, les collectivités n'ont pas attendu l'État pour s'intéresser à l'accompagnement numérique. Ce sont d'ailleurs en règle générale les agents territoriaux ou les travailleurs sociaux qui ont pris la vague. Or il n'existe pas ou peu de politique structurée sur le sujet. Chacun, de son côté, a tendance à réinventer la roue. Les partages d'informations, de bonnes pratiques, d'outils, la communication entre les personnes, tout cela n'existait pas jusqu'il y a deux ou trois ans. Avant même de dépenser de l'argent, c'est ce travail qui doit être mené. Nombre d'acteurs de l'inclusion numérique m'ont dit que, même s'ils avaient énormément d'argent, ils ne sauraient pas le dépenser aujourd'hui. La première chose a donc été de commencer à structurer cet écosystème, notamment avec la création des hubs territoriaux, financés par la Caisse des dépôts et consignations. Il y a quelques jours, j'étais avec les responsables du Nord, de l'Aquitaine et de la Savoie dont le rôle a été de commencer à identifier et à accompagner les territoires de manière localisée, l'idée étant d'en faire des têtes de réseau. Cette initiative est encouragée par l'État, mais de manière partenariale avec les collectivités territoriales. D'ailleurs, l'ensemble de la stratégie a été de travailler avec les collectivités territoriales. Il faut assumer d'entrée que c'est une politique que l'État ne sait pas mettre en place dans la granularité, le quotidien. Il n'y a que les collectivités qui peuvent le faire, en lien évidemment avec l'État, qui est là pour mettre en réseau, pour financer, pour accompagner.

Le deuxième élément sur lequel nous avons travaillé, c'est l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment celles qui sont le plus engagées sur le sujet, l'ensemble étant piloté par la mission société numérique au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Le lancement des « territoires d'actions pour un numérique inclusif » (TANI) a consisté en des choses très basiques, mais qui ont permis de beaucoup progresser. Cela a permis que les territoires se parlent afin que ce qui se fait de bien à Toulouse puisse profiter à la Drôme ou au Pas-de-Calais.

Le dernier élément de structuration, sur lequel nous avons beaucoup travaillé, est la MedNum, cette coopérative dans laquelle 80 autres têtes de réseau, qu'elles soient associatives, étatiques, institutionnelles ou liées à des collectivités territoriales, se sont engagées. Elle regroupe au total 5 000 salariés et a vocation à travailler à la standardisation des outils et à la diffusion des meilleures pratiques.

Dans un premier temps, le plus important nous a semblé être de structurer les acteurs et les outils, ce qui a d'ailleurs donné lieu à l'émergence d'événements comme Numérique en commun[s]. Tous les ans, les acteurs de l'inclusion numérique se réunissent pour partager des bonnes pratiques. C'était extrêmement important, parce que cela nous semblait indispensable de faire se parler ceux qui travaillaient sur le sujet.

Concomitamment, nous avons travaillé sur d'autres éléments. Je pense par exemple à Aidants Connect, qui vise à apporter des outils aux aidants, lesquels sont très souvent démunis et obligés de recourir au système D. Juridiquement, le règlement général sur la protection des données (RGPD) n'est pas scrupuleusement respecté, et heureusement, parce que, s'il l'était, les travailleurs sociaux ne pourraient pas remplir la fonction de médiation numérique.

Ce que nous avons voulu faire à travers le pass numérique, qui est cofinancé par l'État et les collectivités territoriales, c'est structurer cet écosystème et rendre viable un certain nombre de structures et d'initiatives. C'est évidemment au coeur de notre stratégie. Le pass numérique présente un double intérêt. Le premier, c'est d'obliger les structures à se parler. Dans le Béarn, par exemple, où je suis allé il y a quelques mois, le pass numérique a permis à la CAF, à Pôle emploi, au département, aux structures d'inclusion numérique de travailler à la mutualisation de leurs centres d'inclusion numérique et d'élaborer une stratégie commune. Cela n'aurait peut-être pas été possible sans la diffusion du pass numérique. Le second intérêt, c'est de permettre la solvabilisation d'un certain nombre d'actions, l'idée étant de faire émerger des modèles pérennes plutôt que de proposer une subvention du haut vers le bas, ce qui nous semble moins efficace.

Tout cela a abouti, dans le cadre du plan de relance, à une enveloppe de 250 millions d'euros sur deux ans. C'est un moment historique pour l'inclusion numérique, puisque le dernier plan d'investissement que j'ai eu l'honneur d'annoncer était doté de 15 millions d'euros. Nous avons donc presque multiplié par vingt l'investissement de l'État. À quoi vont servir ces 250 millions d'euros ?

Ma conviction est que le problème de l'inclusion numérique va se résoudre, non pas parce qu'il ne concerne que des personnes âgées et que, les générations passant, nous allons nous débarrasser du problème - or, comme vous le savez sans doute, les jeunes ne sont souvent pas beaucoup mieux outillés pour faire des démarches administratives en ligne -, mais parce que tout le monde y a intérêt : les banques, les opérateurs, l'État, les collectivités territoriales. D'ailleurs, la CAF, Pôle emploi, les collectivités, l'État investissent de plus en plus dans ce domaine. Cependant, il va se résoudre trop lentement. Lorsqu'on s'intéresse à la question de l'inclusion numérique, à la montée en puissance du pass, à la nécessité de ne pas attendre trop longtemps pour que les six à sept millions de Français que l'on peut former le soient - je pense qu'il faut traiter un peu différemment ceux qui ne seront jamais autonomes et ceux qui peuvent le devenir -, on se heurte systématiquement à un problème : le manque de formateurs. C'est le point de blocage majeur. Former quelqu'un, le rendre autonome, c'est-à-dire ne pas faire à sa place, c'est un métier. Bien sûr, il est indispensable de garder des accompagnants, des travailleurs sociaux, mais ce n'est pas leur rôle, à moins qu'ils n'aient été formés pour cela.

Notre idée pour flécher les 250 millions d'euros est simple : plus de formateurs et plus de lieux. Nous sommes donc en train d'y travailler avec les collectivités locales et les acteurs du secteur. J'ai réuni hier un petit groupe de travail composé de représentants de collectivités, d'associations, d'entreprises ou de régies de quartier pour voir comment déployer dans les deux ans qui viennent le plus intelligemment et le plus rapidement possible beaucoup plus de formateurs numériques. Je réunirai la semaine prochaine les associations de collectivités. Selon les estimations des professionnels du secteur, un formateur permet d'autonomiser en un an environ 500 personnes. Maintenant, il faut que ces formateurs arrivent sur le terrain et partout en France. Tout le sujet va donc être d'opérationnaliser ces éléments, là encore en partenariat avec les collectivités territoriales. J'ai bon espoir d'être un peu plus précis sur le dispositif d'ici à un mois. En tout cas, je souhaite que nous nous laissions le temps avec les collectivités de dessiner ce que seraient ces emplois sur le terrain, afin qu'ils soient le plus efficace possible.

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