Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique

Réunion du 9 septembre 2020 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • inclusion
  • outil
  • structurés

La réunion

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Photo de Jean-Marie Mizzon

Je vous remercie.

La séance est levée à 16 heures 20.

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Nous finalisons le rapport de la mission d'information, qui sera présenté à ses membres jeudi 17 septembre.

Les difficultés d'accès au numérique sont de trois ordres : elles touchent ceux qui n'ont pas le réseau, ceux qui n'ont pas l'outillage - un smartphone reste onéreux - et ceux qui, bien qu'ayant le réseau et l'outillage, n'ont pas le mode d'emploi. C'est à cette dernière problématique que la mission d'information s'est consacrée.

Chacun l'a constaté dans les territoires, l'épidémie de Covid-19 a souligné notre dépendance au numérique, désormais bien essentiel comme l'eau ou l'électricité pour de nombreux Français. Or l'exclusion par le coût est l'angle mort de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Cette crise a également révélé nos fragilités numériques, dont une fracture ancienne, profonde, qui perdure ; elle a aggravé les inégalités scolaires, elle a souligné l'impact de la fermeture des guichets et autres services au public : banques, postes, impôts... Ces abandons, contre lesquels les « gilets jaunes » ont manifesté, déchargent l'État de ses obligations en faisant reposer sur des acteurs privés ou semi-privés une mission de service public. Ils font peser une nouvelle charge sur les épaules des collectivités territoriales. Ils fragilisent un peu plus le pacte républicain et l'égalité d'accès à un service public toujours plus numérisé.

Le plan de relance présenté le 3 septembre annonce 250 millions d'euros pour accompagner l'autonomie de quatre millions de Français vers le numérique. C'est prendre acte que les 30 millions d'euros budgétés jusque-là n'étaient pas à la hauteur. Mais cela suppose que le pass numérique soit bien dimensionné et solvable, c'est-à-dire que l'offre de médiation soit suffisante et efficiente. Or nos auditions ont montré que c'était loin d'être le cas.

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Dans les temps que nous vivons, ce sujet me semble absolument essentiel socialement, économiquement et démocratiquement. C'est un enjeu pour continuer à faire société dans un monde de plus en plus numérique. Avant d'aborder les difficultés, soulignons quand même que la révolution numérique a été synonyme d'ouverture au monde, d'accès à des biens culturels, de simplicité pour une partie de nos concitoyens, y compris parmi ceux qui sont les plus en difficulté. Lorsque la Caisse d'allocations familiales (CAF), par exemple, a décidé de passer de l'actualisation physique à une actualisation en ligne, le taux de non-recours a drastiquement diminué. Le numérique est donc porteur de simplicité, de développement économique et d'ouverture au monde dès lors que l'on met les moyens et que l'on fait les efforts nécessaires.

Pour reprendre un terme d'un philosophe qui a beaucoup travaillé sur le numérique et la technologie, Bernard Stiegler, disparu il y a quelques mois, le numérique est un pharmakon. À la suite du confinement, nous avons vu sa face positive et sa face négative de manière paroxystique. D'un côté, le confinement a été supportable, parce qu'il y avait le numérique : nous avons pu continuer à travailler - le Sénat a pu continuer à exercer son rôle démocratique -, à garder des relations avec nos proches, à nous cultiver, à avoir des loisirs. De l'autre, pour tous ceux qui n'étaient pas connectés, qui ne savaient pas s'en servir ou qui n'étaient pas suffisamment équipés - je pense aux familles nombreuses dans lesquelles un seul enfant pouvait éventuellement suivre des cours en ligne -, la fracture numérique est venue se surajouter aux fractures territoriale, sociale et économique.

L'Insee estime qu'un Français sur six n'utilise pas d'ordinateur et qu'un Français sur trois manquerait de compétences basiques. Nous savons qu'une part importante de la population est laissée de côté ou se sent laissée de côté par la transformation numérique, qui, je l'ai dit, est un enjeu social et de développement économique. C'est également un enjeu territorial ; je ne reviens pas sur le sujet.

J'ajouterai que c'est un enjeu sociétal et démocratique. Le fait que certains de nos concitoyens ne puissent avoir recours à certains services basiques, qu'ils soient publics ou privés, comme la possibilité d'actualiser sa situation auprès de Pôle emploi, de télécharger une attestation de sortie pendant le confinement ou de consulter ses comptes en ligne, pose certes problème, mais, ce qui est en jeu, c'est le sentiment d'appartenance au monde, à la société. Lorsque l'on rencontre des médiateurs numériques ou des travailleurs sociaux, ils nous disent que les questions posées par les personnes accompagnées, au-delà de savoir comment créer un compte en ligne ou envoyer un mail, portent très rapidement sur les données, les fausses informations en ligne, la gestion des écrans par les parents. Outre le problème d'urgence, il y a d'abord un problème de grammaire et le sentiment de ne plus comprendre comment le monde évolue. C'est très fréquent, mais ce n'est pas une fatalité. Au demeurant, ce n'est pas grave, car le numérique ne doit pas devenir une obligation. Il est indispensable que tout ne soit pas numérique. L'essentiel est d'ouvrir les opportunités à ceux qui le veulent et à ceux qui le peuvent et, donc, de rendre disponibles et accessibles des solutions pour accompagner les Français.

Depuis deux ans, l'État déploie une Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Présentée par Mounir Mahjoubi, cette stratégie s'appuie sur trois éléments : rendre autonomes les personnes qui peuvent l'être, aider les aidants en les dotant d'outils et de structures, soutenir et augmenter les initiatives des collectivités territoriales. Pour suivre ce sujet, depuis maintenant quelques années, puisque j'étais conseiller numérique du Président de la République, il me semble que la difficulté est qu'il faut en même temps résoudre le problème et créer les conditions de sa résolution.

Heureusement, les collectivités n'ont pas attendu l'État pour s'intéresser à l'accompagnement numérique. Ce sont d'ailleurs en règle générale les agents territoriaux ou les travailleurs sociaux qui ont pris la vague. Or il n'existe pas ou peu de politique structurée sur le sujet. Chacun, de son côté, a tendance à réinventer la roue. Les partages d'informations, de bonnes pratiques, d'outils, la communication entre les personnes, tout cela n'existait pas jusqu'il y a deux ou trois ans. Avant même de dépenser de l'argent, c'est ce travail qui doit être mené. Nombre d'acteurs de l'inclusion numérique m'ont dit que, même s'ils avaient énormément d'argent, ils ne sauraient pas le dépenser aujourd'hui. La première chose a donc été de commencer à structurer cet écosystème, notamment avec la création des hubs territoriaux, financés par la Caisse des dépôts et consignations. Il y a quelques jours, j'étais avec les responsables du Nord, de l'Aquitaine et de la Savoie dont le rôle a été de commencer à identifier et à accompagner les territoires de manière localisée, l'idée étant d'en faire des têtes de réseau. Cette initiative est encouragée par l'État, mais de manière partenariale avec les collectivités territoriales. D'ailleurs, l'ensemble de la stratégie a été de travailler avec les collectivités territoriales. Il faut assumer d'entrée que c'est une politique que l'État ne sait pas mettre en place dans la granularité, le quotidien. Il n'y a que les collectivités qui peuvent le faire, en lien évidemment avec l'État, qui est là pour mettre en réseau, pour financer, pour accompagner.

Le deuxième élément sur lequel nous avons travaillé, c'est l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment celles qui sont le plus engagées sur le sujet, l'ensemble étant piloté par la mission société numérique au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Le lancement des « territoires d'actions pour un numérique inclusif » (TANI) a consisté en des choses très basiques, mais qui ont permis de beaucoup progresser. Cela a permis que les territoires se parlent afin que ce qui se fait de bien à Toulouse puisse profiter à la Drôme ou au Pas-de-Calais.

Le dernier élément de structuration, sur lequel nous avons beaucoup travaillé, est la MedNum, cette coopérative dans laquelle 80 autres têtes de réseau, qu'elles soient associatives, étatiques, institutionnelles ou liées à des collectivités territoriales, se sont engagées. Elle regroupe au total 5 000 salariés et a vocation à travailler à la standardisation des outils et à la diffusion des meilleures pratiques.

Dans un premier temps, le plus important nous a semblé être de structurer les acteurs et les outils, ce qui a d'ailleurs donné lieu à l'émergence d'événements comme Numérique en commun[s]. Tous les ans, les acteurs de l'inclusion numérique se réunissent pour partager des bonnes pratiques. C'était extrêmement important, parce que cela nous semblait indispensable de faire se parler ceux qui travaillaient sur le sujet.

Concomitamment, nous avons travaillé sur d'autres éléments. Je pense par exemple à Aidants Connect, qui vise à apporter des outils aux aidants, lesquels sont très souvent démunis et obligés de recourir au système D. Juridiquement, le règlement général sur la protection des données (RGPD) n'est pas scrupuleusement respecté, et heureusement, parce que, s'il l'était, les travailleurs sociaux ne pourraient pas remplir la fonction de médiation numérique.

Ce que nous avons voulu faire à travers le pass numérique, qui est cofinancé par l'État et les collectivités territoriales, c'est structurer cet écosystème et rendre viable un certain nombre de structures et d'initiatives. C'est évidemment au coeur de notre stratégie. Le pass numérique présente un double intérêt. Le premier, c'est d'obliger les structures à se parler. Dans le Béarn, par exemple, où je suis allé il y a quelques mois, le pass numérique a permis à la CAF, à Pôle emploi, au département, aux structures d'inclusion numérique de travailler à la mutualisation de leurs centres d'inclusion numérique et d'élaborer une stratégie commune. Cela n'aurait peut-être pas été possible sans la diffusion du pass numérique. Le second intérêt, c'est de permettre la solvabilisation d'un certain nombre d'actions, l'idée étant de faire émerger des modèles pérennes plutôt que de proposer une subvention du haut vers le bas, ce qui nous semble moins efficace.

Tout cela a abouti, dans le cadre du plan de relance, à une enveloppe de 250 millions d'euros sur deux ans. C'est un moment historique pour l'inclusion numérique, puisque le dernier plan d'investissement que j'ai eu l'honneur d'annoncer était doté de 15 millions d'euros. Nous avons donc presque multiplié par vingt l'investissement de l'État. À quoi vont servir ces 250 millions d'euros ?

Ma conviction est que le problème de l'inclusion numérique va se résoudre, non pas parce qu'il ne concerne que des personnes âgées et que, les générations passant, nous allons nous débarrasser du problème - or, comme vous le savez sans doute, les jeunes ne sont souvent pas beaucoup mieux outillés pour faire des démarches administratives en ligne -, mais parce que tout le monde y a intérêt : les banques, les opérateurs, l'État, les collectivités territoriales. D'ailleurs, la CAF, Pôle emploi, les collectivités, l'État investissent de plus en plus dans ce domaine. Cependant, il va se résoudre trop lentement. Lorsqu'on s'intéresse à la question de l'inclusion numérique, à la montée en puissance du pass, à la nécessité de ne pas attendre trop longtemps pour que les six à sept millions de Français que l'on peut former le soient - je pense qu'il faut traiter un peu différemment ceux qui ne seront jamais autonomes et ceux qui peuvent le devenir -, on se heurte systématiquement à un problème : le manque de formateurs. C'est le point de blocage majeur. Former quelqu'un, le rendre autonome, c'est-à-dire ne pas faire à sa place, c'est un métier. Bien sûr, il est indispensable de garder des accompagnants, des travailleurs sociaux, mais ce n'est pas leur rôle, à moins qu'ils n'aient été formés pour cela.

Notre idée pour flécher les 250 millions d'euros est simple : plus de formateurs et plus de lieux. Nous sommes donc en train d'y travailler avec les collectivités locales et les acteurs du secteur. J'ai réuni hier un petit groupe de travail composé de représentants de collectivités, d'associations, d'entreprises ou de régies de quartier pour voir comment déployer dans les deux ans qui viennent le plus intelligemment et le plus rapidement possible beaucoup plus de formateurs numériques. Je réunirai la semaine prochaine les associations de collectivités. Selon les estimations des professionnels du secteur, un formateur permet d'autonomiser en un an environ 500 personnes. Maintenant, il faut que ces formateurs arrivent sur le terrain et partout en France. Tout le sujet va donc être d'opérationnaliser ces éléments, là encore en partenariat avec les collectivités territoriales. J'ai bon espoir d'être un peu plus précis sur le dispositif d'ici à un mois. En tout cas, je souhaite que nous nous laissions le temps avec les collectivités de dessiner ce que seraient ces emplois sur le terrain, afin qu'ils soient le plus efficace possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Après ce propos introductif fort intéressant, j'ai trois questions.

Le pass numérique se déploie, certes, mais, comme vous l'avez souligné, dans des délais très longs. Comment peut-on toucher rapidement la trentaine de départements qui reste aujourd'hui en dehors de sa diffusion ?

Former cinq millions de Français éloignés du numérique représente en trois ans une retombée économique de 1,4 milliard d'euros. De ce fait, le financement de l'inclusion numérique ne doit-il pas être sorti du « pacte de Cahors » et être considéré comme un investissement ? Les collectivités territoriales ne sont pas toutes sur le même pied d'égalité. Encore une fois, je me fais le porte-parole des territoires ruraux, qui, pour la plupart, ont consacré des sommes importantes aux infrastructures. Quand on va leur demander de participer à l'accompagnement de l'inclusion numérique, il va quand même falloir tenir compte des disparités de moyens. Même si le plan France Très Haut Débit a prévu 50 % d'intervention de l'État, les 50 % restant seront financés par les départements et les communautés de communes.

Enfin, une partie de cet investissement de 250 millions d'euros, dont je vous remercie d'ailleurs, ne pourrait-elle pas être consacrée à l'ingénierie territoriale ? Comment articuler cet investissement avec la mission de l'ANCT, voire du Commissariat au plan ?

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Concernant le déploiement du pass numérique, votre impatience est la mienne. Je rappelle un peu l'historique. Quand le pass numérique a été décidé, je n'étais pas encore ministre. Il a été annoncé en 2018, puis il y a eu un appel d'offres auprès des collectivités. J'ai signé les conventions à la fin de l'été 2019. Le déploiement a commencé bon an mal an au début de 2020. Aujourd'hui, nous en sommes à 200 000. Le problème est que la Covid a mis tout cela sous le boisseau ; les lieux ont fermé et mettent du temps à rouvrir : il s'agit de structures qui sont souvent assez fragiles.

S'agissant de la trentaine de départements en dehors du pass numérique, un appel d'offres de 15 millions d'euros a été relancé cet été.

Je voudrais préciser un élément sur lequel, je pense, le Sénat ne me contredira pas. L'État a systématiquement fait le pari de la concertation, de la coconstruction avec les collectivités territoriales. Cela a un avantage : si vous auditionnez les collectivités qui travaillent avec nous, vous verrez qu'elles sont relativement satisfaites de la coopération avec la mission société numérique et de la manière dont la discussion se mène. Cela a un désavantage : la rapidité de déploiement. Pour le coup, celui-ci est dans la main des collectivités. Mais je ne veux pas leur jeter la pierre : même dans les endroits où cela se passe relativement bien, par exemple, dans le Nord, en Rhône-Alpes ou dans la Creuse, cela prend plusieurs mois. Cela étant, le choix initial, qui a été que cette politique soit non pas déployée par l'État, du haut, via les préfectures, mais contractualisée avec les collectivités locales, est le bon. Maintenant, il faut que les choses s'accélèrent. Je suis moi-même très impatient.

À ce stade, les 250 millions d'euros ne sont pas destinés au pass, ne serait-ce que parce que les 20 ou 25 premiers millions d'euros qui ont été apportés par l'État, qui correspondent donc à 50 millions d'euros environ, n'ont pas tous été dépensés. Les 250 millions d'euros financeront donc - je rebondis là sur le sujet de la disparité territoriale -, des postes et des lieux sans se limiter à 50 % de la quote-part, peut-être en allant jusqu'à 100 % à certains endroits pour aller vite et résoudre le problème de l'insuffisance du nombre de formateurs. Là encore, on voit une grande disparité entre les collectivités territoriales. Certaines - les Hauts-de-France, la Savoie, les Pyrénées-Atlantiques, la Creuse - ont déployé une stratégie d'inclusion numérique, identifié les publics cibles et les acteurs. D'autres n'ont même pas mené cette réflexion. Or l'État ne peut pas se substituer à elles pour déterminer les publics prioritaires, les structures sur lesquelles s'appuyer... Il n'y a que les territoires qui peuvent le faire. L'État propose 250 millions d'euros et est prêt à financer des postes à 100 %, mais il faut lui dire où. Reste qu'il ne faut pas que ces sommes servent à financer des agents d'accueil pour aider à rebrancher le wifi ; je le dis, parce que c'est du vécu.

C'est aussi une exigence pour les collectivités territoriales de se doter d'une vision sur l'inclusion numérique, qui n'est pas qu'une vision sur le déploiement de la fibre. On peut s'appuyer d'ailleurs en partie sur les syndicats mixtes de déploiement de la fibre. Pour le moment, je ne suis pas capable de vous dire comment vont se ventiler exactement les 250 millions d'euros. Nous sommes prêts à en discuter avec les collectivités. Notre volonté, c'est l'efficacité et qu'il y ait réellement des formateurs dans des lieux avec des moyens et qu'ils soient pilotés par la collectivité. La notion de péréquation est également importante. Un département comme celui de la Creuse, qui est très rural, a une vision très précise de ce qu'est l'inclusion numérique. Nous sommes prêts à l'aider. J'ajoute que tout cela doit évidemment être pensé avec des opérateurs sociaux comme Pôle emploi, la CAF, la CNAV, etc.

Concernant le « pacte de Cahors », je peux avoir mon opinion personnelle, mais vous comprendrez que je ne déroge pas à la doxa gouvernementale. Le sujet pourrait être aussi porté soit par des hubs, soit par des associations locales, soit par des tiers-lieux financés par les collectivités. L'important est que cela soit concerté et coordonné avec l'action des collectivités, le portage de tel ou tel dispositif pouvant se discuter dans des termes qui parfois ne sont pas totalement dépendants du « pacte de Cahors », surtout que c'est l'État qui paye.

Comme vous le savez, la mission société numérique fait partie de l'ANCT. C'est la mission de l'ANCT, notamment de sa mission société numérique, d'accompagner les collectivités. Nous sommes d'ailleurs en train d'augmenter ses effectifs de sept ou huit personnes à plus de quinze. L'objectif est d'améliorer la communication entre collectivités - il faut éviter de réinventer la roue à chaque fois - et de mieux les accompagner en matière d'ingénierie. Je pense que c'est au coeur de ce que doit faire l'ANCT. D'ailleurs, elle le fait plutôt bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Nous pouvons tous nous féliciter de la poursuite et de l'accélération du déploiement de la fibre optique dans le plan de relance et de l'investissement de 250 millions d'euros pour l'inclusion numérique.

Les centres sociaux, les tiers-lieux, les espaces numériques, les Fab Lab permettent globalement une meilleure inclusion, mais il y a aussi un certain nombre de carences à relever, comme celles liées à l'équipement des territoires et des familles ou les carences éducatives au sens large. Il n'y a pas de programme éducatif dédié à cette matière dans les plus petites classes. Ce serait pourtant un bon moyen de sensibilisation.

L'un des plus gros dysfonctionnements à mon avis, c'est l'ergonomie des sites, y compris des sites institutionnels. La plupart sont très anxiogènes pour ceux qui sont un peu éloignés du numérique. Les gens ont toujours peur de se tromper et de ne pas pouvoir revenir en arrière. Une partie des 250 millions d'euros pourrait donc servir à mener des actions particulières dans ce domaine. En effet, je trouve que nos institutions ne sont pas exemplaires : leurs sites sont surtout faits pour des gens qui savent et pas pour des gens qui découvrent.

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Je ne peux qu'abonder dans votre sens.

Concernant l'équipement, si l'on regarde les exemples des conseils départementaux ou des conseils régionaux, toutes sensibilités partisanes confondues, qui ont décidé d'équiper de tablettes leurs collégiens ou leurs lycéens, on s'aperçoit que c'est quasi systématiquement un très grand échec. Je ne nie pas le coût que représente l'achat d'un smartphone ou d'un ordinateur - en entrée de gamme, un ordinateur coûte 150 à 200 euros -, mais je pense que c'est le dernier maillon de la chaîne. L'ensemble des initiatives le montre : si l'équipement n'est pas accompagné d'un apprentissage des usages, par exemple par le professeur, très vite il se retrouve mis de côté, voire mis en vente sur le Bon Coin. À titre personnel, je ne suis pas fermé à une réflexion sur les tarifs sociaux pour les équipements, mais, je le répète, c'est vraiment le dernier maillon de la chaîne. Il faut d'abord améliorer la connexion et les usages. Une réflexion pourrait aussi être menée concernant la réutilisation des équipements. J'ai l'exemple d'initiatives très intéressantes qui couplent l'inclusion numérique, l'insertion par l'activité économique et des ordinateurs de seconde main. Je l'ai vu en Guyane. C'est un cercle vertueux dans lequel nous pourrions nous inscrire.

L'éducation dans les petites classes progresse. L'éducation au numérique, en règle générale, que ce soit au code et à la grammaire, est un sujet qui me préoccupe beaucoup. Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console, si je puis dire. En introduisant une heure et demie d'enseignement technique et numérique obligatoire pour tous les élèves à partir de la seconde depuis septembre 2019, Jean-Michel Blanquer a fait de la France l'un des pays, peut-être le pays de l'OCDE, qui est le plus en avance dans la généralisation de l'enseignement du numérique. D'ailleurs, cela correspond à une stratégie qui commence à irriguer les petites classes, avec un élément déclencheur, qui est la formation des professeurs. Il faudrait également en profiter pour travailler sur la mixité des métiers du numérique, mais c'est un sujet auquel se heurte l'ensemble des pays développés. Oui, nous ne sommes pas très en avance, mais nous sommes souvent moins en retard que les autres, même si nous sommes loin de la ligne d'arrivée.

L'ergonomie des sites est un sujet que je connais très bien. Cette question est aujourd'hui pilotée par Amélie de Montchalin, qui est chargée de l'ensemble de la transformation publique et numérique de l'État. Oui, nous sommes allés trop vite dans la numérisation des services publics et, surtout, nous avons oublié une partie des usagers. La disparition des numéros de téléphone a fait chuter le taux d'accessibilité, sans oublier la sémantique souvent inaccessible à une partie de nos concitoyens. Nous avons donc pris ce sujet à bras-le-corps.

Depuis plus d'un an, nous publions tous les trimestres la liste des 250 démarches administratives les plus utilisées par les Français, avec sept critères de qualité, par exemple l'accessibilité par un smartphone ou le taux de satisfaction des usagers. Cela exerce une amicale pression sur mes collègues du Gouvernement quand une démarche est dans le rouge. Ce tableau peut être consulté par tous les Français et, donc, bien évidemment, par la Représentation nationale. Oui, nous avons besoin de travailler sur la qualité de notre démarche dématérialisée. Nous avons lancé il y a à peu près un an, notamment avec la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), un chantier de réintroduction des numéros de téléphone dans les administrations. Quand quelque chose ne fonctionne pas et que l'on vous dit de vous rendre à un guichet à quarante kilomètres de chez vous, le mardi de dix heures trente à douze heures trente, c'est agaçant et cela aboutit à de la colère contre le service public.

Dans le plan de relance, il y a également 2,3 milliards d'euros prévus pour la numérisation des services de l'État, des collectivités territoriales et des TPE-PME. Soyez assuré que le Président de la République s'est engagé à ce que 100 % des démarches soient dématérialisées d'ici à 2022. Pour en avoir discuté avec lui, il a conscience que, le plus urgent, ce n'est pas ce taux de 100 %, mais la qualité des 70 % actuels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

La lutte contre l'illectronisme n'est pas une option. On a choisi en France de mettre en place des têtes de réseaux par la procédure de l'appel à projets. D'où le résultat suivant que nous connaissons tous : tout le territoire n'est pas couvert et cela prend beaucoup de temps. Or, alors que nous sommes relativement pressés, il faudra attendre le prochain appel à projets. N'aurait-il pas fallu choisir une autre méthode ? Peut-être par anticipation sur la déconcentration - le deuxième ou le premier des « 3 D » -, faudrait-il que les préfets écoutent les territoires, et s'organisent avec les collectivités locales, car il y a urgence ! Mettons ce qu'il faut sur la table pour que chacun commence en temps et en heure, afin que chacun soit prêt en temps et en heure...

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

C'est ce que nous faisons avec les 250 millions ! L'appel à projets a un grand avantage : il oblige le territoire à réfléchir à sa propre stratégie. Nous avons voulu aider certains à s'aider en leur disant : « il y a de l'argent ; on vous le donne si vous avez un projet un peu structuré ». Avec beaucoup de bienveillance, cela a permis à certains territoires de s'interroger sur ce qu'ils avaient envie de faire.

Évidemment, comme vous l'avez noté, cela ne couvre pas tout le monde et cela prend du temps...

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Oui, mais quand elle permet de faire émerger un projet, elle n'est pas mal utilisée. Les 250 millions ne seront, bien sûr, pas sans contrepartie : on veut savoir ce que les gens font, avoir un peu de crédit et pouvoir les animer et les former de la même façon.

L'idée est d'aller plus vite, justement, et de pas passer par ce mécanisme d'appel à manifestation d'intérêt systématique. Cela nécessite une bonne dialectique entre les préfets et les collectivités : ils ne doivent pas faire à leur place, mais piloter, et parfois faire preuve de volonté, lorsqu'elles ont d'autres priorités ; si elles n'ont pas de schémas d'inclusion, le préfet le fera à leur place, ce qui ne correspond pas toujours, comme vous le savez, à leur demande...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

La politique numérique n'a jamais été transférée, elle n'est pas une compétence d'une collectivité en particulier, et tout le monde en fait... Je suis loin d'être centralisateur, mais lorsqu'il faut aller vite, il est parfois plus facile, à l'image des contrats de plan, de charger le préfet d'être simplement l'animateur et pas le décideur...

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Je prends bonne note de votre proposition !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

et, en liaison avec le président de région, d'être l'initiateur de certains dispositifs.

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Vous touchez là au coeur de l'un de mes problèmes ...Je ne citerai pas de noms, mais dans certaines régions, et certains départements, dont c'est loin d'être la priorité alors que je ne pense pas que l'illectronisme soit absent de ces territoire. L'État se retrouve donc face à un cas de conscience : doit-il faire à leur place ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Vous avez reconnu que tout cela prend du temps. Pour autant, vous n'avez pas annoncé que dans le cadre d'Action publique 2022, la dématérialisation des 250 démarches les plus courantes pour les particuliers et les entreprises, qui devait être mise en oeuvre à partir de 2022 serait différée, mais vous verrez peut être, chemin faisant, comment évoluent les choses une fois que vous aurez plus de recul...

Vous avez dit que 200 000 pass ont été produits. Si le pass avait valu, non pas la 10 euros, mais 5 euros, vous n'en auriez même pas produit 50 000. Nous en avons beaucoup discuté avec certains acteurs de la médiation numérique : 10 euros, c'est relativement faible ! Ils parlent de formation low cost parce que cela nécessite des moyens humains que cette valeur du pass ne permet pas de mobiliser. Je me demande si votre estimation était bien calibrée...

Vous apprêtez-vous à étendre au territoire national le droit à la connexion à Internet, expérimenté dans trois départements, la Haute-Saône, la Marne et la Seine-Saint-Denis ?

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Les pass se présentent sous la forme de carnets de cinq ou dix tickets de 10 euros, soit 50 ou 100 euros chacun.

Certes, si dix personnes, toutes les semaines, viennent à leur session et donnent 10 euros, cela fait 100 euros par semaine, soit 500 euros au bout de cinq semaines, etc. et si plusieurs groupes font de même, cela solvabilise l'offre de médiation numérique. Bref, la difficulté est de gérer cette montée en puissance, sachant qu'au début, le pass ne suffit pas à solvabiliser un emploi. C'est pourquoi nous faisons, avec les 250 millions d'euros, un effort sur les formateurs : il faut laisser le temps au pass de se déployer...

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Exactement. Des formateurs sont déployés dans des structures qui commencent à recevoir des pass, par exemple pour 200 euros par semaine, ou par mois, et lorsque les millions de pass que nous avons payés arriveront sur le terrain, nous espérons que les mêmes structures recevront 3 000 ou 4 000 euros de pass. Nous avons besoin de temps pour que le nombre de pass solvabilise les structures : cette montée en puissance s'apparente à l'histoire de la poule et de l'oeuf...Il faut que les structures puissent payer les formateurs qui arrivent, grâce au pass, partout en France, payés par l'État, afin que les détenteurs de pass puissent être formés. Laissons le temps au pass de monter en puissance !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Une fois que ces lieux s'autofinanceront, les formateurs seront-il appelés à d'autres endroits ou sera-t-il mis fin à leur mission ?

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Aujourd'hui, on en recense 1 200 et on a un financement de 250 millions d'euros pour deux ans : on verra ce qui se passe dans deux ans.

La valeur faciale du pass...

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

a été décidée lors des expérimentations avec les acteurs de la médiation. Ce sont eux, pas l'État, qui ont choisi la valeur 10 euros, enfin en tout cas des carnets de 5 ou 10 fois.

Quant au raccordement, vous aurez noté que le plan de relance apporte 240 millions d'euros pour la couverture du territoire en fibre et que nous avons annoncé que nous travaillons notamment dans le cadre du projet de loi dit « Ddadue » de transposition des directives européennes, déjà examiné au Sénat et bientôt à l'Assemblée nationale, sur un service universel dans le cadre de la fibre. À partir de 2025, nous aurons fibré tout le territoire. À cet horizon, nous devons travailler sur cette notion de service universel, tel qu'il existe pour le téléphone ou l'électricité.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Je souhaite vous interroger sur la simplification des outils. Avez-vous rencontré, comme nous l'avons pu lors de nos auditions, des initiatives visant à simplifier l'outil, de manière à accélérer son utilisation.

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Par outils, vous entendez des smartphones ou des ordinateurs ?

Debut de section - Permalien
Cédric O, secrétaire d'État

Nous y travaillons pour les sites internet de l'administration. Nous avons embauché à cette fin des spécialistes de « l'expérience utilisateur », pour simplifier les termes et les parcours. Quant aux outils, je crains hélas qu'ils soient dans la main des fabricants, plus que de l'État...

Il y a deux questions, celle de la simplification et celle de la standardisation, qui sont en dehors du champ de l'État. Nous connaissons tous des personnes, plus ou moins âgées, qui apprennent sur un téléphone, puis changent de téléphone, et vivent un véritable enfer parce que les touches ne sont plus au même endroit. Au fond, il s'agit d'autonomiser ces personnes : ce n'est pas impossible, mais il faut leur apprendre à se servir de ces outils.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Merci beaucoup pour votre disponibilité et la qualité de vos réponses.

La réunion est close à 17 h 30.