Intervention de Thomas Rabe

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 27 janvier 2022 à 11h00
Audition de M. Thomas Rabe président-directeur général du groupe bertelsmann

Thomas Rabe, président-directeur général du groupe Bertelsmann :

Merci pour votre invitation. Né au Luxembourg, je suis de nationalité allemande, économiste de formation. J'ai 56 ans, parmi lesquels plus de trente ans d'expérience professionnelle et plus de vingt ans chez Bertelsmann, dont je suis le président-directeur général depuis dix ans, et RTL Group, que je dirige depuis trois ans.

RTL est le premier groupe européen de télévision et de radio ; via Fremantle, c'est l'un des plus importants producteurs indépendants du monde. Bertelsmann regroupe quatre métiers : les médias, les services, l'éducation et les investissements numériques. Son chiffre d'affaires en 2021 était de presque 19 milliards d'euros et il compte 140 000 employés dans plus de 50 pays. Le groupe a deux actionnaires : la fondation Bertelsmann, qui détient 80 % du capital, et la famille Mohn - descendants à la septième génération du fondateur - pour le reste. Nos valeurs essentielles sont la créativité et l'entrepreneuriat : nos managers sont des entrepreneurs avec une grande liberté de gestion ; les rédacteurs en chef sont responsables des contenus et de la ligne éditoriale de chaque média.

Depuis quelques années, je parle ouvertement de la nécessité de consolider les médias en Europe, afin d'y maintenir des groupes forts qui investissent dans les contenus et l'information indépendante pour les audiences locales et nationales. La consommation des médias, surtout en vidéo, est en hausse dans le monde entier. Malheureusement, la consommation de télévision traditionnelle est en baisse. Entre 2012 et 2019, la durée d'écoute de la télévision linéaire a baissé de 21 % en France chez les 25-49 ans, de 45 % chez les 15-24 ans. Le gagnant, c'est la vidéo en ligne, dominée par les groupes américains et maintenant chinois avec TikTok. Cette tendance n'est pas un phénomène français, mais global.

Il est donc impératif pour les opérateurs historiques d'investir dans la vidéo en ligne financée par la publicité ou les abonnements. Ils doivent y faire face aux géants américains - Google avec YouTube, Facebook et Instagram, Netflix, Amazon Prime et Disney - qui représentent une nouvelle dimension concurrentielle. Leurs capitalisations boursières sont volatiles, mais impressionnantes. Selon le Financial Times, les huit plus grands groupes de médias américains vont investir cette année plus de 100 milliards de dollars dans les contenus, dans ce qu'ils appellent la « guerre du streaming ». Leur position de marché est impressionnante : Netflix a 220 millions d'abonnés dans le monde, Amazon Prime 200 millions, Disney 118 millions ; Facebook a presque 2 milliards d'utilisateurs quotidiens, YouTube 1,8 milliard. Google et Facebook, désormais renommé Meta, captent plus de 70 % des recettes publicitaires numériques et toute la croissance. Alphabet, qui englobe Google, a généré au troisième trimestre 2021 65 milliards de dollars de chiffre d'affaires, dont 53 milliards de publicité, ce qui correspond à un taux de croissance de 41 % ; le chiffre d'affaires de Facebook est de 28 milliards de dollars, soit 33 % de croissance.

Les opérateurs historiques se trouvent en concurrence directe avec ces géants dans toutes les dimensions : consommation et production de contenus, talents et métiers, publicité et abonnements. Pour y faire face, il est impératif de former de grands groupes de médias et de travailler ensemble à l'échelle européenne.

C'est bien pourquoi nous avons proposé à Bouygues un rapprochement entre TF1 et M6. Nous avons vite constaté que Bouygues partageait notre analyse et notre vision stratégique. Nous nous sommes donc mis d'accord sur un projet ambitieux. Nous avons accepté que Bouygues soit l'actionnaire de référence du nouveau groupe, avec un contrôle exclusif ; nous en serons le deuxième actionnaire.

L'alternative aurait été de vendre M6. Nous avions reçu plusieurs offres intéressantes, mais nous sommes convaincus de l'intérêt, et même de la nécessité, du rapprochement avec TF1, dans l'intérêt du secteur audiovisuel français.

Les objectifs stratégiques du projet sont de former un groupe en position forte pour faire face à la concurrence des géants du numérique, d'investir dans des contenus, surtout français, accessibles à tous, dans une offre française de vidéo par abonnement, et dans une information indépendante et de qualité. Nous poursuivons la même stratégie dans d'autres pays, tels que les Pays-Bas, avec le rapprochement entre RTL et TALPA, la Belgique, avec la cession de RTL aux groupes Rossel et DPG Media, et l'Allemagne, avec la fusion entre RTL et Grunen + Jahr ; je suis en outre convaincu que RTL et ProSiebenSat.1 Media, les deux premiers groupes audiovisuels du pays, vont se rapprocher si les opérations actuelles en France et aux Pays-Bas se réalisent dans des conditions acceptables.

L'information est un élément essentiel de tous les programmes de radio et de télévision de RTL Group. En Allemagne, le groupe emploie plus de 1 500 journalistes, soit presque autant que le New York Times, et continue à embaucher. En Hongrie, les programmes de notre chaîne M-RTL sont la seule source d'information indépendante du pays. Les rédacteurs en chef sont partout responsables des contenus ; Bertelsmann et moi-même n'intervenons pas dans la ligne éditoriale. Le groupe RTL propose une information indépendante et de qualité ; cette indépendance est durable.

Dans le cadre du rapprochement entre TF1 et M6, les rédactions resteront indépendantes et les lignes éditoriales ne changeront pas. L'intention est de maintenir l'identité des différentes chaînes et programmes.

Les sources d'information se multiplient, sa diversité s'accroît, notamment au travers des réseaux sociaux. Les offres numériques par abonnement sont de plus en plus rentables. L'analyse qu'on peut faire de la concentration dépend du marché que l'on définit. Dans ma définition du marché de total video, il y a de plus en plus de concurrence et de diversité, donc moins de concentration, notamment du fait de l'arrivée des groupes américains. Les États-Unis ont eux-mêmes connu une vague d'intégration verticale qui se poursuit, comme en témoigne l'achat projeté d'Activision Blizzard par Microsoft. La raison stratégique principale de cette intégration verticale est le lancement de plateformes mondiales de streaming dotées de contenus exclusifs. Il est par conséquent de plus en plus difficile pour nous d'accéder aux productions américaines, ce qui nécessite d'investir plus dans les productions locales, ce qui est somme toute une très bonne nouvelle pour les producteurs européens comme nous.

La consolidation des opérateurs nationaux est impérative pour les préserver. Leur taille leur permettra de conserver une place importante dans le monde audiovisuel, mais en aucun cas une position dominante.

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