Merci pour ces questions, qui me permettront d'entrer dans le détail. Le Fonds pour une presse libre est un fonds de dotation, une structure à but non lucratif reconnue d'intérêt général et régie par la loi de 2008 sur la modernisation de l'économie.
Nos sources de financement ne peuvent pas être publiques. La loi l'interdit. Nous nous sommes renseignés auprès de la préfecture, car nous devons dialoguer avec elle et lui rendre compte. Nous avons demandé si nous pouvions accéder à des fonds européens publics, pour les grands appels d'offres lancés par exemple par la DG Communication, à Bruxelles. Cela nous est interdit. Nous fonctionnons exclusivement sur des donations privées.
A ce jour, nous avons collecté environ 400 000 euros en deux ans. Cette somme n'est pas énorme mais reste conséquente. Elle repose essentiellement sur des dons privés. Par souci de transparence vis-à-vis de notre public, nous avons décidé de publier l'identité de tous les donateurs supérieurs à 5 000 euros. Cette information figure dans notre rapport d'activité annuel, qui est rendu public, sur notre site. Ces donateurs sont toutes les personnes intéressées par les questions de liberté de la presse.
Les sources de financement sont donc des sources privées. Nous avons lancé par exemple une collecte participative et citoyenne sur la plate-forme de collecte KissKissBankBank à la fin du mois d'octobre, qui nous a permis de collecter 160 000 euros. Vous pouvez alors voir combien la question est sensible. Un peu plus de 2 500 personnes ont participé à cette collecte, pour des dons allant de 5 à 2 000, 3 000 ou 4 000 euros. Toutes les situations possibles se mêlent. Quand ils nous soutiennent, les internautes nous envoient des messages. C'est l'occasion de mesurer combien est grande la défiance et la méfiance, voire le rejet du système médiatique dominant, qui est considéré comme corrompu ou plutôt abîmé, du fait de ses liens de dépendance avec des grands groupes industriels.
C'est ainsi que nous fonctionnons. Nous tenterons évidemment d'accroître ces financements et de les diversifier, en faisant appel à d'autres fondations, comme des fondations européennes, qui sont très sensibilisées sur les questions de liberté de la presse et de développement d'une presse indépendante.
Notre budget atteint environ 300 000 euros depuis deux ans. Il nous permet d'accorder chaque année un peu plus de 200 000 euros à des médias indépendants, via des appels à projets. Nous avons aussi des frais de fonctionnement. Nous comptons une seule employée à temps plein, notre directrice exécutive, Charlotte Clavreul, ici présente. Les autres participants au Fonds sont bénévoles, ce à quoi nous oblige d'ailleurs la loi.
Vous m'interrogez par ailleurs sur les critères d'investissement ou d'attribution des subventions. Outre le Conseil d'administration du Fonds, la loi nous oblige à constituer un Conseil stratégique. Il est chargé d'évaluer les investissements réalisés par le Fonds. Nous avons tenu à ce que ce Conseil stratégique regroupe des professionnels expérimentés, entrepreneurs de presse comme Maurice Botbol, directeur d'Indigo Publications, Edmond Espanel, directeur général de Brief.me ou Karen Bastien, cofondatrice de l'agence web WeDoData. Nous y avons associé des universitaires et des chercheurs, comme Valérie Jeanne-Perrier, qui dirige l'École de journalisme du CELSA, ou Nikos Smyrnaios, universitaire spécialisé sur les questions de presse à l'Université de Toulouse. S'y ajoutent des journalistes professionnels pointus, comme Lisa Castelly, journaliste et actionnaire associée de Marsactu, et Audrey Bree-Williamson, qui est une spécialiste de projets techniques fort complexes comme les développements d'applications et qui est salariée de Mediapart.
Nous nous inscrivons donc dans une diversité de savoirs professionnels et d'appartenance à des médias indépendants. Ce sont eux qui décident, évidemment après discussion. Nous ne débattons pas de priorités données à l'investigation, à des colorations éditoriales ou à certains engagements. Notre ambition, avec le peu d'argent que nous avons (qui peut tout de même servir à franchir certaines marches), est d'aider des titres très fragiles à passer un cap dans la construction de leur modèle éditorial. Ainsi, nous avons soutenu le projet d'un tout jeune site d'information, très brillant, mais qui n'a aucun moyen. Nous l'avons soutenu - ça peut paraître ridicule - à hauteur de 17 000 ou 18 000 euros, simplement pour bâtir une newsletter efficace permettant de faire l'aller-retour avec ses lecteurs et abonnés, grâce au branchement d'un outil marketing permettant de les avertir. C'est avec des petites solutions de ce genre qu'il est possible de fidéliser un lectorat et de gagner 500 ou 600 abonnés, ce qui est déjà un cap important.
Nous avons également aidé Orient XXI, site exceptionnel d'information, de reportage et d'analyse sur les sociétés proche et moyen-orientales. Ce site, publié en français et en arabe, a voulu développer une traduction italienne, car il s'agit d'un marché important. Nous les avons aidés pour développer l'organisation de leur traduction.
Nous avons de surcroît aidé la Revue Far Ouest, site d'information régionale en Nouvelle-Aquitaine, qui tenait à éditer un mook, c'est-à-dire un beau produit papier, deux fois par an, pour les faire connaître d'un public différent. Ce premier mook a très bien marché. Il leur a apporté du chiffre d'affaires, de la notoriété et un nouveau public.
Radio Parleur est le dernier exemple que je souhaite évoquer. Ce site produit essentiellement de l'audio, sous forme de podcasts. Il a nourri un projet sur les nouvelles dynamiques dans notre société, pas seulement les mobilisations sociales, mais aussi des sujets plus divers. Ils avaient besoin d'un budget pour mettre en place une base technique améliorée et payer correctement leurs journalistes. Nous avons soutenu ce projet.
Actuellement, un appel d'offres de 100 000 euros est en cours, via un appel à projets. La clôture des candidatures se situe au 25 février. Nous n'avons pas proposé uniquement de la subvention, mais une mécanique d'avance remboursable, ce qui permet de débloquer des sommes plus importantes, jusqu'à 50 000 euros. Comme ils n'ont pas accès au crédit bancaire et que les procédures des aides publiques sont extrêmement lourdes, l'avance remboursable permet de disposer de deux ans de franchise complète, sans avoir à apporter de garantie. Quand le projet le mérite, l'acteur dispose de quelques années pour travailler, puis le Fonds récupère l'argent pour le réinvestir dans d'autres projets. L'enjeu n'est pas de se soucier du positionnement ou de l'engagement politique, mais de construire du journalisme pérenne. C'est une grande ambition, que nous ne pourrons pas mener complètement avec nos moyens. En tout cas, cela permet de bénéficier d'une respiration de deux ans. Sept médias ont déjà été soutenus. Ce nouvel appel d'offres permettra d'en soutenir encore trois ou quatre. Nous sommes donc satisfaits, même si l'échelle reste petite.