Commission d'enquête Concentration dans les médias

Réunion du 28 janvier 2022 à 10h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Laurent Lafon

Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Maxime Saada, président du directoire de Canal+.

Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.

Monsieur Saada, vous êtes entré en 2004 dans le groupe Canal+ comme directeur de la stratégie. En 2016, vous êtes nommé directeur général, puis, en avril 2018, président du directoire. Vous avez donc participé, aux premières loges, aux évolutions du groupe, notamment le lancement de la chaîne d'information ITélé en 2005, l'arrivée de Vincent Bolloré à la tête de Vivendi en 2014 et les nombreux soubresauts des droits sportifs. Je me rappelle également vos propos directs et francs en juin 2018 devant la commission de la culture sur le sort de CanalPlay. Vous aviez alors estimé que la décision de l'Autorité de la concurrence prise lors de la fusion avec TPS avait littéralement achevé CanalPlay et ouvert la voie au succès colossal des plateformes de Netflix et d'Amazon.

Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je commencerai par rappeler brièvement mon parcours.

J'ai débuté ma carrière dans la fonction publique en 1994 à l'antenne nord-américaine de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), au sein de laquelle j'étais chargé de favoriser les investissements industriels américains en France. J'ai rejoint cinq ans plus tard le cabinet de conseil McKinsey, avant d'intégrer le groupe Canal+ en 2004, dans lequel j'ai occupé successivement neuf postes, de directeur de la stratégie à directeur des programmes, en passant par la direction commerciale ou la direction des sports. J'ai été nommé directeur général du groupe en 2015, puis président du directoire en 2018. J'ai donc la responsabilité de l'ensemble des activités du groupe Canal+, celles de télévisions payantes et gratuites en France et à l'international, ainsi que celles de Studiocanal, notre studio européen de production et de distribution de films et de séries. C'est à ce titre que je m'exprime devant vous aujourd'hui.

Au cours de mes dix-huit dernières années chez Canal+, le marché s'est transformé en profondeur, notamment sous l'effet du développement d'Internet et de l'émergence d'opérateurs systémiques internationaux. J'ai eu l'occasion de m'exprimer directement devant vous en 2016 : qu'est-ce-qui a changé pour le groupe Canal+ depuis ? Toutes les dynamiques se sont accélérées. Le marché de la vidéo par abonnement est aujourd'hui dominé par des plateformes américaines mondialisées qui disposent de plusieurs centaines de millions d'abonnés à travers le monde. Cette taille leur permet d'investir massivement dans les contenus : Disney investira 33 milliards de dollars cette année et Netflix 19 milliards. La croissance de ces chiffres est quasiment exponentielle. Ces investissements ne sont d'ailleurs pas exclusivement consacrés à la production de contenus. Ils sont parfois utilisés pour verrouiller l'accès à des talents ou à des propriétés intellectuelles. Les contenus américains captent l'essentiel de ces investissements, puisqu'ils sont considérés comme les plus exportables. L'hégémonie culturelle américaine s'est donc largement renforcée à travers le monde, notamment en France. Vous trouverez, par exemple, seulement un contenu français dans le Top 10 des contenus les plus regardés en France sur Netflix en 2021. Pour le cinéma, en 2019 - dernière année non impactée par la crise sanitaire -, sur les quinze films ayant réalisé le plus d'entrées en France, treize étaient américains.

Dans le même temps, les studios américains ont engagé à leur tour une stratégie consistant à lancer directement leur plateforme. C'est le cas de Disney, Warner, Paramount et Universal. Ils ont dorénavant tous un lien direct avec le consommateur final et sont tous à la recherche d'une taille critique. Une vague de consolidation s'est donc enclenchée comme en témoignent les récentes acquisitions de Warner par Discovery, de MGM par Amazon ou encore de Fox par Disney.

Aujourd'hui, six acteurs américains se partagent l'essentiel du marché de la vidéo payante dans le monde et nous concurrencent sur tous nos marchés. Canal+ fait figure de challenger, y compris sur son marché d'origine, la France. Notre groupe est en effet le seul et unique fleuron européen indépendant depuis le rachat de Sky par l'américain Comcast en 2018.

Ce contexte de l'hégémonie culturelle américaine aurait pu nous faire peur ; il nous a motivés, car nous y avons vu une opportunité de marché en proposant une offre différenciante fondée sur les cultures française et européenne. C'est au service de cette ambition que le groupe Canal+ s'est complètement réinventé depuis nos derniers échanges en 2016.

En France, où les chaînes Canal+ ont perdu 452 millions d'euros sur la période 2014-2015, nous avons entamé un plan d'économies de plus de 2 milliards d'euros. Nous avons ainsi pu investir massivement dans la création, diviser par deux le prix d'accès à Canal+ pour retrouver de la compétitivité, lancer de nouvelles offres digitales à moins de 10 euros pour séduire les plus jeunes, et transformer le modèle de Canal+ en distributeur d'applications avec l'agrégation successive de Netflix, Disney+ et StarzPlay.

Surtout, le groupe Canal+ s'est internationalisé. La vidéo par abonnement est un marché de coûts fixes. Il y a donc un enjeu de taille critique pour l'ensemble des acteurs, afin de mieux amortir ces coûts. Plus un opérateur a d'abonnés, moins le prix de revient par abonné d'une série ou d'un film est important. Par exemple, The Irishman de Martin Scorsese, diffusé sur Netflix, a coûté 150 millions de dollars. Pour Netflix, qui enregistre 22 millions d'abonnés, cela revient à 60 centimes par abonné. Pour Canal+, ce montant atteindrait 6,20 euros par abonné. Cela explique pourquoi les plateformes américaines se sont mondialisées.

Ce défi de la taille, le groupe Canal+ l'a en partie relevé depuis 2016. Nous avons doublé le nombre de nos abonnés en cinq ans, passant de 11 millions en 2015 à près de 22 millions en 2020, et ce dans plus de quarante pays à travers le monde. Plus de 13 millions d'abonnés se situent désormais hors de France. Nous avons doublé leur nombre en Europe, triplé en Afrique, et largement franchi la barre du million en Asie.

Nous nous sommes également digitalisés avec notre application myCanal. Nous investissons chaque année plus de 100 millions d'euros dans le développement de cet actif technologique clé, et l'avons déployé dans une grande partie de nos territoires à travers le monde.

Enfin, nous avons renforcé nos investissements dans les contenus, le coeur du réacteur, comme en témoigne la montée en puissance de StudioCanal, qui produit et distribue chaque année dans le monde une trentaine de films, anglais, allemands, mais aussi les plus grands succès du cinéma français, dont Bac Nord, Boîte Noire et De son vivant, succès publics et critiques avec 13 nominations aux César 2022. StudioCanal s'est aussi renforcé dans les séries avec une trentaine de fictions produites et distribuées chaque année, et ce grâce à nos neuf sociétés de production européennes, en France, mais aussi au Royaume-Uni, en Espagne, en Pologne, en Allemagne et au Danemark.

Nous développons également de plus en plus de fictions d'ambition internationale, le plus souvent ancrées en France comme Versailles, Baron noir, Validé ou encore Hippocrate. Ces séries sont en grande majorité produites par des sociétés indépendantes. A titre d'exemple, une seule création originale a été produite en France par StudioCanal en 2021 sur les 9 que nous avons diffusées.

Nos investissements dans le sport ont aussi fortement augmenté ces dernières années. Le renouvellement du Top 14 jusqu'en 2027 en est l'une des dernières illustrations. Canal+ est devenu en 2021 le premier diffuseur mondial de la Ligue des champions.

Enfin, notre nouvel accord avec les organisations du cinéma en France prévoit un investissement minimum de Canal+ dans le cinéma français et européen de plus de 600 millions d'euros sur les trois prochaines années.

Au total, nous aurons investi 3,4 milliards d'euros dans la création et les contenus en 2021.

Je souligne que ce projet économique est rentable et rationnel. Notre résultat opérationnel est passé de 281 millions d'euros en 2016 à 477 millions d'euros en 2020. Ces résultats sont quasi exclusivement portés par nos activités à l'international.

Au moins aussi important, la satisfaction de nos abonnés n'a jamais été aussi élevée au cours de ces cinq dernières années. L'image de Canal+ s'est considérablement renforcée, puisque c'est la seule marque française du classement Brand Finance 2021 des marques médias mondiales les plus valorisées. De plus, le groupe a été élu pour la troisième année consécutive « entreprise préférée des étudiants et jeunes diplômés » dans la catégorie Médias en France.

Cette excellence opérationnelle nous a permis d'obtenir la confiance et le soutien total de notre actionnaire. Vivendi nous a ainsi accompagnés dans notre développement en nous soutenant sur plusieurs investissements majeurs : l'acquisition, pour plus de 1 milliard d'euros, du groupe M7, opérateur de télévision payante dans sept pays d'Europe de l'Est ; celle - plus récente - de SPI International, éditeur de chaînes de cinéma dans trente pays. En outre, nous sommes devenus le premier actionnaire de MultiChoice, le leader de la télévision payante en Afrique anglophone et lusophone.

Malgré tout cela, notre position reste marginale au niveau mondial. Sur le marché de la vidéo par abonnement, nos 22 millions d'abonnés sont à comparer aux 222 millions de Netflix, aux plus de 200 millions d'Amazon et aux 118 millions de Disney+. En 2020, nous avons certes réussi l'exploit d'enregistrer une croissance nette de parc de 260 000 abonnés en France, quand Netflix en gagnait 2 millions !

En regardant ces équilibres concurrentiels, je me demande simplement si la concentration en France est le coeur du sujet. J'ai pu constater que le dispositif anticoncentration domestique, utilisé à plein, était jusqu'à présent efficace pour réguler les consolidations dans les médias. Nous avons nous-mêmes été régulés sur l'ensemble de nos métiers pour l'acquisition de TPS pendant plus de treize ans, et certains engagements perdurent même jusqu'en 2024 pour les Outre-mer, soit dix-sept ans après la fusion.

Par ailleurs, force est de constater, comme l'a fait Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), que le marché français est moins concentré que par le passé. En télévision, nous sommes ainsi passés de trois chaînes publiques dans les années 1980 à 30 chaînes nationales aujourd'hui sur la télévision numérique terrestre (TNT) et 230 sur les autres modes de diffusion.

Toutes les voix s'expriment aujourd'hui en France, et ce plus que jamais. Une fois ce constat effectué, reste une question importante : peut-on trouver des modèles, créer des ensembles qui coexistent avec les géants mondiaux ? Je suis convaincu que nous en avons la capacité. Les acteurs français sont bien leaders mondiaux du luxe, de l'aéronautique ou des cosmétiques. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour la culture ? Vivendi et Canal+ sont prêts à relever ce défi. Canal+ est présent dans plus de cinquante pays. J'ai annoncé récemment un objectif de 30 millions d'abonnés minimum d'ici à 2025. Nous avons fait la démonstration que des contenus européens pouvaient connaître un énorme succès à l'international, avec, entre autres, Le Bureau des légendes ou Paddington.

Mais il ne faut pas nous entraver davantage. Il existe déjà beaucoup d'asymétries avec les acteurs globaux : des écarts de puissance financière bien sûr, mais surtout des asymétries normatives qui sont liées aux obligations tant dans l'investissement en faveur de la création que dans la diffusion. Les géants bénéficient, de par leur taille et leur plasticité, d'une capacité à se développer mondialement de façon opportuniste, en laissant les contraintes éventuelles dans tel ou tel pays. Il existe aujourd'hui beaucoup de freins à l'internationalisation des acteurs français, à commencer par la non-détention des droits des oeuvres audiovisuelles qu'ils financent presque en intégralité.

Nous n'avons pas les mêmes moyens, et nous ne jouons pas avec les règles similaires. Le risque est qu'en traitant une hypothétique concentration nationale nous rendions plus complexe encore le développement de nos fleurons nationaux à l'étranger.

Je le redis, la culture française est un atout majeur. Elle fascine le monde entier. Il s'agit d'une chance que nous avons décidé de saisir, et, forts de nos succès récents, une aventure qui nous anime et nous porte au sein de Canal+.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Merci de nous avoir exposé votre parcours et les résultats de votre groupe, en particulier dans le domaine de la vidéo et du cinéma. Tout le monde sait qu'en France notamment le cinéma repose à moitié sur Canal+. La commission de la culture est très attentive à ce que cet investissement qui est à la base même de votre création et les droits que vous avez acquis grâce à cet engagement puissent perdurer.

Ce sujet de la concentration se subdivise en deux volets. La concentration économique est la direction que vous avez choisie pour faire face aux grandes plateformes dans un marché mondialisé. Vous prouvez avec le développement de votre groupe qu'il est possible, sans leur ressembler, de vivre et d'engranger des bénéfices. Néanmoins, ce modèle présente des inconvénients. Il nécessite des investissements financiers importants pour la production et la distribution de contenus, ainsi qu'une diversité de l'offre. Ce pluralisme par rapport à d'autres pays est essentiel, notamment concernant l'information. Or des groupes géants verticaux possèdent de nombreux médias : radiotélévisés, publicitaires ou écrits. Cela risquerait d'atteindre la pluralité et la diversité de l'information. Pourriez-vous vous exprimer à ce sujet ?

Comme nous nous y employons pour tous les groupes, nous avons auditionné votre « propriétaire » on va dire, M. Vincent Bolloré. Il a déclaré qu'il n'intervenait dans rien et il vous a cité parmi les personnes compétentes. Nous attendons des réponses à cet égard.

Par ailleurs, vous n'avez même pas évoqué CNews, qui est l'une des chaînes de votre groupe et se trouve au coeur de l'attention de tous.

Voici les termes de la convention que vous avez conclue avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) :

« L'éditeur assure le pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion, notamment dans le cadre des recommandations formulées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en particulier de la délibération relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision....

« L'éditeur veille dans ses programmes : à ne pas inciter à des pratiques ou comportements dangereux, délinquants ou inciviques ; à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public ; à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race ou de l'origine, du sexe, de l'orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité ; à promouvoir les valeurs d'intégration et de solidarité qui sont celles de la République et à lutter contre les discriminations... »

Vous savez par des mises en demeure et des mises en garde nombreuses dont vous avez le record avec CNews, que beaucoup voient, notamment avec la façon dont a été mis sur orbite le candidat M. Zemmour et par des témoignages et faits relatés par la presse, qu'il y a une volonté d'en faire une chaîne d'opinion. Or votre convention interdit ou écarte cette possibilité. Que répondez-vous à cela ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier de vos propos sur le cinéma. Lors de l'audition de 2016, vous aviez exprimé des inquiétudes concernant un retrait possible de Canal+. En dépit d'efforts de certains et de ce que nous considérons être un quasi-favoritisme des plateformes américaines parfois par le Gouvernement, nous avons démontré notre attachement au cinéma français. Pour ce faire, nous avons mis en oeuvre un investissement supérieur à tous les précédents. Nous sommes le seul acteur, je le redis, à avoir des engagements en faveur de la diversité culturelle : avec les 200 millions d'euros que nous investirons par an, ce sera plus de 170 millions d'euros pour Canal+, plus de la moitié des films de la diversité à moins de 4 millions d'euros et plus d'un tiers des premiers ou deuxièmes films, dont beaucoup ne sont soutenus par aucune chaîne hertzienne et qui n'existeraient pas sans Canal+.

Je n'ai pas mentionné CNews pour éviter une énumération fastidieuse de toutes les chaînes, notamment payantes. Et cette chaîne ne représente que 0,4 % du chiffre d'affaires du groupe Canal+. Je suis d'abord un gestionnaire et consacre l'essentiel de mon temps aux sujets qui ont le plus d'impact économique sur le groupe Canal+.

On ne peut pas reprocher au CSA de ne pas s'occuper de CNews, avec des mises en demeure préventives, inédites, sur le temps de parole avant même que les périodes ne soient écoulées - c'était une première ! Au 31 décembre, nous avions parfaitement respecté les temps de parole. Je le rappelle, car à côté des faits rapportés dans la presse, je regarde la réalité des choses. Et au 31 décembre nous avions respecté les temps de parole, en dépit de cette mise en demeure inédite et préventive.

Je profite de cette occasion pour vous transmettre le relevé de l'Autorité de régulation concernant les temps de parole sur la période du 1er janvier au 16 janvier 2022 : 6 h 49 pour Emmanuel Macron et ses soutiens sur CNews ; c'est plus que BFM TV - 5 h 20 - ; c'est trois fois plus que France Info, avec 2 h 29. Seule Valérie Pécresse est en meilleure position sur CNews sur cette période. Jean-Luc Mélenchon est troisième, avec 6 h 23. Et Éric Zemmour est quatrième - 5 h 09 -, soit moins que sur BFM TV - 6 h 19 - et à peu près le même temps que LCI sur la période ; en temps d'antenne sur Eric Zemmour, avec 10 h 46, LCI est loin devant CNews - 8 h 42 - et BFM TV - 7 h 46.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

J'ai aussi parlé de la période du 31 décembre qui s'est écoulée à la fin de l'année dernière et sur laquelle nous avions fait l'objet d'une mise en demeure préventive. Nous avons systématiquement respecté le temps de parole. On nous a jugés avant que la période ne soit écoulée - je le répète : c'est une première ! De la même façon que le CSA nous a indiqué que les temps de parole au cours de la nuit posaient problème, alors que c'était une pratique courante dans toutes les chaînes d'information, il n'y avait pas de règles sur ce sujet-là, nous nous sommes conformés aux nouvelles normes. Toutefois, il est compliqué d'appliquer des règles avant même que la période ne soit écoulée. Sur la question de savoir si CNews respecte sa convention- et clairement j'indique que oui, il me semble que l'on ne peut pas taxer le CSA de laxisme eu égard au temps qu'il a passé devant les antennes de CNews. S'il avait eu quelque chose à nous reprocher, il l'aurait fait !

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je m'interroge sur le rôle de Havas et de la publicité, qui présente un intérêt en raison de ses liens avec l'édition. Vous ne pouvez pas réduire la convention que je viens de lire au respect du temps d'antenne politique très réglementé. À partir du 1er janvier, la période de campagne présidentielle commence et les obligations sont très précises, on ne peut pas faire n'importe quoi. Je vous ai posé une question très claire : chaîne d'opinion ou pas chaîne d'opinion ? Tout ce qui est fait depuis un bon bout de temps sur CNews, tous les choix concernant les débatteurs, les thématiques ou les éditoriaux retenus sur CNews, démontrent un affichage revendiqué de ceux qui animent les émissions, et le caractère des invités, qui n'avaient pas leur place sur les plateaux de télévision parce que le négationnisme et les théories racistes n'ont pas leur place sur des chaînes recevant un agrément du CSA. Vous ne pouvez réduire la convention que je viens de lire en répondant que le temps d'antenne des politiques à la veille de l'élection présidentielle est respecté. Concrètement cela se fait-il tout seul ? M. Bolloré vous demande-t-il de favoriser cela ou est-ce vous qui intervenez sur le contenu éditorial pour favoriser l'émergence d'une chaîne d'opinion et de plus en plus d'idées extrêmes et dangereuses pour la République ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Nous n'avons jamais - je dis bien : jamais - manqué à nos obligations concernant le temps de parole. Nous avons toujours respecté cette règle sur toutes les périodes écoulées, et pas seulement sur la dernière quinzaine qui concentre toute votre attention.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pouvez-vous répondre à ma question : chaîne d'opinion ou pas chaîne d'opinion ? Tous les observateurs considèrent qu'il s'agit d'une chaîne d'opinion « éditorialisée ».

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Vous avez indiqué vous-même lors de l'audition de Thomas Bauder que vous ne regardiez pas CNews. Donc, je me fie aux observateurs qui la regardent. Pour moi, CNews n'est pas une chaîne d'opinion. Elle enregistrait 33 millions d'euros de déficit en 2016. Pourquoi ? Car nous avons le record du monde de chaînes d'informations gratuites, avec un passage de LCI en clair dont on ne s'explique pas complètement la nécessité et la création de la chaîne franceinfo après. À cela s'ajoutent toutes les chaînes où l'information est reprise, ce qui aggrave le déficit de CNews. Je ne suis pas un idéologue, mais un gestionnaire - je pense que c'est pour cela que Vincent Bolloré m'a recruté. Or un déficit de 33 millions ce n'est pas possible dans la durée. Où sont la diversité et le pluralisme si toutes les chaînes d'informations privées disparaissent ? La situation était la même pour LCI, avec 32 millions de pertes.

Comment résorber ce déficit ? En se différenciant sur un marché pléthorique. BFM TV, seule chaîne d'information privée rentable, se positionne sur les breaking news. Son travail est remarquable et je n'ai absolument pas de critique à porter sur cette chaîne, mais ce créneau est trop coûteux pour nous. Pour se différencier, notre logique est celle de la durée d'écoute car nous ne pouvons pas faire du breaking news et de l'information brute aussi clairement que BFM, pour capter les téléspectateurs et générer du revenu publicitaire.

A partir de là, nous sommes partis sur une notion de débat qui est la réalité du positionnement éditorial de la chaîne aujourd'hui. Vous dites que c'est une chaîne d'opinion : je réponds clairement que non et que c'est une chaîne de débats où toutes les opinions ont vocation à s'exprimer. C'est pour cela que le succès de CNews est arrivé : parce qu'il y a des opinions qui se sont retrouvées sur cette chaîne, parce qu'elles y étaient exprimées et qu'elles ne l'étaient potentiellement pas ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Votre stratégie apparaît claire : en tant que gestionnaire, vous désirez accroître la part d'audience de la chaîne.

Le comité d'éthique de Canal+ a émis des réserves sur l'émission « Face à l'info » demandant la présence d'un contradicteur face à Éric Zemmour. Pourquoi n'avez-vous pas suivi sa recommandation ? Qui est à l'origine de la décision ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Si vous interrogez chacun des membres du comité d'éthique, il vous le dira - en tout cas il l'a dit à nous et au CSA - que nos relations sont fréquentes. Ils nous ont indiqué eux-mêmes en discutant et en échangeant avec des membres d'autres comités d'éthique, qu'ils avaient le sentiment d'être le comité d'éthique le plus sollicité et le plus actif à Paris. Ils nous ont fait un certain nombre de recommandations. La première était d'introduire du différé et nous avons suivi cette recommandation. Il y a donc bien une recommandation qui a été suivie. Honnêtement je n'ai pas le souvenir d'une recommandation qui n'a pas été suivie sur la contradiction, d'autant que nous considérons précisément qu'il y a eu systématiquement contradiction en face d'Éric Zemmour. Avec de nombreux ministres, des intellectuels de tout rangs, des politiques de tous les horizons, des chefs d'entreprise. Donc je ne me souviens pas que l'on n'ait pas suivi de recommandations là-dessus. En tout cas pour nous, la contradiction existe. Et pour répondre à votre question, c'est moi qui prends ces deux décisions et en l'occurrence, c'est moi qui l'ai prise. »

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous estimez que CNews n'est pas une chaîne d'opinion et ne relève pas d'une chaîne d'information, mais de débat. Pourtant, le CSA vous a octroyé un agrément de chaîne d'information. Vous liez la question du pluralisme à votre statut de gestionnaire. Vous parlez de public et de rentabilité pour justifier le choix du trash en termes d'idées car cela permet de faire de l'audimat. Mais, en France, les opinions racistes et négationnistes, à l'origine de millions de morts, n'ont pas leur place sur un plateau. Lorsque des militaires publient une tribune contestable dans Valeurs actuelles, vous sélectionnez des invités qui s'y montrent favorables à 90 % ! En ce qui concerne votre propre responsabilité, vous ne m'avez pas répondu, et je note qu'après M. Bolloré qui disait que c'était vous qui saviez, vous bottez en touche. Alors que tout le monde sait que votre chaîne d'information est très connotée d'un point de vue idéologique, comme aucune autre chaîne d'information, qui chacune a ses tendances dans la manière de traiter l'information. Or il n'existe pas aujourd'hui dans les conventions avec le CSA/Arcom la possibilité d'avoir des chaînes d'opinion et c'est bien comme cela.

Après les licenciements de Sébastien Thoen et de Stéphane Guy faisant suite à un sketch sur Pascal Praud, la presse raconte qu'une quinzaine de salariés de Canal+ a souhaité vous rencontrer fin janvier 2021. Un participant résume votre rencontre et dit que vous vous êtes engagé à ce qu'il n'y ait aucune chasse aux sorcières au sein de la chaîne. Mais le lendemain, le 10 février vous réitérez cette promesse lors d'une visio conférence avec la rédaction et alors que vous encensez l'émission « Dimanche soir Sport » de Laurie Delhostal, le lendemain la journaliste est déprogrammée et licenciée. Alors que la veille vous disiez qu'il n'y aurait pas de problème. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Est-ce que cela a été comme pour M. Thoen, où vous lui aviez indiqué qu'il était viré sur décision de l'actionnaire ? Vous dites comprendre la souffrance des gens et dites que vous n'y pouvez rien, que c'est l'actionnaire et l'actionnaire lui dit qu'il ne décide de rien et que c'est vous qui décidez. Et vous avez assumé, sur RMC, « quand on a plus envie de bosser quelque part, on prend ses responsabilités. On a demandé à d'autres de partir car nous avons envie de travailler avec des gens qui veulent travailler avec nous. Je suis désolé mais c'est comme ça. » Que me répondez-vous sur ce fait précis ? Mais bon... j'en ai tellement d'autres.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Vous avez dit que j'avais déclaré que CNews n'était pas une chaîne d'information. Je m'inscris en faux. Je n'ai jamais dit cela. J'ai dit que cela n'était pas une chaîne d'opinion. Vous qualifiez de trash une chaîne que vous n'avez jamais regardée, c'est inquiétant. Et c'est inquiétant pour les 120 journalistes...

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Une petite mise au point. Ce n'est pas une chaîne que je regarde régulièrement comme quand on a un média préféré. N'essayez pas d'avoir de polémique avec moi là-dessus. Je regarde ce que je veux ! Par contre je peux vous dire que moi, personnellement, comme homme politique et public, j'ai pris la décision depuis le grand nettoyage que vous avez fait avec le passage de ITélé à CNews de ne plus mettre un pied sur vos plateaux. CNews le sait très bien.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Si vous changez d'avis, nous serons ravis de vous recevoir...

La chronologie que vous avez indiquée est inexacte. Je n'ai, en outre, pas encensé « Dimanche Soir Sports » : j'aimais bien l'émission mais elle ne fonctionnait pas, nous l'avons donc déprogrammée. C'est une décision comme il y en a beaucoup, vous pointez celle-là, mais il y en a beaucoup d'autres. Sébastien Thoen a été rémunéré par un tiers pour dénigrer Canal+ : c'est un problème pour moi, c'est une décision que j'ai prise et je l'assume. Je ne me dérobe pas. Stéphane Guy avait fait l'objet de nombreuses alertes sur son comportement à l'antenne où il avait tendance à exprimer son opinion personnelle, pendant les matchs, pendant les émissions, et on lui disait que c'était un sujet. Et c'était la fois de trop en effet lorsqu'il est intervenu sur ce sujet spécifique. Ça n'était d'ailleurs pas un licenciement puisqu'il n'était pas en CDI, mais pigiste. C'était donc une fin de collaboration. De même, quand vous avez indiqué tout à l'heure que nous avions débarqué des collaborateurs de CNews, ce n'est pas le cas. Nous avons eu recours à une rupture conventionnelle qui était leur choix, à la demande même des salariés concernés, qui ont eu trois semaines pour se positionner, choisir un plan de départ, alors qu'on avait la possibilité d'exercer une clause de confiance. Les intéressés eux-mêmes n'avaient pas souhaité l'exercer et nous avions mis en place avec le ministère du travail cette rupture conventionnelle pour les 78 salariés concernés. Donc oui, j'assume totalement la décision sur Sébastien Thoen. La décision sur Stéphane Guy, c'est moi qui l'ai prise et pourtant j'étais attaché à ce journaliste, qui a énormément de qualités par ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pouvez-vous préciser les rapports de votre groupe avec Havas ?

Que répondez-vous aux accusations de favoritisme visant l'activité d'Havas avec les chaînes de votre groupe ? L'agence aurait, en effet, tendance à favoriser Canal + et ses filiales C8, CStar et CNews, qui, en 2018, ont représenté 12,1 % des espaces publicitaires achetés par Havas, alors qu'elles n'ont pesé que 9 % chez les agences concurrentes.

Qu'en est-il de l'achat d'espaces publicitaires par le groupe Canal+ ? Ces opérations passent-elles exclusivement par Havas ?

Havas analyse les données qu'Universal Music Group - ancienne propriété du groupe Vivendi - et ses artistes génèrent au travers de la vente de leur musique, de la vente de billets et des produits dérivés, du streaming, des médias sociaux, des écoutes radio, afin de mieux appréhender la corrélation entre les artistes, les fans de musique et les marques.

Les données clients du groupe Canal + sont-elles utilisées par Havas en vue de développer une offre publicitaire mieux ciblée ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

La part de marché de Canal + chez Havas représente effectivement 12,1 %. Elle est exactement de même nature chez tous ses concurrents, sauf chez Publicis où elle s'établit à 9 %. Nous avons le sentiment d'être punis en raison de notre appartenance au groupe Vivendi... Je m'en suis entretenu à plusieurs reprises avec Arthur Sadoun. Chez les autres, c'est également de l'ordre de 12 %.

Canal+ n'est nullement favorisé par Havas. On parle de 34 millions d'euros sur les 12 derniers mois versés en revenus publicitaires issus d'Havas, pour le groupe Canal+. Soit 0,6 % du chiffre d'affaires de Canal+, donc un chiffre assez dérisoire et accessoirement un chiffre en baisse puisqu'il était de 38 millions l'année précédente

Enfin, Havas n'utilise pas les données de Canal+. Nous exploitons nous-mêmes les données de nos abonnés, qui devraient donner leur accord si nous devions les partager avec des partenaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Je vais tenter de faire baisser la tension, à peine palpable, qui règne dans cette ancienne chapelle...

Votre parcours et votre formation attestent que votre présentation n'est pas qu'un point de vue. Votre analyse rejoint celle de tous les industriels et les entrepreneurs que nous avons entendus s'agissant des mécanismes concrets et réalités incontournables de l'économie mondiale avec laquelle vous vous débattez. Avec Canal+ vous êtes la preuve vivante, et c'est important et combien rassurant, que le défi de la taille peut être relevé par la France, face à des plateformes que certains pouvoirs ont favorisées au détriment des entreprises françaises. C'est un défi national ! Pour maintenir leur activité, les opérateurs français doivent renoncer aux combats d'arrière-garde et se concentrer sur la technologie et les contenus. Quelle est votre conception du rôle de l'actionnaire principal d'un groupe de médias ? Quels freins, et ils sont nombreux, faut-il lever pour faire valoir notre exception culturelle, fondement de notre rayonnement depuis des siècles ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Le rôle de l'actionnaire principal réside, tel que je l'ai vécu, dans une vision partagée, avec Vincent Bolloré, de la capacité pour un acteur français de faire rayonner la culture française et européenne à l'international, ainsi que de l'opportunité de marché ; une volonté de croire en la culture, seule alternative crédible face à l'hégémonie culturelle américaine - que l'on aime beaucoup par ailleurs. C'est la première chose : cette conviction partagée et la volonté de construire un acteur industriel qui pèse au niveau mondial et qui fait rayonner nos talents, notre histoire et notre patrimoine, dans lesquels nous investissons de plus en plus, et localement notamment en Europe, avec Canal+ et Studiocanal.

La deuxième vertu du rôle de l'actionnaire, de mon point de vue de salarié, est ce que Vincent Bolloré a évoqué pendant son audition, à savoir le temps. Chez Canal+, nous avons la chance de ne pas être soumis à la loi quasi quotidienne du cours de la bourse. Ce temps est crucial. Cela favorise les investissements de long terme, permet de résister à des événements ponctuels et de prendre des risques : un film nécessite trois ans d'investissement, une série, comme le Bureau des Légendes, nécessite cinq ans.

Le principal frein normatif à notre développement dont je parlais déjà en 2016 réside dans notre incapacité à détenir des droits audiovisuels. Hélas la nouvelle loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique a conforté les producteurs. Nous finançons 80 % à 90 % des coûts de fictions dont nous ne possédons aucun droit qui sont réservés aux producteurs ! Cela pose deux problèmes : notre capacité à offrir en France, marché où nous finançons ces séries, des droits un peu plus longs. La durée de ces droits a été encore réduite avec la nouvelle réglementation. Il nous est par exemple arrivé de n'avoir plus les droits de la saison 1 de Bureau des Légendes lorsque nous souhaitions proposer la saison 3 et donc de devoir refinancer une série que nous avions financée.

Faute de pouvoir détenir les droits des séries que nous avons financées en France pour les territoires hors de France, le rayonnement international des oeuvres françaises se trouve freiné. Ainsi, Versailles est un Netflix Originals aux États-Unis. Et Canal+ lui ne peut pas exploiter ses séries à l'international, sauf à se contorsionner et trouver des accords très compliqués par ailleurs. À cet égard, le groupe Canal+, le seul opérateur français à avoir cette ambition globale et présent dans cinquante pays avec une forte ambition de développement à l'international, se trouve dans une situation unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Jean-Christophe Thiery, directeur de publication de CNews a été condamné pour injure et provocation à la haine, tandis que le CSA a infligé à la chaîne une amende de 200 000 euros pour incitation à la haine et à la violence. Il convient de le rappeler.

Vous avez qualifié d'hypothétique la concentration des médias en France. Pourriez-vous préciser votre propos ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Nous contestons devant le Conseil d'État la décision que vous évoquez.

Le marché français des médias apparaît moins concentré qu'autrefois. Le groupe Canal+ contribue largement au pluralisme et à la diversité des opinions, en distribuant en France près de 230 chaînes, dont la totalité des chaînes d'informations françaises, européennes et internationales : BBC, CNN, mais donc aussi toutes les chaînes françaises, y compris i24, France24 et les autres. Nous contribuons donc largement au pluralisme. Dans la mesure où toutes ces chaînes existent, que de nouvelles sont créées régulièrement, et que sur chacune de ces chaînes des opinions diverses s'expriment, je ne vois pas la problématique de concentration sur le marché français.

Nous discutons beaucoup d'accès à l'information, mais, en France, toutes les chaînes d'information ne représentent que 16 % des sources d'information contre 46 % pour les journaux télévisés des chaînes hertziennes. Après c'est 1/3, soit deux fois les chaînes d'information au total, qui vient d'Internet. Là il y a un sujet de concentration puisque deux acteurs se partagent 95 % du marché publicitaire. Chez les personnes de moins de 35 ans, les chaînes d'information représentent moins de 13 % des sources d'information, tandis que la proportion d'Internet atteint 60 %. Là réside, à mon sens, éventuellement le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

La concentration des médias recouvre des enjeux économiques, mais aussi de liberté de l'information et de pluralisme. Que représente l'information au sein de votre groupe, pas que pour CNews ? En pourcentage par exemple par rapport aux heures d'écoute ? Combien de journalistes y sont dédiés ? Les effectifs sont-ils stables ? Le taux de rotation des salariés est-il élevé ?

S'agissant des sanctions et des rappels à l'ordre du CSA, désormais Arcom, quelles dispositions avez-vous prises pour vous y conformer ou, au contraire, les contester ?

Le secteur des médias ne cesse d'évoluer. Quelle stratégie convient-il, selon vous, d'adopter face aux plateformes dans les prochaines années ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

En temps d'antenne pour votre première question, je ne saurais vous dire. La France compte environ une soixantaine chaînes payantes mais à l'international c'est beaucoup plus. CNews est la seule chaîne d'information du groupe : elle représente moins de 1 % du chiffre d'affaires de Canal+. Sa rédaction compte cent-vingt cartes de presse pour CNews, auxquels s'ajoutent une centaine de journalistes sportifs de Canal+ et des équipes à l'étranger.

Sur la question de la conformité, évidemment nous nous cherchons évidemment à respecter notre convention et être conformes à toutes les règles avec le CSA. Nous avons donc mis en place une équipe à temps plein dédiée aux temps de parole. C'est un temps considérable pris par les équipes de Thomas Bauder et je sais que c'est un sujet également très compliqué pour l'Arcom.

Je me souviens qu'il y a quatre ou cinq ans, Dominique Boutonnat, désormais président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), estimait que la bataille de la distribution était perdue et qu'il fallait se focaliser sur la bataille de la production. Il a, je crois, changé d'avis depuis. Nous avons considéré que la bataille de la distribution était jouable. Je ne dis pas que nous allons la gagner. Il ne s'agit pas pour nous de battre Netflix ni de battre Amazon, ce n'est pas possible. Il s'agit pour nous de co-exister, il s'agit pour nous de trouver un modèle alternatif qui fonctionne, qui a du succès et qui nous permet de pérenniser le groupe Canal+ et tous les financements qu'il apporte, toute la contribution qu'il apporte à la création française en particulier ou européenne comme dans le cinéma. L'enjeu est là, pérenniser ces investissements. À cet effet, une taille critique et un développement à l'international apparaissent indispensables.

Oui Canal+ a retrouvé une économie et des résultats. Mais nous avons amélioré la situation en France parce que nous perdions 452 millions sur deux ans. Mais le groupe atteint péniblement l'équilibre et cela dépend des années. Nous sommes sur la ligne de crête sur le marché français. Nous n'avons guère été aidés d'un point de vue normatif... Aussi, le marché domestique possède une moindre attractivité que l'international pour le groupe. Tous les résultats d'exploitation du groupe Canal+ se font à l'international, soit via la télévision payante, soit via Studiocanal. Notre actionnaire principal, heureusement, soutient ce développement et ces investissements à l'étranger. Le patron de l'international et nos équipes de la stratégie et des finances consacrent une part très significative de leur temps pour évaluer les opportunités de marché sur lesquels nous pouvons nous lancer de manière organique. Récemment, nous nous sommes ainsi établis, malgré une situation politique instable, en Éthiopie, où nous comptons déjà 25 000 abonnés, et au Myanmar. Nous regardons constamment où nous lancer de manière organique ou réaliser des acquisitions qui nous permettent d'aller plus vite dans ce déploiement à l'international.

J'ai annoncé un objectif d'au moins 30 millions d'abonnés en 2025, que j'espère dépasser. À partir de ce niveau de 30 ou 40 millions, nous sommes capables de résister à un Netflix.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Selon vous, puisque CNews ne représente que 0,4 % du groupe Canal+, vous ne vous en occuperiez pas beaucoup. C'est également ce que M. Bolloré a fait valoir lors de son audition. Mais vous nous avez montré qu'en réalité vous vous en occupez, parce que vous êtes un gestionnaire. Vous avez dit que, pour gagner de l'argent, pour émerger, il fallait que CNews se différencie ; vous avez parié sur de la durée d'écoute pour générer de la pub.

Enfin, vous avez même évoqué une « chaîne de débats ». Je considère, pour ma part, que, pour qu'il y ait débat, il faut du contradictoire que je regarde de temps en temps, je n'en vois guère. D'où ma question, très simple, pour déceler vraiment la ligne éditoriale : quelle distinction faites-vous entre opinion et information ?

Êtes-vous favorable à la reconnaissance juridique des rédactions ? Notre commission a beaucoup abordé ce sujet parce que la question de la concentration verticale nous y amène.

Vous avez signé récemment un accord sur la chronologie des médias. Or vous annonciez il y a quelque temps que vous pourriez faire sortir la chaîne Canal+ de la TNT vers une plateforme unique. Est-ce toujours d'actualité ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je n'ai pas dit que je ne m'occupais pas de la chaîne, mais que je m'en occupais peu, en proportion de mon temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Je ne vous demandais pas combien de temps vous y consacriez. Ne jouons pas sur les mots.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

La différence entre opinion et information, dans un cas il y a des faits que nous rapportons, et dans un autre cas il y a des gens qui s'expriment et qui donnent leur opinion, leur analyse de ces faits. Je considère qu'il y a du contradictoire sur CNews, à beaucoup de reprises, dans beaucoup d'émissions.

Concernant la structure juridique, je ne sais pas. J'ai l'impression qu'il y a des dispositifs qui protègent les journalistes : la loi de 2016, les délibérations du CSA de 2018, les chartes déontologiques - laquelle nous avons signée, le comité d'éthique... Mais je n'ai pas d'opinion juridique sur le sujet.

Depuis dix-huit ans que je suis chez Canal+, je n'ai jamais appelé un journaliste pour lui dicter ce qu'il devait dire ou non à l'antenne.

Nous avons eu des discussions très laborieuses avec les organisations du cinéma sur la chronologie du cinéma. Les schémas évoqués au départ positionnaient les plateformes américaines dans ce que l'on appelle la fenêtre de Canal+, les plaçant ainsi en concurrence frontale avec nous. Ce n'était pas défendable vis-à-vis de nos abonnés. La proposition de valeur de Canal+ n'aurait pas été satisfaisante. Nous aurions dû, dans cette situation, changer de modèle.

Je ne fais pas de menace en l'air. J'ai évoqué le scénario auquel vous faites référence pour montrer que nous n'accepterions pas une concurrence frontale des chaînes américaines. Le schéma alternatif que j'envisageais très sérieusement, pour lequel nous avons mené des études sur l'intérêt que les consommateurs auraient pour un tel modèle, et sur sa faisabilité juridique et technique était de séparer les offres de Canal+ en cinéma et en sport. La TNT est sur le chemin, mais pas franchement, parce que notre convention TNT est celle de cinéma de première exclusivité : même Canal+ serait devenu une chaîne de cinéma et potentiellement de séries - comme tous nos concurrents qui ont choisi des modèles séparés- et le sport aurait été sur une autre Canal.

Pourquoi ? Car Canal+ est dans une situation unique : nous sommes une chaîne généraliste, dont les obligations à l'égard du cinéma et de l'audiovisuel sont assises sur l'ensemble du chiffre d'affaires. Autrement dit, quand nous dépensons plus de 300 millions d'euros pour la Ligue des champions, la compétition la plus populaire sur Canal+, et que l'on recrute des abonnés et que l'on génère du chiffre d'affaires, cela vient directement nourrir ces obligations qui sont assisses sur la totalité du chiffre d'affaires de Canal+.

Ce n'est pas le cas pour Amazon qui a fait une offre distincte avec le pass Ligue 1 qui n'est pas soumis aux obligations - accessoirement il y a un sujet d'obligations sur Amazon; dans aucune des discussions avec les organisations du cinéma ou le CSA, il n'a été question d'intégrer le pass Ligue 1 dans ces obligations.

C'est une vertu unique et absolue du modèle de Canal+ qui finance la création. Si nous avions séparé le cinéma et le sport, cela aurait réduit nos obligations à l'égard du cinéma puisque nous aurions appliqué à ce moment-là uniquement les obligations sur le chiffre d'affaires de la chaîne cinéma. Nous aurions pu investir les ressources ainsi dégagées dans d'autres thématiques comme les séries - que les plateformes américaines, ayant eu à choisir entre un régime audiovisuel et un régime cinéma, ont toutes choisies à travers un régime audiovisuel. Nous faisons donc un modèle différent du leur qui privilégie les investissements dans l'audiovisuel.

Si nous avions été contraints par la présence des plateformes américaines dans notre fenêtre, nous aurions donc en effet changé de modèle.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Vous avez dit, monsieur Saada, que vous étiez un gestionnaire et que Canal+ n'était pas une chaîne d'opinion, mais un lieu de débat. Et j'en suis tout à fait d'accord. L'esprit Canal a toujours été associé à un certain type de journalisme, y compris d'investigation, et à une certaine liberté de ton.

Comment le journalisme d'investigation a-t-il évolué depuis votre arrivée dans le groupe ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Nous ne faisons plus d'investigation sur notre chaîne d'information ni sur Canal+, à quelques exceptions près, parce que cela ne fonctionnait pas. C'est pour la même raison que nous avons mis fin à certains programmes en clair.

Comme je l'ai dit, dans un contexte où nous avons perdu 452 millions d'euros sur deux ans, nous devons prendre en compte la contribution des programmes à la motivation de l'abonnement et à la fidélisation. Or le constat est que les émissions en clair et les tranches d'investigation n'apportaient pas suffisamment sur Canal+ pour motiver à l'abonnement, ce qui est compréhensible, car ces thématiques sont couvertes par les chaînes hertziennes gratuites.

Un certain Nicolas Vescovacci qui m'a cité nommément a affirmé, lors de son audition par votre commission d'enquête, que j'aurais interdit les documentaires sur le sport et le cinéma. Je ne connais pas Nicolas Vescovacci. J'ai cherché un contrat Canal+ et j'ai trouvé six jours d'intermittence en 2010.

Je n'ai pas fait de réunion avec lui et je ne l'ai pas rencontré. Ce qu'il a dit est faux : je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas faire d'investigation sur le cinéma ou le sport. Sur le cinéma, on ne m'a jamais rien proposé, je n'ai pas eu le loisir de refuser quoi que ce soit. Sur le sport, depuis que je suis directeur général de Canal+ - depuis 2015, nous avons fait vingt-cinq documentaires d'investigation depuis que je suis directeur général. Si je l'ai vraiment interdit, cela montre que je n'ai pas beaucoup d'autorité ! Ce qui est valorisé par nos abonnés est le documentaire. Je citerai notamment « Je ne suis pas un singe » sur le racisme dans le sport et en particulier dans le foot, deux documentaires sur l'homosexualité dans le sport et un sur la maternité dans le sport. Ces thématiques sociétales intéressent nos abonnés, et il est probable que nous continuerons à développer des documentaires dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

N'y a-t-il pas un paradoxe à distribuer Disney+ et Netflix tout en vous affichant comme leur principal concurrent sur le marché français ?

Quel est le rôle de Dailymotion dans votre stratégie d'affirmation face aux Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ?

Vous affirmez que CNews représente epsilon dans le chiffre d'affaires de Canal+, mais comme nous le voyons encore dans cette audition, l'image du groupe est très marquée par CNews et par les soupçons que l'on peut entretenir sur cette chaîne. Pour le gestionnaire que vous déclarez être, et vous avez bien raison de le dire, ce positionnement de CNews présente-t-il un intérêt pour la stratégie globale de Canal+ ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Vous avez raison de souligner ce paradoxe : mes concurrents sont mes partenaires. C'est, comme diraient les Américains, The Story of my life... Cela a commencé il y a longtemps, lorsque les fournisseurs d'accès internet se sont lancés dans la télévision en concurrençant l'un des métiers historiques de Canal+ avec Canal+ Satellite qu'est celui de la distribution de chaînes, voire, comme Orange et SFR, de l'acquisition directe de contenus avec leurs chaînes. Néanmoins les premiers distributeurs de Canal+ aujourd'hui sont SFR, Orange, Free et Bouygues depuis qu'ils font de la télévision. Nous avons appris à travailler avec eux, et heureusement.

Je suis moi-même consommateur de Netflix - mes équipes me demandent d'ailleurs de ne plus le dire ! - et l'enjeu pour nous est la satisfaction de nos abonnés. S'il y a des contenus de qualité sur les plateformes, notre enjeu est de les distribuer et de les proposer à nos abonnés pour ne pas les en priver. Quand ils demandent des séries Netflix, il faut que je leur apporte. C'est une question de proposition de valeur, et il est plus intéressant pour nous de les distribuer plutôt que de les avoir en opposition frontale. Nous utilisons leur force pour recruter des abonnés et alimenter ainsi notre chiffre d'affaires, ce qui vient ensuite alimenterla contribution au cinéma que j'évoquais tout à l'heure.

Nous travaillons avec eux : les 19 milliards de Netflix ou les 33 milliards de Disney sont aussi un atout. Nous coproduisons régulièrement des séries avec ces acteurs : une des prochaines créations de Canal sera un western spaghetti, Django, coproduit avec Sky et Amazon. Mais nous travaillons aussi avec HBO, Netflix, Amazon et Apple... Ces acteurs convainquent les consommateurs de payer pour des contenus.

Or l'ennemi numéro 1 de Canal+ n'est pas Netflix, mais le piratage, qui pénalise toute la chaîne de valeur de l'industrie.

Je vous remercie d'évoquer Dailymotion, dont nous sommes très fiers et s'inscrit dans la stratégie de rayonnement culturel français et européen que j'évoquais. Dailymotion est la première plateforme mondiale de vidéos en ligne européenne, avec 400 millions de visiteurs uniques. Ce n'est pas facile car elle fait face à des géants mais elle continue de se développer. Son chiffre d'affaires croît de jour en jour, le nombre de visiteurs croit, avec une envergure mondiale : plus de 150 millions de visiteurs uniques en Asie, en Afrique, une soixantaine de millions en Amérique du Nord et c'est unique pour une plateforme française.

Non, l'image de Canal+ n'est pas « marquée » par CNews. Des indicateurs précis d'attractivité de la marque Canal+ sont en hausse. Nous n'avons jamais été la marque française la plus valorisée, nous n'avions jamais atteint la tête du classement auprès des jeunes diplômés. Rien n'indique que la marque soit entachée par CNews, je n'en ai en tout cas pas les éléments qui le démontrent.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Je pensais à la manière dont sont perçus les investissements du groupe : on craint qu'une certaine ligne éditoriale, celle de CNews, ne soit imposée aux médias qui seront rachetés.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

La ligne éditoriale, c'est le débat. Celle de CNews est assez distincte de celle des autres chaînes du groupe, à commencer par Canal+, C8 ou CStar.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous mettez l'accent sur le danger que représentent les plateformes ; vous n'ignorez pas que le Sénat a agi en ce sens, avec ma proposition consensuelle qui a porté le fer sur la question des droits de la presse vis-à-vis de Google. J'y attache une grande importance.

Néanmoins, vous ne pouvez pas écarter la question que pose cette commission : la concentration et la verticalité peuvent aussi être un problème pour l'exercice de la démocratie et la diversité de l'offre culturelle.

Vous êtes ainsi au coeur d'un phénomène qui suscite beaucoup d'inquiétude, et le monde de l'édition, notamment, se fait entendre sur le sujet. En tant que rapporteur, je suis sollicité pour intégrer le secteur du livre à nos travaux.

Prenons l'exemple d'un livre qui serait publié, à l'avenir, par une de vos maisons d'édition, mis en tête de gondole par Havas, puis adapté à l'écran, avec une production et une diffusion financées par votre groupe. Certains craignent, s'il y a de l'idéologie dans le processus, que la liberté intellectuelle ne soit compromise. Vous ne pouvez pas nous dire que le sujet n'est pas seulement économique et commercial. Un hebdomadaire a ainsi affirmé cette semaine que Vincent Bolloré serait intervenu pour réécrire le scénario de Paris Police 1900. Voilà le type d'intervention que l'on soupçonne à cause de l'étendue de la main mise d'un certain nombre de médias.

Enfin, j'observe que vous avez fait un lapsus tout à l'heure - vous en êtes-vous rendu compte ?, en mentionnant « l'actionnaire Vincent Bolloré ». Or M. Bolloré nous a dit lui-même qu'il n'est plus actionnaire, que c'est son fils. Depuis avril 2018, il ne fait plus partie du conseil de surveillance de Vivendi. Il a insisté sur le fait qu'il n'était plus dans la chaîne de commandement, qu'il se contentait désormais au mieux de donner des conseils. Cela me permet de vous interroger sur ce que sera le processus de relations pour diriger votre groupe avec Yannick Bolloré, son fils, qui aura officiellement l'ensemble du groupe dans quelques jours.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je ne vois où serait le problème si un livre publié par Editis était plus fortement promu et que Canal+ en captait les droits et en faisait une série ou un film. Ce serait étonnant de nous dire que c'est un problème. Ce serait plutôt une bonne nouvelle pour notre rayonnement culturel à l'international. Si la question porte sur la possibilité que Canal+ capte l'ensemble des publications d'Editis, en en privant ainsi ses concurrents, c'est un enjeu de concurrence et non de pluralisme.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

C'est l'un et l'autre : c'est un avantage concurrentiel qui peut tuer la diversité et réduire la liberté de création.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Pour revenir au début de votre intervention, je ne nie absolument pas la légitimité de la question que pose cette commission. J'essaie seulement de vous éclairer avec mon point de vue.

Mais le risque que Canal+ s'empare de la totalité des 4 ou 5 000 livres publiés par an est très faible, sachant que nous produisons une dizaine de séries chaque année pour la France, une trentaine à l'international par an. Editis a d'ailleurs annoncé récemment de premiers projets autour des droits audiovisuels - puisqu'il ne détient pas systématiquement les droits des oeuvres, avec Newen, qui est une filiale de TF1, et Cinéfrance - donc pas avec Canal+. Nous développons évidemment des projets avec Editis : c'est une chance inouïe d'avoir ce groupe dans Vivendi.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je l'ignore. Je rencontre régulièrement les équipes d'Editis ; le plus souvent, c'est la directrice générale, Michèle Benbunan, qui attire mon attention sur les livres dont l'adaptation en séries pourrait m'intéresser. Est-ce répréhensible ? Je l'ignore. Est-ce une chance pour le groupe Vivendi ? Oui.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je n'interviens pas sur ces sujets. Il est possible qu'il y ait des discussions entre Editis et Havas sur la promotion de certains livres, mais je pense que c'est le rôle d'Havas de promouvoir, et ils le font plutôt bien. Je rappelle d'ailleurs que Canal+ était au demeurant client d'Havas bien avant l'arrivée de Vincent Bolloré. Lorsque j'étais directeur du marketing, j'avais choisi Havas et BETC, l'agence historique de Canal+ que je considère d'ailleurs comme la meilleure agence publicitaire du monde.

Je n'ai pas fait de lapsus : Vincent Bolloré est toujours l'actionnaire. Vous avez confondu présidence du conseil de surveillance et actionnariat. Il est bien un actionnaire, de référence, de Vivendi.

Ce qui a été dit sur Paris Police 1900 est erroné. Nous avons eu un débat. Nous adorons cette série, dont la première saison a été un succès considérable et dont la saison 2 est en tournage, et j'ai beaucoup d'estime pour Fabien Nury, le créateur de cette série.

En réalité, nous avons considéré que l'intrigue policière tenait une place trop faible par rapport à l'intrigue politique dans le scénario qui nous était proposé. Nous avons donc demandé aux auteurs de réduire l'intrigue politique pour renforcer le poids de l'intrigue policière puisqu'il s'agit d'une série à vocation policière qui prend le relais de deux productions dans cette thématique, Braquo et Engrenages, qui se sont arrêtées.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Une précision sur votre précision : M. Bolloré n'a plus de mandat de décision. Donc quand vous avez dit : « avec Vincent Bolloré, l'actionnaire, nous décidons etc... »

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je ne crois pas avoir dit « nous décidons ».

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vincent Bolloré, qui n'a aucun mandat de décision, nous a dit ici qu'il ne décidait de rien et que l'ensemble des décisions sont prises par vous pour la gestion du groupe.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

M. Bolloré nous a déclaré qu'il avait participé au déjeuner pendant lequel le recrutement d'Éric Zemmour avait été décidé. Il a donc bien participé à la décision ce jour-là.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Une participation ce n'est pas tout à fait une décision. Il arrive que Vincent Bolloré soit présent à des réunions où nous parlons des programmes de Canal+ ; ce n'est pas pour autant qu'il décide. Il peut conseiller, il peut donner un avis ou des recommandations, ce n'est pas une décision. Dans le comité du cinéma, souvent cité, la décision est collégiale ; c'est seulement en cas de désaccord, ce qui n'arrive quasiment jamais, que je prends la décision. Ce n'est pas parce que l'on participe que l'on décide.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Dans ce cas précis, même s'il n'a pas pris la décision de recruter Éric Zemmour, Vincent Bolloré a conseillé de le recruter.

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Il ne nous a pas conseillé de le recruter, mais il a attiré notre attention sur lui. En 2014, Éric Zemmour était sur ITélé - moi je n'étais pas en charge de cela à l'époque, nous avons même eu un procès avec lui ; son émission avec Christophe Barbier et Nicolas Domenach était celle qui marchait le mieux sur ITélé. Elle était même devant BFM à l'époque. Ce n'était donc pas idiot de nous dire de regarder Éric Zemmour. Il fait 20 % d'audience dans l'émission de Laurent Ruquier sur France Télévisions pendant 5 ans et a été pendant dix ans sur Paris Première et RTL. C'est donc une personnalité, un journaliste, qui marche et fonctionne à l'antenne.

De notre point de vue, son recrutement a fonctionné, sachant que nous sommes à la recherche de nouveauté et de différenciation.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Vincent Bolloré donne-t-il les mêmes conseils sur les autres éditorialistes de CNews ?

Debut de section - Permalien
Maxime Saada, président du directoire de Canal+

Je ne saurai pas vous dire là comme ça, mais non ce n'est pas une recommandation systématique. Nous parlons d'indépendance des journalistes, or nous avons une rédaction de 120 personnes. Ce sont des journalistes, et non des marionnettes ! Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk, Pascal Praud, Christine Kelly sont pour la plupart les rédacteurs en chef de leur émission, en tout cas ils sont les patrons de leur tranche. Ni Vincent Bolloré, ni moi-même, ni personne d'autre n'appelle Pascal Praud ou Laurence Ferrari pour leur dire qui doit être leur invité. Ils sont responsables et ce sont des professionnels rigoureux, qui, de mon point de vue, font parfaitement leur travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Je vous remercie pour vos réponses à nos nombreuses questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous continuons nos travaux avec l'audition de M. François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre, qui a été fondé en 2019 par les fondateurs et les salariés de Mediapart, avec pour mission principale de « défendre la liberté de l'information, le pluralisme de la presse et l'indépendance du journalisme ». Pour ce faire, vous soutenez financièrement des médias indépendants.

Le 14 octobre dernier, vous avez lancé sur Internet un appel visant à développer l'écosystème de la presse indépendante. Le 7 décembre, vous avez publié sur votre site un article intitulé « Concentration des médias : l'urgence d'agir ».

Nous sommes légitimement intéressés, à la fois par votre constat des risques éventuels liés aux concentrations, mais également par vos propositions d'évolution. Je vous propose dix minutes de temps de parole, avant de passer à un temps de questions-réponses, pour compléter votre propos liminaire.

Cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu, qui sera publié.

Enfin je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, de nous indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite, monsieur Bonnet, à prêter serment de dire toute la vérité et rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Je le jure.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Je vous remercie et vous donne la parole pour dix minutes.

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Mesdames et messieurs les sénateurs, merci pour cette invitation. Merci d'accepter d'entendre le Fonds pour une presse libre, ses analyses et ses propositions. Ce propos liminaire va vous sembler peut-être un peu général, mais il vise d'abord à expliquer pourquoi nous avons décidé de créer ce Fonds, dont la mission première, reconnue d'intérêt général, est d'aider à la liberté et au pluralisme de l'information.

Nous avons fait un constat qui, aujourd'hui, est largement partagé dans le monde de la presse indépendante : il y a bel et bien dans notre pays une crise d'indépendance des médias. Cette crise détruit progressivement le droit des citoyennes et des citoyens à une information libre, pluraliste et de qualité. Puisque votre commission est chargée d'évaluer les effets d'une concentration sur la qualité de notre vie démocratique, je souhaiterais insister dans ce préambule sur un point peut-être peu évoqué devant vous.

Il y a bien sûr, dans ce pays, des médias de qualité. Il y a de grands journaux, de très bons journalistes et un service public puissant. Mais ce qui me frappe - et je suis journaliste depuis 41 ans - c'est, de manière générale, la médiocrité de l'information dans notre pays. Je veux m'arrêter une minute là-dessus, parce que la demande d'information n'a jamais été aussi forte avec la révolution numérique, et tant mieux. Il faut s'en féliciter. C'est formidable. Or l'offre globale d'information, elle, n'a jamais été aussi faible. Pourquoi ? Parce que l'information reste très conformiste, redondante, mal hiérarchisée, trop institutionnelle et pas assez à l'écoute de notre société. Tout le monde copie tout le monde. C'est une information souvent sans qualité, sans plus-value, une information low cost produite par des journalistes précarisés. Les chaînes d'information, malheureusement, sont devenues trop souvent des chaînes de bavardage, quand elles ne sont pas simplement des vecteurs de propagande pour l'extrême droite et ses fake news. J'en arrive à la presse écrite, sur laquelle je vais concentrer mon propos, car c'est ce que je connais le mieux, ayant toujours travaillé dans la presse écrite. A quoi assiste-t-on ? Les réseaux de correspondants à l'étranger ont généralement été réduits, à peu près dans tous les titres, voire liquidés. Dès lors, le récit et la compréhension du monde sont sous-traités à des pigistes mal payés ou aux agences de presse.

L'information économique publiée dans la presse générale reste très largement indigne, tant elle est insuffisante. Celle sur le monde du travail est quasi-inexistante. Le photojournalisme a été broyé. Le reportage et l'enquête sont de plus en plus rares. Quant à l'information locale, un énorme enjeu dans notre pays, elle a été pratiquement mise à genoux par les différents services de communication des collectivités locales. Ce constat est assez douloureux, surtout pour moi, journaliste, mais nous avons l'un des systèmes d'information les plus médiocres en Europe, si on accepte de se comparer à nos voisins européens de taille semblable. Vous avez auditionné hier le patron du groupe Bertelsmann. Regardez la puissance et la qualité de la presse allemande. Regardez la diversité et le dynamisme de la presse espagnole. Regardez la vivacité et l'inventivité de la presse britannique.

Notre presse est en retard et cela présente deux conséquences. La première, c'est un débat public qui apparaît largement hors sol et déconnecté pour le plus grand nombre, où peuvent s'installer - depuis des mois - les diatribes racistes d'un polémiste multi-condamné, devenu candidat à la présidentielle. Le second effet majeur est un décrochage violent entre nos publics, les citoyennes et les citoyens de ce pays, et les médias. Cette défiance, qui ne cesse de s'amplifier, nous devons la saisir à bras le corps et agir. Il y a urgence à agir.

Alors, pourquoi autant de « mal-info » ? Vous avez parlé de concentration, parfois d'hyperconcentration ou de concentration accélérée. J'insisterai pour ma part sur la structure de propriété des médias. En effet, la révolution intervenue ces quinze dernières années est bien la prise de contrôle de l'essentiel du système médiatique privé par des hommes d'affaires, dont les intérêts ne sont pas dans les métiers de l'information - cela a été très largement dit - mais dans l'armement, le BTP, le luxe, la téléphonie, la finance et la banque. Ces industriels ne connaissent pas ces métiers de l'information. Ils achètent de la protection et de l'influence. Ils ne pensent pas en termes de développement, de prise de risque ou d'innovation.

Je pose simplement la question : où sont leurs innovations ? Qu'ont-ils donc créé depuis quinze ans ? Rien. Ils ont détruit de la valeur. Ils ont fait des plans sociaux. Ils ont accumulé les pertes. Ils ont raté la révolution numérique. Ils se sont gardé d'investir, pour mieux ouvrir le robinet des aides publiques, qui représentent aujourd'hui une part de plus en plus importante de leur chiffre d'affaires.

Ce n'est pas chez eux que s'invente le futur et se reconstruisent le journalisme et la relation avec nos publics. C'est dans cette galaxie, qui est extrêmement diverse, avec des modèles très différents, des situations financières également radicalement différentes, galaxie qui compte plusieurs centaines de médias indépendants que tentent de s'inventer de nouvelles choses. Je ferai simplement une liste très rapide. Qui a inventé le modèle d'abonnements à des journaux numériques ? Deux titres indépendants, Arrêt sur images et Mediapart, deux titres qui sont bénéficiaires depuis des années, qui ont refusé des aides publiques, qui ont refusé la publicité et qui ne cessent d'investir dans des contenus.

Qui a inventé la radio numérique, de nouveaux modes de récit audio et les fameux podcasts, qui ont aujourd'hui un succès considérable ? C'est d'abord le service public, avec Arte Radio et France Culture en particulier, et ça a été relayé par une multitude de sites indépendants, qui ont installé ces nouveaux formats.

Qui a reconstruit le lien avec les lecteurs, nos publics ? Je précise que nous vivons d'eux, grâce au participatif. Ce sont les titres indépendants. Qui a relancé un journalisme offensif d'enquête, qui était largement étouffé dans les médias classiques ? On peut parler de Mediapart, qui a été suivi par beaucoup d'autres, aujourd'hui Disclose, StreetPress, Médiacités et Blast. Qui invente de nouveaux formats vidéo, quand on a les moyens de les produire ? Ça se passe dans la presse indépendante. Qui bouscule les vieux monopoles construits par les quotidiens régionaux et renouvelle l'information locale ? C'est Marsactu à Marseille, site d'information qui est aujourd'hui bénéficiaire. C'est Médiacités à Lille, Lyon, Nantes et Toulouse. C'est Le Poulpe à Rouen et en Normandie. Enfin, et je m'arrêterai là pour cette liste : qui explore de nouveaux champs d'informations ? C'est Reporterre, sur les nouvelles questions écologiques, c'est Basta sur l'international et les nouvelles luttes sociales, c'est Orient XXI sur une nouvelle lecture et de nouvelles analyses du Proche-Orient et du Moyen-Orient, c'est La Déferlante qui explicite et enquête sur les nouveaux féminismes post-Me Too et c'est, enfin, Splann, qui travaille beaucoup sur les dégâts de l'agro-industrie en Bretagne. Je pourrai citer bien d'autres titres encore.

Cette presse indépendante, c'est aujourd'hui un laboratoire. C'est là que ça se passe. C'est un aiguillon. Ce n'est pas une presse marginale, une presse alternative ou une presse militante. C'est une presse qui, chaque jour, compte des millions de lecteurs, d'auditeurs et de spectateurs. Pas à pas, elle tente de construire, dans d'énormes difficultés - on y reviendra sans doute -, un nouvel écosystème d'information.

Je terminerai sur un point. Cette presse est, de fait, interdite bancaire. Elle n'a pas accès au crédit des différents établissements financiers. Elle le fait en étant massivement discriminée dans l'attribution des aides publiques. Elle le fait dans une concurrence déloyale et faussée par les médias de nos hommes d'affaires qui, après avoir accaparé des aides publiques pour en faire une rente, sont en train d'organiser une autre rente, privée cette fois, par des accords secrets avec les Gafam. Le rapport très intéressant qui vient d'être publié par la Mission d'information de l'Assemblée nationale sur les droits voisins le montre bien.

C'est dans ce contexte que le Fonds pour une presse libre a été créé. C'est une très petite structure. On ne prétend pas bouleverser le paysage. Nous existons depuis deux ans et avons peu de moyens. Nous sommes là pour aider ces titres indépendants, en les finançant, en finançant des projets éditoriaux innovants, en finançant des développements techniques, en aidant de manière financière mais aussi par des conseils à construire, si possible, des modèles économiques pérennes. Bref, nous les aidons à remettre le journalisme debout, là où il doit être, c'est-à-dire au service de nos publics, au service de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Je vous remercie de m'avoir écouté et répondrai avec grand plaisir à toutes ces questions.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Merci de votre exposé et d'avoir développé votre point de vue sur le sujet qui nous occupe, les concentrations, la situation de la presse et du journalisme, la qualité de l'information, la confiance dans l'information et les enjeux démocratiques associés.

Vous n'avez pas pu développer ce qu'est votre Fonds. Quelles sont les sources de financement du Fonds ? Comment envisagez-vous de développer votre Fonds, y compris par de nouvelles sources ? Dans quelle direction lancez-vous vos recherches (abonnements, aides publiques, autres contributions publiques ou privées, etc.) ?

Quels sont vos critères d'investissement dans les différents projets ? Comment les sélectionnez-vous ? Vous limitez-vous à la presse en ligne ? Avez-vous un angle éditorial ou un parti-pris de la façon d'éditorialiser ? Est-ce le journalisme d'investigation, qui est très présent ? Pouvez-vous nous préciser ces points ?

Enfin, pouvez-vous nous préciser aussi quelles sont les principales participations de votre Fonds ? Dans quels médias ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Merci pour ces questions, qui me permettront d'entrer dans le détail. Le Fonds pour une presse libre est un fonds de dotation, une structure à but non lucratif reconnue d'intérêt général et régie par la loi de 2008 sur la modernisation de l'économie.

Nos sources de financement ne peuvent pas être publiques. La loi l'interdit. Nous nous sommes renseignés auprès de la préfecture, car nous devons dialoguer avec elle et lui rendre compte. Nous avons demandé si nous pouvions accéder à des fonds européens publics, pour les grands appels d'offres lancés par exemple par la DG Communication, à Bruxelles. Cela nous est interdit. Nous fonctionnons exclusivement sur des donations privées.

A ce jour, nous avons collecté environ 400 000 euros en deux ans. Cette somme n'est pas énorme mais reste conséquente. Elle repose essentiellement sur des dons privés. Par souci de transparence vis-à-vis de notre public, nous avons décidé de publier l'identité de tous les donateurs supérieurs à 5 000 euros. Cette information figure dans notre rapport d'activité annuel, qui est rendu public, sur notre site. Ces donateurs sont toutes les personnes intéressées par les questions de liberté de la presse.

Les sources de financement sont donc des sources privées. Nous avons lancé par exemple une collecte participative et citoyenne sur la plate-forme de collecte KissKissBankBank à la fin du mois d'octobre, qui nous a permis de collecter 160 000 euros. Vous pouvez alors voir combien la question est sensible. Un peu plus de 2 500 personnes ont participé à cette collecte, pour des dons allant de 5 à 2 000, 3 000 ou 4 000 euros. Toutes les situations possibles se mêlent. Quand ils nous soutiennent, les internautes nous envoient des messages. C'est l'occasion de mesurer combien est grande la défiance et la méfiance, voire le rejet du système médiatique dominant, qui est considéré comme corrompu ou plutôt abîmé, du fait de ses liens de dépendance avec des grands groupes industriels.

C'est ainsi que nous fonctionnons. Nous tenterons évidemment d'accroître ces financements et de les diversifier, en faisant appel à d'autres fondations, comme des fondations européennes, qui sont très sensibilisées sur les questions de liberté de la presse et de développement d'une presse indépendante.

Notre budget atteint environ 300 000 euros depuis deux ans. Il nous permet d'accorder chaque année un peu plus de 200 000 euros à des médias indépendants, via des appels à projets. Nous avons aussi des frais de fonctionnement. Nous comptons une seule employée à temps plein, notre directrice exécutive, Charlotte Clavreul, ici présente. Les autres participants au Fonds sont bénévoles, ce à quoi nous oblige d'ailleurs la loi.

Vous m'interrogez par ailleurs sur les critères d'investissement ou d'attribution des subventions. Outre le Conseil d'administration du Fonds, la loi nous oblige à constituer un Conseil stratégique. Il est chargé d'évaluer les investissements réalisés par le Fonds. Nous avons tenu à ce que ce Conseil stratégique regroupe des professionnels expérimentés, entrepreneurs de presse comme Maurice Botbol, directeur d'Indigo Publications, Edmond Espanel, directeur général de Brief.me ou Karen Bastien, cofondatrice de l'agence web WeDoData. Nous y avons associé des universitaires et des chercheurs, comme Valérie Jeanne-Perrier, qui dirige l'École de journalisme du CELSA, ou Nikos Smyrnaios, universitaire spécialisé sur les questions de presse à l'Université de Toulouse. S'y ajoutent des journalistes professionnels pointus, comme Lisa Castelly, journaliste et actionnaire associée de Marsactu, et Audrey Bree-Williamson, qui est une spécialiste de projets techniques fort complexes comme les développements d'applications et qui est salariée de Mediapart.

Nous nous inscrivons donc dans une diversité de savoirs professionnels et d'appartenance à des médias indépendants. Ce sont eux qui décident, évidemment après discussion. Nous ne débattons pas de priorités données à l'investigation, à des colorations éditoriales ou à certains engagements. Notre ambition, avec le peu d'argent que nous avons (qui peut tout de même servir à franchir certaines marches), est d'aider des titres très fragiles à passer un cap dans la construction de leur modèle éditorial. Ainsi, nous avons soutenu le projet d'un tout jeune site d'information, très brillant, mais qui n'a aucun moyen. Nous l'avons soutenu - ça peut paraître ridicule - à hauteur de 17 000 ou 18 000 euros, simplement pour bâtir une newsletter efficace permettant de faire l'aller-retour avec ses lecteurs et abonnés, grâce au branchement d'un outil marketing permettant de les avertir. C'est avec des petites solutions de ce genre qu'il est possible de fidéliser un lectorat et de gagner 500 ou 600 abonnés, ce qui est déjà un cap important.

Nous avons également aidé Orient XXI, site exceptionnel d'information, de reportage et d'analyse sur les sociétés proche et moyen-orientales. Ce site, publié en français et en arabe, a voulu développer une traduction italienne, car il s'agit d'un marché important. Nous les avons aidés pour développer l'organisation de leur traduction.

Nous avons de surcroît aidé la Revue Far Ouest, site d'information régionale en Nouvelle-Aquitaine, qui tenait à éditer un mook, c'est-à-dire un beau produit papier, deux fois par an, pour les faire connaître d'un public différent. Ce premier mook a très bien marché. Il leur a apporté du chiffre d'affaires, de la notoriété et un nouveau public.

Radio Parleur est le dernier exemple que je souhaite évoquer. Ce site produit essentiellement de l'audio, sous forme de podcasts. Il a nourri un projet sur les nouvelles dynamiques dans notre société, pas seulement les mobilisations sociales, mais aussi des sujets plus divers. Ils avaient besoin d'un budget pour mettre en place une base technique améliorée et payer correctement leurs journalistes. Nous avons soutenu ce projet.

Actuellement, un appel d'offres de 100 000 euros est en cours, via un appel à projets. La clôture des candidatures se situe au 25 février. Nous n'avons pas proposé uniquement de la subvention, mais une mécanique d'avance remboursable, ce qui permet de débloquer des sommes plus importantes, jusqu'à 50 000 euros. Comme ils n'ont pas accès au crédit bancaire et que les procédures des aides publiques sont extrêmement lourdes, l'avance remboursable permet de disposer de deux ans de franchise complète, sans avoir à apporter de garantie. Quand le projet le mérite, l'acteur dispose de quelques années pour travailler, puis le Fonds récupère l'argent pour le réinvestir dans d'autres projets. L'enjeu n'est pas de se soucier du positionnement ou de l'engagement politique, mais de construire du journalisme pérenne. C'est une grande ambition, que nous ne pourrons pas mener complètement avec nos moyens. En tout cas, cela permet de bénéficier d'une respiration de deux ans. Sept médias ont déjà été soutenus. Ce nouvel appel d'offres permettra d'en soutenir encore trois ou quatre. Nous sommes donc satisfaits, même si l'échelle reste petite.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Face aux médias dominants, vous cherchez à encourager une presse indépendante. L'ensemble de la presse qui dispose de gros moyens est-elle non indépendante ? Pouvez-vous préciser votre pensée ? Vous avez évoqué les grands groupes qui ne sont pas des groupes de médias. Vous avez de surcroît valorisé certains grands groupes, en Allemagne ou ailleurs, parce qu'ils sont concentrés et à l'origine de groupes de médias. S'agit-il des dominantes ? L'indépendance est-elle liée à la puissance ou au lien avec des activités industrielles ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

L'indépendance est simple à définir. Nous avons retenu la définition donnée dans ses statuts par le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil). Une entreprise indépendante est une entreprise au service d'elle-même et non d'intérêts industriels, commerciaux ou politiques tiers. Un média peut être contrôlé par son équipe ou par divers actionnaires. Il faut alors que les actionnaires ne soient pas en conflits d'intérêts avec la société éditrice de ces médias.

La question est la même pour les associations. Il faut s'assurer qu'elles disposent de sources de financement suffisamment diversifiées pour ne pas dépendre d'une fondation, d'une entreprise ou d'une collectivité locale. Là aussi, les responsables ne doivent pas être en situation de conflit d'intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Au fond, qu'entendez-vous par l'expression « les médias dominants » ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Je resterai sur la presse écrite, car je suis bien moins spécialiste de l'audiovisuel.

Aujourd'hui, l'essentiel du service médiatique privé est tenu par cette petite dizaine d'hommes d'affaires, sachant que nous assistons actuellement à de nouveaux phénomènes de concentration, avec la reprise du groupe Lagardère. Vous auditionnerez d'ailleurs cet après-midi M. Matthieu Pigasse, qui vient de vendre une partie de ses parts à Xavier Niel. La concentration se poursuit.

Le problème est là. Un quotidien économique appartient à la plus grande fortune française, qui est la troisième fortune mondiale. Comment un journaliste des Echos peut-il traiter le groupe Carrefour, dont Bernard Arnauld est un actionnaire-clé ? Qu'en est-il de LVMH ? Quand une grande ONG, relayée par de nombreuses publications, a explicité la stratégie d'optimisation fiscale du groupe LVMH via une centaine de filiales offshore, comment Les Echos pouvaient-ils intervenir ? C'est ingérable.

Comment font nos confrères du Figaro pour couvrir les aventures du groupe Dassault ? C'est impossible. J'échangeai récemment avec un collègue du Figaro. Il a confirmé qu'il existe une ligne rouge, ajoutant que l'équipe sait que l'information finira par sortir dans les autres journaux. Dès lors, le scandale de corruption présumé autour de la vente de Rafales en Inde, qui a valu l'ouverture d'une enquête du Parquet national financier, qui fait les gros titres de la presse indienne et qui déstabilise même le gouvernement Modi n'a pas occasionné une ligne dans le Figaro. Il en a été de même des aventures de Serge Dassault à Corbeil-Essonnes ou des achats de votes. Pas une ligne. Le Figaro est un journal de qualité, mais tout lecteur de ce titre doit se rappeler en permanence que certains sujets ne seront pas traités. Ce n'est pas possible de fonctionner ainsi.

Les médias dominants, ce sont donc ces médias qui dominent le marché, par leur puissance, leur diffusion et leurs ventes, mais qui posent un énorme problème sur les questions d'indépendance. La rupture de confiance intervenue avec le public est largement due à ces sujets.

Je pense qu'il y a pourtant des choses simples à faire pour reconstruire la relation avec les publics. C'est impossible de rester dans cette situation.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Que pensez-vous qu'il faille faire ? Vous participez au mouvement qui s'interroge sur le statut juridique des rédactions ou pose la question des trafics d'influence, autour du collectif Informer n'est pas un délit. Je tente pour ma part de proposer une réponse à cette question sur le plan législatif depuis 2008, sur le fait de posséder des médias quand on vit de la commande publique, ce qui pose néanmoins le problème - la loi n'étant pas rétroactive - que les nouveaux entrants peuvent être étouffés.

Quelles sont les deux ou trois mesures phares que vous préconiseriez pour remédier à ces maux des médias et de la presse française ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Certaines mesures simples permettraient de reconstruire le lien avec les acteurs, en reprécisant qui est qui et qui fait quoi. La transparence n'est à ce jour pas respectée. Certains points de la loi ne sont pas respectés par les médias.

En premier lieu, la liste des actionnaires, pas uniquement les actionnaires directs mais aussi les actionnaires de deuxième ou de troisième rang, devrait être publiée. Vous l'avez évoqué avec Nicolas Beytout. Or il n'est tout simplement pas possible de comprendre qui est actionnaire de L'Opinion. La structure montée par L'Opinion ne permet pas aux lecteurs de comprendre qui sont les vrais propriétaires, qui figurent au deuxième ou au troisième rang.

Il faudrait aussi publier les pactes d'actionnaires. Vous auditionnerez justement M. Pigasse aujourd'hui. Or le pacte d'actionnaires qui unit les trois actionnaires du Monde Libre, la structure qui contrôle Le Monde (Matthieu Pigasse, Xavier Niel et l'ayant-droit de Pierre Bergé), est inconnu. Nous ignorons comment cela fonctionne et la Société des rédacteurs du Monde l'ignore.

Il faudrait de surcroît que les comptes des différents médias soient publiés. C'est une obligation légale qui n'est pas respectée, alors que ces titres touchent de l'argent public. De plus, il ne faut pas se limiter aux comptes consolidés mais fournir tous les comptes, titre par titre.

Je ne cherche pas à accabler Le Monde, où j'ai travaillé douze ans, mais il reste que vous ne trouverez que les comptes consolidés du groupe, pas ceux du quotidien.

Il faut aussi clarifier la question de l'argent public. Il faudrait publier le détail des aides publiques, par titre et par groupe. Le ministère de la culture s'y montre particulièrement réticent. Deux députées s'en sont plaint lors d'une mission d'information flash. Le ministère ne les a pas fournis à ces deux parlementaires.

Ensuite, et c'est là un enjeu pour l'information locale, il faut publier les aides et subventions accordées par les collectivités locales aux médias locaux et régionaux. Les appels lancés par Marsactu et Médiacités sont très intéressants. Quand Marsactu a enquêté sur les aventures de Karine Le Marchand, ambassadrice de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le président de la région, Renaud Muselier, a confirmé l'existence d'accords avec le journal La Provence. Or ces accords sont secrets. De l'argent public est donc versé, par des subventions directes, de la publicité institutionnelle ou des appels d'offres de marchés publics, et il faudrait vraiment faire le ménage. Ce serait déjà une étape importante pour savoir qui est qui et qui fait quoi.

En outre, second volet, j'en appelle au renforcement des droits des journalistes, la loi « Bloche » de 2016 s'étant avérée assez insuffisante. Dans notre profession, tout un chacun reconnaît la nécessité de doter les sociétés de journalistes d'un vrai statut juridique, notamment pour pouvoir agir en justice.

Des propositions vous ont été soumises, entre autres par Nicolas Vescovacci du collectif Informer n'est pas un délit, pour créer deux délits, un délit de trafic d'influence et un délit de censure, car il est souvent question d'autocensure, mais la censure existe. Elle est même assez fréquente, les journaux étant organisés assez verticalement. C'est aux rédacteurs en chef qu'il appartient de décider si un sujet passe ou non, s'il s'inscrit dans la ligne éditoriale et s'il correspond au projet.

Nous demandons de plus des droits sur la nomination et la révocation des responsables de rédaction. Comme c'est généralement le cas en Allemagne, des journalistes devraient être présents aux conseils d'administration.

De plus, et nous le faisons dans les titres que nous aidons, nous demandons, comme le Spiil, d'annexer aux contrats de travail des journalistes la charte de Munich, charte internationale, qui date de 1971. Il s'agit tout de même du texte fondamental de notre métier, de sa déontologie et ses pratiques professionnelles.

Enfin, il faut cesser d'amender le système des aides publiques à la presse. Il faut le renverser, le remettre sur ses pieds, et il faut introduire dans les critères d'attribution de ces aides le critère de l'indépendance des médias. Les aides publiques ne devraient pas financer les journaux des milliardaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Quels sont les contrôles que vous exercez après avoir apporté un financement ? En outre, ce que vous faites n'est-il pas le début d'une concentration ?

Vous avez évoqué les aides publiques. Comment voyez-vous les choses aujourd'hui ?

Vous êtes assez critiques concernant le niveau de l'information en France, que vous estimez médiocre. Quel regard portez-vous sur les journalistes de l'AFP ?

Dans votre Fonds se trouve la directrice d'une école de journaliste. La médiocrité commence-t-elle avec la formation des journalistes ?

Enfin, vous avez indiqué que vous n'aviez pas de vision politique. Si Zemmour créait un support, l'aideriez-vous ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Si Eric Zemmour présentait un projet qui ne violerait pas la loi par son projet éditorial et qui n'ouvrirait pas à la voie à des condamnations à répétition pour haine raciale, nous pourrions le soutenir. S'il affichait un vrai modèle économique, une structure de capital transparente et indépendante, sans conflit d'intérêts, nous examinerions ce projet, comme toute candidature.

Pour tout vous dire, nous avons aidé des titres sans coloration politique, ou dont on peut penser qu'ils partagent plutôt des valeurs de gauche. J'attends encore à ce jour de recevoir des candidatures de sites d'information ayant une coloration de droite. Je les attends. Nous nous heurtons à l'état des lieux de la situation française. Prenons Atlantico. Ses actionnaires ou ses conditions de travail ne sont pas connus. Or nous restons tenus par nos statuts, que nous n'avons pas rédigés seuls. En créant le Fonds pour une presse libre, nous avons dû négocier avec l'administration fiscale, car les dons qui nous sont faits donnent droit à une déduction fiscale. Il est donc normal que l'administration fiscale se soucie du fonctionnement et de la gouvernance de ce Fonds. Ainsi, ce Fonds de dotation a interdiction d'aider Mediapart avec des dons qu'il percevrait, société commerciale qu'il contrôle à 100 %. Il ne serait pas acceptable de financer une société commerciale avec des dons défiscalisés. C'est un point important, car le Fonds de dotation créé par SFR, qui contrôle et finance Libération, sera très bientôt concerné. Si c'est un moyen pour SFR de défiscaliser l'argent investi dans Libération, je pense que c'est un problème.

Vous m'interrogez sur le contrôle qui est effectué sur les financements. Nous menons effectivement un contrôle. Nous recevons des retours, même si nos financements sont limités. Comme le demandent beaucoup les médias jeunes, nous proposons aussi un suivi, car nous sommes une équipe de professionnels expérimentés, qui ont commis des erreurs classiques. Nous pouvons aider ces jeunes médias à les éviter. Même s'il ne s'agit pas de créer un groupe de presse ou une concentration, nous n'excluons pas des prises de participation au capital. Cela ne s'est pas encore produit, mais il pourrait y en avoir. Ces participations resteraient minoritaires, sans doute pas au-delà de 10 %. Un véritable accompagnement serait alors organisé. En outre, ces médias pourraient faire des subventions ou des investissements du Fonds pour une presse libre un label de professionnalisme et de qualité. D'autres investisseurs seraient alors rassurés par ces subventions ou ces aides.

Vous m'interrogez de surcroît sur la formation des journalistes. Le débat sur la qualité de leur formation est éternel. N'oublions pas que ce métier reste accessible à des personnes qui ne sont pas passées par une école de journalisme, dont certains journalistes brillantissimes. Je ne me sens pas de m'exprimer à ce sujet.

Vous faites peut-être allusion à Eric Zemmour, qui a qualifié des écoles de journalisme « d'écoles d'idéologie Mediapart ». Pour ma part, j'ai tendance à penser que le recrutement des étudiants est socialement trop homogène et que leur formation est parfois trop tranquille et conformiste. Je n'irai pas plus loin dans les critiques. Je suis moi-même passé par le Centre de formation des journalistes de Paris, qui est une très bonne formation et un tremplin pour des personnes n'ayant aucun réseau. Je ne serais pas devenu journaliste sans le CNJ.

Vous m'interrogez enfin sur le travail de l'AFP. C'est l'une des deux grandes agences de presse mondiales. Nous échangeons régulièrement avec cette agence. Nous avons parfois des désaccords. On ne peut pas dire que c'est une agence faible.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Je vous ai trouvé sévère sur la médiocrité de l'information en France ou sur la sous-traitance des journalistes. A vos yeux, seuls les journalistes de la presse indépendante sont intéressants. Pouvez-vous nuancer vos propos ?

Vous avez évoqué les fonds d'aide à la presse. LVMH, Les Echos et Le Parisien touchent 25 % des aides à la presse. De quelle manière faudrait-il réformer ces aides ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Vous avez trouvé mon propos préliminaire violent et caricatural. J'ai longuement réfléchi et j'ai choisi de tenir ces propos, que je ne modérerai pas. En tant que grand lecteur de la presse étrangère, je suis ébahi par le manque de création ou d'innovation des médias appartenant à des grandes fortunes. C'est de l'immobilisme. C'est impossible, au temps de la révolution numérique, d'avoir raté tant et d'avoir fait si peu. C'est impossible de laisser se creuser un tel écart entre les lecteurs, la population et le système des médias. Tous en souffrent. Dans les manifestations, on entend désormais des slogans comme : « tout le monde déteste les médias ». Récemment, des collègues professionnels de l'AFP ont été sortis d'une manifestation. Ce n'est pas anodin. Ces symptômes ne se limitent pas à quelques fous furieux dans une manifestation. J'ai fait beaucoup de reportages sur les gilets jaunes. La fracture est grave. Il est impossible d'évoquer les groupes Facebook ou les bulles informationnelles et de laisser le système médiatique en l'état, sans critique. Il faut l'interroger et comprendre pourquoi nos publics se méfient.

En tant que journaliste, j'entends beaucoup de choses sur mon métier. On peut avoir envie de se cacher, mais je pense qu'il faut faire attention à cette rupture. Nous nous y sommes habitués. Le fameux baromètre de La Croix nous indique que la confiance dans l'information et le journalisme diminue. Il ne faut pas s'y habituer. C'est le principal reproche que je ferais à ces journaux dominants ou à la presse régionale.

Le patron du groupe EBRA affirme avoir sauvé ses journaux, mais il ne le dit pas en tenant les propos qu'il a tenus au Figaro en novembre, c'est-à-dire au prix de 900 départs et de grandes fusions entre les rédactions.

Je suis lecteur depuis 45 ans du Dauphiné Libéré. Comment seulement prétendre vendre ce journal ? C'est désespérant, y compris en termes d'information locale. Les contenus sont terriblement appauvris. Je ne mets pas en cause ici mes collègues journalistes, qui souffrent. Sachez que les fondateurs du Poulpe sont deux anciens journalistes de Paris-Normandie qui n'en pouvaient plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

J'ai trouvé votre propos liminaire assez pertinent, autour de l'économie de l'attention.

Vous recherchez un journalisme pérenne et non orienté. Or vous n'avez stigmatisé que l'extrême-droite, comme si le pays tournait autour de M. Zemmour, sans rien dire de l'extrême gauche, qui est à mon sens tout aussi dangereuse.

Qui est à même de juger du pluralisme ? Comment jugez-vous les trajectoires diverses d'Edwy Plenel, d'Eric Fottorino et de Nicolas Beytout ? Ne présentent-ils pas à eux seuls la preuve d'un certain pluralisme dans notre pays ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

En tant que journaliste et président du Fonds pour une presse libre, je tiens à rappeler la maladie française qui confond le journalisme et la politique. En France, on considère que le summum du journalisme consiste à être éditorialiste, alors qu'aux Etats-Unis, le summum du métier consiste à être enquêteur.

J'ai travaillé avec des médias ayant des projets éditoriaux et j'essaie que ces projets se réalisent et prospèrent.

Comment gérer du pluralisme ? Il faut tomber d'accord sur une définition de ce qu'est la presse indépendante. Je vous ai cité la définition un peu longue donnée par le Spiil. On sait bien qu'il ne peut y avoir de délibération démocratique de qualité sans qu'elle soit fondée sur une information indépendante. Dès lors, la messe est dite.

Pour poursuivre ma réponse, je citerai une phrase que j'apprécie de Pulitzer, celui qui a donné son nom au fameux prix journalistique : « Le vrai journalisme doit rester toujours dévoué au bien public et être toujours radicalement indépendant. Le vrai journalisme, c'est une information minutieuse, qui se battra pour le progrès et la réforme, ne tolérera jamais l'injustice ou la corruption et combattra toujours les démagogues. »

J'aime cette phrase, qui résonne étrangement dans le contexte français actuel. Faisons le pari qu'aucun de nos hommes d'affaires qui contrôlent les médias actuellement ne signerait cette phrase. C'est problématique.

Je n'ai pas répondu à Mme de Marco sur la réforme des aides publiques. Un important travail a été fait. Je vous renvoie ici aux propositions du Spiil. La puissance publique n'a pas pour mission d'assurer une rente à un monde mort ou finissant, mais d'aider à l'émergence de secteurs qui créent de la valeur. Or il apparaît une possibilité, en revoyant et réorientant le système d'aides publiques vers la presse indépendante, de créer de la richesse, des emplois et un autre écosystème de la presse.

Certaines choses ont été faites (bourse à l'émergence, recherche du pluralisme, etc.), mais le déséquilibre perdure. Médiacités m'indique qu'il leur manque 250 000 euros pour pérenniser leur modèle économique et être à l'équilibre. Or 12 millions d'euros d'aides publiques sont versés au Parisien/Aujourd'hui, 1,8 million d'euros est allé au JDD, 5,2 millions d'euros au Monde, 5,7 millions d'euros au Figaro, 5,9 millions d'euros à Libération et 2 millions d'euros à L'Opinion. Que fait la puissance publique ? Il faut renverser le système et le remettre sur ses pieds.

Comme il est question de qualité du débat public et de recréer la confiance avec les citoyens, je pense qu'il faudrait introduire l'indépendance effective des médias comme critère. Ce serait extrêmement fécond.

Par ailleurs, la puissance publique doit faire des choix stratégiques. Il faudrait se tourner vers le Haut-Commissaire au Plan. L'Etat n'a pas pour mission de tenir vivant un système dont de larges parties sont mortes. N'ayons pas peur de le dire. Il faut savoir changer.

Tous ces gros éditeurs ont expliqué qu'ils vivaient une crise sans précédent. Or il était déjà question de la crise extrêmement grave de la presse française dans un rapport parlementaire très intéressant datant des années 1960. Cette crise ne peut plus être évoquée pour justifier la reconduction d'un système d'aides sur des critères obsolètes, obscurs et inefficaces.

Le critère de l'indépendance est une bonne piste de réforme des aides à la presse.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Revenons peut-être à Albert Camus, auteur qui fait sans doute consensus par sa force. Dans son Manifeste pour un journalisme libre, il indique : « Un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. »

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Le Fonds que vous présidez a vocation à aider la presse indépendante à se développer. Il est ainsi possible de vous soumettre des projets, que votre Fonds peut subventionner, voire entrer au capital.

Pour être éligible, l'entreprise éditrice doit être indépendante, concept qui est pour le moins difficile à concrétiser. Ainsi, selon vos dires, vous avez fait le choix de considérer une entreprise de presse comme indépendante lorsque la majorité de son capital est détenue par des personnes physiques ou morales, mais dont l'activité principale se situe dans les médias.

Or, pour n'en citer qu'un seul, le groupe Bolloré se détache progressivement d'une partie de ses activités pour se concentrer sur les médias, que Vincent Bolloré considère comme le secteur le plus lucratif après le luxe.

Cela pourrait-il vous amener à adapter votre conception de l'indépendance ? Merci de votre réponse.

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

La définition de l'indépendance que j'ai donnée reste très partagée dans notre profession. C'est bien pour cela que je l'ai reprise, le Spiil restant le principal syndicat de notre secteur par le nombre de ses adhérents (plus de 250 adhérents). Nous verrons comment le groupe Bolloré évolue et s'il se détache véritablement de ses nombreuses activités en Afrique. Pour l'instant, il est ce qu'il est.

J'ai procédé à une vérification des chiffres relatifs au groupe Bouygues. TF1 représente 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Bouygues Télécom 6,5 milliards d'euros et leur activité de BTP 26 milliards d'euros. Dès lors, les médias représentent 2 des 30 milliards d'euros de leur chiffre d'affaires. Le même calcul pourrait être fait concernant le groupe Bolloré.

Comparons avec la situation en Allemagne, au Royaume-Uni et très largement aux Etats-Unis. Dans ces pays, l'activité média et de production d'information des grands groupes de médias est le coeur de métier. Les structures de propriété existant dans les grands groupes français sont atypiques. C'est un constat simple et nous sommes tout à fait d'accord au sein de la profession sur la définition d'un média indépendant. Vous avez cité un média contrôlé par un seul actionnaire. Des sociétés commerciales peuvent tout à fait être contrôlées par un seul actionnaire, dont le métier est exclusivement l'information. Prenez l'exemple d'Epsiloon, nouvelle revue scientifique lancée après la crise qu'a connu le titre Science & Vie. Son seul actionnaire se concentre sur la presse. Le principal problème est donc d'abord le conflit d'intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Si Vincent Bolloré se concentrait uniquement sur les médias et la presse, comme il l'a dit, est-ce que vous reverriez alors votre conception de l'indépendance ?

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Il affiche aujourd'hui une dimension telle qu'il ne se recentrera jamais sur des activités de presse exclusive. Une enquête a par exemple été publiée hier sur Bolloré Logistics, qui n'a rien à voir avec la presse.

Si le groupe Bolloré avait effectivement changé dans dix ans, Vincent Bolloré devant prendre sa retraite en février, nous pourrions en débattre à nouveau, notamment s'il se séparait d'Havas, principale agence de publicité en France et l'une des premières du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

La question de la définition de l'indépendance est intéressante et complexe. J'ai relu la définition du Spiil, qui tourne beaucoup autour de l'éventualité d'un conflit d'intérêts. Dès lors qu'un patron de société figure dans l'actionnariat, cette situation est susceptible de générer des conflits d'intérêts.

Nous avons tous beaucoup apprécié la table ronde de la semaine dernière, avec Edwy Plenel, Nicolas Beytout, Eric Fottorino, et Isabelle Roberts. Or aucun de ces quatre journaux n'entrait lors de leur création dans le cadre de la définition de l'indépendance qu'a fixée le Spiil. Tous ont en effet fait appel, pour des raisons économiques que l'on peut comprendre, à des investisseurs, des sociétés ou des hommes d'affaires.

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Non. Mediapart entrait dans cette définition à l'époque.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Non, car un tiers du capital était détenu par deux sociétés investisseurs, Ecofinance et Doxa. La Société des amis comptait aussi des chefs d'entreprise.

Debut de section - Permalien
François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre

Certes, mais ils étaient largement minoritaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Comme quoi, la réalité de l'indépendance reste très difficile à appréhender d'un point de vue capitalistique. En tout cas, merci beaucoup pour votre éclairage, ce matin.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 15.