Je resterai sur la presse écrite, car je suis bien moins spécialiste de l'audiovisuel.
Aujourd'hui, l'essentiel du service médiatique privé est tenu par cette petite dizaine d'hommes d'affaires, sachant que nous assistons actuellement à de nouveaux phénomènes de concentration, avec la reprise du groupe Lagardère. Vous auditionnerez d'ailleurs cet après-midi M. Matthieu Pigasse, qui vient de vendre une partie de ses parts à Xavier Niel. La concentration se poursuit.
Le problème est là. Un quotidien économique appartient à la plus grande fortune française, qui est la troisième fortune mondiale. Comment un journaliste des Echos peut-il traiter le groupe Carrefour, dont Bernard Arnauld est un actionnaire-clé ? Qu'en est-il de LVMH ? Quand une grande ONG, relayée par de nombreuses publications, a explicité la stratégie d'optimisation fiscale du groupe LVMH via une centaine de filiales offshore, comment Les Echos pouvaient-ils intervenir ? C'est ingérable.
Comment font nos confrères du Figaro pour couvrir les aventures du groupe Dassault ? C'est impossible. J'échangeai récemment avec un collègue du Figaro. Il a confirmé qu'il existe une ligne rouge, ajoutant que l'équipe sait que l'information finira par sortir dans les autres journaux. Dès lors, le scandale de corruption présumé autour de la vente de Rafales en Inde, qui a valu l'ouverture d'une enquête du Parquet national financier, qui fait les gros titres de la presse indienne et qui déstabilise même le gouvernement Modi n'a pas occasionné une ligne dans le Figaro. Il en a été de même des aventures de Serge Dassault à Corbeil-Essonnes ou des achats de votes. Pas une ligne. Le Figaro est un journal de qualité, mais tout lecteur de ce titre doit se rappeler en permanence que certains sujets ne seront pas traités. Ce n'est pas possible de fonctionner ainsi.
Les médias dominants, ce sont donc ces médias qui dominent le marché, par leur puissance, leur diffusion et leurs ventes, mais qui posent un énorme problème sur les questions d'indépendance. La rupture de confiance intervenue avec le public est largement due à ces sujets.
Je pense qu'il y a pourtant des choses simples à faire pour reconstruire la relation avec les publics. C'est impossible de rester dans cette situation.