Intervention de François Bonnet

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 28 janvier 2022 à 10h35
Audition M. François Bonnet président du fonds pour une presse libre

François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre :

Certaines mesures simples permettraient de reconstruire le lien avec les acteurs, en reprécisant qui est qui et qui fait quoi. La transparence n'est à ce jour pas respectée. Certains points de la loi ne sont pas respectés par les médias.

En premier lieu, la liste des actionnaires, pas uniquement les actionnaires directs mais aussi les actionnaires de deuxième ou de troisième rang, devrait être publiée. Vous l'avez évoqué avec Nicolas Beytout. Or il n'est tout simplement pas possible de comprendre qui est actionnaire de L'Opinion. La structure montée par L'Opinion ne permet pas aux lecteurs de comprendre qui sont les vrais propriétaires, qui figurent au deuxième ou au troisième rang.

Il faudrait aussi publier les pactes d'actionnaires. Vous auditionnerez justement M. Pigasse aujourd'hui. Or le pacte d'actionnaires qui unit les trois actionnaires du Monde Libre, la structure qui contrôle Le Monde (Matthieu Pigasse, Xavier Niel et l'ayant-droit de Pierre Bergé), est inconnu. Nous ignorons comment cela fonctionne et la Société des rédacteurs du Monde l'ignore.

Il faudrait de surcroît que les comptes des différents médias soient publiés. C'est une obligation légale qui n'est pas respectée, alors que ces titres touchent de l'argent public. De plus, il ne faut pas se limiter aux comptes consolidés mais fournir tous les comptes, titre par titre.

Je ne cherche pas à accabler Le Monde, où j'ai travaillé douze ans, mais il reste que vous ne trouverez que les comptes consolidés du groupe, pas ceux du quotidien.

Il faut aussi clarifier la question de l'argent public. Il faudrait publier le détail des aides publiques, par titre et par groupe. Le ministère de la culture s'y montre particulièrement réticent. Deux députées s'en sont plaint lors d'une mission d'information flash. Le ministère ne les a pas fournis à ces deux parlementaires.

Ensuite, et c'est là un enjeu pour l'information locale, il faut publier les aides et subventions accordées par les collectivités locales aux médias locaux et régionaux. Les appels lancés par Marsactu et Médiacités sont très intéressants. Quand Marsactu a enquêté sur les aventures de Karine Le Marchand, ambassadrice de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le président de la région, Renaud Muselier, a confirmé l'existence d'accords avec le journal La Provence. Or ces accords sont secrets. De l'argent public est donc versé, par des subventions directes, de la publicité institutionnelle ou des appels d'offres de marchés publics, et il faudrait vraiment faire le ménage. Ce serait déjà une étape importante pour savoir qui est qui et qui fait quoi.

En outre, second volet, j'en appelle au renforcement des droits des journalistes, la loi « Bloche » de 2016 s'étant avérée assez insuffisante. Dans notre profession, tout un chacun reconnaît la nécessité de doter les sociétés de journalistes d'un vrai statut juridique, notamment pour pouvoir agir en justice.

Des propositions vous ont été soumises, entre autres par Nicolas Vescovacci du collectif Informer n'est pas un délit, pour créer deux délits, un délit de trafic d'influence et un délit de censure, car il est souvent question d'autocensure, mais la censure existe. Elle est même assez fréquente, les journaux étant organisés assez verticalement. C'est aux rédacteurs en chef qu'il appartient de décider si un sujet passe ou non, s'il s'inscrit dans la ligne éditoriale et s'il correspond au projet.

Nous demandons de plus des droits sur la nomination et la révocation des responsables de rédaction. Comme c'est généralement le cas en Allemagne, des journalistes devraient être présents aux conseils d'administration.

De plus, et nous le faisons dans les titres que nous aidons, nous demandons, comme le Spiil, d'annexer aux contrats de travail des journalistes la charte de Munich, charte internationale, qui date de 1971. Il s'agit tout de même du texte fondamental de notre métier, de sa déontologie et ses pratiques professionnelles.

Enfin, il faut cesser d'amender le système des aides publiques à la presse. Il faut le renverser, le remettre sur ses pieds, et il faut introduire dans les critères d'attribution de ces aides le critère de l'indépendance des médias. Les aides publiques ne devraient pas financer les journaux des milliardaires.

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