Intervention de François Bonnet

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 28 janvier 2022 à 10h35
Audition M. François Bonnet président du fonds pour une presse libre

François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre :

En tant que journaliste et président du Fonds pour une presse libre, je tiens à rappeler la maladie française qui confond le journalisme et la politique. En France, on considère que le summum du journalisme consiste à être éditorialiste, alors qu'aux Etats-Unis, le summum du métier consiste à être enquêteur.

J'ai travaillé avec des médias ayant des projets éditoriaux et j'essaie que ces projets se réalisent et prospèrent.

Comment gérer du pluralisme ? Il faut tomber d'accord sur une définition de ce qu'est la presse indépendante. Je vous ai cité la définition un peu longue donnée par le Spiil. On sait bien qu'il ne peut y avoir de délibération démocratique de qualité sans qu'elle soit fondée sur une information indépendante. Dès lors, la messe est dite.

Pour poursuivre ma réponse, je citerai une phrase que j'apprécie de Pulitzer, celui qui a donné son nom au fameux prix journalistique : « Le vrai journalisme doit rester toujours dévoué au bien public et être toujours radicalement indépendant. Le vrai journalisme, c'est une information minutieuse, qui se battra pour le progrès et la réforme, ne tolérera jamais l'injustice ou la corruption et combattra toujours les démagogues. »

J'aime cette phrase, qui résonne étrangement dans le contexte français actuel. Faisons le pari qu'aucun de nos hommes d'affaires qui contrôlent les médias actuellement ne signerait cette phrase. C'est problématique.

Je n'ai pas répondu à Mme de Marco sur la réforme des aides publiques. Un important travail a été fait. Je vous renvoie ici aux propositions du Spiil. La puissance publique n'a pas pour mission d'assurer une rente à un monde mort ou finissant, mais d'aider à l'émergence de secteurs qui créent de la valeur. Or il apparaît une possibilité, en revoyant et réorientant le système d'aides publiques vers la presse indépendante, de créer de la richesse, des emplois et un autre écosystème de la presse.

Certaines choses ont été faites (bourse à l'émergence, recherche du pluralisme, etc.), mais le déséquilibre perdure. Médiacités m'indique qu'il leur manque 250 000 euros pour pérenniser leur modèle économique et être à l'équilibre. Or 12 millions d'euros d'aides publiques sont versés au Parisien/Aujourd'hui, 1,8 million d'euros est allé au JDD, 5,2 millions d'euros au Monde, 5,7 millions d'euros au Figaro, 5,9 millions d'euros à Libération et 2 millions d'euros à L'Opinion. Que fait la puissance publique ? Il faut renverser le système et le remettre sur ses pieds.

Comme il est question de qualité du débat public et de recréer la confiance avec les citoyens, je pense qu'il faudrait introduire l'indépendance effective des médias comme critère. Ce serait extrêmement fécond.

Par ailleurs, la puissance publique doit faire des choix stratégiques. Il faudrait se tourner vers le Haut-Commissaire au Plan. L'Etat n'a pas pour mission de tenir vivant un système dont de larges parties sont mortes. N'ayons pas peur de le dire. Il faut savoir changer.

Tous ces gros éditeurs ont expliqué qu'ils vivaient une crise sans précédent. Or il était déjà question de la crise extrêmement grave de la presse française dans un rapport parlementaire très intéressant datant des années 1960. Cette crise ne peut plus être évoquée pour justifier la reconduction d'un système d'aides sur des critères obsolètes, obscurs et inefficaces.

Le critère de l'indépendance est une bonne piste de réforme des aides à la presse.

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