Berlys Média n'est pas financé par Xavier Niel, mais par ce dernier et moi-même conjointement à 50 %, en application de l'engagement que nous avions pris envers Pierre Bergé. Avant son décès, il nous avait en effet demandé de nous engager de racheter conjointement sa participation. Nous rachetons donc cette participation, année après année, de manière tout à fait égalitaire avec Xavier Niel.
Le Monde est une aventure au sens le plus noble du terme, que j'ai menée avec mes deux partenaires et amis Pierre Bergé et Xavier Niel depuis plus de dix ans. Je suis particulièrement fier de cette aventure, que nous avons initiée en 2010 au nom des valeurs que j'ai décrites précédemment : démocratie, indépendance, pluralisme.
Tous les objectifs que nous avions définis en 2010 sont atteints, avec au premier chef celui de l'indépendance éditoriale absolue. J'insiste sur le fait qu'aucun journal en Europe ne bénéficie du même cadre d'indépendance que Le Monde. Nous avons veillé à mettre en place une stricte séparation entre le pouvoir actionnarial et le pouvoir éditorial. En 2010, une charte d'éthique et de déontologie a été signée, définissant notamment les droits et devoirs des actionnaires. Il est ainsi prévu que nous n'avons pas le droit de commander un article, d'empêcher la parution d'un article, d'intervenir de quelque manière que ce soit. L'application de cette charte est placée sous la surveillance d'un comité d'éthique et de déontologie présidé par Dominique de la Garanderie, ancienne bâtonnière de l'Ordre des Avocats du barreau de Paris.
En 2010, lors de notre acquisition du journal, nous avons facilité et favorisé la mise en place d'un pôle d'indépendance constitué du regroupement de l'ensemble des sociétés de journalistes, de cadres, d'employés et de lecteurs qui, ensemble, possèdent une participation dans le Monde pour y exercer un pouvoir direct, à hauteur à l'époque de 24,5 %.
Puis nous sommes allés plus loin en 2017, en mettant en place une action d'indépendance. En économie, le terme serait golden share ou action spécifique pour ce pôle d'indépendance qui, même si sa participation est diluée, conserve des pouvoirs identiques.
En 2019, le processus a encore été accéléré sur ma proposition, par la mise en place de manière consensuelle, d'un droit d'agrément. Le pôle d'indépendance dispose ainsi d'un droit consistant à approuver tout changement direct ou indirect d'actionnaire.
Enfin, la disposition préexistante selon laquelle la nomination du directeur du journal doit être approuvée par au moins 60 % des journalistes, a été maintenue.
L'ensemble de cet arsenal juridique quasiment sans précédent assure donc au journal Le Monde une liberté totale et absolue.
Nous avons investi très lourdement dans ce journal et dans le Groupe Le Monde, pour lui donner des moyens nouveaux. Ainsi à notre arrivée en 2010, le journal comptait moins de 300 journalistes. Leur nombre est aujourd'hui supérieur à 500, soit une croissance de plus de 70 %. Au total, le Groupe Le Monde compte plus de 1 000 journalistes.
Par ailleurs, le redressement spectaculaire du Monde grâce aux salariés et au management, a représenté un autre de nos objectifs atteints. Lorsque nous en avons pris le contrôle, ce groupe enregistrait des pertes de 40 millions d'euros par an. En 2021, son EBITDA devrait dépasser 20 millions d'euros et ce, malgré le contexte économique décrit précédemment. Pour sa part, l'Obs, qui s'est trouvé déficitaire pendant quinze ans, est devenu bénéficiaire pour la première fois l'an dernier et enregistré des gains nets de près d'un million d'euros cette année.
En définitive, nous avons bien atteint l'ensemble de nos objectifs.
Pour revenir à votre question, j'ai scrupuleusement respecté tous les engagements pris. Il va de soi que je ne me suis livré à aucune forme d'intervention. En 2010, nous nous étions engagés à investir 110 millions d'euros réparti entre nous trois. Finalement à deux, après le décès de Pierre Bergé, nous avons investi, avec Xavier Niel, entre 140 et 150 millions d'euros. Je l'ai fait seul, sans aucun soutien. J'ai hypothéqué tous mes biens et y ai consacré l'intégralité de mes revenus. Je me suis endetté à hauteur de plusieurs fois mon patrimoine, et ce uniquement par conviction, passion et engagement.
Vous allez sans doute m'interroger sur les raisons de mon retrait. Celui-ci est intervenu, tout simplement, parce que je n'ai pas eu le choix, d'où l'importance du pluralisme et du financement de l'indépendance, qui assure le pluralisme.
En 2018, la charge que je devais assurer s'est accrue considérablement après le décès de Pierre Bergé, puisqu'il était nécessaire de racheter sa participation. Par ailleurs, nous étions tenus de redresser L'Obs, de sorte qu'avec Xavier Niel, nous avons engagé environ 30 millions d'euros à cette fin. Prenant le prétexte de ces charges nouvelles, la banque qui me soutenait depuis 2009, BPCE, a cessé brutalement son soutien.