Intervention de Nathalie Ancel

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 19 décembre 2018 à 14h15
Audition de représentants de la direction des affaires criminelles et des grâces dacg du ministère de la justice

Nathalie Ancel, directrice adjointe des affaires criminelles et des grâces :

La DACG élabore les textes en matière pénale, mais conduit et suit aussi les politiques dans les divers domaines en matière pénale. Elle travaille également sur le champ de l'exécution des peines et sur le casier judiciaire national. Ce sont toutes ces missions qui sont représentées ici aujourd'hui.

Nous sommes à la disposition de votre mission d'information pour vous apporter tout élément complémentaire dont nous ne disposerions pas aujourd'hui.

De notre point de vue, l'arsenal juridique est vaste et relativement complet. Les marges de progression, à notre sens, se situent essentiellement sur le terrain pratique, notamment celui de l'articulation entre les différents acteurs concernés, qu'il s'agisse des acteurs judiciaires, des professionnels de santé ou des membres de l'administration pénitentiaire.

Notre droit s'articule autour de deux notions essentielles, celle de circonstances aggravantes, la qualité de mineur de moins de quinze ans de la victime, comme l'abus d'autorité de l'auteur constituant des circonstances aggravantes au regard du quantum de la peine encourue.

Il existe également des peines complémentaires, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus selon les cas, portant sur l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs. Ce sont ces deux aspects qui constituent des « marqueurs » de l'arsenal répressif destiné à traiter la problématique des infractions sexuelles sur mineurs commises par des personnes ayant autorité, dans le cadre de leur mission vis-à-vis de ces mineurs.

Dans le détail, il s'agit du viol, crime qui, lorsqu'il est aggravé par les deux circonstances aggravantes que je viens d'évoquer, est puni de vingt ans de réclusion criminelle, avec inscription de plein droit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violents (FIJAISV).

Les auteurs d'agressions sexuelles, qui sont habituellement punis de cinq ans d'emprisonnement, sont passibles de sept ans d'emprisonnement lorsque ces agressions sont commises par des personnes ayant autorité sur la victime, et de dix ans s'agissant d'un mineur de quinze ans.

De la même manière, la peine encourue pour atteinte sexuelle est de sept ans. Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ou par toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, le quantum encouru passe à dix ans. La loi Schiappa du 3 août 2018 a fait passer les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans de cinq à sept ans et, s'agissant de l'amende, de 75 000 euros à 100 000 euros.

Peut-être serait-il fastidieux que je décline ici de la même manière les autres infractions, puisqu'on a bien compris le mécanisme des circonstances aggravantes et de la peine complémentaire. Sont en jeu selon nous, concernant le champ de votre mission, les infractions de harcèlement et de chantage sexuel, la corruption de mineur, l'exhibition sexuelle, la proposition sexuelle à un mineur de quinze ans par communication électronique, la fabrication et la diffusion de messages pornographiques perceptibles par un mineur, la diffusion, la fixation, l'enregistrement ou la transmission de l'image d'un mineur qui présente un caractère pornographique. En termes d'incrimination, le champ de l'arsenal répressif est vaste. Il couvre un champ de faits important et, de notre point de vue, par le biais des circonstances aggravantes et des peines complémentaires, traite largement du sujet imparti.

La loi du 3 août 2018 a eu pour effet d'élever le quantum encouru, mais une mesure phare de cette loi réside dans le fait d'avoir fait passer de vingt ans à trente ans le délai de prescription courant à compter de la majorité de la victime pour certains crimes violents ou de nature sexuelle commis sur des mineurs, dont le viol fait naturellement partie. C'est une mesure capitale à mes yeux, car elle permet de mieux prendre en compte le phénomène de l'amnésie traumatique, et d'éviter l'impunité des auteurs de ces faits.

D'un point de vue concret, cet allongement de la prescription prévue par la loi Schiappa s'applique immédiatement aux crimes commis sur des mineurs nés à compter du 6 août 1980 et qui ont atteint leur majorité après le 6 août 1998, soit moins de vingt ans avant l'entrée en vigueur de la loi, le 6 août 2018.

Dans votre questionnaire, vous nous interrogez sur la question fondamentale, d'un point de vue opérationnel, de l'obligation de signalement. On est là dans la détection, qui va permettre de mettre concrètement en oeuvre l'arsenal répressif. L'obligation de signalement incombe aux personnes qui ont connaissance ou qui soupçonnent qu'un mineur a été victime d'une infraction sexuelle.

Le dispositif juridique est relativement complexe. Il implique de manipuler diverses dispositions du code pénal et du code de procédure pénale qui doivent s'articuler entre elles. De façon générale, une personne qui a connaissance ou qui soupçonne qu'un mineur est en danger doit aviser la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP). Nous ne sommes pas encore dans le champ pénal, bien qu'il ne faille pas à mon sens, au regard de la protection de l'enfance, négliger ce qui ne relève pas encore du pénal : en effet, plus une situation préjudiciable aux mineurs est détectée tôt, notamment dans le cadre de personnes qui ont autorité, plus une prise en charge pourra être réalisée, avant un passage à l'acte dévastateur pour le mineur en construction.

Si le danger résulte d'une infraction pénale, il convient évidemment d'aviser directement les services de police ou de gendarmerie ou le procureur de la République en vue d'une enquête pénale. On a tous en tête l'article 40 du code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». L'article 40 a pour effet de délier tous les fonctionnaires du secret professionnel face à tout crime ou délit.

Cependant, l'article 40 ne prévoit pas de sanction pénale en cas de manquement à cette obligation de dénonciation. Des dispositions du code pénal punissent le fait de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives. Il en existe deux, qui concernent plus particulièrement le champ de votre mission. En premier lieu, l'article 434-1 du code pénal punit celui « qui a connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés ». En second lieu, l'article 434-3 du code pénal prévoit l'obligation de porter à la connaissance des autorités judiciaires administratives les actes « de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger, en raison notamment de son âge ».

L'article 434-1, tout autant que l'article 434-3, prévoient que l'obligation de dénonciation qu'ils sanctionnent pénalement ne s'applique pas aux personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13, qui punit « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par son état ou par sa profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ».

Toutefois, dans son article 226-14, la loi autorise la révélation du secret dans certaines circonstances. Ainsi, l'article 226-13 n'est pas applicable à celui qui informe les autorités judiciaires ou administratives de privations ou de sévices, etc. Ceci concerne les personnes visées à l'article 434-3, qui punit le fait de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives. C'est aussi le cas pour le médecin ou pour tout professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la CRIP les sévices qu'il a pu constater dans l'exercice de sa profession.

Je ne sais s'il s'agit d'une marge de progression envisageable, mais on a là un dispositif d'obligation de signalement relativement complexe, qui nécessite de manipuler différentes notions. Certaines jurisprudences prennent en compte la clause de conscience propre à chaque médecin.

Par ailleurs, le signalement aux autorités compétentes ne doit pas négliger les notions de responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de l'auteur de la dénonciation, sachant que le signalement ne permet pas d'engager la responsabilité, sauf bien sûr si celui-ci est réalisé à des fins dilatoires ou de mauvaise foi.

Compte tenu de la complexité du dispositif, la DACG, estimant que son rôle est aussi de venir en aide aux praticiens des juridictions, a élaboré un guide relatif à la prise en charge des victimes mineures. Elle recommande aux parquets, hôpitaux, services d'enquête, d'entretenir des relations étroites afin de favoriser et de simplifier les révélations, dans le cadre du pacte de confiance que permettent des relations étroites, en insistant sur le rôle des professionnels de santé dans la détection des mineurs victimes de maltraitance.

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