Intervention de Nathalie Ancel

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 19 décembre 2018 à 14h15
Audition de représentants de la direction des affaires criminelles et des grâces dacg du ministère de la justice

Nathalie Ancel, directrice adjointe des affaires criminelles et des grâces :

J'insiste sur le fait que j'ai utilisé à dessein le terme de « pacte de confiance », car il est important de procéder en partenariat très étroit, dans le respect du rôle de chacun et des contraintes professionnelles de tous. Cela peut permettre de dédramatiser ces articles un peu complexes, sans toutefois entraver les révélations, cruciales pour la détection et la mise en oeuvre des outils de protection, afin que la justice passe sur le terrain. La sanction est en effet capitale dans ces domaines.

Vous nous interrogez également sur les dispositifs particuliers mis en place pour recueillir la parole de la victime lorsqu'il s'agit d'un enfant. Les dispositifs sont toujours perfectibles et peut-être d'une qualité inégale sur l'ensemble du territoire national, mais les efforts des différents acteurs sont réels et destinés à professionnaliser l'écoute et le recueil de la parole de l'enfant. Ceci passe par une spécialisation des enquêteurs, avec des actions de formation et de professionnalisation mises en place par les services de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et de la Direction générale de la police nationale (DGPN). Ces formations, qui durent vingt-neuf jours et portent sur les aspects psychologiques et techniques de l'audition d'un mineur, comportent également des fiches métiers.

Pour les magistrats, l'École nationale de la magistrature (ENM), conduit des actions de formation importantes dans le cadre de la formation initiale, tout comme en matière de formation continue, qu'il s'agisse de l'enfance maltraitée, des enjeux juridictionnels, de la construction de la personnalité, de la parole de l'enfant devant la justice, ou de l'entretien judiciaire. Certes, on pourrait estimer que tout ceci est générique et ne porte pas directement sur la question des infractions sexuelles commises par des personnes dans le cadre de leurs fonctions, mais c'est la même attention qui est portée à la parole de l'enfant.

Le code de l'organisation judiciaire prévoit d'affecter à chaque domaine de spécialité des parquets des magistrats chargés spécialement des affaires concernant les mineurs. L'introduction de l'enregistrement audiovisuel a également constitué un grand progrès. Il permet de réduire le nombre d'auditions, de les limiter dans leur durée, de se rendre compte de ce que traduit le corps de l'enfant. On recourt pour ce faire à des lieux d'audition spécifiquement aménagés - comme les « salles Mélanie », au nombre d'une cinquantaine sur le territoire national - et à des unités d'accueil médico-judiciaire pédiatriques adaptée aux spécificités des enfants, qui constituent des structures pluridisciplinaires dans un cadre sécurisant et aménagé.

L'ENM préconise par ailleurs que les magistrats instructeurs adoptent une méthodologie d'entretien bien particulière s'agissant du recueil de la parole de l'enfant victime d'infractions sexuelles, et de procéder par étapes successives, avec des phases de mise en confiance, un récit libre et une phase de questionnement en clôture.

L'attention des procureurs de la République, dans le cadre de leur direction d'enquête et des réunions qu'ils tiennent régulièrement avec les brigades spécialisées, est également attirée sur le fait qu'il est nécessaire d'investiguer sur le contexte de la révélation des faits, de mener des investigations sur l'environnement, de vérifier l'exactitude du déroulement des faits, les événements marquants, afin de permettre d'orienter au mieux l'affaire et permettre à la juridiction de juger au mieux.

Vous avez également posé une question sur le bilan du suivi sociojudiciaire et de l'injonction de soins. Le suivi sociojudiciaire a connu depuis sa mise en place, en 1998, un élargissement de son champ d'application assez considérable, bien au-delà des infractions sexuelles - terrorisme, trafics d'armes par exemple. Il peut désormais être assorti d'un placement sous surveillance électronique mobile. D'autres mesures de sûreté peuvent être ordonnées à défaut ou à la suite d'un suivi sociojudiciaire.

L'injonction de soins elle-même a vu son champ s'étendre. Ce dispositif est devenu possible dans le cadre d'autres peines ou mesure. Il est applicable de droit. Peu d'études ont cependant été effectuées sur ces mesures. L'une d'elles, qui est en cours, est plus particulièrement suivie par la DACG, mais ses conclusions ne sont pas encore connues.

Je dispose ici de quelques éléments statistiques, mais ils sont à considérer avec prudence, car ils fournissent une photographie bien plus large que ce que l'on veut examiner. On sait que le nombre de peines de suivi sociojudiciaire prononcées est en hausse : en 2017, 1 382 condamnations à des peines de suivi sociojudiciaire ont été prononcées, dont 569 avec injonction de soins, mais ceci concerne l'ensemble du champ des infractions sexuelles.

De notre point de vue, des évolutions normatives ne sont pas nécessaires, mais des améliorations opérationnelles nous paraissent possibles et souhaitables. C'est souvent le manque de moyens en personnel de santé qui compromet la mise en oeuvre effective et efficiente du suivi sociojudiciaire et de l'injonction de soins. Il existe là aussi une marge de progression sur la coordination et la circulation d'informations entre professionnels de santé, autorité judiciaire et administration pénitentiaire.

La présence de psychiatres au sein des établissements pénitentiaires nous paraît par ailleurs insuffisante, ainsi que le suivi médical et psychologique en détention. Toutes ces problématiques sont à l'ordre du jour de travaux interministériels dans le cadre de la stratégie santé concernant les personnes placées sous main de justice.

S'agissant de la loi « Villefontaine », les procureurs de la République en ont dressé le bilan dans le cadre du rapport annuel du ministère public pour 2017. Les procureurs et les parquets veillent à la mise en oeuvre effective de l'information obligatoire et facultative par l'organisation de réunions, la diffusion d'instructions, la désignation de magistrats référents, mais on entrevoit de véritables difficultés sur le terrain. Selon les procureurs de la République, « l'identification de l'administration ou de la collectivité employant les personnes poursuivies demeure souvent complexe, compte tenu de la diversité des régimes et de l'évolution de la situation professionnelle de la personne mise en cause ou intéressée ».

Les procureurs de la République font également état d'une lourdeur liée au suivi des dossiers, au risque d'oubli, tant dans l'information initiale que dans le suivi d'une information préalablement transmise.

Une autre difficulté vient du fait que la loi ne permet plus d'informer une administration au stade de l'enquête ou de l'alternative aux poursuites dans les cas graves, urgents, ou de faits répétés mettant en péril la sécurité des mineurs. Il faut bien évidemment concilier ceci avec la présomption d'innocence, mais les procureurs de la République font remonter ces éléments.

Ils proposent d'étendre l'obligation d'information pour les personnes en contact avec les mineurs, sans qu'elles soient nécessairement employées par la personne morale concernée. Est ici visée par exemple l'hypothèse des salariés de restauration privée travaillant au sein d'un établissement scolaire, mais aussi le conjoint de l'assistante maternelle ou toute personne vivant autour des personnes visées par le dispositif de la loi Villefontaine de 2016. C'est aussi le cas dans les sociétés privées, notamment dans le domaine de la sécurité.

M. Taraud pourra vous apporter son éclairage s'agissant de la question du FIJAISV.

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