Je vous remercie de m'avoir invité. C'est la mission naturelle de l'établissement que je dirige de rendre compte aux autorités nationales mais aussi aux instances européennes de l'état de l'usage de drogues en France, de ses conséquences et de son évolution.
Cela fait maintenant quinze ans que l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies a été créé. Il s'agit d'un établissement public dans le conseil d'administration duquel siègent tous les ministères en charge de cette question, aussi bien dans le champ préventif que dans celui de l'application de la loi, en passant par celui de la santé.
Je dirige une équipe pluridisciplinaire d'une trentaine de personnes qui mènent un travail collectif. La collecte des données par triangulation est au coeur de notre méthode. On peut opposer dans le débat une étude à une autre, l'important est de les mettre en perspective car il existera toujours une étude pour affirmer le contraire de la précédente. Je pense d'ailleurs qu'il serait souhaitable que l'on puisse rendre compte de l'évolution de l'usage de drogues en France devant le Parlement.
Il m'a semblé que le champ d'action de votre mission parlementaire était ciblé sur la question des toxicomanies. J'ai donc centré ma présentation sur les usages problématiques de l'utilisation de drogues pour la santé, qui constituent une partie de l'ensemble du phénomène et plus précisément sur la question des drogues illicites, même si je fais état de l'usage de drogues licites.
Une grande confusion dans le débat public provient de la différence entre l'usage de drogues et l'usage problématique de drogues. Dans la population générale, un certain nombre de personnes font usage de drogues illicites ; l'usage problématique, tel qu'il est défini par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, l'OEDT, est un usage qui débouche sur des dommages sanitaires et sociaux importants.
Un toxicomane est quelqu'un pour qui la recherche et l'usage de ces produits est le centre de l'existence et absorbe toute son attention.
12 millions de Français ont essayé au moins une fois du cannabis, qui est la drogue la plus consommée, alors que l'usage problématique concerne 230.000 individus.
Cela ne veut pas dire que les usagers ne peuvent pas subir des conséquences dommageables : je pense par exemple à la conduite automobile sous cannabis. Cependant, l'essentiel des dommages sanitaires et sociaux est concentré sur des populations ayant des usages problématiques de drogues.
Cela n'appelle pas les mêmes réponses. L'usage de drogues requiert des approches de santé publique et de prévention primaire ou secondaire, les usages problématiques nécessitant quant à eux des traitements et une politique de réduction des risques. En termes de visibilité sociale, la réduction des risques s'applique aux usages problématiques.
La consommation régulière de cannabis concerne 1,2 million de consommateurs, la cocaïne 1 million de personnes. Il est intéressant de constater que l'usage régulier de cannabis chez les jeunes, si on prend une perspective plus large, s'inscrit dans une tendance assez globale qui va vers la diminution du tabagisme. Aucune tendance n'étant jamais définitive, il faudra toutefois vérifier ces chiffres, certains indicateurs pouvant laisser augurer un retour de celui ci.
On constate également une augmentation de l'ivresse et des formes plus excessives de consommation régulière d'alcool.
Le cannabis, après deux décennies d'augmentation régulière, a connu un changement de tendance qui s'est traduit, en 2002-2003, par une stabilisation à un niveau assez haut et, depuis quelques années, par une diminution de la consommation chez les jeunes.
On note par ailleurs une amorce significative de la consommation d'autres produits stimulants comme la cocaïne, qui est passée de 1 % en 2000, chez les jeunes de 17 ans, à 3,3 % en 2008, les indicateurs montrant une tendance à l'augmentation dans la population générale. Les jeunes Français se situent à 15 % par rapport à la consommation européenne, suivant en cela le modèle de certains pays dans la décennie précédente, comme l'Italie, l'Espagne ou le Royaume Uni.
La consommation de cocaïne est encore à un niveau relativement faible, ce qui fait dire qu'il s'agira d'un enjeu important au cours des cinq ou dix prochaines années.
J'en viens à présent au coeur du sujet que constitue l'usage problématique de drogues. Il s'agit d'usages qui conduisent à des dommages sanitaires et sociaux importants. Selon une étude menée dans les années 2006, on estime qu'il existe environ en France 230.000 usagers problématiques de drogues opiacées et de stimulants ou d'hallucinogènes. Ce sont pour la plupart de poly consommateurs : la figure de l'héroïnomane ne se rencontre plus parmi les populations d'usagers problématiques de drogues !
Sur 230.000 usagers problématiques de drogues en France, on estimait, en 2006, que 74.000 faisaient un usage actif d'héroïne, 145.000 un usage actif de la voie intraveineuse au cours de toute leur vie et 81.000 un usage actif par voie intraveineuse au moins une fois par mois.
La prévalence d'usagers problématiques de drogues situe la France à un niveau moyen en Europe, inférieur à celui de l'Angleterre ou de l'Italie mais supérieur à celui de l'Allemagne.