Intervention de Philippe Charvis

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 1er février 2022 à 17h00
Audition de scientifiques autour de Mm. Philippe Charvis directeur délégué à la science à l'institut de recherche pour le développement ird christophe poinssot directeur général délégué et directeur scientifique et didier lahondère adjoint au directeur des géoressources du service géologique national brgm

Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD :

L'une des particularités de l'IRD est d'être pluridisciplinaire. Cela nous permet d'aborder un certain nombre de questions de manière globale.

L'IRD a participé au groupe coordonné par Jean-Louis Levet et a contribué à la réflexion concernant la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins.

L'IRD a aussi coordonné plusieurs expertises collégiales en Polynésie française sur les grands fonds marins. Une seconde étude a été lancée à Wallis et Futuna, mais n'a pu aboutir. Nous coordonnons deux actions récentes financées par le ministère de la mer, qui démarrent cette année, l'une pour construire un cadre de gouvernance participative en matière d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins, et une seconde portant sur une étude pluridisciplinaire sur les enjeux liés à l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, un peu sur le format de celle qui avait été coordonnée en 2014-2016 en Polynésie française, mais étendue aux trois territoires du Pacifique et aux eaux internationales.

Nous avons coordonné cette expertise avec nos collègues de l'IFREMER, du CNRS, des universités et du BRGM.

Nous avons aussi participé à la rédaction de la lettre d'intention, déposée dans le cadre de l'appel de la vague 2 des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), intitulé : « Grands fonds marins : vers une vision holistique des grands fonds océaniques, ressources, fonctions, connaissances pour fonder des usages durables ». Nous en étions corapporteurs avec le CNRS et l'IFREMER. Ce projet n'a pas été retenu, mais il pourrait être soumis à nouveau dans le cadre de France 2030, sous une forme ou une autre.

Nous sommes également porteurs de plusieurs projets scientifiques présélectionnés dans le cadre de l'appel lancé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) « Un océan de solution », qui s'inscrit dans le programme prioritaire de recherche « Océan et climat », afin de comprendre et prévoir les vagues de chaleur marine, de révéler les abysses, de traiter de la médiatisation scientifique et des défis sociétaux dans le Pacifique. Un autre projet porté par l'IFREMER, auquel nous sommes associés, concerne la vulnérabilité des écosystèmes profonds face à leur exploitation potentielle.

S'agissant de la synergie entre les différents acteurs de la recherche, toutes les unités de l'IRD sont mixtes. Nous sommes associés aux universités et à nos partenaires. 75 % de nos unités travaillent avec le CNRS, et quelques-unes collaborent avec l'IFREMER, le BRGM et d'autres organismes.

Je laisserai mon collègue du BRGM détailler les choses pour ce qui est de la synergie avec les industriels. Il me semble important de construire une approche avec les acteurs de la recherche, mais aussi avec la société civile, les acteurs économiques et les entrepreneurs.

Quelques mots sur l'observation et les outils de monitoring. Mes équipes et moi-même avons par le passé beaucoup travaillé en mer et contribué au développement des observatoires sous-marins, en particulier acoustiques, sismologiques et géodésiques.

Plus récemment, nous avons travaillé sur l'utilisation des câbles sous-marins pour le monitoring de l'environnement.

Je souligne que si l'on souhaite maintenir une observation pérenne dans le Pacifique, il est indispensable de disposer d'une plateforme. Or le navire océanographique Alis, ex-IRD, géré par l'IFREMER pour la flotte océanographique française, doit être remplacé. Il l'est, temporairement, par un navire qui est selon moi peu adapté au Pacifique. Dans les années à venir, il faudra un navire moderne de type semi-hauturier d'une quarantaine de mètres pour pouvoir intervenir en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. C'est vital si l'on veut notamment déployer des drones.

La thématique de l'hydrogène naturel en milieu marin peut être également intéressante.

Pour ce qui est de la pollution, on connaît très mal les grands fonds marins, peut-être moins bien encore que la surface de la Lune. Mais il suffit d'aller sur Internet pour constater que le spectacle est parfois inquiétant. Oui, les grands fonds marins sont pollués. On s'est aperçu que même l'Antarctique est pollué par des microplastiques. C'est général, les grands fonds n'y échappent pas.

Pour ce qui est des espèces vivantes, les grands fonds marins constituent un environnement extrême, avec une très haute pression, une absence de lumière et de hautes températures à proximité des sources hydrothermales, avec peu ou pas d'oxygène. Des formes de vie s'y sont développées, résistant à des températures extrêmes sans oxygène. On trouve des bactéries chimiotrophes, du dioxyde de soufre, avec tout un cycle particulier, ainsi que des molécules parfois originales.

Par exemple, il existe un ver dont l'hémoglobine permet à la fois de transporter de l'oxygène et des sulfures. Plus de 500 espèces animales ont été décrites, dont 75 % sont endémiques au milieu. Il existe donc un intérêt fort des biotechnologies pour cette vie dans les grands fonds, en particulier les micro-organismes, qui peuvent être utilisés dans des processus enzymatiques pour des traitements industriels, etc. Cette ressource vivante peut se révéler d'une importance fondamentale.

On pense enfin que le rôle des grands fonds dans la régulation des océans est essentiel. Un certain nombre de grands programmes approuvés par les Nations unies ont été lancés pour la compréhension des grands fonds. Le stockage du carbone est réalisé dans les grands fonds, et c'est ce qui nous protège en partie de l'effet de serre, mais ces grands fonds se réchauffent du fait du changement climatique.

Ceci peut entraîner une perte d'oxygène, les zones devenant alors inhospitalières pour de nombreuses espèces marines. L'azote, le carbone, le silicium et le fer sont exportés de la surface vers les grands fonds, où ils sont reminéralisés et stockés. Les grands fonds sont donc importants dans la machine océanographique et climatique. Leur déstabilisation pourrait avoir de graves effets.

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