Bienvenue à cette nouvelle réunion de la mission d'information du Sénat sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins.
La semaine passée, nous avons organisé une table ronde de scientifiques avec l'IFREMER, le SHOM et le CNRS. Nous avons souhaité en organiser une deuxième cette semaine, à laquelle ont été conviés l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui présente la caractéristique de travailler en partenariat et au bénéfice des pays et territoires concernés, et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), service géologique national, établissement public de référence dans le domaine de la gestion des ressources du sous-sol dans une perspective de développement durable.
Nous accueillons pour ce faire, en visioconférence, M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD, ainsi que M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique, et M. Didier Lahondère, adjoint au directeur des ressources du BRGM, en présentiel. Je les remercie.
La stratégie « grands fonds marins » du Gouvernement présente trois facettes : d'une part, une stratégie d'exploration et d'exploitation des ressources minérales, qui a été relancée l'an passé sous l'égide du Secrétariat général de la mer ; d'autre part, un volet financier qui est l'une des priorités du plan France 2030 ; enfin, une stratégie propre au ministère des armées, qui doit être présentée prochainement.
Nous souhaitons, avec nos interlocuteurs, faire le point sur les moyens actuels de la recherche française dans le domaine des grands fonds marins, et évoquer les perspectives qui s'annoncent dans le cadre des financements ouverts par France 2030, ainsi que les besoins supplémentaires qu'ils estiment nécessaires.
Merci pour le temps que vous acceptez de consacrer à cette mission d'information. Je commencerai par rappeler les questions, qui vous ont été transmises par écrit, afin que vous puissiez éclairer la mission.
Comment votre organisme a-t-il été associé à l'exploration et à l'exploitation minière des grands fonds marins ainsi qu'au plan France 2030 ? Comment envisagez-vous d'y participer ?
Comment voyez-vous la synergie entre les acteurs de la recherche et le monde de l'industrie ? Comment mieux associer la sphère publique et les opérateurs industriels privés ou semi-privés à la mise en oeuvre de la stratégie nationale ?
Les chiffres évoqués lors de nos précédentes auditions confirment qu'on ne connaît pas grand-chose des grands fonds marins et que beaucoup reste à découvrir. Comment appréhendez-vous le défi que représente l'amélioration des connaissances ?
Allez-vous développer de nouveaux outils de suivi et d'évaluation des situations ?
Dispose-t-on d'informations sur l'emplacement possible, dans nos zones économiques exclusives (ZEE) et au plan mondial, des nodules polymétalliques, amas sulfurés et encroûtements cobaltifères ?
Peut-on parler de pollution dans les grands fonds et à quel degré, la mission d'information traitant également de protection et de préservation, outre l'exploration et l'exploitation éventuelles ?
Quelles peuvent être les implications en termes industriels de ces ressources minérales des grands fonds ?
Quelles sont les perspectives ouvertes par la présence d'espèces vivantes dans les grands fonds ? Vous demander des conclusions sur ce qu'on ne connaît pas encore constitue certainement un défi, mais peut-être suivez-vous plus particulièrement certaines pistes.
Que sait-on de la fonction des grands fonds marins dans la régulation des océans ? Quelles projections peut-on faire sur les coûts environnementaux générés par une exploitation éventuelle des ressources de ces grands fonds ?
Enfin, l'association des populations locales est un enjeu crucial. Le sénateur de Polynésie française que je suis ne peut éluder ce thème. Comment informer et associer en amont les collectivités et les populations d'outre-mer ?
L'une des particularités de l'IRD est d'être pluridisciplinaire. Cela nous permet d'aborder un certain nombre de questions de manière globale.
L'IRD a participé au groupe coordonné par Jean-Louis Levet et a contribué à la réflexion concernant la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins.
L'IRD a aussi coordonné plusieurs expertises collégiales en Polynésie française sur les grands fonds marins. Une seconde étude a été lancée à Wallis et Futuna, mais n'a pu aboutir. Nous coordonnons deux actions récentes financées par le ministère de la mer, qui démarrent cette année, l'une pour construire un cadre de gouvernance participative en matière d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins, et une seconde portant sur une étude pluridisciplinaire sur les enjeux liés à l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, un peu sur le format de celle qui avait été coordonnée en 2014-2016 en Polynésie française, mais étendue aux trois territoires du Pacifique et aux eaux internationales.
Nous avons coordonné cette expertise avec nos collègues de l'IFREMER, du CNRS, des universités et du BRGM.
Nous avons aussi participé à la rédaction de la lettre d'intention, déposée dans le cadre de l'appel de la vague 2 des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), intitulé : « Grands fonds marins : vers une vision holistique des grands fonds océaniques, ressources, fonctions, connaissances pour fonder des usages durables ». Nous en étions corapporteurs avec le CNRS et l'IFREMER. Ce projet n'a pas été retenu, mais il pourrait être soumis à nouveau dans le cadre de France 2030, sous une forme ou une autre.
Nous sommes également porteurs de plusieurs projets scientifiques présélectionnés dans le cadre de l'appel lancé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) « Un océan de solution », qui s'inscrit dans le programme prioritaire de recherche « Océan et climat », afin de comprendre et prévoir les vagues de chaleur marine, de révéler les abysses, de traiter de la médiatisation scientifique et des défis sociétaux dans le Pacifique. Un autre projet porté par l'IFREMER, auquel nous sommes associés, concerne la vulnérabilité des écosystèmes profonds face à leur exploitation potentielle.
S'agissant de la synergie entre les différents acteurs de la recherche, toutes les unités de l'IRD sont mixtes. Nous sommes associés aux universités et à nos partenaires. 75 % de nos unités travaillent avec le CNRS, et quelques-unes collaborent avec l'IFREMER, le BRGM et d'autres organismes.
Je laisserai mon collègue du BRGM détailler les choses pour ce qui est de la synergie avec les industriels. Il me semble important de construire une approche avec les acteurs de la recherche, mais aussi avec la société civile, les acteurs économiques et les entrepreneurs.
Quelques mots sur l'observation et les outils de monitoring. Mes équipes et moi-même avons par le passé beaucoup travaillé en mer et contribué au développement des observatoires sous-marins, en particulier acoustiques, sismologiques et géodésiques.
Plus récemment, nous avons travaillé sur l'utilisation des câbles sous-marins pour le monitoring de l'environnement.
Je souligne que si l'on souhaite maintenir une observation pérenne dans le Pacifique, il est indispensable de disposer d'une plateforme. Or le navire océanographique Alis, ex-IRD, géré par l'IFREMER pour la flotte océanographique française, doit être remplacé. Il l'est, temporairement, par un navire qui est selon moi peu adapté au Pacifique. Dans les années à venir, il faudra un navire moderne de type semi-hauturier d'une quarantaine de mètres pour pouvoir intervenir en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. C'est vital si l'on veut notamment déployer des drones.
La thématique de l'hydrogène naturel en milieu marin peut être également intéressante.
Pour ce qui est de la pollution, on connaît très mal les grands fonds marins, peut-être moins bien encore que la surface de la Lune. Mais il suffit d'aller sur Internet pour constater que le spectacle est parfois inquiétant. Oui, les grands fonds marins sont pollués. On s'est aperçu que même l'Antarctique est pollué par des microplastiques. C'est général, les grands fonds n'y échappent pas.
Pour ce qui est des espèces vivantes, les grands fonds marins constituent un environnement extrême, avec une très haute pression, une absence de lumière et de hautes températures à proximité des sources hydrothermales, avec peu ou pas d'oxygène. Des formes de vie s'y sont développées, résistant à des températures extrêmes sans oxygène. On trouve des bactéries chimiotrophes, du dioxyde de soufre, avec tout un cycle particulier, ainsi que des molécules parfois originales.
Par exemple, il existe un ver dont l'hémoglobine permet à la fois de transporter de l'oxygène et des sulfures. Plus de 500 espèces animales ont été décrites, dont 75 % sont endémiques au milieu. Il existe donc un intérêt fort des biotechnologies pour cette vie dans les grands fonds, en particulier les micro-organismes, qui peuvent être utilisés dans des processus enzymatiques pour des traitements industriels, etc. Cette ressource vivante peut se révéler d'une importance fondamentale.
On pense enfin que le rôle des grands fonds dans la régulation des océans est essentiel. Un certain nombre de grands programmes approuvés par les Nations unies ont été lancés pour la compréhension des grands fonds. Le stockage du carbone est réalisé dans les grands fonds, et c'est ce qui nous protège en partie de l'effet de serre, mais ces grands fonds se réchauffent du fait du changement climatique.
Ceci peut entraîner une perte d'oxygène, les zones devenant alors inhospitalières pour de nombreuses espèces marines. L'azote, le carbone, le silicium et le fer sont exportés de la surface vers les grands fonds, où ils sont reminéralisés et stockés. Les grands fonds sont donc importants dans la machine océanographique et climatique. Leur déstabilisation pourrait avoir de graves effets.
Le BRGM, créé en 1959, a une double casquette. En tant que service géologique national, il est porteur des connaissances sur l'ensemble du sous-sol et des ressources associées. C'est aussi un établissement de recherche qui, à ce titre, fait progresser les connaissances sur ces sujets.
Notre activité est équilibrée entre la recherche que l'on mène en partenariat avec d'autres établissements et l'appui aux politiques publiques à tous les niveaux, depuis les administrations centrales, jusqu'aux services déconcentrés et aux collectivités territoriales.
Notre établissement compte environ un millier de salariés, dont 700 ingénieurs-chercheurs, qui sont présents dans l'ensemble des régions, dont les territoires d'outre-mer, avec des directions régionales largement implantées qui s'impliquent dans leurs échanges avec les acteurs locaux.
Nos missions sont structurées autour de huit programmes scientifiques. Trois d'entre eux sont destinés à capitaliser notre connaissance du sous-sol métropolitain et de nos territoires d'outre-mer.
Sur la base de cette connaissance, nous répondons à un certain nombre d'enjeux sociétaux directement couplés avec les objectifs du développement durable concernant la gestion des eaux souterraines face aux aléas du changement climatique, les ressources minérales et l'économie circulaire, l'utilisation du sous-sol dans la transition énergétique et la problématique des risques naturels ou industriels.
La thématique des grands fonds marins est à l'interface de trois de nos grands programmes, puisqu'elle joue un rôle particulièrement important dans la géologie et le fonctionnement de la Terre, mais aussi en matière de ressources minérales, sans oublier le travail que nous menons autour des risques actifs, comme à Mayotte, avec le nouveau volcan apparu récemment.
Les grands fonds marins restent un monde méconnu mais qui, pour le géologue, joue un rôle fondamental dans la mécanique de la Terre. C'est en effet au niveau des dorsales que vont se créer les plaques océaniques, avec une activité volcanique et hydrothermale particulièrement importante, qui amène à la concentration d'un certain nombre de ressources minérales.
Ces plaques océaniques vont être « recyclées » dans les fosses de subduction et passer sous les plaques continentales, ce qui contribue à une activité particulièrement importante. Certains édifices volcaniques sont également associés à des points chauds, avec des remontées de magma profond qui créent des édifices volcaniques.
C'est un univers particulièrement complexe et très peu connu. On estime que 6 % des fonds marins sont aujourd'hui cartographiés correctement en termes de bathymétrie. On est donc loin d'avoir une connaissance exhaustive de ce qui peut s'y dérouler.
Quelles sont les ressources ? On trouve d'abord des nodules polymétalliques, ces fameuses boules de cinq à dix centimètres qui contiennent des éléments en grande quantité, notamment du manganèse et du fer, que l'on trouve généralement au-delà de 4 000 mètres de profondeur, dans des milieux très particuliers.
Les encroûtements sont bien plus épais, jusqu'à 25 centimètres d'épaisseur localement, avec des teneurs en éléments métalliques assez importantes, à des profondeurs plus faibles, entre 400 et 4 000 mètres, sans qu'on sache bien dire aujourd'hui quelles en sont les conditions de formation.
Enfin, on a ces fameux amas sulfurés hydrothermaux, où l'eau chaude est relâchée depuis la croûte océanique, avec une précipitation importante d'éléments métalliques, notamment de métaux rares. Ils peuvent former des édifices de plusieurs dizaines de mètres de haut.
On commence à avoir une compréhension de la manière dont se forment ces ressources, mais elle est loin d'être exhaustive.
C'est dans ce cadre qu'ont été délivrés des permis d'exploration, portés par l'IFREMER pour la France, pour couvrir et mieux connaître ces différents environnements.
Quel est l'intérêt stratégique de ces ressources ? Il s'agit de matières relativement riches : plus de 27 métaux ont été identifiés par l'IFREMER. Beaucoup de ces éléments sont indispensables pour réaliser notre transition énergétique, puisqu'on en a besoin dans nos batteries, nos éoliennes, nos panneaux solaires, etc.
Ces éléments sont intéressants d'un point de vue qualitatif, dans un contexte où beaucoup de questions se posent sur la manière d'approvisionner nos filières industrielles afin d'assurer la transition énergétique. Je ne peux, sur ce sujet, que vous renvoyer vers le rapport Varin, remis à la ministre de la transition écologique et à la ministre déléguée à l'industrie le 10 janvier, qui établit une photographie de cette question, à propos de laquelle un certain nombre d'actions ont été engagées par l'État, impliquant notamment le BRGM.
En revanche, d'un point de vue quantitatif, on est très loin de connaître les volumes que cela représente. Une ressource n'est pas une réserve. Rien ne garantit qu'elle soit intéressante sur les plans économique, technologique et environnemental.
La méconnaissance que l'on a des fonds marins et des procédés à mettre en oeuvre fait qu'il est aujourd'hui très difficile d'établir une évaluation réaliste et raisonnable de leur intérêt économique.
Ceci mérite de réaliser un gros plan sur l'impact environnemental. Il faudra être vigilant, car tout ceci est loin de notre proche environnement. La tentation pourrait donc être de dire qu'il vaut mieux que cela se passe là-bas plutôt que chez nous - le fameux syndrome NIMBY, « not in my backyard », bien connue en sociologie.
S'agissant de l'impact environnemental, la vie est très présente dans ces milieux profonds, malgré les conditions extrêmes. C'est une flore et une faune qu'on ne connaît pas. Quoi qu'on fasse, effectuer des prélèvements dans ces environnements sera perturbant en termes physico-chimiques, acoustiques, lumineux, électromagnétiques, etc.
La question - aujourd'hui très difficile à évaluer - est de connaître l'impact que cela aura sur la biodiversité de ces milieux.
Dans les zones des nodules polymétalliques, on voit encore la trace de ce qui a été prélevé il y a plusieurs dizaines d'années. Autrement dit, ces milieux se renouvellent assez lentement.
La question n'est pas tant de connaître l'impact environnemental que cela peut avoir que de savoir s'il vaut mieux aller chercher ces éléments dans la croûte terrestre ou dans les milieux profonds. Si on ne retrouve pas un certain nombre de désordres environnementaux classiques - consommation d'eau, émissions de CO2, etc. - par rapport aux prélèvements que l'on fait à terre, les fonds marins subissent néanmoins des dégradations suite au traitement du minerai. Cette partie représente entre 40 et 50 % de l'impact.
Ce n'est donc pas parce qu'on va aller chercher des ressources dans les grands fonds marins qu'on aura résolu les problèmes d'impact environnemental - sans préjuger de l'impact sur la biodiversité.
Nous sommes sollicités à triple titre, en tant qu'établissement de recherche sur les géosciences, en tant que service national et en tant que spécialiste des ressources minérales.
Nous avons à ce jour quatre actions principales. Nous travaillons pour le ministère de la transition écologique, avec l'IFREMER, sur l'évolution des ressources minérales des grands fonds marins. Nous avons participé à la définition du projet de programme exploratoire prioritaire de recherche mentionné par Philippe Charvis. Nous avons également fondé un partenariat avec la société Créocéan pour aider à la caractérisation de la zone de Clarion-Clipperton, où se trouvent des nodules polymétalliques, programme géré par l'IFREMER. Nous participons enfin à des expertises scientifiques collectives sur la problématique des grands fonds marins.
L'important, s'agissant des ressources minérales, est d'être capable de prendre correctement en compte l'ensemble des impacts et non uniquement la quantité de matière présente, et de mettre cela en regard des autres ressources disponibles. Notre connaissance de l'ensemble des procédés et des ressources potentielles auxquelles on pourrait faire appel permet d'avoir une vision d'ensemble intéressante de ces thématiques.
Je me permets enfin de vous indiquer qu'il existe un site internet rassemblant toutes les connaissances sur les ressources minérales, qui permet de remettre en perspective l'ensemble des éléments par rapport à ce qui est présent dans les grands fonds marins.
Bien que l'outre-mer soit concerné par ces ressources, curieusement, la Polynésie ne figure pas dans vos cartes, alors que nous avons, avec l'IRD, trouvé des ressources cobaltifères et un peu de nodules métalliques dans les îles Sous-le-Vent.
La Polynésie a-t-elle été volontairement éludée de cette carte ?
J'ai fait le choix d'utiliser une carte tirée de la littérature scientifique qui n'est pas complète. Je suis entièrement d'accord avec votre remarque.
Ces cartes ne rassemblent pas l'intégralité de la connaissance, mais définissent plutôt les grands champs tels qu'ils sont connus aujourd'hui. Ayez bien à l'esprit qu'on est loin de connaître l'ensemble des grands fonds marins. Il est probable qu'il existe d'autres sites qu'on n'a pas encore identifiés.
Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience de Wallis et Futuna ?
Dans le Pacifique, les îles Cook expriment une volonté de passer directement à une phase d'exploitation, pour des raisons qui leur sont propres. On sent une pression grandissante dans ces États océaniens du Pacifique sur la question de l'exploration et de l'exploitation.
Il faut noter que le statut de Wallis et Futuna est particulier et très différent de celui de la Polynésie française ou de la Nouvelle-Calédonie, où il existe localement un transfert partiel des compétences de l'État. À Wallis et Futuna, le pouvoir exécutif est confié au préfet, même si les autorités coutumières sont reconnues.
Les campagnes réalisées dans les années 2010-2012 avaient été menées sans réelle consultation des autorités locales, politiques ou coutumières, avec une communication en direction de la population sans doute un peu minimaliste.
L'assemblée territoriale a adressé à l'IRD une demande initiale en 2015 pour une expertise collective. La première mission préalable n'a eu lieu que fin 2018. Entre-temps, d'autres enjeux liés au foncier, sans rapport direct avec les grands fonds marins, sont apparus. Une forme de défiance locale vis-à-vis de l'État s'est renforcée, conduisant au rejet de l'expertise.
Un moratoire sur l'exploration et l'exploitation a été déclaré par l'assemblée territoriale et les autorités coutumières, et la relation avec l'État continue à être très tendue.
Ceci me permet de revenir sur une des questions qui nous a été adressée sur la vulgarisation des enjeux. Il ne s'agit pas d'une simple vulgarisation. Au-delà de la pédagogie, il faut réussir à établir un dialogue et un véritable débat public. Je pense qu'il faut associer les autorités locales sous une forme à définir, ainsi que la population, à propos de décisions qui vont sans doute affecter leur environnement et leurs pratiques.
Cependant, les cadres juridiques que constituent les aires marines protégées ou gérées sont des éléments importants.
Même si la médiation scientifique n'est pas suffisante, il existe une certaine méconnaissance du sujet, y compris le fait de présenter tout ceci comme un eldorado minéral ce qui, à écouter Christophe Poinssot, est quelque peu abusif pour le moment.
S'agissant de Wallis et Futuna, il reste beaucoup à faire. L'évaluation des ressources à proprement parler n'a pas été faite. Il existe des sites dits inactifs potentiellement exploitables. Tout cela est à définir de manière plus précise.
Une campagne, en 2019, a été portée par le CNRS. Elle avait pour but d'étudier la faune hydrothermale depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée jusqu'à Futuna. Ce n'était pas une recherche sur les ressources minérales, mais une recherche de contexte intéressante.
Il y a eu une certaine confusion entre étude scientifique, potentialités et intérêt géostratégique. Tout cela a pesé sur la situation et les relations avec les autorités locales de Wallis et Futuna. Il est sans doute important de rétablir un climat de confiance.
Je suis d'accord avec vous s'agissant de la vulgarisation. Il conviendrait de parler plutôt de partage de l'information et de coconstruction concernant les démarches, particulièrement en Océanie.
Cela m'amène à poser une question à vos deux organismes : quels sont le degré et l'intérêt d'une coopération internationale avec d'autres organismes ? Travaillez-vous déjà avec d'autres pays ? Y a-t-il un intérêt à développer une telle coopération, sachant que nous sommes dans une stratégie nationale d'acquisition de connaissances, même s'il y a là aussi une notion de compétition ?
Nous nous positionnons par rapport à la connaissance de la géodynamique et sur la mise en perspective des ressources minérales.
Nous accompagnons plutôt des initiatives ou des projets de programmes portés par les établissements dont c'est la mission. Je pense en particulier à l'IFREMER, avec lequel nous partageons des liens très étroits.
Nous n'avons pas la capacité à nous projeter ni à intervenir sur ces milieux très complexes d'accès. Nous le faisons toujours avec l'IFREMER, qui travaille lui-même avec le CNRS, l'IRD, etc.
Nous sommes entièrement ouverts à des discussions et à des partenariats internationaux. La recherche fonctionne ainsi, mais nous accompagnerons plutôt l'IFREMER dans ses initiatives s'agissant des ressources minérales, sans être à l'origine d'un programme de ce type.
Il existe deux types de collaboration, d'abord avec les grands pays océanographiques que sont, en Europe, l'Allemagne et le Royaume-Uni et, sur le plan international, les États-Unis et le Japon. Nous avons un certain nombre de coopérations sur des projets comme les grands observatoires qui traitent du fond des mers. Il existe de grands projets communs avec les Japonais, les Américains, etc. Ce sont des coopérations qui impliquent les grands organismes outre-mer, le CNRS, l'IRD, etc.
Je voudrais revenir sur un autre type de collaboration plus spécifique entre l'IRD et de petits États insulaires des bassins océaniques. L'IRD est présent outre-mer, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et en Guyane. Les petits pays de la zone sont très importants dans la réflexion globale sur les enjeux des ressources minérales. Les États insulaires du Pacifique, comme Fidji, les îles Cook, Samoa ou Tonga détiennent un certain nombre d'éléments importants dans ce dossier.
Quand on parle de coopération scientifique, on est très en amont des problématiques d'exploitation. La concurrence n'est pas encore très vive. Cela peut éventuellement évoluer à l'avenir.
Vous l'avez souligné, l'exploration et, par conséquent, l'exploitation des fonds marins représentent un enjeu déterminant sur le plan économique, ce qui suscite une forte appétence en termes d'exploitation.
Vous savez que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), lors de son congrès mondial, qui s'est tenu à Marseille en septembre dernier, a voté un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins sur lequel la France s'est abstenue. Avez-vous un avis à ce sujet ?
Par ailleurs, lorsqu'on exploite des ressources, il faut se préoccuper des incidences que cela peut avoir sur l'environnement et de la gestion des sites. Travaillez-vous sur un cahier de bonnes pratiques en la matière ? Existe-t-il des organismes qui traitent de ce sujet ?
S'agissant du moratoire, il me paraît important pour le moment d'avancer dans la connaissance des grands fonds marins, d'un point de vue géologique, océanographique, et en ce qui concerne la faune et la flore. Avant toute décision éventuelle sur l'exploitation, il me paraît indispensable de faire progresser les connaissances. L'ensemble des êtres vivants qui vivent dans ces conditions si particulières ont sûrement beaucoup de choses à nous apprendre.
Concernant l'après-mine, vous savez que nous gérons les anciens sites miniers français pour le compte de l'État. Le BRGM travaille également beaucoup sur la notion de mine responsable : comment peut-on concevoir, au XXIe siècle, une mine qui n'ait plus grand-chose à voir avec Zola, mais où l'on se soucie de l'impact environnemental au moment de l'exploitation et dans la phase de post-exploitation, et où l'on se préoccupe d'intégrer les populations locales dans la gouvernance et la coconstruction du projet ?
C'est un prérequis pour une véritable réappropriation de l'activité minière. Ces principes devraient s'appliquer de la même manière dans les grands fonds marins ou à terre. La déclinaison concernant les grands fonds marins n'est pas prête, mais la réflexion sur les principes pour une déclinaison à terre est en train de s'établir, avec une véritable volonté d'harmoniser ces approches à l'échelon européen, afin que cela devienne un référentiel commun, notamment dans le domaine de la batterie. Vous savez qu'un tel règlement est en discussion. L'enjeu est de pouvoir contrôler nos importations aux frontières sur ces bases.
S'agissant du moratoire, il est absolument fondamental de développer les activités d'exploration pour mieux comprendre le milieu. Sans doute va-t-il s'écouler un certain nombre d'années avant qu'on puisse envisager l'exploitation. Malgré tout, on a bien vu qu'il s'agit de ressources probablement fondamentales pour la transition énergétique. On est là dans une problématique qui n'est pas sans impact sur l'environnement, et pas seulement dans les grands fonds marins.
S'agissant de l'après-mine, j'ai créé en 2017 le réseau « Activité minière, environnement, développement économique et éthique » (Amédée), avec des partenaires de 25 pays de la zone méditerranéenne et tropicale.
Il s'agissait d'une plateforme collaborative regroupant des projets interdisciplinaires de recherche d'actions, d'innovations, de formations dans le domaine de l'activité minière responsable, telle que Christophe Poinssot l'a définie.
L'idée était de mettre en connexion des acteurs de la recherche pour accompagner les opérateurs privés ou les décideurs publics qui oeuvrent sur les projets miniers. On a beaucoup de projets artisanaux qui ne sont pas forcément sans effet, mais d'autres sont industriels ou semi-industriels. Le but est de mieux comprendre et de réduire les impacts négatifs de l'exploration de ces mines et de leur abandon en fin d'exploitation.
L'implication des populations relève des sciences humaines et sociales. Elle suppose un travail de coconstruction et une réflexion globale entre scientifiques, industriels et décideurs publics.
Ce projet ne porte pour l'instant que sur l'impact sur le milieu continental. Un certain nombre de ces réflexions et de ces règles devraient s'appliquer aux grands fonds marins. Toutefois, si l'on maîtrise relativement bien ce qui peut se passer à terre, on maîtrise mal les conséquences chimiques, physiques, etc., d'une exploitation dans les grands fonds marins.
Encore une fois, je pense que ceci nous oblige à développer la recherche à ce sujet.
On commence à voir sortir dans la littérature scientifique des articles sur l'évaluation environnementale d'une potentielle exploitation des grands fonds marins.
Je ne peux qu'encourager à la plus grande prudence. La plupart de ces articles ne se focalisent que sur l'impact en termes de CO2. Au-delà de cet indicateur, on est aujourd'hui devant une feuille blanche. Ne sachant pas comment fonctionnent les grands fonds, c'est une gageure de vouloir évaluer l'impact environnemental d'une quelconque exploitation dans ces environnements. La première étape consiste donc à progresser dans la connaissance.
Vous avez évoqué le volcan qui a menacé Mayotte.
Depuis quand l'avez-vous découvert ? Comment évolue-t-il ? Existent-ils d'autres menaces de ce type ailleurs ?
D'autre part, on entend souvent dire que nos chercheurs partent à l'étranger parce qu'ils ne sont pas assez considérés ou reconnus en France. Qu'en est-il réellement concernant les chercheurs sur les grands fonds marins ?
L'île de Mayotte a été brutalement secouée en mai 2018 par un séisme assez significatif.
Le BRGM, qui possède une direction régionale sur place, a été saisi instantanément. Il nous a fallu un peu de temps pour avoir l'explication de cette activité sismique. La confirmation est venue d'une campagne en mer dans les mois qui ont suivi. On a profité du passage d'un bateau de la flotte océanique, et on a découvert, à 50 kilomètres à l'Est de Petite-Terre, un nouveau volcan apparu tout récemment, qui mesure environ 800 mètres de haut par rapport aux fonds marins. On estime que 6 à 7 kilomètres cubes de lave ont été émis. Cela en fait la plus grande éruption volcanique depuis le volcan Laki, au XVIIe siècle, en Islande. Il s'agit donc d'un évènement qui ne se produit pas fréquemment.
Où en est-on aujourd'hui ? Les choses sont suivies de très près grâce à une mobilisation extrêmement forte de tous les établissements de recherche - BRGM, CNRS, Institut de physique du globe de Paris, IRD, IFREMER -, avec une coordination collective qui fonctionne bien.
Nous suivons ce volcan au travers de l'activité sismique et des campagnes en mer qui ont lieu tous les six mois environ. Il continue à être en éruption, mais de manière moins violente qu'au début.
En revanche, on enregistre une activité de type hydrothermale, avec des émissions de gaz, d'eau chaude, etc., qui se sont relocalisées à une dizaine de kilomètres à l'Est de Petite-Terre, sans doute sur l'emplacement d'un ancien volcan, avec une activité croissante dans cette zone à ce stade.
On est en train d'installer, en recourant à un financement dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA), un réseau de surveillance permanent au fond de la mer pour avoir un suivi 24 heures sur 24.
Il est très difficile de savoir, à ce stade, comme les choses vont évoluer. Il s'agit d'un événement atypique. Il n'existe pas d'autres cas de ce type.
S'agissant des autres éruptions, il faut bien entendu mentionner Tonga, sur la ceinture de feu du Pacifique, site particulièrement actif.
Rien de similaire ne va arriver en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie, mais il existe des activités très fortes qui peuvent produire des phénomènes catastrophiques difficiles à anticiper, d'où les observations que nous menons.
Pour en revenir aux chercheurs en océanographie, je pense que la France est l'un des grands pays océanographiques, avec les États-Unis, le Japon, l'Angleterre, l'Allemagne et quelques autres. Nous figurons parmi les pays les mieux équipés.
Nous disposons notamment d'une flotte océanographique, gérée par l'IFREMER. C'est un point très important. Un certain nombre de laboratoires sont également impliqués, avec des chercheurs de l'IFREMER, du CNRS, des universités, à Brest, Paris, Nice, Toulouse, Marseille ou Montpellier. Ils travaillent sur différents sujets liés à l'océan, pas tous sur les géosciences, mais sur les ressources minérales ou l'environnement. C'est ce qui fait notre force. Le fait qu'il existe des équipes qui travaillent sur de nouveaux instruments, comme des drones pour ce qui est de l'IFREMER, permet de faciliter l'exploration. On a évoqué l'utilisation des fibres optiques pour l'observation : ce sont des éléments nouveaux qui vont sans doute produire beaucoup de résultats.
On est dans un mercato global : les pays s'échangent des chercheurs, comme les équipes de football, mais nous disposons d'atouts de haut niveau, grâce à nos équipements et à nos laboratoires. Nous avons par ailleurs des compétences dans le domaine de la modélisation, qui nécessite de gros calculateurs.
Tout cela a un coût mais, pour l'instant, je pense que la France fait encore partie du top 10 des grands pays océanographiques.
Nous ne connaissons pas de problème de recrutement de chercheurs dans le domaine de l'océanographie, compte tenu de la formation...
On se bat toujours pour avoir les meilleurs.
On a l'impression que les choses avancent difficilement, bien que vous ayez évoqué des enjeux de transition énergétique conséquents et urgents, avec des ressources en matières premières dont beaucoup de nos territoires sont dépourvus, qui permettraient d'engager et de démultiplier cette transition écologique.
Ne serait-il pas souhaitable qu'on puisse avancer dans l'exploitation de ce qu'on connaît aujourd'hui ? Je pense par exemple aux nodules polymétalliques.
Vous estimez que la France ne dispose pas de beaucoup de ressources. Ce n'est pas tout à fait le cas.
Notre connaissance du sous-sol français est assez ancienne. Elle date de campagnes de caractérisation menées dans les années 1970, avec des techniques qui ne permettaient pas d'aller beaucoup plus loin que quelques centaines de mètres de profondeur et des performances inférieures à celles réalisées aujourd'hui.
Étant donné la structure de notre sol, compte tenu de travaux de métallogénie prédictive, notre pays est plutôt bien pourvu. Le potentiel minier de la France est loin d'être anodin. Il convient de se saisir à nouveau de cette question et de mener une campagne de caractérisation beaucoup plus précise de notre sous-sol.
Les pays scandinaves se sont lancés dans l'exercice il y a quelque temps et ont pu découvrir de nombreux gisements.
Notre potentiel est donc méconnu. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de relancer un programme de caractérisation géophysique aéroportée, qui va démarrer cette année dans le massif central, pour essayer de mieux comprendre et connaître les richesses de notre sous-sol.
S'agissant de l'exploitation des nodules à proprement parler, il me paraît extrêmement important, avant de se lancer dans une campagne à grande échelle, d'avoir une évaluation solide, l'ensemble des points de vue ayant été pris en compte, sur l'impact environnemental que cela pourrait avoir. Il faudra du temps avant que l'on soit capable de connaître la dynamique des grands fonds marins.
Or on sait qu'il existe une urgence en matière de transition énergétique. Sera-t-on en mesure de déployer des technologies nouvelles dans les années qui viennent ? Je crains qu'on ne soit pas au rendez-vous à temps.
Je suis totalement en phase avec ce qui vient d'être dit. Il me semble qu'on devrait se focaliser sur des sites expérimentaux durant quelques années pour avoir une meilleure vision des choses.
Il faut parvenir à se forger un avis sur les gisements. On a mené énormément de travaux sur les grands gisements à l'époque de la prospection pétrolière. Des travaux doivent être menés sur les nodules polymétalliques situés à 5 ou 6 000 mètres de fond. Une connaissance cartographique des gisements est nécessaire.
La transition énergétique ne peut attendre. La ressource sous-marine est-elle le choix le plus adapté ? Cela se discute.
On dispose sans doute de ressources sur le continent, mais on voit bien, avec les éoliennes, la difficulté à ouvrir de nouveaux chantiers.
Dans mon territoire, il a été fait état d'un gisement de lithium. Les comités de défense de toute nature se sont immédiatement emparés du sujet.
La France possédant le second espace maritime le plus vaste au monde, une action prioritaire est-elle menée pour améliorer la connaissance sur les espaces maritimes dont nous avons la responsabilité ?
Qu'est-ce que cela suppose en termes de moyens ?
C'est un vaste sujet. On a eu, par le passé, des projets internationaux de cartographie des fonds marins dans le cadre de l'extension des zones économiques, mais il s'agissait de travaux assez grossiers.
Je pense qu'on n'a pas aujourd'hui une stratégie nationale concertée d'exploration de notre zone économique exclusive. Sans doute serait-il important d'y réfléchir. Encore une fois, la connaissance des fonds marins ne porte pas seulement sur la topographie. C'est un travail assez long.
La France est relativement performante dans le domaine des développements technologiques instrumentaux, qui demandent des investissements publics mais aussi privés. J'ai évoqué les drones sous-marins, outils essentiels pour acquérir jour et nuit un certain nombre de données, ou l'utilisation des câbles optiques de télécommunications. D'autres dispositifs restent éventuellement à inventer. Il y a vraiment là un volet de développement technologique fondamental, l'exploitation marine demandant des moyens très modernes. Cela avance sans arrêt, et nécessite des moyens renouvelés.
Vous évoquiez l'opposition qui se manifeste dès que l'on parle d'un projet minier en France.
Une partie de nos concitoyens ont oublié que, derrière tous les services et les développements numériques, il existe une réalité physique : l'essentiel des activités extractives ne se situe pas en France et reste donc invisible. Elles sont souvent menées dans des pays lointains, avec un impact environnemental d'ailleurs assez fort.
Le débat que vous ouvrez me paraît très important et doit, de mon point de vue, appeler deux réponses. Tout d'abord, il faut que l'on prenne conscience que même l'usage de nos téléphones et de nos réseaux informatiques nécessite des ressources importantes. Tout prélèvement de ressources, quelle que soit la méthode, aura un impact environnemental.
On a intérêt à investir dans cette notion de mine responsable. Sans doute sera-t-il, à terme, préférable d'exploiter proprement chez nous, plutôt que de le faire très loin, de manière non contrôlée. Pour une partie de l'opinion publique, prélever ces ressources minérales dans de grands fonds marins éloignerait les impacts de notre environnement visible, alors qu'on détruira peut-être des environnements plus importants pour la biodiversité et l'avenir de la planète que dans le fond de nos jardins.
Il faut rester vigilant sur ce syndrome NIMBY, qui conduit à avoir une réaction moins violente lorsque les choses se déroulent loin.
Une étude de l'IRD de 2019 a démontré la possibilité de détecter la propagation d'ondes sismiques grâce aux câbles sous-marins de télécommunications. Ces câbles pourraient-ils contribuer à une meilleure connaissance des grands fonds marins ?
A-t-on envisagé de développer les technologies embarquées sur ces câbles et d'améliorer le multiusage, au-delà de la fonction de transport des télécommunications ? Existe-t-il des projets en cours dans ce domaine ?
Par ailleurs, des hydrocarbures sont-ils, selon vous, présents dans les grands fonds marins ? Quel serait leur degré d'exploitabilité ?
Enfin, le belge GSR ou le canadien The Metals Company sont aujourd'hui positionnés dans la course aux grands fonds marins. Avez-vous connaissance de leurs initiatives ? Les États sont-ils derrière ? On l'imagine, compte tenu des sommes engagées...
Quel est votre avis quant à la prise en compte des enjeux environnementaux par ces champions étrangers ?
Vous avez raison concernant l'utilisation des câbles comme possibles détecteurs de séismes et, par là même, comme moyen pour sonder la structure de la couche du sous-sol océanique. C'est une technique encore balbutiante. On est dans les premières étapes de développement.
Des choses similaires ont été faites à plus petite échelle pour caractériser des ouvrages en génie civil ou des ouvrages souterrains. Cela fait partie des techniques qui ont été envisagées pour caractériser un stockage de déchets nucléaire, mais à l'échelle de quelques dizaines ou centaines de mètres. C'est le même principe physique. Il y a un vrai potentiel qui mérite d'être étudié.
Il peut en effet y avoir des hydrocarbures dans les grands fonds marins. Pour la transition énergétique, il vaut mieux qu'ils restent où ils sont !
En effet. Pour ce qui est des entreprises étrangères, je n'ai pas d'information.
Plusieurs de nos chercheurs de très haut niveau sont impliqués dans le dossier des câbles sous-marins, mais il n'y a pas que l'IRD qui travaille sur ce sujet. Des collègues du CNRS et de l'Observatoire de la Côte-d'Azur sont aussi très impliqués.
Il se trouve que c'est un domaine sur lequel j'ai travaillé. Nous avons une certaine expérience sur les dispositifs d'écoute marine ou les bouées dérivantes.
S'agissant des câbles de fibre optique habituellement utilisés pour les télécommunications, il existe deux technologies. L'une permet de mesurer des déformations, des températures et d'enregistrer les ondes sismologiques. La fibre optique joue le rôle de capteur et permet de réaliser des mesures à des intervalles très proches - tous les dix mètres sur plus de 150 kilomètres à partir de la côte.
Un certain nombre de projets sont en cours, en particulier à l'Observatoire sous-marin de Mayotte, dans le cadre du PIA 3 Marmor. Un projet en mer de Ligurie est porté par des collègues de mon laboratoire, à Nice. Un projet en sismologie vient d'être financé au Chili, porté par Diane Rivet, de l'Observatoire de la Côte-d'Azur.
Plusieurs projets sont financés dans le cadre du PEPR « Un océan de solutions », ou par l'ANR, principalement portés par Anthony Sladen, du CNRS ou des collègues de l'IRD.
La seconde technologie est souvent appelée « smart cable », le mot « smart » signifiant « science monitoring and reliable communications ». Un amplificateur présent sur le câble tous les 100 kilomètres permet au signal optique d'être reçu de l'autre côté de l'océan.
Chaque amplificateur peut recevoir des capteurs environnementaux - mesures de la chimie, températures, vitesse du courant, etc. Il existe en particulier un projet de déploiement d'un câble de télécommunication par l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie entre la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu, sur lequel nous souhaitons développer un certain nombre de capteurs environnementaux.
Ce sont des technologies très compétitives. Nous avons connu un certain succès avec des financements de jeunes chercheurs - et c'est très bien.
Il faut dire que toutes les grandes universités américaines, japonaises, etc. développent ces capteurs et mettent des millions d'euros sur la table. Nous sommes cependant encore dans la course, car nous sommes créatifs.
Je pense que c'est l'avenir : ces câbles sillonnent déjà l'océan, et on va pouvoir réutiliser éventuellement d'anciens câbles qui ne seraient plus utilisés pour des raisons d'obsolescence. C'est un peu sensible, car il ne faut pas qu'on puisse espionner ce qui se passe à l'IRD, mais quand on déploie un nouveau câble, on peut sanctuariser un certain nombre de fibres pour travailler dessus.
Il faut bien avoir conscience que ces sujets ne vont pas aboutir dans six mois, mais plutôt dans cinq à dix ans. Pour l'instant, c'est encore expérimental.
Les acteurs privés comme les Belges ou les Canadiens sont-ils actifs dans le domaine de l'exploration marine s'agissant des ressources minérales ?
Des acteurs privés ont en effet émergé. L'installation de ces câbles requiert évidemment une technologie très particulière.
Certains pays comme le Canada, l'Australie, la Chine, etc. sont très investis industriellement en matière de ressources minérales, vraisemblablement aussi bien à terre qu'en mer, mais je n'ai pas d'exemple précis.
L'enveloppe prévue dans le cadre de France 2030, de l'ordre de 300 millions d'euros, vous semble-t-elle de nature à satisfaire les ambitions que l'on vient d'évoquer pour améliorer la connaissance de l'ensemble des fonds marins ?
Toute la difficulté est d'accéder aux grands fonds marins. Cela représente un coût, étant donné la complexité des technologies à mettre en oeuvre. Je n'ai pas d'idée de ce que peuvent coûter des opérations à ces profondeurs, habitées ou via des drones, mais je pense que cela permettra de faire progresser très significativement notre connaissance de ces environnements. Je ne puis toutefois dire si ce sera suffisant.
À titre de comparaison, le coût de construction du navire de 40 mètres évoqué pour aller dans le Pacifique, qui est de taille relativement modeste, représente environ 30 à 35 millions d'euros. Il faut ensuite financer l'opération.
Cela me paraît suffisant pour commencer. France 2030 concerne surtout le volet industriel. On évoque ici le volet relatif à la recherche...
En effet. Merci d'avoir participé à cette audition. N'hésitez pas à nous faire parvenir par écrit vos éventuelles observations complémentaires.
Nous pensons rendre notre rapport à la fin du premier semestre 2022. Votre éclairage nous est très utile.
La réunion est close à 18 h 35.