Intervention de Christophe Poinssot

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 1er février 2022 à 17h00
Audition de scientifiques autour de Mm. Philippe Charvis directeur délégué à la science à l'institut de recherche pour le développement ird christophe poinssot directeur général délégué et directeur scientifique et didier lahondère adjoint au directeur des géoressources du service géologique national brgm

Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du BRGM :

Le BRGM, créé en 1959, a une double casquette. En tant que service géologique national, il est porteur des connaissances sur l'ensemble du sous-sol et des ressources associées. C'est aussi un établissement de recherche qui, à ce titre, fait progresser les connaissances sur ces sujets.

Notre activité est équilibrée entre la recherche que l'on mène en partenariat avec d'autres établissements et l'appui aux politiques publiques à tous les niveaux, depuis les administrations centrales, jusqu'aux services déconcentrés et aux collectivités territoriales.

Notre établissement compte environ un millier de salariés, dont 700 ingénieurs-chercheurs, qui sont présents dans l'ensemble des régions, dont les territoires d'outre-mer, avec des directions régionales largement implantées qui s'impliquent dans leurs échanges avec les acteurs locaux.

Nos missions sont structurées autour de huit programmes scientifiques. Trois d'entre eux sont destinés à capitaliser notre connaissance du sous-sol métropolitain et de nos territoires d'outre-mer.

Sur la base de cette connaissance, nous répondons à un certain nombre d'enjeux sociétaux directement couplés avec les objectifs du développement durable concernant la gestion des eaux souterraines face aux aléas du changement climatique, les ressources minérales et l'économie circulaire, l'utilisation du sous-sol dans la transition énergétique et la problématique des risques naturels ou industriels.

La thématique des grands fonds marins est à l'interface de trois de nos grands programmes, puisqu'elle joue un rôle particulièrement important dans la géologie et le fonctionnement de la Terre, mais aussi en matière de ressources minérales, sans oublier le travail que nous menons autour des risques actifs, comme à Mayotte, avec le nouveau volcan apparu récemment.

Les grands fonds marins restent un monde méconnu mais qui, pour le géologue, joue un rôle fondamental dans la mécanique de la Terre. C'est en effet au niveau des dorsales que vont se créer les plaques océaniques, avec une activité volcanique et hydrothermale particulièrement importante, qui amène à la concentration d'un certain nombre de ressources minérales.

Ces plaques océaniques vont être « recyclées » dans les fosses de subduction et passer sous les plaques continentales, ce qui contribue à une activité particulièrement importante. Certains édifices volcaniques sont également associés à des points chauds, avec des remontées de magma profond qui créent des édifices volcaniques.

C'est un univers particulièrement complexe et très peu connu. On estime que 6 % des fonds marins sont aujourd'hui cartographiés correctement en termes de bathymétrie. On est donc loin d'avoir une connaissance exhaustive de ce qui peut s'y dérouler.

Quelles sont les ressources ? On trouve d'abord des nodules polymétalliques, ces fameuses boules de cinq à dix centimètres qui contiennent des éléments en grande quantité, notamment du manganèse et du fer, que l'on trouve généralement au-delà de 4 000 mètres de profondeur, dans des milieux très particuliers.

Les encroûtements sont bien plus épais, jusqu'à 25 centimètres d'épaisseur localement, avec des teneurs en éléments métalliques assez importantes, à des profondeurs plus faibles, entre 400 et 4 000 mètres, sans qu'on sache bien dire aujourd'hui quelles en sont les conditions de formation.

Enfin, on a ces fameux amas sulfurés hydrothermaux, où l'eau chaude est relâchée depuis la croûte océanique, avec une précipitation importante d'éléments métalliques, notamment de métaux rares. Ils peuvent former des édifices de plusieurs dizaines de mètres de haut.

On commence à avoir une compréhension de la manière dont se forment ces ressources, mais elle est loin d'être exhaustive.

C'est dans ce cadre qu'ont été délivrés des permis d'exploration, portés par l'IFREMER pour la France, pour couvrir et mieux connaître ces différents environnements.

Quel est l'intérêt stratégique de ces ressources ? Il s'agit de matières relativement riches : plus de 27 métaux ont été identifiés par l'IFREMER. Beaucoup de ces éléments sont indispensables pour réaliser notre transition énergétique, puisqu'on en a besoin dans nos batteries, nos éoliennes, nos panneaux solaires, etc.

Ces éléments sont intéressants d'un point de vue qualitatif, dans un contexte où beaucoup de questions se posent sur la manière d'approvisionner nos filières industrielles afin d'assurer la transition énergétique. Je ne peux, sur ce sujet, que vous renvoyer vers le rapport Varin, remis à la ministre de la transition écologique et à la ministre déléguée à l'industrie le 10 janvier, qui établit une photographie de cette question, à propos de laquelle un certain nombre d'actions ont été engagées par l'État, impliquant notamment le BRGM.

En revanche, d'un point de vue quantitatif, on est très loin de connaître les volumes que cela représente. Une ressource n'est pas une réserve. Rien ne garantit qu'elle soit intéressante sur les plans économique, technologique et environnemental.

La méconnaissance que l'on a des fonds marins et des procédés à mettre en oeuvre fait qu'il est aujourd'hui très difficile d'établir une évaluation réaliste et raisonnable de leur intérêt économique.

Ceci mérite de réaliser un gros plan sur l'impact environnemental. Il faudra être vigilant, car tout ceci est loin de notre proche environnement. La tentation pourrait donc être de dire qu'il vaut mieux que cela se passe là-bas plutôt que chez nous - le fameux syndrome NIMBY, « not in my backyard », bien connue en sociologie.

S'agissant de l'impact environnemental, la vie est très présente dans ces milieux profonds, malgré les conditions extrêmes. C'est une flore et une faune qu'on ne connaît pas. Quoi qu'on fasse, effectuer des prélèvements dans ces environnements sera perturbant en termes physico-chimiques, acoustiques, lumineux, électromagnétiques, etc.

La question - aujourd'hui très difficile à évaluer - est de connaître l'impact que cela aura sur la biodiversité de ces milieux.

Dans les zones des nodules polymétalliques, on voit encore la trace de ce qui a été prélevé il y a plusieurs dizaines d'années. Autrement dit, ces milieux se renouvellent assez lentement.

La question n'est pas tant de connaître l'impact environnemental que cela peut avoir que de savoir s'il vaut mieux aller chercher ces éléments dans la croûte terrestre ou dans les milieux profonds. Si on ne retrouve pas un certain nombre de désordres environnementaux classiques - consommation d'eau, émissions de CO2, etc. - par rapport aux prélèvements que l'on fait à terre, les fonds marins subissent néanmoins des dégradations suite au traitement du minerai. Cette partie représente entre 40 et 50 % de l'impact.

Ce n'est donc pas parce qu'on va aller chercher des ressources dans les grands fonds marins qu'on aura résolu les problèmes d'impact environnemental - sans préjuger de l'impact sur la biodiversité.

Nous sommes sollicités à triple titre, en tant qu'établissement de recherche sur les géosciences, en tant que service national et en tant que spécialiste des ressources minérales.

Nous avons à ce jour quatre actions principales. Nous travaillons pour le ministère de la transition écologique, avec l'IFREMER, sur l'évolution des ressources minérales des grands fonds marins. Nous avons participé à la définition du projet de programme exploratoire prioritaire de recherche mentionné par Philippe Charvis. Nous avons également fondé un partenariat avec la société Créocéan pour aider à la caractérisation de la zone de Clarion-Clipperton, où se trouvent des nodules polymétalliques, programme géré par l'IFREMER. Nous participons enfin à des expertises scientifiques collectives sur la problématique des grands fonds marins.

L'important, s'agissant des ressources minérales, est d'être capable de prendre correctement en compte l'ensemble des impacts et non uniquement la quantité de matière présente, et de mettre cela en regard des autres ressources disponibles. Notre connaissance de l'ensemble des procédés et des ressources potentielles auxquelles on pourrait faire appel permet d'avoir une vision d'ensemble intéressante de ces thématiques.

Je me permets enfin de vous indiquer qu'il existe un site internet rassemblant toutes les connaissances sur les ressources minérales, qui permet de remettre en perspective l'ensemble des éléments par rapport à ce qui est présent dans les grands fonds marins.

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