Ce second projet de loi de finances rectificative pour 2022, que l'on qualifie généralement de PLFR de fin de gestion, a pour principal objet de procéder à divers ajustements, ouvertures et annulations de crédits sur le budget de l'État. Toutefois, vous n'êtes pas sans savoir que, cette année, l'Assemblée nationale a introduit quelques dispositifs fiscaux sur lesquels je reviendrai.
Permettez-moi au préalable de revenir sur le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement, ainsi que sur la situation générale des finances publiques.
Comme lors du dépôt du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le Gouvernement anticipe une croissance du PIB de 2,7 % en 2022. Cette estimation est à mettre en comparaison avec la croissance économique que nous attendions lors de l'examen du PLF pour 2022, c'est-à-dire 4 %. De nombreux chocs sont venus ralentir la progression de l'activité économique, dont le plus important reste évidemment la hausse des prix des énergies. La prévision retenue par le Gouvernement me semble un peu haute, même si elle n'est pas pour autant inatteignable. Je me contenterai d'observer qu'elle se situe dans la borne haute de la prévision du Consensus Forecasts et que le ralentissement de l'activité au troisième trimestre plaide plutôt pour une croissance plus proche de 2,5 %.
La prévision d'inflation hors tabac retenue par le Gouvernement se situe à + 5,3 %. Sur ce point, je note que les conjoncturistes présentent des prévisions très dispersées comprises entre + 4,7 % et + 6 %. Dans ce contexte, je considère que la prévision du Gouvernement en termes d'inflation est relativement centrale.
En ce qui concerne l'état des finances publiques, le Gouvernement prévoit un déficit de 4,9 % du PIB, qui serait donc légèrement plus faible que celui qui était attendu lors du dépôt du PLF pour 2023, avec un déficit de 5 %. L'État porterait l'ensemble du déficit, puisque les administrations locales et les administrations sociales seraient en excédent ou à l'équilibre.
Cette amélioration, qui laisse tout de même nos comptes publics dans un état très préoccupant, s'explique par des anticipations de recettes plus importantes en matière de prélèvements sociaux et d'impôt sur le revenu (IR). En parallèle, des dépenses moindres sont attendues en lien avec les annulations de crédits sur lesquelles je reviendrai.
Pour parler plus précisément du budget de l'État, il s'établirait en 2022 à 172,3 milliards d'euros, soit 18,5 milliards d'euros de plus qu'en loi de finances initiale (LFI) et 6,1 milliards de moins que prévu dans la première loi de finances rectificative (LFR1). Cette estimation a peu varié par rapport à l'estimation donnée par le Gouvernement il y a un mois et demi, à l'occasion de la présentation du PLF pour 2023.
Lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, le déficit a été accru de 474 millions d'euros, principalement par une augmentation des dépenses du budget général.
Dans les grandes masses, l'amélioration de la prévision de déficit par rapport à la loi de finances rectificative s'explique d'abord par la révision en hausse des recettes nettes, à hauteur de 5,2 milliards d'euros, par rapport à la LFR1. Le prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne (UE) devrait également être inférieur de plus de 2 milliards d'euros au montant prévu antérieurement.
L'amélioration du solde provient également d'une consommation moindre des crédits reportés. Le montant des crédits reportés sur le budget général était de 23,2 milliards d'euros cette année, mais seulement 7,6 milliards d'euros devraient être consommés - la première loi de finances rectificative prévoyait une consommation plus importante, à hauteur de 9,1 milliards d'euros. À l'inverse, les ouvertures de crédit sur le budget général, qui sont de 9,7 milliards d'euros, dépassent les annulations, qui sont de 5,9 milliards d'euros.
Quoi qu'il en soit, ce déficit demeure considérable, puisqu'il serait à peu près identique au niveau atteint en 2020 et 2021, soit plus de 170 milliards d'euros, alors que le déficit au cours des années 2011 à 2019 était deux fois moins élevé. Comme je l'ai fait observer en présentant le projet de loi de finances pour 2023, on est sur un « plateau » haut - il s'agit plutôt d'un abîme si l'on considère le solde -, dont il est bien difficile de sortir.
Ce déficit suppose toutefois un niveau exceptionnel de dépenses en fin d'année. En effet, le déficit était de 146,6 milliards d'euros à la fin du mois de septembre 2022 : ce projet de loi de finances rectificative suppose donc que le déficit se dégradera de près de 25 milliards d'euros dans les trois derniers mois de l'année, alors même que, en temps normal, les recettes et les retours d'avances accordées en début d'année conduisent le solde budgétaire à s'améliorer en fin d'année. Il est vrai que des dépenses importantes sont prévues au titre, notamment, des mesures visant à accompagner la hausse des prix de l'énergie, mais il est bien possible que, une nouvelle fois, des crédits importants demeurent non utilisés à la fin de l'année.
Les recettes fiscales nettes seraient de 315,8 milliards d'euros, en hausse de 4,2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances rectificative du 16 août dernier.
Si l'évolution est limitée, il faut se souvenir que les recettes, en particulier celles qui sont liées à l'impôt sur les sociétés (IS), avaient déjà été révisées en forte hausse lors de la première loi de finances rectificative. En outre les variations sont très faibles par rapport à ce qui avait été estimé au mois de septembre, lors de la présentation du PLF pour 2023.
L'impôt sur les sociétés serait à un niveau encore plus élevé que prévu l'été dernier, par une hypothèse de profitabilité plus forte des entreprises en 2021 et 2022. S'agissant de l'impôt sur le revenu, les remontées comptables conduisent à rehausser les recettes prévues de 2,1 milliards d'euros.
En revanche, les recettes de TVA sont un peu moins dynamiques que prévu, et le montant revenant à l'État est affecté par des remboursements et dégrèvements plus élevés. Enfin, il y a peu de variation sur les recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, les recettes fiscales nettes ont été diminuées de 29 millions d'euros en raison du rehaussement du plafond d'affectation de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE) versée aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), afin de garantir à ces établissements le montant de ressources fiscales initialement attendu pour l'exercice 2022.
S'agissant des recettes non fiscales, elles s'établiraient à un niveau de 24,7 milliards d'euros, en amélioration de 1 milliard d'euros, notamment en raison de dividendes plus élevés que prévu.
Le niveau des recettes ne change donc pas de manière fondamentale, mais j'observe que ce collectif diffère des quatre précédents collectifs budgétaires de fin d'année, l'Assemblée nationale ayant ajouté cinq articles comprenant des dispositions fiscales dont la portée va au-delà de l'exercice 2022. L'article 9 E va même jusqu'à modifier le même article du code général des impôts que l'article 7 du projet de loi de finances, concernant la taxe d'aménagement.
Je ne proposerai pas de remettre en cause toutes ces dispositions, dont les articles ajoutés, qui résultent aussi du caractère particulier de l'examen du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale, les députés n'ayant pu examiner ni adopter certaines mesures. Pour les années à venir, toutefois, comme nous l'avons prévu en révisant la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), il conviendra de revenir à une séparation nette entre le collectif budgétaire, qui ajuste les crédits en fin d'année, et le projet de loi de finances, qui prépare le budget ainsi que les dispositions fiscales de l'année suivante.
En outre, j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 9 C relatif à la répartition entre les collectivités territoriales et leurs groupements à fiscalité propre du produit de la composante de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) relative aux centrales photovoltaïques. Tout d'abord, ce sujet relève d'un PLF; il n'est pas souhaitable de modifier ainsi, au détour d'un PLFR de fin de gestion, la répartition de ressources entre les collectivités. Ensuite, on ne peut balayer d'un revers de la main la perte induite pour les départements. Enfin, le dispositif proposé n'est pas opérationnel techniquement et doit être retravaillé.
C'est du côté des dépenses que le projet de loi de finances rectificative apporte le plus de modifications. Des ouvertures de crédits de 9,7 milliards d'euros, hors remboursements et dégrèvements, concernent de nombreux programmes du budget général - je ne présenterai que les plus importantes.
Une subvention à France compétences vient combler une nouvelle fois le « puits sans fond » de sa trésorerie, à hauteur de 2 milliards d'euros. J'en prends acte, mais il est désormais indispensable de définir une trajectoire soutenable pour le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; or le Gouvernement navigue à vue sur ces sujets.
Le niveau élevé de l'inflation et plus particulièrement du prix des énergies reste l'une des principales causes d'ouvertures de crédits. Il s'agit, par exemple, du chèque énergie, pour lequel 1,4 milliard d'euros sont ouverts dans ce texte, mais aussi de la prolongation de la « remise carburant » évaluée à 440 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE).
Par ailleurs, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a annoncé la mise en place d'un fonds de compensation du surcoût de l'énergie doté de 275 millions d'euros. Cependant, ce fonds est financé, pour près de la moitié, par le dégel de la réserve de précaution, les crédits ouverts ici étant de 150 millions d'euros environ.
En outre, la revalorisation du point d'indice de la fonction publique nécessite également des ouvertures de crédits, en particulier sur la mission « Culture ».
L'Assemblée nationale a créé un nouveau programme, doté de 29 millions d'euros, pour le soutien exceptionnel à la rénovation thermique des logements résidentiels, afin d'étendre le dispositif MaPrimeRénov' et de mieux lutter contre les passoires énergétiques - j'y reviendrai ultérieurement.
Plusieurs ouvertures de crédits importantes ont pour objet le financement de dépenses sociales assurées par la sécurité sociale ou d'autres administrations. Un nouveau programme, doté de 1,4 milliard d'euros, doit compenser à la sécurité sociale le coût des dons de vaccins à des pays tiers, mais aussi lui reverser une partie des sommes versées par l'Union européenne dans le cadre du plan de relance, au titre du volet « Ségur investissement ». Et c'est pour compenser à la sécurité sociale le coût des allégements de cotisations sociales décidées dans le cadre de la crise sanitaire que 1,3 milliard d'euros ont été ouverts sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », alors même que la loi de finances initiale n'avait rien prévu à ce sujet.
Je ne présenterai pas toutes les autres ouvertures qui visent, par exemple, à financer le soutien à l'Ukraine, notamment au sein de la mission « Défense », ou encore à faire face aux crises agricoles et à d'autres besoins constatés en cours d'exercice. Vous trouverez le détail dans le rapport.
L'Assemblée nationale a également créé, d'une part, un programme budgétaire pour apporter 40 millions d'euros aux associations habilitées à l'aide alimentaire, comme le Sénat l'avait fait dans la loi de finances rectificative de l'été, mais les besoins sont encore accrus, et, d'autre part, un programme pour apporter une aide aux communes pour la rémunération des personnels de leurs centres municipaux de santé, compte tenu de la hausse du point d'indice, à hauteur de 8 millions d'euros.
Les annulations correspondent à des économies de constatation, comme l'a d'ailleurs reconnu le ministre chargé du budget lors de son audition par notre commission. Je ne détaillerai pas celles qui correspondent à l'annulation de la réserve de précaution ou à des sous-consommations sur divers dispositifs.
Deux milliards d'euros sont annulés sur les appels en garantie de l'État au titre des prêts garantis par l'État (PGE), qui sont moins élevés que prévu. Plus de 1 milliard d'euros sont annulés sur les dépenses de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». En réalité il s'agit presque entièrement de crédits ouverts dès 2021 et qui avaient été reportés à 2022. Une partie d'entre eux avaient déjà servi à gager le décret d'avance du 7 avril dernier.
Des économies sont également constatées sur les dispositifs du programme 102 « Accès et retour à l'emploi » de la mission « Travail et emploi », pour 500 millions d'euros.
Comme nous l'avions prévu lors de l'examen du PLFR1, la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI) a reçu beaucoup trop de crédits en cours d'année et n'a pas été utilisée. Elle est partiellement annulée, à hauteur de 500 millions d'euros, ce qui correspond exactement à la somme qui nous paraissait superflue lors de l'examen du PLFR1.
Or un autre programme bénéficie, à l'heure actuelle, de crédits très importants qui ne seront pas utilisés en 2022 et qui ne sont pourtant pas annulés par le présent texte : il s'agit du programme 367 de la mission « Économie », qui a vocation à financer des participations de l'État dans des entreprises. Il dispose encore d'un peu plus de 4 milliards d'euros ; ces crédits seront reportés, selon le Gouvernement, à 2023 pour financer d'éventuelles opérations non encore précisées. Dans un esprit de sincérisation du budget, je vous proposerai d'annuler ces crédits, à hauteur de 4 milliards d'euros, sachant que le Gouvernement peut les ouvrir dans le projet de loi de finances, ce qui serait préférable.
La pratique des reports est de plus en plus courante. À titre d'exemple, seulement 245 millions d'euros sont annulés sur le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie ». Ce programme dispose toujours de 4,5 milliards d'euros non consommés, car de très importants crédits ont été ouverts en cours d'année pour financer les dispositifs d'aide aux entreprises face à l'inflation. Le Gouvernement a indiqué que, à la fin du mois d'octobre, 19 millions d'euros d'aides seulement avaient été versés sur les 3 milliards d'euros de crédits prévus pour les entreprises énergo-intensives. Ces crédits vont probablement être massivement reportés. Ils pourraient être, au moins pour une partie d'entre eux, utilisés en 2023, le Gouvernement ayant annoncé une simplification des critères de recours.
S'agissant enfin des emplois, le projet de loi de finances rectificative ajuste les plafonds d'autorisations d'emplois de l'État et des opérateurs. Il s'agit de dispositions de régularisation.
Pour l'État, l'ajustement est de + 907 équivalents temps plein travaillés (ETPT). L'augmentation des emplois du ministère de la justice est liée, pour 605 ETPT, au renforcement en matière de lutte contre les violences intrafamiliales et aux moyens de la justice de proximité. Au ministère de la solidarité et de la santé, l'augmentation est consacrée pour 73 ETPT à la gestion de la crise sanitaire et pour 60 ETPT à la prise en charge de réfugiés ukrainiens. On peut aussi noter une augmentation de 53 ETPT pour les services du Premier ministre, ce qui regroupe un ensemble d'organismes qui ne sont pas rattachés à d'autres ministères, mais aussi les cabinets ministériels des trois nouveaux secrétaires d'État rattachés à la Première ministre et le Conseil national de la refondation (CNR).
Enfin le plafond des autorisations d'emplois des opérateurs est augmenté de 174 ETPT, majoritairement pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et pour les agences régionales de santé (ARS).
Je vous propose d'adopter les mesures proposées par le Gouvernement ou adoptées par l'Assemblée nationale qui vont, à mon sens, dans la bonne direction. Ainsi en est-il en particulier pour le chèque énergie exceptionnel, le doublement du seuil d'imputation du déficit foncier sur le revenu global pour des dépenses de rénovation énergétique, le soutien à l'achat de pellets et de bûches de bois, doté de 230 millions d'euros, et la prorogation en 2023 de l'attribution de MaPrimeRénov' sans condition de ressources, pour des travaux de rénovation globale.
Je vous proposerai toutefois dix amendements qui, outre ceux dont je vous ai déjà parlé ou qui sont d'ordre rédactionnel ou techniques, permettent notamment d'ouvrir deux enveloppes pour renforcer les moyens alloués d'une part, à la réfection des ponts, notamment des petites communes, avec 60 millions d'euros supplémentaires, et, d'autre part, à la réduction du taux de fuite du réseau d'eau et à accélérer sa rénovation, à hauteur de 100 millions d'euros. Cet enjeu est d'autant plus crucial et urgent compte tenu de la sécheresse subie cette année.