Intervention de Nicole Bonnefoy

Mission d'information sur la gestion des risques climatiques — Réunion du 3 juillet 2019 à 14:5
Examen du rapport

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy, rapporteure :

Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président, pour votre présidence bienveillante et constructive tout au long de ces six mois d'investigations. Travailler avec vous fut un plaisir. Je salue également les nombreux membres de notre mission qui ont participé très activement à nos réunions. Cet intérêt porté à notre sujet témoigne de son importance pour nos concitoyens et les élus de nos territoires.

Je commencerai mon propos en rappelant le point de départ de nos travaux, à savoir les nombreuses sollicitations dont nous sommes destinataires depuis des années en tant que parlementaires, de la part de particuliers, d'élus locaux ou d'associations, nous faisant part de leurs grandes difficultés en matière d'indemnisation des dommages résultant des catastrophes naturelles.. Notre travail s'est donc résolument inscrit dans une approche de terrain, en partant du vécu des sinistrés.

L'idée directrice du rapport est que nos politiques de prévention des risques et d'indemnisation des catastrophes naturelles ne sont pas à la hauteur des dérèglements climatiques. À ce titre, le rapport établit trois constats majeurs.

Le premier est que l'impact du changement climatique sur le nombre et l'intensité des catastrophes naturelles est déjà perceptible et va encore s'aggraver.

Depuis le milieu du XXe siècle, nombre d'experts observent une multiplication et une amplification des extrêmes climatiques. L'humanité y contribue directement en raison de l'impact incontestable de ses activités sur le changement climatique.

Les tendances sont particulièrement claires pour les inondations, les sécheresses et certains risques littoraux. Les pluies extrêmes dans le sud-ouest de notre pays ont déjà augmenté de 20 % depuis le milieu du XXe siècle et une sécheresse comme celle de 2003 devrait se produire tous les deux à trois ans d'ici à la fin du XXIe siècle. Nous allons donc devoir gérer des risques climatiques plus importants dans les prochaines décennies et il est indispensable d'anticiper ces évolutions en adoptant une démarche résolument prospective.

Deuxième constat, le système d'indemnisation des dommages résultant des catastrophes naturelles est incompréhensible et injuste pour de nombreux sinistrés. Malgré des fondamentaux pertinents, le fonctionnement actuel du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) exclut beaucoup de sinistrés et son opacité nuit fortement à l'acceptabilité des décisions de non-reconnaissance.

Nous avons tous été touchés par l'immense désarroi des sinistrés frappés par des catastrophes naturelles, qui s'épuisent dans des procédures longues, et parfois vaines, pour obtenir une indemnisation. Ces difficultés d'ordre administratif s'ajoutent à de véritables traumatismes et à des situations humaines, sociales ou économiques souvent dramatiques.

Les décisions de non-reconnaissance suscitent alors un vif sentiment d'injustice et l'impression d'une négation par les pouvoirs publics de désastres qui sont pourtant bien réels pour les particuliers.

En outre, plusieurs interlocuteurs nous ont fait part de difficultés ultérieures avec les assureurs lors de la phase d'indemnisation, notamment quant aux délais de déclaration des sinistres ou d'évaluation des dommages par les experts d'assurance. Cette phase est parfois vécue comme un véritable « parcours du combattant ».

Ce point ne serait pas complet s'il ne mentionnait pas la vulnérabilité particulière des agriculteurs face aux aléas climatiques, qui nous a été rappelée lors de l'épisode intense de grêle ayant frappé les départements de la Drôme, de l'Isère et de l'Ardèche le 15 juin dernier. L'agriculture souffre d'un vrai déficit de protection, avec des problèmes d'articulation entre la couverture assurantielle et le régime des calamités agricoles.

Le troisième et dernier constat établi par le rapport est que notre politique de prévention des risques naturels est complexe, inachevée et sous-dotée. Plusieurs points témoignent de lacunes persistantes dans la politique préventive. Toutes les communes identifiées comme des zones à risques ne sont toujours pas couvertes par un plan de prévention des risques naturels (PPRN) et cette situation persiste depuis plusieurs années. En outre, les procédures de labellisation et de mise en oeuvre des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) sont particulièrement longues et complexes, au point de décourager les élus locaux de s'y engager. Enfin, à peine la moitié des communes ayant à élaborer un plan communal de sauvegarde (PCS) s'en sont effectivement dotées, malgré l'importance de ce document en cas de catastrophe naturelle.

Par ailleurs, les risques climatiques ont été très largement ignorés par l'aménagement du territoire. Historiquement, le problème des sols argileux n'a pas du tout été pris en compte dans la conception des maisons individuelles. De nombreuses constructions restent en outre autorisées dans des zones à risques sans adaptation constructive. Quant au recul du trait de côte, il s'agit d'un véritable impensé de la politique d'aménagement du territoire, malgré la mobilisation de certaines collectivités territoriales et plusieurs initiatives parlementaires pour porter une réforme ambitieuse à ce sujet.

Enfin, le plafonnement des ressources affectées au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) dit fonds Barnier constitue un vrai dévoiement de la contribution versée par les assurés, guidé par des considérations budgétaires de court terme et dont le public n'a absolument pas été informé. Il s'agit d'une erreur majeure, limitant fortement l'ambition de la politique de prévention, en contradiction totale avec les conséquences du changement climatique.

Face au dérèglement climatique et à l'augmentation attendue du nombre et de l'intensité des catastrophes naturelles, une modernisation durable de nos politiques de prévention et d'indemnisation est donc capitale. Le rapport formule une cinquantaine de propositions concrètes en ce sens, répondant à dix objectifs prioritaires, qui portent, d'une part, sur les systèmes d'indemnisation et, d'autre part, sur les mesures de prévention. Permettez-moi d'en rappeler les différentes lignes directrices.

En matière d'indemnisation tout d'abord, la priorité est de rendre le régime des catastrophes naturelles plus juste, plus transparent et plus efficace. Les principales recommandations consistent à formaliser la méthode retenue pour apprécier l'intensité anormale d'un phénomène naturel, à préciser le rôle et la composition de la commission interministérielle chargée de rendre un avis à ce sujet et à revoir le dispositif des franchises, qui pénalisent excessivement certains assurés, notamment les particuliers vivant dans un territoire dépourvu d'un PPRN, les commerçants et artisans, ainsi que les collectivités territoriales de petite taille. En outre, il serait intéressant d'envisager la création d'une clause d'appel en cas de non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, fondée sur une expertise indépendante de terrain.

Un deuxième axe vise à renforcer l'accompagnement des élus locaux en cas de catastrophe naturelle, en particulier en améliorant l'assistance apportée par les services préfectoraux aux maires des communes concernées, ainsi qu'en diffusant un guide des démarches à effectuer dans l'après-crise. Les élus sont en effet en première ligne face aux catastrophes naturelles, mais beaucoup se disent démunis et mal formés face à des phénomènes d'une telle ampleur.

Le rapport préconise également de clarifier et sécuriser les relations entre assurés et assureurs. La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ne règle en effet pas tout. Il me semble particulièrement important de porter de dix à trente jours le délai imparti aux sinistrés pour déclarer leurs dommages, de préciser explicitement que les réparations doivent être pérennes et durables pour éviter, comme cela est arrivé, que les biens soient à nouveau endommagés lors d'une prochaine catastrophe, ainsi que d'harmoniser le travail des experts d'assurance, pour éviter certaines pratiques abusives qui ont été portées à notre connaissance par différents acteurs.

Le quatrième point saillant en matière d'indemnisation porte spécifiquement sur la protection des agriculteurs face aux risques climatiques. Le rapport préconise ainsi d'assouplir les critères d'éligibilité au régime des calamités agricoles, de sanctuariser les ressources du fonds qui lui est consacré, le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), et d'accroître le soutien financier à la souscription de contrats d'assurance-récolte. En outre, il me paraît indispensable de revoir la durée du dispositif de moyenne olympique qui est utilisé pour apprécier la perte de rendement, afin de tenir compte de l'augmentation des aléas climatiques.

J'en viens au second volet des propositions, portant sur la politique de prévention.

Un premier ensemble de propositions consiste à renforcer les moyens et à améliorer l'efficacité du fonds Barnier, qui doit être le fer de lance d'une politique de prévention ambitieuse, à la hauteur des enjeux climatiques. À ce titre, il est crucial de déplafonner rapidement les recettes affectées au fonds pour disposer de nouvelles marges de manoeuvre budgétaire. Il s'agit également de renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds en lui donnant une mission plus stratégique et de donner davantage de souplesse dans l'utilisation des crédits, en supprimant les dispositifs de sous-plafonds spécifiques à certaines mesures éligibles.

Ensuite, il convient d'amplifier la politique de prévention et d'aménagement durable dans les territoires. Il faut en particulier achever la politique d'élaboration des PPRN et lancer une phase d'actualisation des plans déjà approuvés, en tenant compte de l'amélioration des connaissances en matière de risques. Il est également indispensable d'accélérer la labellisation des PAPI et de simplifier les procédures aux actions lors de leur réalisation.

En complément, une troisième série de mesures vise plus particulièrement à accompagner les élus locaux dans leurs démarches de prévention. Cela passe notamment par une meilleure formation des élus, une systématisation des retours d'expérience entre collectivités territoriales, ainsi que par une campagne de sensibilisation et d'assistance à l'initiative des préfectures pour que chaque commune ayant à élaborer un PCS puisse rapidement s'en doter.

Un quatrième axe, qui nous tient particulièrement à coeur, consiste à faire émerger une véritable culture du risque chez nos concitoyens. Cela suppose de sortir du mythe du risque zéro dès lors que des ouvrages de protection seraient mis en place, car cette illusion repose sur une sous-estimation des risques naturels et une surestimation de notre capacité à les maîtriser. Il faut donc changer d'approche face aux aléas climatiques, en passant du « lutter contre » au « vivre avec ».

Une telle évolution suppose de généraliser la connaissance des risques, des outils de prévention et des comportements à adopter en cas de catastrophe naturelle. Parmi les mesures de sensibilisation que nous proposons figurent une expérimentation pour créer un diagnostic CatNat permettant de mesurer la résilience d'un logement, l'organisation d'une campagne nationale de sensibilisation de la population sur le phénomène du retrait-gonflement des argiles - malheureusement encore très méconnu -, ainsi que la création d'une journée nationale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles, avec un temps réservé dans les établissements scolaires.

Enfin, le cinquième et dernier axe en faveur de la prévention des risques vise à soutenir davantage les efforts en matière de réduction de la vulnérabilité. Il s'agit essentiellement d'accroître le soutien financier apporté par le fonds Barnier aux travaux des particuliers et de rechercher une complémentarité entre ces subventions, les indemnisations versées au titre du régime CatNat et un crédit d'impôt spécifique qui pourrait être mis en place pour améliorer la résilience des habitations face aux aléas climatiques.

Il me semble également important d'envisager la création d'un volet spécifique à la sécheresse au sein du fonds, pour aider à la réalisation de travaux contre ce phénomène d'une ampleur toute particulière.

En résumé, il s'agit tout simplement de rendre le fonds Barnier aux assurés pour in fine réduire les besoins d'indemnisation. Je rappelle en effet qu'un euro investi dans la prévention permet d'économiser sept euros d'indemnisation.

La prévention et l'indemnisation sont donc intimement liées, et c'est en agissant conjointement sur ces deux leviers que nous parviendrons à limiter au maximum les conséquences des catastrophes climatiques.

Tels sont les constats et les propositions du rapport que je soumets à votre approbation, et pour lequel je vous propose le titre suivant : « Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire ».

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