Intervention de Fabrice Leggeri

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 25 janvier 2017 à 15h00
Audition de M. Fabrice Leggeri directeur exécutif de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex

Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) :

Depuis sa création, Frontex a connu plusieurs réformes, dont la dernière en date, celle de 2016, a permis, au-delà d'un changement de nom, d'approfondir ses compétences existantes et de lui confier de nouvelles missions, en particulier dans le domaine maritime.

Ce nouveau mandat permet à Frontex, en étroite collaboration avec les États membres et les autres institutions et agences de l'Union européenne, d'améliorer de manière qualitative sa contribution au contrôle des frontières extérieures. Dorénavant, la gestion de ces frontières est appréhendée comme un ensemble puisqu'elle inclut aussi, dans une démarche horizontale, des questions liées à la criminalité ou au risque terroriste.

Je souhaite, dans un premier temps, évoquer quelques missions nouvelles de l'Agence.

En ce qui concerne la gouvernance de l'espace Schengen, nous sommes chargés de procéder à des études de vulnérabilité. Pour cela, nous allons collecter des informations relatives aux moyens opérationnels et budgétaires des États membres, analyser le fonctionnement des services concernés et évaluer les risques. À terme, nous pourrons comparer, sur une base mensuelle, les moyens dont dispose un État et les menaces qui ont été identifiées. Si l'Agence constate des manques sur le plan opérationnel et estime que des actions correctrices sont nécessaires, son directeur exécutif pourra proposer des mesures et un calendrier de mise en place. L'Agence pourra apporter son aide à l'État membre de différentes manières : opérations conjointes, formations, déploiement de moyens...

Il est important de souligner que nous ne sommes pas là pour sanctionner un État membre, mais pour identifier les mesures opérationnelles nécessaires. Dans le cas où cet État ne peut pas - ou ne veut pas - les mettre en place, le directeur exécutif pourra élever la question à un niveau politique, ce qui pourra déboucher sur une recommandation du conseil d'administration, voire sur une décision du Conseil.

La mise au point d'une stratégie opérationnelle de gestion intégrée des frontières extérieures constitue une autre mission nouvelle de l'Agence. Préparée avec les États membres, elle sera approuvée par le conseil d'administration de Frontex. La gestion des frontières ne se déroule pas uniquement à leur démarcation : c'est un processus global qui demande la coopération de différents services des États membres (police, immigration, douanes, autorités consulaires...), mais aussi de pays tiers, et qui contient une forte dimension opérationnelle.

J'ajouterai que, depuis 2011, l'Agence était une sorte de conseiller technique pour la Commission européenne, en particulier lors des exercices d'évaluation de l'espace Schengen. Aujourd'hui, nous sommes en capacité, à ce titre, de déployer vingt-cinq experts, que ce soit pour des opérations programmées ou non. Nous fournissons aussi à la Commission européenne une analyse des risques qui permet de choisir les lieux de ces évaluations.

Troisième mission nouvelle que je souhaite évoquer : la sécurité et la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Dans ce cadre, nous allons renforcer les coopérations existantes avec Europol et avec les services de police et d'enquête des États membres. Notre nouveau mandat inclut les douanes, avec lesquelles nous pourrons donc dorénavant coopérer.

Nous pourrons procéder à des échanges et collectes d'informations, y compris personnelles, avec deux finalités : alimenter les enquêtes pénales et gérer les flux migratoires. Sur ces sujets, nous sommes en liaison avec le Contrôleur européen de la protection des données, qui est l'équivalent de la CNIL, et nous travaillons avec Europol et les autorités nationales et européennes compétentes, par exemple le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO).

En ce qui concerne le retour des étrangers en situation irrégulière, souvent appelé éloignement en France, notre mandat est également plus large, puisque nous pouvons prendre un certain nombre d'initiatives. Toutefois, l'Agence ne dispose pas d'une compétence exécutive en la matière, la décision de renvoi d'un étranger en situation irrégulière demeurant de la compétence nationale. Nous pouvons aider les États sur le plan logistique : par exemple, nous avons organisé 32 vols de retour en 2014, 66 en 2015 et 232 en 2016 et contribué à renvoyer 3 500 personnes en 2015 et 10 700 en 2016. Nous travaillons aussi avec les États membres, en particulier la Grèce, sur l'application de l'accord de réadmission conclu avec la Turquie ; Frontex a ainsi contribué au renvoi de 950 personnes depuis le 20 mars 2016.

Nous disposons donc de moyens nouveaux pour identifier les migrants en situation irrégulière et pouvons apporter notre appui aux États membres. Je prends un exemple : la Grèce rencontrait de grandes difficultés pour organiser des vols de retour vers le Pakistan, parce que ce pays ne lui délivrait pas de laissez-passer consulaires. L'intervention de Frontex a montré à ce pays que la Grèce n'était pas la seule concernée, ce qui a donné plus de poids dans les discussions et a finalement permis de faire appliquer l'accord de réadmission conclu entre le Pakistan et l'Union européenne.

Quels sont les moyens mis à la disposition de l'Agence pour remplir ce nouveau mandat ?

L'autorité budgétaire de l'Union européenne, à savoir le Conseil et le Parlement, sur proposition de la Commission européenne, a approuvé un plan d'augmentation des ressources, qui progressent très significativement depuis deux ans : notre budget s'élevait à 95 millions d'euros au début de l'année 2015 - 142 millions en fin d'année, à la suite de deux décisions prises en cours d'exercice - et à 250 millions en 2016 ; il atteint 310 millions en 2017. Le cadre financier pluriannuel fixe une cible de 330 millions d'euros pour 2020.

En termes de personnel, 76 postes ont été créés en 2015-2016 et les décisions prises en 2016 prévoient une augmentation de 50 % en 2017. Aujourd'hui, 380 agents travaillent à l'Agence et nous devrions être 1 000 d'ici à 2020. Ces créations concernent à la fois le siège de Frontex et les différentes activités opérationnelles aux frontières et dans des pays tiers (en Turquie, en Afrique ou dans les Balkans, voire en Asie). Il s'agit bien de personnels recrutés par l'Agence, pas d'agents mis temporairement à disposition par les États membres.

En ce qui concerne les déploiements opérationnels aux frontières, comme Triton en Italie ou Poséidon en Grèce, nous faisons appel aux garde-frontières et garde-côtes des États : environ 750 en Grèce, 500 en Italie, 100 en Bulgarie et 70 sur le pourtour des Balkans. Nous travaillons donc aussi sur les frontières terrestres, nous sommes par exemple en train de renforcer la frontière Nord de la Grèce pour nous assurer de la fermeture de la route des Balkans. Nous finançons les États membres pour ces opérations, sauf les salaires.

Le nouveau mandat entré en vigueur en octobre 2016 a permis une grande avancée : la création d'une réserve d'intervention rapide constituée de 1 500 officiers qui sont mobilisables en dix jours ouvrables. Il s'agit d'une obligation pour les États membres, elle est inscrite dans le règlement communautaire. Le fonctionnement normal de nos opérations est assuré par des mises à disposition temporaires, et pas par cette réserve.

Nous disposons, au total, d'un potentiel de 5 000 garde-frontières et garde-côtes répertoriés dans l'Union européenne, qui ne sont pas tous déployés en même temps. Aujourd'hui, l'agence déploie, à un moment donné, environ 1 500 personnes qui sont mises à disposition par les États membres. En cas de déclenchement d'une intervention rapide, il ne faudrait pas que nous soyons obligés de réduire la taille de nos opérations actuelles.

En ce qui concerne les équipements techniques (bateaux, avions, véhicules ou autres appareils), l'Agence a la possibilité juridique et budgétaire d'en acquérir un certain nombre. Nous disposons déjà d'un contrat-cadre de surveillance aérienne, qui nous permet de louer des avions lorsque les États membres ne sont pas capables d'en fournir suffisamment. Nous avons utilisé cette formule depuis un an dans différentes situations opérationnelles, par exemple en Italie, en Grèce, en Espagne ou en Bulgarie. Nous travaillons à des formules comparables dans le domaine maritime ; cela peut passer par des locations de longue durée ou par des accords avec certains États membres... Avec l'expérience, nous réussissons à évaluer ce qui nous manque et à quantifier les équipements dont l'Agence doit se doter pour être autonome et ne pas dépendre totalement des États.

En ce qui concerne la coopération avec d'autres agences de l'Union européenne, nous travaillons conjointement avec Europol et l'EASO, dans le cadre des hot spots, ainsi qu'avec l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) et l'Agence européenne de contrôle des pêches (AECP) sur les fonctions de garde-côtes. Le mandat de ces deux dernières agences a été modifié en octobre 2016, afin de couvrir la totalité du spectre des fonctions de garde-côtes civils. Nous sommes dépourvus de toute compétence militaire, mais nous avons des projets communs.

À cet égard, certains de nos projets-pilotes ont déjà été testés au cours des derniers mois, à l'instar du déploiement, au sud de l'Italie, d'inspecteurs des pêches opérant pour Frontex dans le cadre de Triton. Grâce à cette coopération, l'AECP a obtenu pour la première fois les preuves documentées de certaines pratiques de pêche illégales, ce qui lui permettra d'être plus efficace dans son coeur de métier.

Nous travaillons en étroite collaboration avec l'AESM pour l'échange de données satellitaires, que nous achetons au Centre satellitaire de l'Union européenne. Nous sommes également en pourparlers pour l'achat/ la location de drones civils.

L'ensemble de cette synergie opérationnelle peut réduire le coût de certains équipements et optimiser leur utilisation, tout en facilitant l'application de la loi. En effet, quand un bateau déployé par Frontex constate une infraction qui n'est pas visée par son mandat, il transmet l'information aux autorités nationales et européennes compétentes, telles que l'AESM ou l'AECP.

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