Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, plus connue sous le nom de Frontex. Son siège se trouve à Varsovie, mais M. Leggeri est actuellement dans les locaux bruxellois de l'agence, où nous discuterons avec lui par visioconférence.
Frontex, instituée par un règlement européen de 2004 et opérationnelle depuis 2005, a pour mission d'assister les États membres pour mettre en oeuvre les règles communautaires relatives aux frontières extérieures et de coordonner leurs opérations dans la gestion de ces frontières, chaque État membre restant toutefois responsable de la partie de la frontière qui se trouve sur son territoire.
Dans le contexte de la crise migratoire, elle a vu ses prérogatives étendues et ses moyens renforcés, en particulier avec la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes de 1 500 agents. La France y contribuera à hauteur de 170 personnes.
La nouvelle Frontex, dont la réforme est entrée en vigueur en octobre 2016, joue un rôle fondamental dans le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne, et donc dans le bon fonctionnement et la pérennité de l'espace Schengen. D'ailleurs, chacune de nos auditions a été l'occasion d'aborder son rôle. Lundi dernier encore, lors d'un déplacement d'une délégation de notre commission d'enquête à Bruxelles, un agent de Frontex nous a fait une présentation très impressionnante du dispositif Eurosur de surveillance des frontières.
Pouvez-vous nous exposer les nouvelles missions de Frontex ? Comment et avec quels moyens va-t-elle les mener à bien ? Selon quelles modalités collabore-t-elle avec les États membres et avec d'autres agences européennes ? Quelles sont ses prérogatives propres ? Joue-t-elle un rôle dans le dispositif d'évaluation Schengen, sujet qui nous intéresse particulièrement ?
Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Enfin, je vous indique que cette audition fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié.
Depuis sa création, Frontex a connu plusieurs réformes, dont la dernière en date, celle de 2016, a permis, au-delà d'un changement de nom, d'approfondir ses compétences existantes et de lui confier de nouvelles missions, en particulier dans le domaine maritime.
Ce nouveau mandat permet à Frontex, en étroite collaboration avec les États membres et les autres institutions et agences de l'Union européenne, d'améliorer de manière qualitative sa contribution au contrôle des frontières extérieures. Dorénavant, la gestion de ces frontières est appréhendée comme un ensemble puisqu'elle inclut aussi, dans une démarche horizontale, des questions liées à la criminalité ou au risque terroriste.
Je souhaite, dans un premier temps, évoquer quelques missions nouvelles de l'Agence.
En ce qui concerne la gouvernance de l'espace Schengen, nous sommes chargés de procéder à des études de vulnérabilité. Pour cela, nous allons collecter des informations relatives aux moyens opérationnels et budgétaires des États membres, analyser le fonctionnement des services concernés et évaluer les risques. À terme, nous pourrons comparer, sur une base mensuelle, les moyens dont dispose un État et les menaces qui ont été identifiées. Si l'Agence constate des manques sur le plan opérationnel et estime que des actions correctrices sont nécessaires, son directeur exécutif pourra proposer des mesures et un calendrier de mise en place. L'Agence pourra apporter son aide à l'État membre de différentes manières : opérations conjointes, formations, déploiement de moyens...
Il est important de souligner que nous ne sommes pas là pour sanctionner un État membre, mais pour identifier les mesures opérationnelles nécessaires. Dans le cas où cet État ne peut pas - ou ne veut pas - les mettre en place, le directeur exécutif pourra élever la question à un niveau politique, ce qui pourra déboucher sur une recommandation du conseil d'administration, voire sur une décision du Conseil.
La mise au point d'une stratégie opérationnelle de gestion intégrée des frontières extérieures constitue une autre mission nouvelle de l'Agence. Préparée avec les États membres, elle sera approuvée par le conseil d'administration de Frontex. La gestion des frontières ne se déroule pas uniquement à leur démarcation : c'est un processus global qui demande la coopération de différents services des États membres (police, immigration, douanes, autorités consulaires...), mais aussi de pays tiers, et qui contient une forte dimension opérationnelle.
J'ajouterai que, depuis 2011, l'Agence était une sorte de conseiller technique pour la Commission européenne, en particulier lors des exercices d'évaluation de l'espace Schengen. Aujourd'hui, nous sommes en capacité, à ce titre, de déployer vingt-cinq experts, que ce soit pour des opérations programmées ou non. Nous fournissons aussi à la Commission européenne une analyse des risques qui permet de choisir les lieux de ces évaluations.
Troisième mission nouvelle que je souhaite évoquer : la sécurité et la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Dans ce cadre, nous allons renforcer les coopérations existantes avec Europol et avec les services de police et d'enquête des États membres. Notre nouveau mandat inclut les douanes, avec lesquelles nous pourrons donc dorénavant coopérer.
Nous pourrons procéder à des échanges et collectes d'informations, y compris personnelles, avec deux finalités : alimenter les enquêtes pénales et gérer les flux migratoires. Sur ces sujets, nous sommes en liaison avec le Contrôleur européen de la protection des données, qui est l'équivalent de la CNIL, et nous travaillons avec Europol et les autorités nationales et européennes compétentes, par exemple le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO).
En ce qui concerne le retour des étrangers en situation irrégulière, souvent appelé éloignement en France, notre mandat est également plus large, puisque nous pouvons prendre un certain nombre d'initiatives. Toutefois, l'Agence ne dispose pas d'une compétence exécutive en la matière, la décision de renvoi d'un étranger en situation irrégulière demeurant de la compétence nationale. Nous pouvons aider les États sur le plan logistique : par exemple, nous avons organisé 32 vols de retour en 2014, 66 en 2015 et 232 en 2016 et contribué à renvoyer 3 500 personnes en 2015 et 10 700 en 2016. Nous travaillons aussi avec les États membres, en particulier la Grèce, sur l'application de l'accord de réadmission conclu avec la Turquie ; Frontex a ainsi contribué au renvoi de 950 personnes depuis le 20 mars 2016.
Nous disposons donc de moyens nouveaux pour identifier les migrants en situation irrégulière et pouvons apporter notre appui aux États membres. Je prends un exemple : la Grèce rencontrait de grandes difficultés pour organiser des vols de retour vers le Pakistan, parce que ce pays ne lui délivrait pas de laissez-passer consulaires. L'intervention de Frontex a montré à ce pays que la Grèce n'était pas la seule concernée, ce qui a donné plus de poids dans les discussions et a finalement permis de faire appliquer l'accord de réadmission conclu entre le Pakistan et l'Union européenne.
Quels sont les moyens mis à la disposition de l'Agence pour remplir ce nouveau mandat ?
L'autorité budgétaire de l'Union européenne, à savoir le Conseil et le Parlement, sur proposition de la Commission européenne, a approuvé un plan d'augmentation des ressources, qui progressent très significativement depuis deux ans : notre budget s'élevait à 95 millions d'euros au début de l'année 2015 - 142 millions en fin d'année, à la suite de deux décisions prises en cours d'exercice - et à 250 millions en 2016 ; il atteint 310 millions en 2017. Le cadre financier pluriannuel fixe une cible de 330 millions d'euros pour 2020.
En termes de personnel, 76 postes ont été créés en 2015-2016 et les décisions prises en 2016 prévoient une augmentation de 50 % en 2017. Aujourd'hui, 380 agents travaillent à l'Agence et nous devrions être 1 000 d'ici à 2020. Ces créations concernent à la fois le siège de Frontex et les différentes activités opérationnelles aux frontières et dans des pays tiers (en Turquie, en Afrique ou dans les Balkans, voire en Asie). Il s'agit bien de personnels recrutés par l'Agence, pas d'agents mis temporairement à disposition par les États membres.
En ce qui concerne les déploiements opérationnels aux frontières, comme Triton en Italie ou Poséidon en Grèce, nous faisons appel aux garde-frontières et garde-côtes des États : environ 750 en Grèce, 500 en Italie, 100 en Bulgarie et 70 sur le pourtour des Balkans. Nous travaillons donc aussi sur les frontières terrestres, nous sommes par exemple en train de renforcer la frontière Nord de la Grèce pour nous assurer de la fermeture de la route des Balkans. Nous finançons les États membres pour ces opérations, sauf les salaires.
Le nouveau mandat entré en vigueur en octobre 2016 a permis une grande avancée : la création d'une réserve d'intervention rapide constituée de 1 500 officiers qui sont mobilisables en dix jours ouvrables. Il s'agit d'une obligation pour les États membres, elle est inscrite dans le règlement communautaire. Le fonctionnement normal de nos opérations est assuré par des mises à disposition temporaires, et pas par cette réserve.
Nous disposons, au total, d'un potentiel de 5 000 garde-frontières et garde-côtes répertoriés dans l'Union européenne, qui ne sont pas tous déployés en même temps. Aujourd'hui, l'agence déploie, à un moment donné, environ 1 500 personnes qui sont mises à disposition par les États membres. En cas de déclenchement d'une intervention rapide, il ne faudrait pas que nous soyons obligés de réduire la taille de nos opérations actuelles.
En ce qui concerne les équipements techniques (bateaux, avions, véhicules ou autres appareils), l'Agence a la possibilité juridique et budgétaire d'en acquérir un certain nombre. Nous disposons déjà d'un contrat-cadre de surveillance aérienne, qui nous permet de louer des avions lorsque les États membres ne sont pas capables d'en fournir suffisamment. Nous avons utilisé cette formule depuis un an dans différentes situations opérationnelles, par exemple en Italie, en Grèce, en Espagne ou en Bulgarie. Nous travaillons à des formules comparables dans le domaine maritime ; cela peut passer par des locations de longue durée ou par des accords avec certains États membres... Avec l'expérience, nous réussissons à évaluer ce qui nous manque et à quantifier les équipements dont l'Agence doit se doter pour être autonome et ne pas dépendre totalement des États.
En ce qui concerne la coopération avec d'autres agences de l'Union européenne, nous travaillons conjointement avec Europol et l'EASO, dans le cadre des hot spots, ainsi qu'avec l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) et l'Agence européenne de contrôle des pêches (AECP) sur les fonctions de garde-côtes. Le mandat de ces deux dernières agences a été modifié en octobre 2016, afin de couvrir la totalité du spectre des fonctions de garde-côtes civils. Nous sommes dépourvus de toute compétence militaire, mais nous avons des projets communs.
À cet égard, certains de nos projets-pilotes ont déjà été testés au cours des derniers mois, à l'instar du déploiement, au sud de l'Italie, d'inspecteurs des pêches opérant pour Frontex dans le cadre de Triton. Grâce à cette coopération, l'AECP a obtenu pour la première fois les preuves documentées de certaines pratiques de pêche illégales, ce qui lui permettra d'être plus efficace dans son coeur de métier.
Nous travaillons en étroite collaboration avec l'AESM pour l'échange de données satellitaires, que nous achetons au Centre satellitaire de l'Union européenne. Nous sommes également en pourparlers pour l'achat/ la location de drones civils.
L'ensemble de cette synergie opérationnelle peut réduire le coût de certains équipements et optimiser leur utilisation, tout en facilitant l'application de la loi. En effet, quand un bateau déployé par Frontex constate une infraction qui n'est pas visée par son mandat, il transmet l'information aux autorités nationales et européennes compétentes, telles que l'AESM ou l'AECP.
Merci de cet exposé détaillé, Monsieur le Directeur. Nous allons maintenant passer aux questions des membres de la commission d'enquête.
L'interopérabilité de l'espace Schengen est un enjeu majeur. Comment voyez-vous son évolution en termes de performance, et dans quels délais ? Comment vos interventions, qui supposent dans certains cas une autorisation, sont-elles compatibles avec la souveraineté des États ? Des négociations bilatérales sont-elles en cours ou cela relève-t-il d'accords de courtoisie ? Enfin, Frontex a-t-elle vocation à devenir de façon pérenne le douanier de l'espace Schengen ?
Pour l'interopérabilité de l'espace Schengen, tous les acteurs doivent être pleinement conscients qu'un cadre juridique préexiste à nos travaux, notamment en matière de transmission des données personnelles et d'enquêtes. Le contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen a pour objet de réguler les flux migratoires, mais aussi de détecter toute forme de menace, y compris de nos propres ressortissants, criminels ou terroristes potentiels.
Il faut que, au sein de chaque État, tous les services concernés s'insèrent bien dans le réseau d'échange et d'exploitation de l'information en temps réel. L'enjeu se situe donc autour de la structuration de cette coopération opérationnelle. La gestion intégrée des frontières extérieures est l'outil grâce auquel nous pourrons aider, dans une proportion variable, les États membres à structurer la coopération nationale entre les services, et non seulement à travailler avec d'autres États de l'Union. L'objectif est d'éviter qu'une section de la frontière extérieure soit moins bien gérée que d'autres.
La responsabilité est partagée entre l'Union et les États membres souverains, au terme du règlement de 2016. Nous exerçons ensemble cette responsabilité, chacun dans son mandat, et devons organiser cette mission.
L'interopérabilité doit aussi porter sur la mutualisation des moyens de communication, en particulier pour la stratégie d'acquisition de certains équipements à long terme. Cela permettra la mise à disposition de moyens techniques pour des opérations de l'Union européenne ou entre deux États limitrophes, ainsi que des bases de données telles que le fichier Schengen, le système d'information sur les visas ou Eurodac. Il faut y ajouter de nouveaux dispositifs comme celui des entrées et sorties en cours de discussion à Bruxelles ou ETIAS, reprenant le modèle américain ESTA, qui est destiné à encadrer l'accès de l'espace Schengen aux ressortissants étrangers exemptés de visa. La Commission européenne a mis en place depuis un an un groupe de travail sur l'interopérabilité des systèmes d'information afin de faciliter la consultation des différents fichiers par les différents intervenants concernés.
J'en viens à la souveraineté des États.
Aucun changement n'affectera les plans opérationnels tels que Triton ou Poséidon, qui seront signés par le directeur exécutif de Frontex, chargé de recueillir au préalable l'accord des autorités nationales. Le commandement tactique reste national. Avec l'augmentation des moyens qui lui sont accordés, l'Agence peut déployer des officiers coordinateurs sur le terrain, repérer d'éventuelles déviations et asseoir son statut d'observateur au sein de l'Union.
Des officiers de liaison vont être déployés dans les États membres afin de contribuer à l'évaluation de la vulnérabilité et de s'assurer que ceux-ci sont en mesure de faire face aux menaces auxquelles ils sont confrontés. Ils pourront aussi mieux structurer l'interopérabilité. Soyons prudents : les États sont souverains, mais leurs intérêts au sein de l'espace Schengen sont identiques, avec une frontière extérieure commune.
Notre rôle à long terme est d'être le creuset d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes au service de l'Union européenne. Le choix du législateur européen est pragmatique car il nous permet d'avancer dans la coopération. Néanmoins, Frontex n'a pas uniquement pour vocation d'organiser des opérations en urgence pour gérer les crises. Au quotidien, elle veille au fonctionnement homogène de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne. Pour que l'espace Schengen renforcé puisse continuer à vivre, nous avons besoin d'une volonté politique.
Quelles seraient les conséquences d'une adhésion à l'espace Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie au regard de la surveillance des frontières entre la Grèce et la Bulgarie, d'une part, et entre la Grèce et la Turquie, d'autre part ? Dans ce cas, la Grèce ne serait plus une île. Disposez-vous d'une évaluation sur la façon dont sont contrôlées les frontières terrestres, aériennes et maritimes des États de l'Union européenne ? Quand pourrons-nous afficher un système aussi robuste que celui des États-Unis ? Qu'en est-il des visas émis ou refusés par les pays membres de l'espace Schengen ? Quelle est l'évolution des routes de migration vers l'Union européenne au cours des derniers mois ?
L'Agence Frontex a déployé une centaine d'agents en Bulgarie, à la frontière à la fois avec la Turquie et avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine, de façon à bloquer la route d'immigration irrégulière des Balkans.
L'adhésion de la Roumanie ou de la Bulgarie à l'espace Schengen ne constituerait pas nécessairement un grand bouleversement du point de vue des flux de migrants provenant éventuellement de Turquie, puisqu'ils ont principalement afflué vers la Grèce. Si la Bulgarie adhérait à l'espace Schengen, la Grèce ne serait effectivement plus « une île ». Par conséquent, la pression migratoire en provenance de Turquie serait peut-être plus équitablement répartie entre la Grèce et la Bulgarie. La présence de migrants clandestins dans des trains de marchandises en provenance de Turquie vers la Bulgarie est un phénomène nouveau qui est lié à la mise en place de contrôles maritimes plus stricts qui ont suivi l'accord entre l'Union européenne et la Turquie.
Par ailleurs, la Roumanie et la Bulgarie n'ont pas accès au système d'information Schengen (SIS), ce qui peut représenter un handicap dans la lutte contre les « combattants étrangers » djihadistes. Si nous avions demain un hot spot en Bulgarie pour faire face à des flux migratoires, Frontex pourrait difficilement utiliser le SIS en Bulgarie, alors qu'elle peut le mettre à profit dans les hot spots grecs et italiens. Sans se focaliser sur les flux migratoires, il faudrait néanmoins renforcer les moyens à la frontière bulgaro-turque pour épauler la Bulgarie.
S'agissant des visas, je ne dispose pas de toutes les informations concernant le taux de refus par pays. Le travail des autorités consulaires est l'un des éléments de cette gestion intégrée des frontières extérieures, mais le législateur n'est pas allé jusqu'à les mentionner dans le règlement.
Connaissez-vous les chiffres pays par pays ? Est-il impossible de les établir ?
Je ne suis pas certain que l'Agence reçoive toutes les informations qui lui permettent d'évaluer l'efficacité des consulats Schengen. Néanmoins, les officiers de liaison qui seront déployés au sein des États membres et dans certains pays tiers pourront, je l'espère, par une interprétation dynamique de notre mandat, frapper à la porte des autorités consulaires.
S'agissant de la robustesse des contrôles à l'entrée de l'espace Schengen, ceux-ci devraient être aussi efficaces et systématiques qu'aux États-Unis. Le code frontières Schengen est un règlement européen qui est l'équivalent des lois fédérales américaines, au moins sur le papier. En pratique, des disparités existent concernant les moyens disponibles selon les États membres, mais la répartition de la ressource ne peut être réalisée à l'échelle de l'Union européenne, alors qu'elle est possible outre-Atlantique. Concrètement, les opérations de Frontex peuvent venir en soutien à un État membre qui reste souverain.
Pour ce qui est de l'évaluation des routes migratoires au cours des derniers mois, 500 000 entrées irrégulières ont été enregistrées en 2016, contre 1,8 million en 2015, soit une diminution drastique de 80 % sur la route de la Méditerranée orientale, entre la Grèce et la Turquie, depuis l'accord précité. Aujourd'hui, le sujet de préoccupation est la Méditerranée centrale, de la Libye à l'Italie, avec 180 000 entrées irrégulières en 2016 - chiffre jamais atteint auparavant -, soit une augmentation de 20 % en 2016 par rapport à l'année 2015. Nos efforts doivent être concentrés dans cette direction, sachant que la situation politique et sécuritaire en Libye en est la raison principale. Il faut donc agir en amont en Libye, mais aussi de façon plus globale sur le continent africain, dans la bande sahélienne.
Je souhaiterais obtenir plus d'informations sur le rôle précis de Frontex qui est devenue l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Est-elle une mini-OTAN mobilisant les moyens des États, importants sur le plan maritime ? A-t-elle au contraire vocation à devenir une mini-armée de garde-frontières ?
La question de la gestion de l'information soulève deux aspects : un aspect technique, avec l'action des services entre les différents États ; un volet plus politique et juridique. Dans ce domaine régalien, nous connaissons des difficultés liées à la volonté de certains pays de contrôler l'information. Frontex a-t-elle la volonté de mettre en place une politique nouvelle dans la gestion et l'organisation de ces données ?
Quant au contrôle aux frontières extérieures, il faut, dites-vous, juguler les flux migratoires avant qu'ils n'atteignent la Libye, réservoir d'un million de personnes en attente. Pouvez-vous nous en dire plus, et au-delà de l'Afrique, sur les politiques qui pourraient être envisagées pour gagner en efficacité ?
Le modèle de Frontex est davantage un modèle intégré, presque fédéral pour certains. Le registre de l'Agence, entre le pôle intergouvernemental et le pôle fédéral, lui permet d'agir. Aucune délibération du Conseil de l'Union Européenne n'est obligatoire pour mettre en oeuvre le plan opérationnel, qui est signé par le directeur exécutif. Seulement, l'État membre hôte de l'opération doit l'accepter. Par ailleurs, l'Agence bénéficie de moyens opérationnels d'urgence autonomes - bateaux, avions - et peut désormais organiser un vol de retour de sa propre initiative.
Il existe des réticences à échanger des informations entre États membres - et parfois même entre services d'un État membre, avec des conséquences dramatiques. Frontex n'est pas une solution miracle, mais la stratégie opérationnelle de gestion intégrée des frontières remettra en cause certaines organisations, ce qui nous impose d'ailleurs d'avancer avec prudence. Par exemple, où installer, physiquement, nos officiers de liaison dans chaque État membre ? Au sein du ministère de l'intérieur ? Si oui, dans quelle direction ? La police aux frontières ? Et pourquoi pas auprès des douanes ou des garde-côtes ? Ces questions concrètes touchent des points sensibles. Nous espérons qu'elles seront prétextes à l'accroissement de la coopération. Ainsi, lors de ma première visite en Italie, il y a deux ans, j'avais demandé à ce qu'on organise une réunion plénière avec tous les acteurs qui, de près ou de loin, collaborent avec Frontex. Sept services étaient représentés : pour la première fois, ils étaient réunis selon un format dans l'esprit d'une gestion intégrée des frontières extérieures.
Y a-t-il un million de personnes en attente de départ pour l'Europe ? Parmi les migrants qui arrivent en ce moment, il n'y a pas de Libyens. Certes, les migrants qui sont actuellement en Libye doivent être dissuadés de venir. Un Conseil européen informel se tiendra la semaine prochaine à Malte sur ces questions.
En effet, le 3 février, à La Valette. L'accord de l'Union européenne avec la Turquie, controversé, a fait baisser le flux migratoire. Un tel accord serait-il possible avec la Libye ? Sinon, quelle issue positive imaginer ?
La Libye n'est pas comparable à la Turquie, où l'État fonctionne - parfois même un peu trop pour certains... En Libye, il n'y a pas d'État fonctionnel. Nous pouvons passer un accord avec les autorités, mais il importe surtout de s'accorder sur des modes de fonctionnement pratiques. Bref, il faut des approches multiples. En 2014 et en 2015, l'Union européenne a financé un accroissement du nombre de bateaux patrouillant en Méditerranée. Des ONG ont déployé aussi des bateaux. Résultat de ces efforts combinés : davantage de victimes. Nos navires attirent-ils plus de migrants qu'ils n'en sauvent ? J'espère que nous allons réfléchir à cette délicate question.
Vous avez indiqué que 66 vols avaient été affrétés en 2015 et 232 vols en 2016, pour reconduire à la frontière 3 500 personnes en 2015 et 10 700 personnes en 2016. Le directeur de L'OFPRA nous a indiqué il y a quelques jours que, sur ce total, le nombre de personnes reconduites depuis la France était très faible. Pouvez-vous nous le préciser ?
Sur les 16 vols déjà effectués en 2017, 2 comportaient des personnes éloignées du territoire français. Ils étaient à destination de l'Albanie, je crois. En 2016, 10 vols sur 232 ont concerné la France. De fait, depuis quatre ou cinq ans, la France a davantage recours aux vols affrétés par Frontex - indépendamment des éloignements directement organisés par ses autorités.
L'une de vos missions est de collecter informations et données opérationnelles. L'exercez-vous aussi auprès des États tampons de l'espace Schengen que sont le Maroc, l'Égypte ou la Turquie ?
Notre coopération avec les pays extérieurs à l'Union européenne porte sur l'échange de renseignement agrégé : nous ne transmettons pas de données nominatives. Nous avons ainsi un réseau avec les pays baltes, des échanges avec la Turquie, auxquels participent aussi bien sa police que sa gendarmerie et ses garde-côtes, et ce qui porte le nom ambitieux d'Africa-Frontex Intelligence Community (AFIC), et constitue le cadre de réunions régulières avec 28 pays africains qui étaient d'abord surtout des États d'Afrique de l'Ouest, auxquels se sont plus récemment joints certains pays d'Afrique de l'Est.
Les personnels de la réserve de 1 500 hommes à déployer en cas d'afflux extrême de réfugiés n'ont pas les mêmes droits que les agents des pays dans lesquels ils auraient à intervenir, notamment en matière de port d'armes ou d'instruction des demandes d'asile. La dimension fédérale de Frontex se heurte à la souveraineté des États membres... Est-ce un frein ? Une évolution du statut de Frontex pourra-t-elle donner à ces personnels les mêmes droits et obligations que les agents des pays dans lesquels ils se déploient ?
En effet, ils n'ont pas les mêmes droits. Le commandement tactique est toujours exercé par les autorités locales et nos hommes sont donc encadrés par un chef d'équipe local. Tous leurs actes sont effectués sous sa supervision. En ce qui concerne le port d'arme, les législations nationales diffèrent, et il est parfois autorisé. Leur usage, en revanche, nous placerait dans des situations juridiques complexes. À traité inchangé, nous pourrions imaginer une expérimentation dans le cadre de laquelle certains États délégueraient à Frontex la capacité d'effectuer certains actes. Resterait à résoudre des questions de langue de procédure...
On entend peu parler des migrations en provenance d'Égypte, sur lesquelles un naufrage a appelé l'attention il y a quelques mois. Pouvez-vous nous en dire un mot ? Est-ce un phénomène nouveau ? Quelle est son ampleur ? Lors d'un déplacement dans ce pays, nous avions perçu une certaine inquiétude : on redoutait des départs massifs, pour des raisons économiques ou politiques, et notamment pour faits de guerre.
Au printemps et à l'été 2016, en effet, le flux migratoire en provenance d'Égypte, et en direction du sud de l'Italie, s'est accru, allant jusqu'à constituer 10 % du total - les 90 % restant provenant de Libye. L'Union européenne cherche à établir une coopération avec les autorités égyptiennes. Frontex a envoyé une mission en Égypte, dans le sillage de la visite du commissaire européen Dimítris Avramópoulos. L'objectif est de conclure une sorte d'arrangement administratif encadrant notre coopération.