Intervention de Pascal Rogard

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 13 janvier 2022 à 14h30
Audition de M. Pascal Rogard directeur général de la société des auteurs et compositeurs dramatiques sacd

Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) :

Monsieur le président, vous avez présenté la SACD, ce qui m'épargne d'avoir à le faire. La concentration n'est pas en soi bonne pour les créateurs et les auteurs, qui ont besoin d'une diversité d'intervenants. Mais le système de l'audiovisuel a évolué très profondément grâce à l'action des différents gouvernements - cela a commencé sous le quinquennat de François Hollande et le mouvement s'est poursuivi plus récemment. Les règles européennes ont été modifiées, ce qui a permis à la France et aux autres pays européens qui le souhaitent de soumettre les opérateurs étrangers, en particulier de vidéo à la demande par abonnement qui émettent depuis l'étranger, à des obligations d'investissement dans la création nationale. C'est le résultat de la directive SMA. Les grands opérateurs - Netflix, Disney Amazon, Warner - vont devoir investir dans la création française. Ils seront, par ailleurs, tenus de respecter des quotas d'oeuvres européennes.

Moi, qui signe des contrats pour les auteurs, j'ai actuellement plus d'interlocuteurs que je n'en avais auparavant, notamment des interlocuteurs ayant les capacités financières de rémunérer les auteurs et de faire de la création de haut niveau.

En matière de concentration, les règles actuelles sont obsolètes, car elles n'appréhendent que la diffusion hertzienne. Elles sont lacunaires, car elles ne visent que la concentration horizontale, sans s'intéresser aux cas de concentration des activités de production, de diffusion et de distribution, même s'il y a des règles de protection de la production indépendante.

Une fois établi ce constat d'obsolescence, force est de reconnaître que l'offre audiovisuelle n'a jamais été aussi abondante et diversifiée. Dans le même temps, les offres se sont aussi fragmentées. Il n'y a jamais eu autant de concurrence pour l'acquisition des programmes, en particulier avec le développement de la vidéo à la demande (VAD) par abonnement. Il n'y a jamais eu non plus autant de concurrence pour capter les ressources publicitaires, qui ont été massivement transférées vers les acteurs de la publicité digitale.

Un exemple, le marché de la publicité, qui s'élevait en 2020 à 3 milliards d'euros, a connu une baisse de 11 %. A contrario, celui de la publicité en ligne a connu un développement exceptionnel et est passé de 3 milliards d'euros en 2013 à 8 milliards d'euros en 2021. Les ressources sont captées par trois opérateurs : Amazon, Facebook et Google, qui prennent 80 % de ce marché nouveau de la publicité digitale.

En ce qui concerne la concentration, il est important de distinguer les effets sur l'information - dont on parle beaucoup en ce moment, mais qui ne me concernent pas directement en tant que directeur de la SACD - de ceux sur la création. Je le répète : la concentration, c'est-à-dire l'émergence d'opérateurs puissants, est plutôt favorable à la création.

Lorsqu'on a souhaité multiplier les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), on a abouti à un émiettement des ressources. Les chaînes non historiques de la TNT, qui représentent à peu près 31 % de l'audience, ne contribuent qu'à hauteur de 3 % au financement de la production audiovisuelle soutenue par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Les petits opérateurs financent moins bien les programmes que les gros opérateurs. De surcroît, le développement des petites chaînes n'a pas favorisé l'amélioration de la qualité des programmes.

Qui dit concentration dit aussi ressources nouvelles pour les auteurs. Les plateformes américaines, dont on pouvait craindre qu'elles déstabilisent complètement le système français pour la création, ont été contraintes, grâce à la nouvelle réglementation, à financer des programmes européens et des programmes d'expression française.

En revanche, les chaînes de télévision sont clairement fragilisées, car elles se retrouvent en concurrence avec des opérateurs mondiaux. La base d'abonnés de Netflix représente plus de 200 millions de personnes. Il en ira de même pour Disney et Warner. La position concurrentielle des opérateurs nationaux s'est dégradée. Or il me semble que nous avons absolument intérêt à garder des opérateurs nationaux forts. De quels garde-fous avons-nous besoin ?

Premier garde-fou - c'est un débat qui a été malheureusement lancé par des candidats d'extrême droite à la présidentielle, dont certains ne respectent pas le droit d'auteur... -, il faut renforcer le service public. Ce qui est capital pour le financement de la création, c'est un service public fort. Je remercie les parlementaires, sénateurs comme députés, qui se sont battus pour le maintien de France 4, car cette chaîne est essentielle pour le développement de l'animation française. La première tâche dans les mois qui viennent sera de renforcer le service public, qui est le pôle d'équilibre à la fois pour l'information et pour les programmes.

Deuxième garde-fou, il faut conforter les obligations de financement dans la création française et patrimoniale. À cet égard, je regrette les dernières décisions du CSA - le conventionnement des plateformes - qui sont en dessous de ce qui avait été prévu par le Gouvernement. Je regrette aussi que nous n'ayons pas été consultés sur ces conventions.

Troisième garde-fou, il faut des centres de décision pluralistes. La loi sur le service public de l'audiovisuel prévoit que, pour France Télévisions en matière de cinéma, il doit y avoir une filiale pour France 2 et une filiale pour France 3.

En conclusion, il importe de ne pas opposer concentration et soutien à la création. Il faut en revanche veiller à ce que les nouveaux opérateurs contribuent le plus possible au financement de la création française. Il faut aussi s'assurer de conserver les opérateurs français, car ces derniers se trouvent forcément affaiblis par l'arrivée de ces mastodontes qui ont une vision mondiale du développement de la création.

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