Intervention de Christophe Deloire

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 14 janvier 2022 à 10h30
Audition de M. Christophe delOire directeur général de reporters sans frontières rsf

Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans Frontières (RSF) :

Ce n'est pas mon propos.

Se pose ensuite la question de l'application de cette loi, et de la vérification de cette application.

La composition des comités d'éthique est également importante. À l'époque dont je parle, le comité d'éthique constitué par Bolloré comprenait, outre des magistrats, des personnes dont on comprenait mal les compétences qu'elles apportaient à un tel comité. Je ne connais pas la composition du comité d'éthique actuel.

Il me semble par ailleurs - et c'est ma deuxième proposition - qu'il convient de conditionner, le cas échéant, la concentration à des obligations renforcées. La concentration est évidemment un facteur aggravant en cas de défaut d'indépendance ou de conflit d'intérêts, même si elle n'en est pas génératrice en soi. Ainsi, certains des pays les mieux placés dans le classement mondial de la liberté de la presse, comme la Norvège et le Pays-Bas, sont des pays de forte concentration, mais les conflits d'intérêts ou les risques de conflits d'intérêts y sont moins importants qu'en France. Cela tient notamment à la spécificité française, avec des médias détenus par des groupes qui ne sont pas des groupes de médias vivant des contenus, et dont l'essentiel de l'activité se trouve ailleurs.

Il me semble également important, en troisième lieu, de prévoir un régime d'incompatibilité, notamment avec les plateformes numériques et les réseaux sociaux, voire avec les opérateurs de télécommunications.

En quatrième lieu, il me semble important de créer de nouveaux dispositifs anti-conflits d'intérêts. La création d'un statut pour les rédactions et l'ouverture d'une possibilité de validation du directeur de la rédaction me semblent des idées à creuser. Certains conflits d'intérêts sont, en effet, parfois liés au régime des partenariats. La création d'un délit spécifique de trafic d'influence s'inscrit également dans ce cadre.

Notre cinquième préconisation porte sur la mise en oeuvre d'un mécanisme de marché, intitulé Journalism Trust Initiative, visant à favoriser les médias qui font du journalisme digne de ce nom. Cette initiative, lancée il y a trois ans, a consisté à établir une norme, sous l'égide du Comité européen de normalisation (CEN) et en collaboration avec de grandes télévisions, de grands médias et des syndicats de journalistes situés partout dans le monde - de la Corée du Sud et de Taïwan jusqu'aux États-Unis. Nous avons construit également un mécanisme de vérification - en cours de finalisation - de la conformité des médias à ces procédures de base.

L'idée est ensuite de trouver un moyen pour que les plateformes numériques, les annonceurs et les organes de régulation puissent s'orienter davantage vers les médias qui s'astreignent à plus d'obligations, afin de bien équilibrer le respect des obligations, d'une part, et les formes d'avantages de marché, d'autre part, dans l'espace public. Cette initiative marche vraiment bien. Il s'agit d'une proposition structurelle. Nous sommes, en outre, en train de discuter avec l'Union européenne de la possibilité pour les États de prévoir des mécanismes de corégulation. Ce critère de distinction des journalistes peut ainsi servir pour l'allocation des fonds publics pour l'aide au développement et des fonds publics dévolus aux journalistes.

Notre sixième proposition consiste à revoir les seuils de concentration de la loi de 1986. L'élargissement de votre travail à la presse écrite et à l'édition me paraît, à cet égard, salutaire, pour tenir compte de la réalité actuelle de l'espace informationnel, où la notion de secteur des médias a, d'une certaine manière, explosé. Limiter les concentrations au regard des bassins de population touchés n'a plus grand sens aujourd'hui. Il est donc urgent de revoir la loi de 1986.

Enfin, notre septième suggestion est de mettre fin au double marché que j'évoquais précédemment, en instaurant des mécanismes de réciprocité.

Je reviens sur la notion de délit de trafic d'influence appliqué au champ de l'information. L'éthique journalistique présente une applicabilité très faible - elle est appliquée parce que les journalistes le veulent bien - et ne permet pas de traiter le rôle susceptible d'être joué par d'autres parties prenantes dans le traitement de l'information. Lorsque l'on traite la question de l'indépendance, il ne faut pas faire peser toute la responsabilité sur les journalistes.

Il faut trouver des moyens pour répondre à cette situation. Le dispositif de la Journalism Trust Initiative en est un. La création d'un nouveau délit de trafic d'influence appliqué au champ de l'information, notamment pour les propriétaires de groupes de presse qui interviendraient sur les contenus, serait également nécessaire. Il s'agirait d'une forme de transposition de la notion de trafic d'influence valant pour les personnes dépositaires de l'autorité publique. L'enjeu est d'éviter que les intérêts économiques ou les objectifs politiques des patrons de chaînes aient une influence sur leur contenu - ce qui ne les empêchera pas, par ailleurs, de développer leur activité.

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