Peut-il encore exister des médias privés sans investisseurs solides ?
La concurrence avec les grandes plateformes internationales ne rend-elle pas les regroupements et les fusions inévitables ?
La crise du covid-19 n'a-t-elle pas une influence sur la qualité de l'information ?
Comment interprétez-vous l'attrait vers les médias de grands groupes dont la principale activité se trouve ailleurs ?
Vous avez été à la tête d'une école de journalisme. Comment voyez-vous la formation des journalistes de demain ?
Enfin, vous qui avez été très critique à l'égard de certains médias, comment avez-vous réagi aux critiques qui ont été formulées contre vous par Mediapart, Le Monde et Le Canard enchaîné ?
M. Christophe Deloire. - L'équilibre économique constitue évidemment un enjeu. Plus l'économie des médias est précaire, plus cette situation est dangereuse pour leur indépendance, car ils peuvent être tentés d'aller chercher de l'argent ailleurs. Des formes de corruption peuvent donc se produire.
Nous ne récusons pas la logique économique. En revanche, dans l'organisation du marché, il est important de redonner un avantage à ceux qui font du journalisme digne de ce nom. Cette proposition n'est pas orientée politiquement.
Sans dire qu'il ne faut pas tenir compte de la concurrence des grandes plateformes, nous pensons qu'il faut trouver le moyen de concilier le pluralisme politique et le rôle du journalisme en tant que tiers de confiance, avec la logique de concurrence économique. Ces notions ne sont pas antinomiques et peuvent même être très rapprochées.
L'organisation du marché a des effets sur la qualité de l'information. Il y a clairement un risque de dégradation des contenus. C'est un immense danger. Nous avons d'ailleurs formulé une proposition de New Deal pour le journalisme, impliquant un investissement fort de la société sur ces questions, en échange de certaines formes d'obligations. En effet, il s'agit de financer non seulement une industrie, mais aussi une fonction sociale. Il faut peut-être se demander comment le secteur peut être mis au service de cette fonction.
Par ailleurs, on m'a raconté que le propriétaire d'un grand groupe de médias que vous allez auditionner la semaine prochaine a dit un jour qu'il n'avait jamais rencontré le Président de la République de l'époque jusqu'à ce qu'il achète son groupe, et qu'à la suite de cet achat il avait été invité à déjeuner très rapidement.
S'agissant de la formation des journalistes, les effets de système sont toujours plus puissants que la formation des individus. S'il arrive dans un système où tout mène à une dégradation des contenus, le journaliste le mieux formé est forcément dominé par ce dernier.
Enfin, vous faites référence à des articles qui n'avaient pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Il nous arrive, comme à chacun, de faire l'objet de critiques, que nous pouvons trouver, ou non, légitimes et factuellement justes. Je suis à votre disposition pour y répondre.
L'une des dernières critiques qui nous a été adressée portait sur le fait que nous sommes assez sélectifs, en tant qu'organisation, sur les journalistes que nous défendons. Cela renvoie à la question du pluralisme. Quiconque se revendique journaliste doit-il avoir accès aux subventions publiques, à la défense, etc. ? Ne sommes-nous pas plutôt dans un moment où les devoirs des journalistes doivent être renforcés - à moins que le journalisme se résume à du commentaire et du militantisme, ce qui serait à notre sens un mauvais service à rendre aux journalistes ?