Il est vrai que la société a évolué : elle s'appuie aujourd'hui sur une révolution numérique qui nécessite des outils adaptés et provoque un renouvellement rapide des équipements. L'Homme n'a jamais détenu un outil autant mobilisé, pour des usages aussi variés, que nos téléphones portables aujourd'hui. Cette réalité entraîne un renouvellement rapide des appareils qu'il faut accompagner.
L'économie circulaire repose sur deux piliers : le principe de préservation, qui est désormais bien compris, et l'intensification de l'usage des matières utilisées. Là se situe le vrai champ de conquête. Si, à poids de matériel équivalent, on multiplie les usages possibles - que ceux-ci soient utiles ou non, je ne me prononcerai pas sur ce sujet -, on peut estimer que le renouvellement des outils est positif. La problématique est la même qu'avec les véhicules, dont les nouvelles générations sont de plus en plus adaptées à l'autopartage. Ce changement entraînera certainement beaucoup de déconstructions, mais aussi une intensification de l'usage du véhicule, et donc des matières premières dont il est composé. Nous devons avoir la même approche pour les téléphones portables.
Dès lors, il faut déterminer comment optimiser encore l'usage de ces 100 grammes de matériaux qui composent nos téléphones. Les progrès réalisés sur les appareils photos qui équipent les smartphones sont un bon exemple d'intensification de l'usage. Aujourd'hui, ils permettent d'obtenir une qualité de photo équivalente à celle d'un appareil bien plus lourd et encombrant. On retrouve donc dans les 100 grammes du téléphone le poids d'un ancien mobile plus celui d'un appareil photo. L'intensification de l'usage crée une économie indirecte de matière.
Savoir si le recyclage des téléphones mobiles peut devenir une filière créatrice d'emplois découle directement de l'enjeu d'optimisation des appareils. A cet égard, il faut considérer deux dimensions.
La première dimension est logistique. L'économie circulaire est fondée sur une chaîne dont tous les maillons sont importants. Aujourd'hui, le maillon faible est le citoyen qui ne voit pas l'intérêt de recycler car, à l'inverse d'autres maillons, il ne retire pas de gain de l'acte de recyclage. Or, sans source de matière, pas de filière. Les campagnes de communication actuelles visent à inciter au geste positif ; pour assurer une plus large mobilisation, il faut maintenant proposer une rémunération, peut-être grâce à la mise en place d'une consigne. Une telle solution oblige cependant à revoir le modèle actuel de collecte, générateur de coûts et dégageant peu de marges.
En région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), nous menons une réflexion avec La Poste sur la collecte du petit électronique « dormant » dans les tiroirs, évalué à près de 6 kg par particulier. L'idée est assez similaire à celle développée par Orange avec sa plateforme de reprise. La Poste fournirait un carton dans lequel le citoyen pourrait déposer ses vieux téléphones ; le facteur récupérerait ce carton lors de sa tournée de distribution de courrier. Le carton serait alors scanné pour permettre d'assurer un suivi, et envoyé chez un professionnel pour établir la valeur du matériel déposé. La somme pourrait ensuite être redistribuée au citoyen via le facteur. Ce type de collecte très ciblé, à l'instar de ce qui est déjà fait pour les emballages, permet de mobiliser plus efficacement la population et d'éviter la destruction de la valeur intrinsèque des appareils. Les bornes qui existent actuellement dans certaines grandes enseignes induisent en effet un surcoût de tri. L'objectif est donc de ne pas perdre de valeur au cours de la chaîne logistique de collecte.
Une fois le matériel collecté, vient la phase de traitement. Je n'aborde ici que le cas des téléphones ne pouvant pas être réemployés, mais il existe évidemment un large champ des possibles pour les téléphones susceptibles d'être réutilisés. En PACA, nous travaillons avec l'école des mines de Gardanne sur une filière de déconstruction des ordinateurs. Le but est de donner un deuxième usage à leurs composants, notamment grâce à une banque de pièces d'occasion pouvant être utilisées pour la réparation ou la construction de nouveaux ordinateurs. Peut-être est-ce également une piste à envisager pour les téléphones.
En effet, la vision d'optimisation que je viens d'énoncer a partie liée avec l'éco-conception. Nous l'avons constaté avec les véhicules : avant l'an 2000, les voitures n'étaient pas pensées pour être facilement déconstruites. L'éco-conception est intrinsèquement liée à la vision globale du flux. Pour conserver le maximum de valeur d'un téléphone au moment du recyclage, il faut donc à la fois optimiser son usage et le fabriquer de telle sorte que ses composants puissent être facilement réutilisés. Ce ne sont pas les matières premières ou les métaux rares qui font la valeur du téléphone, mais bien ses usages, et la fonction de ses composants réemployables.
Pour monter une chaîne de collecte et de traitement pérenne, il faut amorcer le mouvement du recyclage des mobiles.
Le premier levier est la réglementation. Lors des discussions sur le projet de loi de transition énergétique, j'ai fait adopter un amendement tendant à obliger les réparateurs automobiles à proposer des pièces d'occasion ou de récupération, qui sont 30 % moins chères que des pièces neuves. Ce dispositif pourrait également être proposé pour les téléphones mobiles.
Le second levier est d'ordre fiscal. Aujourd'hui, le taux de TVA appliqué est le même que l'appareil acheté soit neuf ou à divers degrés de réemploi. Je pense qu'il serait nécessaire de proposer une TVA réduite décalée en fonction du stade de réemploi du téléphone.
Cependant, ces pistes de réflexion sont génériques, car l'Institut n'a pas travaillé sur la spécificité d'une potentielle filière dédiée aux téléphones portables et sur les gains éventuels que dégagerait une telle filière.