Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Instauration d'un nouveau pacte territorial — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Je note également que, dans votre rapport, vous dirigez essentiellement votre critique contre l’exposé des motifs, faisant l’impasse sur les articles. Vous me permettrez donc de présenter ici, par souci d’information et d’objectivité, l’objet et la motivation sous-jacente de chacune de nos propositions.

Il s’agit donc, d’abord, comme le suggère le titre Ier, suivant en cela les recommandations du rapport Guillaume-Gourault adopté par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d’aller vers une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Celle-ci passe prioritairement par la restauration de liens de confiance entre l’État et les collectivités.

L’actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas ou peu ; il est urgent d’asseoir sa légitimité, de la réactiver en lui donnant un fondement juridique stable, comme le suggère notre article 1er. Un dialogue constructif implique notamment un pouvoir égal pour les représentants des collectivités et ceux du Gouvernement. Par ailleurs, ce schéma doit se décliner, de façon quasi similaire, à l’échelon local. Le dialogue, c’est bien là l’une des clés de la confiance et de l’opérationnalité ; c’est ce que le Gouvernement a tendance à oublier en négligeant constamment les collectivités, devenues pourtant indispensables à l’application de toute politique nationale.

L’évaluation des choix faits doit aussi devenir la norme. L’article 3 prévoit ainsi une évaluation systématique de l’impact territorial de l’ensemble des politiques publiques.

De la même façon, il est nécessaire de favoriser les démarches transversales.

Pour être crédibles et efficaces, les relations entre les différents niveaux de pouvoir doivent être contractualisées. Les contrats État-région – hier, contrats de plan, aujourd’hui, contrats de projet – doivent ainsi être pérennisés et sécurisés, afin que les investissements de chacun puissent, sur la durée, être associés et programmés efficacement. Encourageons la prospective territoriale, évitons la compétition et favorisons la coopération !

Sur le modèle des contrats urbains de cohésion sociale, qui ont succédé aux contrats de ville en 2006, nous avons également besoin de contrats ruraux de cohésion territoriale. Tout comme les zones urbaines sensibles, les territoires ruraux les moins denses connaissent des difficultés tout à fait spécifiques. Ce nouveau dispositif contractuel permettrait de lutter contre les processus de relégation à l’œuvre dans certaines de nos campagnes, en concentrant les moyens dans des zones rurales d’action prioritaire.

L’article 6, quant à lui, appelle à la mise en place d’une grande conférence territoriale destinée à jeter les bases d’un nouvel acte de la décentralisation. Voilà bientôt trente ans que les lois Mauroy-Defferre ont révolutionné le mode de gouvernance de notre pays, avec un succès que chacun s’accorde à reconnaître. Alors que la récente réforme territoriale ne cache pas ses velléités recentralisatrices, il est urgent de redonner une véritable légitimité démocratique au fonctionnement de nos institutions.

Ce pacte républicain passe nécessairement par le libre et égal accès de tous aux services publics essentiels : éducation, santé, emploi, logement, sécurité, etc. C’est précisément l’objet du titre II. Nous savons que les zones les plus reculées, notamment en montagne, souffrent de ces inégalités, qui vont en s’accroissant. L’État, je le répète, a des devoirs à l’égard des citoyens, qui ont tous un égal droit d’accès aux services publics. Il est inconcevable qu’il abandonne littéralement des pans entiers de nos territoires, au prétexte que ceux-ci ne seraient pas suffisamment « rentables » pour y laisser ouverts des services. Cette logique de marchandisation doit être abandonnée.

Le dernier recensement mené par l’INSEE a montré que, sur la période 1999-2004, alors que les pôles urbains perdaient 72 habitants sur 10 000, les zones rurales en gagnaient 88. Cet élan, cette envie doivent être accompagnés du mieux possible. Car ils resteront lettre morte si les services publics ne sont pas implantés de façon cohérente dans les bassins de vie. Dans ce cas, le reflux vers les métropoles redeviendra inévitable. Ainsi, comment envisager l’installation de nouvelles familles dans une commune rurale s’il n’y a plus d’établissement scolaire à proximité ?

Afin de prendre en compte les besoins réels des usagers et d’y répondre, sur la base d’un diagnostic partagé, il est nécessaire de redéfinir les indicateurs servant de références à l’organisation des services publics. C’est ce que prévoit l’article 7. La mise en place progressive de services publics locaux de proximité, sur le modèle des maisons du département, ne saurait compenser le désengagement de l’État. À cela doit s’ajouter un moratoire sur la RGPP, réforme que l’État applique sans vision d’ensemble ni concertation, en s’appuyant simplement sur un dogmatisme comptable plongeant de nombreux territoires dans une spirale de déclin.

C’est précisément ce type d’approche qui mène à la fermeture de maternités qui, au lieu d’enregistrer 600 naissances, n’en comptent que 590. Rappelons ici que, à ce jour, ce sont 42 établissements de santé qui ont été rayés de la carte sanitaire. L’article 9 vise à garantir un accès rapide à un service de médecine générale, à un service d’urgence et à une maternité. Pour cela, il devient nécessaire d’instaurer une régulation de la répartition territoriale de l’offre de soins, qui doit passer par des mesures coercitives.

Dans une étude récemment publiée, la DREES, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi et de la santé, soulignait ceci : « La question de l’accès aux soins médicaux est devenue centrale dans le contexte actuel de fortes mutations du monde hospitalier et de réduction à venir des effectifs de médecins sur le territoire. » Elle précisait en outre : « Les régions rurales [...] cumulent l’éloignement des soins de proximité et de la plupart des soins spécialisés. » Face à cette désertification médicale, il faut réagir.

Or il est désolant de constater que la proposition de loi modifiant la loi HPST, dite loi Bachelot, discutée aujourd’hui même dans cet hémicycle, ne répond en rien à la problématique. Plus grave encore, le texte revient sur les dispositions, certes jamais appliquées, des contrats santé solidarité créés en 2009, qui visaient à encourager l’installation en milieu rural.

L’éducation, bien sûr, compte également parmi nos priorités. Il importe, comme le précise l’article 10, qu’un nouveau pacte éducatif soit passé entre l’État, les collectivités, les personnels, les parents d’élèves et les partenaires associatifs. Les conditions d’enseignement doivent être améliorées, et l’école soutenue. Il n’y aurait plus d’argent dans les caisses ? Là encore, c’est une question de priorités, mes chers collègues ! Et celle-ci est la première de toutes. Je souligne également que, depuis sa signature en juin 2006, la Charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, qui prévoyait une concertation en cas de fermeture de classe, n’a quasiment jamais été appliquée. Les maires, notamment, vivent très mal cette absence de considération.

De plus, nous souhaitons instituer, avec l’article 11, un temps d’accès maximum pour les trajets entre le domicile et l’école ; nous ne pouvons pas faire parcourir à nos enfants de trop longues distances. Sur le même modèle, nous proposons, par l’article 13, un temps d’accès maximum pour se rendre dans un lieu d’accueil relatif à l’emploi et à la formation.

Alors que furent présentés hier les premiers travaux de l’Assemblée du sport, nous avons souhaité rappeler dans l’article 12 que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, avait pour vocation première de favoriser l’égal accès des citoyens aux infrastructures sportives partout sur le territoire, et non pas financer l’organisation de l’Euro 2016 de football ou le sport professionnel.

Nous préconisons également la mise en place d’un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique. La politique de sécurité du Gouvernement, bien que très tapageuse, reste globalement inefficace. Il est difficile en effet de mieux protéger et servir nos concitoyens quand, partout, les effectifs de policiers et de gendarmes se réduisent.

L’État doit assurer cette responsabilité et cesser de se défausser régulièrement sur des collectivités territoriales aujourd’hui à bout de souffle. Je citerai ainsi notre collègue de l’UMP Bruno Sido, qui, le 9 décembre 2010, à l’occasion de la session budgétaire du conseil général de la Haute-Marne, déclarait : « À force de nous transférer les charges sans avoir en face les recettes, il arrive un moment où le budget ne passe plus ! » Comment ne pas être alertés par la baisse des investissements dans un département sur deux cette année ?

Pour faire des territoires ruraux de véritables territoires d’avenir, il nous faut aussi assurer les conditions de leur dynamisme économique. La synergie entre initiative privée et accompagnement public est déterminante.

L’article 15 souligne que les pouvoirs publics doivent ainsi assumer leur responsabilité dans la maîtrise foncière publique, afin de mieux gérer les différents usages de l’espace. L’article 16 établit la définition d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports. Le SNIT, le schéma national des infrastructures de transport, a déjà montré ses limites par manque de multimodalité et de concertation avec les collectivités territoriales.

Le désenclavement de nos territoires ruraux passe également par l’accès au numérique, condition nécessaire à leur essor et leur modernité. Dès 2001, le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, le CIADT, réuni à Limoges, évoquait cette urgence. Or il serait maintenant question d’un haut débit pour tous en 2025. Croyez-vous vraiment que les médecins, les entrepreneurs, les enseignants installés en zone rurale attendront encore près de quinze ans pour bénéficier des mêmes conditions de vie et d’exercice de leur profession que leurs homologues urbains ? J’ai pourtant le souvenir de vœux adressés par le Président de la République au monde rural, le 14 janvier 2010, dans l’Orne. Il déclarait alors : « Pour mettre le haut débit dans un certain nombre de territoires un peu plus reculés, vous pourrez attendre longtemps si l’État ne s’y met pas. L’État s’y mettra. C’est absolument capital. » Nous proposons, via l’article 17, que, justement, l’État « s’y mette ».

L’article 18 s’inspire d’une initiative américaine datant de 1977, qui imposait aux banques commerciales de prouver que leur activité de collecte et de crédit satisfaisait les besoins des entreprises et des habitants dans la zone géographique où l’un de leur établissement bancaire était présent. Nous rencontrons tous régulièrement des entrepreneurs locaux qui se voient refuser des prêts alors que leurs projets semblent viables. Aussi, nous vous proposons une obligation de transparence et une quote-part minimale de retour de l’épargne collectée sur son territoire d’origine. Parallèlement, une banque publique d’investissement, avec des déclinaisons locales sous la forme de fonds régionaux d’investissement, pourrait être mise en place. Ces dispositifs permettraient une meilleure mobilisation des moyens des acteurs publics et privés, au service de l’activité des TPE, PME et PMI et de l’entrepreneuriat local.

Les petites et moyennes entreprises, trop souvent délaissées, constituent l’essentiel du tissu économique de nos territoires. Il nous revient de leur donner les moyens de réussir. Un système de quotas facilitant leur accès à la commande publique doit ainsi être mis en place : c’est ce que prévoit l’article 19. Au même titre, et j’en viens à l’article 20, l’hôtellerie et l’hébergement de plein air doivent pouvoir bénéficier du FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce. Notre collègue Rémy Pointereau déclarait, le 13 janvier dernier : « Il faudrait [...] rendre éligible au FISAC la petite hôtellerie rurale, qui, soumise à de nombreuses normes, a des besoins financiers importants. » Nous partageons cette appréciation, d’autant que le FISAC s’inscrit dans une démarche de terrain qui a fait ses preuves, avec, hier, les ORAC, et, aujourd’hui, les DCT.

Je remarque que les élus de la majorité, en commission, ont occulté le volet relatif au soutien au commerce et à l’artisanat. Nous proposons quant à nous, via l’article 21, la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs et d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints collaborateurs. Dans le même esprit, nous souhaitons instituer, avec l’article 22, des conventions de commerce et d’artisanat rural.

Avec l’article 23, nous donnons des prérogatives aux communes et aux EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale, afin qu’ils puissent mieux réguler l’aménagement commercial. L’implantation des commerces de plus de 300 mètres carrés serait ainsi encadrée. On ne peut en effet prétendre soutenir nos commerçants et revitaliser les centres-bourgs et, dans le même temps, laisser trop de latitude à la grande distribution.

Nous voulons miser sur nos agriculteurs : l’article 24 met en place des contrats territoriaux d’exploitation qui les lient à l’autorité administrative sur des sujets tels que l’emploi, l’environnement ou la production de l’exploitation.

La ruralité, c’est aussi la forêt, qui occupe toujours une place prédominante sur le territoire français. L’article 25 vise ainsi à sécuriser le fonctionnement de l’Office national des forêts, l’ONF.

L’article 26, dont mon collègue Yves Daudigny parlera mieux que moi, rappelle la nécessité, chaque jour plus pressante, de maintenir des capacités d’ingénierie locale.

Enfin, avec l’article 27, et alors que l’État s’en désintéresse, nous avons souhaité rappeler l’importance de la péréquation. Cette péréquation solidaire, redistributrice, sous-tend l’intégralité de cette proposition de loi.

Aujourd’hui, les sénateurs socialistes veulent avancer par des actes. Les grandes déclarations, non suivies d’effet, ne suffisent plus. Renvoyer le texte en commission reviendrait à esquiver un enjeu essentiel pour la société française et fuir nos responsabilités. La ruralité mérite toute notre attention, mes chers collègues. C’est la vision d’une ruralité moderne, la volonté de valoriser les atouts de ses territoires, métropolitains et ultra-marins, qui a présidé à la rédaction et au dépôt de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, un pacte porteur d’espérances.

Aussi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir examiner cette proposition de loi et ses différents articles.

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