Séance en hémicycle du 30 juin 2011 à 15h00

Résumé de la séance

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  • fracturation
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La séance

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La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, la récente révision de la Constitution a réaffirmé le rôle du Sénat en matière de collectivités territoriales. La réforme de 2008 a également souhaité renforcer l’initiative parlementaire, notamment sénatoriale. Je fais partie de ceux qui, pour des raisons tout à fait valables, n’ont pas voté le projet de loi constitutionnelle. Reste que j’ai entendu ce qui s’est dit durant les débats.

Aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à examiner, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste, une proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial – il s’agit donc de parler de nos territoires, d’aménagement du territoire, sujets cruciaux à nos yeux –, je ne peux que m’étonner de voir le Gouvernement représenté par la ministre chargée de l’outre-mer.

Mme la ministre sait tout le respect que j’ai pour elle et ses compétences ; elle sait également que je suis très sensibilisé aux problèmes ultra-marins. Je suis néanmoins extrêmement surpris que M. le ministre de l’agriculture n’assiste pas à un débat comme celui d’aujourd’hui. Je peux certes concevoir qu’il ait ressenti du dépit à la suite du remaniement ministériel intervenu hier, mais le Sénat mérite d’être respecté. La Haute Assemblée a un rôle à jouer et ses prérogatives ne peuvent pas être bafouées.

Monsieur le président, je souhaite que vous fassiez part à qui de droit de ma protestation. Le Gouvernement doit respecter le droit d’initiative parlementaire, notamment celui des groupes d’opposition.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Soyez assuré que je ferai part de votre protestation.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de cinq membres du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, reçus actuellement à Paris par le groupe d’amitié France-Allemagne du Sénat, qui a fêté, hier, en présence de nos collègues allemands, son cinquantième anniversaire.

Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La délégation du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, ici présente, est conduite par Mme Margit Conrad, vice-présidente du groupe d’amitié. Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que ses membres portent à notre institution.

Nous nous félicitons des relations étroites qu’entretiennent sénateurs et membres du Bundesrat, grâce aux rencontres régulières entre les groupes d’amitié. Nous sommes d’ailleurs honorés que la France soit l’un des deux pays auxquels le Bundesrat consacre un tel groupe.

Au nom du Sénat de la République, je forme des vœux pour que le séjour en France de la délégation du Bundesrat contribue à renforcer les liens d’amitié et la parfaite collaboration entre nos assemblées ; je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, présentée par M. Jean-Jacques Lozach et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 541, rapport n° 658).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires ruraux sont des territoires d’avenir. Leur potentiel est inestimable, mais demeure tristement inexploité. J’entame ainsi mon propos pour que personne, dans cet hémicycle, ne soit accusé de passéisme, voire de défaitisme, comme c’est souvent le cas.

Je ne ferai pas l’apologie des campagnes de notre enfance, d’un prétendu âge d’or de la ruralité. Cela serait parfaitement inutile. Nous sommes conscients des changements, des mutations profondes, tantôt positifs, tantôt négatifs, qu’ont connus les espaces ruraux au fil des décennies.

Nous faisons surtout le constat d’un regrettable accroissement des inégalités de développement entre territoires, qui se manifestent par de très fortes disparités dans les niveaux de richesse des collectivités. Nous avons donc besoin, aujourd’hui, de créer les conditions d’une véritable égalité des chances pour les territoires et pour leurs habitants.

Je crois en nos espaces ruraux et je suis optimiste pour leur futur, sous réserve que soient au moins remplies un certain nombre de conditions, que cette proposition de loi, non exhaustive, a justement pour objet de formaliser. Encore faut-il, mes chers collègues, se donner les moyens, notamment financiers, d’assurer ce futur.

« Trop cher ! », m’avez-vous répondu en chœur en commission des affaires économiques. « Et la dette publique ? », avez-vous ajouté ! Je sais que la majorité est effectivement très soucieuse des deniers de l’État, comme en témoignent les récents allégements de l’impôt sur la fortune qu’elle a consentis !

Certes, pour réaliser le projet porté par ce texte, il faut prévoir des moyens financiers, envisagés comme des outils d’une volonté et d’une ambition pour nos territoires. À cet égard, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial est ambitieuse ; le rapporteur Pierre Hérisson l’a d’ailleurs annoncé d’emblée lors de l’examen du texte en commission, le 22 juin dernier.

Cette ambition ne doit pas effaroucher les membres de la Haute Assemblée. Le 13 janvier dernier, nous avions déjà pu en discuter dans le cadre d’une question orale avec débat sur la ruralité, proposée par Didier Guillaume. Pourquoi, alors que nous nous proposons maintenant d’agir, nous en empêcherait-on ?

En effet, le rapporteur nous a fait part de son intention de présenter une motion tendant au renvoi en commission.

Quel triste sort pour un texte qui aura nécessité plus de six mois d’auditions, de réunions et de réflexions, et qui s’appuie notamment sur plusieurs rapports parlementaires adoptés, pour la plupart d’entre eux, par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ! Je pense notamment au rapport de nos collègues Didier Guillaume et Jacqueline Gourault consacré au dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, au rapport d’Yves Daudigny sur l’ingénierie publique ainsi qu’à celui de Michèle André relatif à l’impact de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, dans les préfectures. Nous sommes bien loin d’une proposition de loi « déposée à la sauvette » !

Nous souhaitons améliorer les conditions d’existence de nos concitoyens ruraux, qui ne représentent que 20 % de la population, mais qui occupent 80 % du territoire national. Est-ce de la démagogie que de vouloir se préoccuper d’eux ? Je ne le crois pas.

Nous voulons, à travers un arsenal de mesures concrètes, donner du sens et du contenu à une véritable politique d’aménagement du territoire. Or, en déposant cette motion tendant au renvoi en commission, la majorité donne le sentiment, regrettable mais pas surprenant, que cette ambition lui fait peur.

Nous avons bien senti votre gêne devant notre proposition d’aborder globalement les problèmes liés à la ruralité aujourd’hui. Vous avez malheureusement choisi la dérobade face à un enjeu aussi décisif pour notre société que la complémentarité nécessaire et harmonieuse entre le rural et l’urbain.

À nos yeux, le plus préoccupant est d’avoir eu la confirmation que nos collègues de la majorité sénatoriale ne partageaient même pas notre constat sur les difficultés actuelles de la ruralité. Pourtant, vos collègues de l’Assemblée nationale ont déposé, cette année, une proposition de loi – jamais inscrite, il est vrai, à l’ordre du jour –, préconisant un « plan Marshall pour la ruralité ».

Alors que nous pointons du doigt un véritable malaise des territoires, ressenti par tous les acteurs sur le terrain, vous nous affirmez, au Sénat, que tout va bien dans nos campagnes. De deux choses l’une, mes chers collègues : soit vous refusez de voir la réalité en face, notamment les conséquences désastreuses sur la ruralité de la politique menée par Nicolas Sarkozy, soit vous êtes à Paris depuis trop longtemps !

Pour créer du dynamisme et revitaliser les territoires, les enjeux et défis à relever sont multiples et doivent être appréhendés globalement. Or les gouvernements Fillon n’auront envisagé l’avenir des territoires ruraux qu’à travers l’agriculture, sans toutefois avoir apporté de réponses appropriées à quatre années de crise de l’élevage, auxquelles s’ajoutent les conséquences sociales dramatiques de l’actuelle sécheresse. Si l’agriculture constitue la toile de fond et le socle économique de nos campagnes, il est réducteur de s’en tenir à cette seule activité.

À cet égard, nous regrettons l’absence d’un ministère dédié à l’aménagement du territoire et à la ruralité, regroupant la politique de la ville et le développement rural, ce dernier étant désormais rattaché au ministère « fourre-tout » de l’agriculture. Un ministère transversal et de plein exercice aurait été plus respectueux de ces territoires et de leurs habitants.

Je vous rappelle que notre ancien collègue Michel Mercier, lorsqu’il était devenu ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, avait déclaré : « Moi, j’ai à animer et à faire vivre l’espace rural, faire en sorte que les hommes et les femmes qui ont choisi de vivre là puissent vivre avec les mêmes facilités que ceux qui sont en ville, qu’ils aient accès aux technologies modernes, qu’il y ait la permanence des soins, l’accès à l’enseignement, la mobilité, toutes ces problématiques-là. »

M. Mercier est un adversaire politique, mais au moins affichait-il la volonté d’appréhender dans leurs particularismes les enjeux de nos territoires.

Aux yeux de la droite, il semble en fait que les outils récents, tels que les pôles d’excellence rurale, ou PER, soient suffisants. Une politique du territoire ambitieuse ne saurait se limiter à des appels à candidature. Les zones de revitalisation rurale, les ZRR, entendues comme une application du principe de discrimination positive, constituaient une bonne initiative. Je parle en connaissance de cause, puisque la Creuse est le seul département intégralement classé en ZRR. Malheureusement, cet outil a été vidé de son contenu d’année en année, au fil des lois de finances. Il n’est plus guère qu’un mécanisme d’exonération pour les entreprises souhaitant s’installer sur ces espaces.

Le rôle de la puissance publique est trop souvent négligé. Or nous avons précisément besoin d’un État stratège, d’un État qui impulse et qui s’engage aux côtés des collectivités territoriales en tant que garant de l’unité nationale, de la cohésion territoriale, de l’égalité d’accès aux services publics. L’équilibre de notre société passe par une réponse au « désir de campagne » de nos concitoyens, qui, toutes les enquêtes d’opinion le montrent, a atteint un niveau historique. Une telle opportunité est à saisir rapidement, car ce désir s’estompera si l’État ne se donne pas les moyens d’accompagner des politiques d’accueil de nouveaux habitants, politiques globales conduites par les acteurs régionaux et locaux, dont l’adhésion est indispensable.

L’État doit également réagir face à une désindustrialisation accélérée, un chômage persistant, un départ vers les villes de jeunes qui souhaitent pourtant, plus que jamais, rester là où ils habitent, là où, souvent, ils ont été formés. Venant compléter la réforme des collectivités territoriales et celle de la fiscalité locale, la RGPP, bien loin d’aider la ruralité, la pénalise en supprimant de façon dogmatique des services publics essentiels. Dans son rapport annuel 2010, le Médiateur de la République remarquait que le service public « ne porte plus son nom ». Il dénonçait la dématérialisation du service et la déshumanisation qui s’ensuivait.

Les services publics sont pourtant justement un élément d’attractivité fort pour un territoire ; je n’appréhende nullement cette problématique sous la forme d’une opposition stérile et polémique entre secteur marchand et secteur public. Au contraire, les entreprises du secteur concurrentiel ne sauraient se développer dans un désert de services publics. Même les entreprises étrangères nous expliquent que c’est précisément la possibilité d’accéder facilement à ces services qui conditionne leur choix de s’installer ou non en France.

Alors que la RGPP – dont le « R » signifie plutôt « raréfaction » que « révision » – condamnait déjà lentement les espaces ruraux à un appauvrissement en capital humain et en prestations, la réforme territoriale entrait en action. Une voix de majorité a permis l’adoption de ce texte au Sénat. Par deux fois, le Conseil constitutionnel a censuré les conseillers territoriaux, « créatures » issues d’une forme de démocratie locale et de recentralisation rejetée par la grande majorité des élus locaux. Avez-vous pris conscience de la situation vaudevillesque dans laquelle vous vous êtes volontairement empêtrés ? Il semble que non, car la commission de l’économie a réaffirmé sa solidarité avec les votes du Sénat, approuvant la réforme territoriale et celle de la fiscalité locale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Il faut croire que, à vos yeux, seuls importent l’État et les pôles métropolitains. Quid alors des espaces interstitiels ? C’est justement pour eux que nous avons élaboré ce texte, car trop de jacobinisme tue la proximité, et le recul de la proximité dans l’action publique tue la ruralité.

Mes chers collègues, le pacte territorial que nous vous présentons aujourd’hui s’appuie sur trois piliers : une nouvelle gouvernance des politiques publiques, une nouvelle organisation de l’offre de services publics et un aménagement équilibré de l’espace.

Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas souhaité que soit développé dans cet hémicycle le contenu précis de notre proposition de loi, choisissant de demander son renvoi sine die à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Je note également que, dans votre rapport, vous dirigez essentiellement votre critique contre l’exposé des motifs, faisant l’impasse sur les articles. Vous me permettrez donc de présenter ici, par souci d’information et d’objectivité, l’objet et la motivation sous-jacente de chacune de nos propositions.

Il s’agit donc, d’abord, comme le suggère le titre Ier, suivant en cela les recommandations du rapport Guillaume-Gourault adopté par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d’aller vers une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Celle-ci passe prioritairement par la restauration de liens de confiance entre l’État et les collectivités.

L’actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas ou peu ; il est urgent d’asseoir sa légitimité, de la réactiver en lui donnant un fondement juridique stable, comme le suggère notre article 1er. Un dialogue constructif implique notamment un pouvoir égal pour les représentants des collectivités et ceux du Gouvernement. Par ailleurs, ce schéma doit se décliner, de façon quasi similaire, à l’échelon local. Le dialogue, c’est bien là l’une des clés de la confiance et de l’opérationnalité ; c’est ce que le Gouvernement a tendance à oublier en négligeant constamment les collectivités, devenues pourtant indispensables à l’application de toute politique nationale.

L’évaluation des choix faits doit aussi devenir la norme. L’article 3 prévoit ainsi une évaluation systématique de l’impact territorial de l’ensemble des politiques publiques.

De la même façon, il est nécessaire de favoriser les démarches transversales.

Pour être crédibles et efficaces, les relations entre les différents niveaux de pouvoir doivent être contractualisées. Les contrats État-région – hier, contrats de plan, aujourd’hui, contrats de projet – doivent ainsi être pérennisés et sécurisés, afin que les investissements de chacun puissent, sur la durée, être associés et programmés efficacement. Encourageons la prospective territoriale, évitons la compétition et favorisons la coopération !

Sur le modèle des contrats urbains de cohésion sociale, qui ont succédé aux contrats de ville en 2006, nous avons également besoin de contrats ruraux de cohésion territoriale. Tout comme les zones urbaines sensibles, les territoires ruraux les moins denses connaissent des difficultés tout à fait spécifiques. Ce nouveau dispositif contractuel permettrait de lutter contre les processus de relégation à l’œuvre dans certaines de nos campagnes, en concentrant les moyens dans des zones rurales d’action prioritaire.

L’article 6, quant à lui, appelle à la mise en place d’une grande conférence territoriale destinée à jeter les bases d’un nouvel acte de la décentralisation. Voilà bientôt trente ans que les lois Mauroy-Defferre ont révolutionné le mode de gouvernance de notre pays, avec un succès que chacun s’accorde à reconnaître. Alors que la récente réforme territoriale ne cache pas ses velléités recentralisatrices, il est urgent de redonner une véritable légitimité démocratique au fonctionnement de nos institutions.

Ce pacte républicain passe nécessairement par le libre et égal accès de tous aux services publics essentiels : éducation, santé, emploi, logement, sécurité, etc. C’est précisément l’objet du titre II. Nous savons que les zones les plus reculées, notamment en montagne, souffrent de ces inégalités, qui vont en s’accroissant. L’État, je le répète, a des devoirs à l’égard des citoyens, qui ont tous un égal droit d’accès aux services publics. Il est inconcevable qu’il abandonne littéralement des pans entiers de nos territoires, au prétexte que ceux-ci ne seraient pas suffisamment « rentables » pour y laisser ouverts des services. Cette logique de marchandisation doit être abandonnée.

Le dernier recensement mené par l’INSEE a montré que, sur la période 1999-2004, alors que les pôles urbains perdaient 72 habitants sur 10 000, les zones rurales en gagnaient 88. Cet élan, cette envie doivent être accompagnés du mieux possible. Car ils resteront lettre morte si les services publics ne sont pas implantés de façon cohérente dans les bassins de vie. Dans ce cas, le reflux vers les métropoles redeviendra inévitable. Ainsi, comment envisager l’installation de nouvelles familles dans une commune rurale s’il n’y a plus d’établissement scolaire à proximité ?

Afin de prendre en compte les besoins réels des usagers et d’y répondre, sur la base d’un diagnostic partagé, il est nécessaire de redéfinir les indicateurs servant de références à l’organisation des services publics. C’est ce que prévoit l’article 7. La mise en place progressive de services publics locaux de proximité, sur le modèle des maisons du département, ne saurait compenser le désengagement de l’État. À cela doit s’ajouter un moratoire sur la RGPP, réforme que l’État applique sans vision d’ensemble ni concertation, en s’appuyant simplement sur un dogmatisme comptable plongeant de nombreux territoires dans une spirale de déclin.

C’est précisément ce type d’approche qui mène à la fermeture de maternités qui, au lieu d’enregistrer 600 naissances, n’en comptent que 590. Rappelons ici que, à ce jour, ce sont 42 établissements de santé qui ont été rayés de la carte sanitaire. L’article 9 vise à garantir un accès rapide à un service de médecine générale, à un service d’urgence et à une maternité. Pour cela, il devient nécessaire d’instaurer une régulation de la répartition territoriale de l’offre de soins, qui doit passer par des mesures coercitives.

Dans une étude récemment publiée, la DREES, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi et de la santé, soulignait ceci : « La question de l’accès aux soins médicaux est devenue centrale dans le contexte actuel de fortes mutations du monde hospitalier et de réduction à venir des effectifs de médecins sur le territoire. » Elle précisait en outre : « Les régions rurales [...] cumulent l’éloignement des soins de proximité et de la plupart des soins spécialisés. » Face à cette désertification médicale, il faut réagir.

Or il est désolant de constater que la proposition de loi modifiant la loi HPST, dite loi Bachelot, discutée aujourd’hui même dans cet hémicycle, ne répond en rien à la problématique. Plus grave encore, le texte revient sur les dispositions, certes jamais appliquées, des contrats santé solidarité créés en 2009, qui visaient à encourager l’installation en milieu rural.

L’éducation, bien sûr, compte également parmi nos priorités. Il importe, comme le précise l’article 10, qu’un nouveau pacte éducatif soit passé entre l’État, les collectivités, les personnels, les parents d’élèves et les partenaires associatifs. Les conditions d’enseignement doivent être améliorées, et l’école soutenue. Il n’y aurait plus d’argent dans les caisses ? Là encore, c’est une question de priorités, mes chers collègues ! Et celle-ci est la première de toutes. Je souligne également que, depuis sa signature en juin 2006, la Charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, qui prévoyait une concertation en cas de fermeture de classe, n’a quasiment jamais été appliquée. Les maires, notamment, vivent très mal cette absence de considération.

De plus, nous souhaitons instituer, avec l’article 11, un temps d’accès maximum pour les trajets entre le domicile et l’école ; nous ne pouvons pas faire parcourir à nos enfants de trop longues distances. Sur le même modèle, nous proposons, par l’article 13, un temps d’accès maximum pour se rendre dans un lieu d’accueil relatif à l’emploi et à la formation.

Alors que furent présentés hier les premiers travaux de l’Assemblée du sport, nous avons souhaité rappeler dans l’article 12 que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, avait pour vocation première de favoriser l’égal accès des citoyens aux infrastructures sportives partout sur le territoire, et non pas financer l’organisation de l’Euro 2016 de football ou le sport professionnel.

Nous préconisons également la mise en place d’un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique. La politique de sécurité du Gouvernement, bien que très tapageuse, reste globalement inefficace. Il est difficile en effet de mieux protéger et servir nos concitoyens quand, partout, les effectifs de policiers et de gendarmes se réduisent.

L’État doit assurer cette responsabilité et cesser de se défausser régulièrement sur des collectivités territoriales aujourd’hui à bout de souffle. Je citerai ainsi notre collègue de l’UMP Bruno Sido, qui, le 9 décembre 2010, à l’occasion de la session budgétaire du conseil général de la Haute-Marne, déclarait : « À force de nous transférer les charges sans avoir en face les recettes, il arrive un moment où le budget ne passe plus ! » Comment ne pas être alertés par la baisse des investissements dans un département sur deux cette année ?

Pour faire des territoires ruraux de véritables territoires d’avenir, il nous faut aussi assurer les conditions de leur dynamisme économique. La synergie entre initiative privée et accompagnement public est déterminante.

L’article 15 souligne que les pouvoirs publics doivent ainsi assumer leur responsabilité dans la maîtrise foncière publique, afin de mieux gérer les différents usages de l’espace. L’article 16 établit la définition d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports. Le SNIT, le schéma national des infrastructures de transport, a déjà montré ses limites par manque de multimodalité et de concertation avec les collectivités territoriales.

Le désenclavement de nos territoires ruraux passe également par l’accès au numérique, condition nécessaire à leur essor et leur modernité. Dès 2001, le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, le CIADT, réuni à Limoges, évoquait cette urgence. Or il serait maintenant question d’un haut débit pour tous en 2025. Croyez-vous vraiment que les médecins, les entrepreneurs, les enseignants installés en zone rurale attendront encore près de quinze ans pour bénéficier des mêmes conditions de vie et d’exercice de leur profession que leurs homologues urbains ? J’ai pourtant le souvenir de vœux adressés par le Président de la République au monde rural, le 14 janvier 2010, dans l’Orne. Il déclarait alors : « Pour mettre le haut débit dans un certain nombre de territoires un peu plus reculés, vous pourrez attendre longtemps si l’État ne s’y met pas. L’État s’y mettra. C’est absolument capital. » Nous proposons, via l’article 17, que, justement, l’État « s’y mette ».

L’article 18 s’inspire d’une initiative américaine datant de 1977, qui imposait aux banques commerciales de prouver que leur activité de collecte et de crédit satisfaisait les besoins des entreprises et des habitants dans la zone géographique où l’un de leur établissement bancaire était présent. Nous rencontrons tous régulièrement des entrepreneurs locaux qui se voient refuser des prêts alors que leurs projets semblent viables. Aussi, nous vous proposons une obligation de transparence et une quote-part minimale de retour de l’épargne collectée sur son territoire d’origine. Parallèlement, une banque publique d’investissement, avec des déclinaisons locales sous la forme de fonds régionaux d’investissement, pourrait être mise en place. Ces dispositifs permettraient une meilleure mobilisation des moyens des acteurs publics et privés, au service de l’activité des TPE, PME et PMI et de l’entrepreneuriat local.

Les petites et moyennes entreprises, trop souvent délaissées, constituent l’essentiel du tissu économique de nos territoires. Il nous revient de leur donner les moyens de réussir. Un système de quotas facilitant leur accès à la commande publique doit ainsi être mis en place : c’est ce que prévoit l’article 19. Au même titre, et j’en viens à l’article 20, l’hôtellerie et l’hébergement de plein air doivent pouvoir bénéficier du FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce. Notre collègue Rémy Pointereau déclarait, le 13 janvier dernier : « Il faudrait [...] rendre éligible au FISAC la petite hôtellerie rurale, qui, soumise à de nombreuses normes, a des besoins financiers importants. » Nous partageons cette appréciation, d’autant que le FISAC s’inscrit dans une démarche de terrain qui a fait ses preuves, avec, hier, les ORAC, et, aujourd’hui, les DCT.

Je remarque que les élus de la majorité, en commission, ont occulté le volet relatif au soutien au commerce et à l’artisanat. Nous proposons quant à nous, via l’article 21, la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs et d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints collaborateurs. Dans le même esprit, nous souhaitons instituer, avec l’article 22, des conventions de commerce et d’artisanat rural.

Avec l’article 23, nous donnons des prérogatives aux communes et aux EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale, afin qu’ils puissent mieux réguler l’aménagement commercial. L’implantation des commerces de plus de 300 mètres carrés serait ainsi encadrée. On ne peut en effet prétendre soutenir nos commerçants et revitaliser les centres-bourgs et, dans le même temps, laisser trop de latitude à la grande distribution.

Nous voulons miser sur nos agriculteurs : l’article 24 met en place des contrats territoriaux d’exploitation qui les lient à l’autorité administrative sur des sujets tels que l’emploi, l’environnement ou la production de l’exploitation.

La ruralité, c’est aussi la forêt, qui occupe toujours une place prédominante sur le territoire français. L’article 25 vise ainsi à sécuriser le fonctionnement de l’Office national des forêts, l’ONF.

L’article 26, dont mon collègue Yves Daudigny parlera mieux que moi, rappelle la nécessité, chaque jour plus pressante, de maintenir des capacités d’ingénierie locale.

Enfin, avec l’article 27, et alors que l’État s’en désintéresse, nous avons souhaité rappeler l’importance de la péréquation. Cette péréquation solidaire, redistributrice, sous-tend l’intégralité de cette proposition de loi.

Aujourd’hui, les sénateurs socialistes veulent avancer par des actes. Les grandes déclarations, non suivies d’effet, ne suffisent plus. Renvoyer le texte en commission reviendrait à esquiver un enjeu essentiel pour la société française et fuir nos responsabilités. La ruralité mérite toute notre attention, mes chers collègues. C’est la vision d’une ruralité moderne, la volonté de valoriser les atouts de ses territoires, métropolitains et ultra-marins, qui a présidé à la rédaction et au dépôt de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, un pacte porteur d’espérances.

Aussi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir examiner cette proposition de loi et ses différents articles.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée par M. Jean-Jacques Lozach, cosignée par l’ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés, est ambitieuse dans son objet puisque, si l’on en croit son titre, elle ne vise rien de moins qu’à instaurer un « nouveau pacte territorial ».

Ce texte se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l’État et les collectivités territoriales et de la problématique de l’aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural au service des territoires d’avenir, qui a été présentée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, puis discutée, pour être finalement rejetée par nos collègues députés le 29 mars dernier.

Cette proposition de loi est plus diverse encore par les sujets abordés. D’ailleurs, son examen aurait pu justifier la constitution d’une commission spéciale, puisque certains de ses articles intéressent aussi la commission des lois, d’autres la commission de la culture, d’autres la commission des affaires sociales, et d’autres encore la commission des finances. Mais c’est à votre commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire que ce texte a été renvoyé au fond, car il traite essentiellement de la cohésion territoriale de notre pays.

Dans ce domaine, la majorité de la commission de l’économie ne partage pas la critique sans aucune concession adressée par les membres du groupe socialiste et apparentés à la politique conduite ces dernières années. Leur constat de départ est celui d’une défaillance radicale de la politique nationale d’aménagement du territoire, qui s’expliquerait notamment par les effets de la révision générale des politiques publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Ils s’inquiètent également de ce qu’ils considèrent comme une crise des relations entre l’État et les collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Je crois que le caractère exagéré de ces critiques en réduit la pertinence.

Notre commission ne prétend pas que rien n’est perfectible en matière d’aménagement du territoire et de développement rural. Mais elle s’est toujours efforcée de s’inscrire dans une démarche constructive, en s’appuyant sur des analyses nuancées.

Je rappellerai ici plusieurs rapports d’information produits par la commission de l’économie : celui de M. Rémy Pointereau, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles d’excellence rurale, et celui de MM. Michel Houel et Marc Daunis, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également le rapport d’information de M. Bruno Sido 2G, 3G, 4G : vers une couverture optimale du territoire en téléphonie mobile et celui de M. Louis Nègre, qui faisait suite au groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transport. La semaine prochaine, M. Hervé Maurey nous présentera un rapport d’information sur la couverture numérique du territoire.

Je n’oublie pas non plus nos travaux législatifs : le rapport de M. Bruno Retailleau de 2009 sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique ainsi que le rapport que je vous ai présenté, en 2010, sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. Plus anciennement, en 2005, le président de la commission de l’économie, M. Jean-Paul Emorine, a été le rapporteur du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui a notamment créé les zones de revitalisation rurale.

L’ensemble des travaux de notre commission, tout en ayant pour objet de proposer des améliorations, qui ont pu prendre la forme d’amendements à des projets de lois, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire plus que difficile. Ainsi, la politique des pôles de compétitivité et des pôles d’excellence rurale est couronnée de succès. Il suffit de considérer le nombre des réponses aux appels à projets. Au total, 77 pôles de compétitivité ont été labellisés, et pas moins de 643 pôles d’excellence rurale.

Toujours critiques, les auteurs de cette proposition de loi estiment que cette procédure revient à mettre les territoires en concurrence entre eux.

C’est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

La vision dramatisée d’un retrait général des services publics dans les territoires ruraux ne correspond pas à la réalité.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Simplement, les services publics doivent savoir s’adapter et mutualiser leurs moyens.

Dois-je rappeler que c’est un amendement du Sénat qui a inscrit dans la loi du 9 février 2010 le maintien par La Poste d’un réseau de 17 000 points de contact ? Nous sommes le seul pays au monde à prendre des dispositions de ce type.

Évidemment, ces points de présence postale ne peuvent pas tous être des bureaux de poste traditionnels, tels qu’ils existaient lorsque nous étions enfants. Mais les solutions que représentent les agences postales communales ou les relais Poste permettent d’offrir aux populations un meilleur service pour un coût moindre ; les indices de satisfaction sont d’ailleurs supérieurs à 87 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

De même, je crois que le Gouvernement a bien saisi l’importance de l’enjeu de l’aménagement numérique du territoire. En effet, plus que la présence physique des services publics, c’est l’accès aux moyens de communication électronique qui va devenir le critère déterminant d’attractivité des territoires.

Pour étendre la couverture en « très haut débit » à l’ensemble du pays, il va falloir chercher la complémentarité, et non pas la concurrence, entre les investissements des opérateurs privés et ceux des collectivités territoriales. Je tiens à souligner, parce que cela ne me paraît pas toujours bien compris, que les secondes n’ont pas vocation à se substituer aux premiers. Il faut le dire clairement et le répéter : les opérateurs privés ne peuvent être que les clients des réseaux d’initiative publique. Personne ne peut contredire ce raisonnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Les auteurs de cette proposition de loi proposent la définition par l’État d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports pour la période 2011-2021. Or il me semble que cette demande est déjà satisfaite par le schéma national des infrastructures de transport. Prévu par la loi Grenelle 1, le SNIT a déjà fait l’objet d’un avant-projet présenté par le Gouvernement en juillet 2010, a été soumis à concertation, puis présenté à nouveau sous une forme modifiée en janvier 2011. Le groupe de suivi de votre commission l’a étudié en détail, et je vous invite à vous reporter à son rapport d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Enfin, je veux rappeler le progrès que représente la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Les auteurs de la proposition de loi préféreraient que l’on mette en place un dispositif contraignant d’autorisation pour l’installation des professionnels de santé libéraux dans les zones où l’offre de soins est déjà dense. Selon moi, il conviendrait plutôt de laisser d’abord les agences régionales de santé mettre en place les dispositifs incitant au rééquilibrage territorial de l’offre de soins prévus par la loi.

Bref, je ne crois pas que cette proposition de loi soit toujours très réaliste, en donnant à croire que la densité des services publics puisse être la même en zone rurale et en zone urbaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

C’est démagogique !

Il est facile de proposer d’instaurer par la loi des critères exigeants de temps maximum d’accès aux services publics de la santé, de l’éducation ou de l’emploi, dès lors que l’on ne se préoccupe pas de leur coût financier. Or les auteurs de cette proposition de loi ne fournissent aucune indication sur l’impact financier des mesures qu’ils préconisent. Cette insouciance est surprenante, alors que l’impératif de redressement de nos finances publiques devrait s’imposer à tous, y compris aux élus de l’opposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Ces remarques générales étant faites, j’en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi.

Je ne vous cacherai pas que ma première réaction a été la perplexité. En effet, la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d’entre elles, et non des moindres, n’ont pas d’effet juridique direct, mais relèvent plutôt de la déclaration d’intention, ou du programme électoral...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Je peux ici citer plus particulièrement l’article 6, qui prévoit la mise en place, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, d’une « grande conférence territoriale » pour engager un nouvel acte de la décentralisation. C’est une disposition que l’on s’attendrait à retrouver dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, plutôt que dans un texte à visée normative. Je me demande où se situent les intentions sous-jacentes évoquées par les auteurs du texte ?

De même, l’article 10 prévoit l’élaboration, dans un délai d’un an, d’un « nouveau pacte éducatif » reposant notamment sur l’engagement de l’État à maintenir le nombre de postes d’enseignants.

Toujours dans la même veine, l’article 14 prévoit la mise en place d’un « nouveau pacte de protection et de tranquillité publique », reposant sur l’engagement de l’État à renforcer les forces de sécurité.

Au total, ce sont dix articles, sur les vingt-huit que compte en tout la proposition de loi, qui me semblent ainsi relever plutôt d’une loi de programmation.

L’article 34 de la Constitution définit les lois de programmation comme cette catégorie de lois qui « déterminent les objectifs de l’action de l’État ». Nous sommes bien dans ce cas de figure : les dispositions du texte que j’ai évoquées n’ont pas d’effet juridique direct, et parfois même pas de contenu très déterminé.

D’autres dispositions de la proposition de loi tendent à donner une valeur légale à des instances, des outils ou des principes qui existent déjà, et fonctionnent très bien sur une base réglementaire ou jurisprudentielle. C’est le cas de l’article 1er, qui tend à institutionnaliser la conférence nationale des exécutifs, et de l’article 4, qui donne une existence légale aux contrats de projet État-région, actuellement de nature purement réglementaire.

L’article 7 ne fait que rappeler les principes essentiels des services publics, déjà dégagés par la jurisprudence.

Quant à l’article 12, il inscrit dans la partie législative du code du sport l’existence du Centre national pour le développement du sport.

Personnellement, je ne suis pas persuadé que ces articles présentent un grand intérêt. Il se pourrait même que certains d’entre eux enfreignent le partage entre le domaine de la loi et celui du règlement, tel qu’il résulte de l’article 34 de la Constitution.

Mais la principale objection que votre commission oppose aux auteurs de la proposition de loi est relative à son caractère prématuré.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Ce texte a été enregistré à la présidence du Sénat le 19 mai dernier pour une discussion en séance publique aujourd’hui, le 30 juin. Son examen s’est donc trouvé contraint de justesse dans le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat. Or cette précipitation de la part des membres du groupe socialiste et apparentés est éminemment regrettable, parce que les domaines abordés dans cette proposition de loi recoupent les champs d’investigation de trois missions communes d’information du Sénat qui viennent tout juste de finir leurs travaux, ou qui le feront la semaine prochaine.

Il s’agit, tout d’abord, de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations en matière scolaire, présidée par M. Serge Lagauche et dont le rapporteur est M. Jean-Claude Carle.

Il s’agit, ensuite, de la mission commune d’information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux. Elle est présidée par M. François Patriat, son rapporteur étant M. Dominique de Legge.

Ces deux missions communes d’information ont adopté leurs conclusions la semaine dernière, la veille et le jour même où notre commission s’est réunie pour se prononcer sur la proposition de loi. Mais leurs rapports ne sont diffusés sur le site internet du Sénat que depuis deux jours. Quant à leurs versions sur support papier, elles ne sont pas disponibles au service de la distribution…

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Mme Maryvonne Blondin brandit les rapports.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

… ou plutôt elles ne le sont que depuis hier pour l’une, et depuis ce matin seulement pour l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, j’imagine que vous avez dû passer la matinée à les lire.

Enfin, la troisième mission commune d’information concernée par ce texte est celle relative à Pôle emploi, qui est présidée par M. Claude Jeannerot, son rapporteur étant M. Jean-Paul Alduy. Elle n’adoptera ses conclusions que la semaine prochaine.

Ainsi, cette proposition de loi a préjugé largement les conclusions de ces trois missions communes d’information. Votre commission a considéré que cette manière de faire n’était pas de bonne méthode. À quoi cela servirait-il de mettre en place de telles missions, qui ont procédé à des dizaines d’auditions et à de nombreux déplacements durant plusieurs mois, si c’est finalement pour légiférer sans se donner le temps de prendre connaissance en toute sérénité, singulièrement au Sénat, de leurs rapports ?

Votre commission a donc jugé indispensable de se prononcer en bénéficiant de l’éclairage apporté par les analyses solidement étayées résultant de leurs travaux, ce qui n’était pas possible dans les délais qui lui ont été imposés pour l’examen de cette proposition de loi. C’est pourquoi elle vous proposera d’adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, actuellement en déplacement avec le Président de la République dans le Lot-et-Garonne.

J’ai écouté le rappel au règlement de M. Bel. Je veux simplement lui rappeler que, en ma qualité de ministre chargée de l’outre-mer, je dépends du ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales. Cette proposition de loi concerne aussi, me semble-t-il, les collectivités locales. J’ai d’ailleurs relevé avec beaucoup de satisfaction les propos de M. le rapporteur pour lequel la ruralité concerne aussi nos territoires ultra-marins.

Le texte qui nous réunit aujourd’hui est une nouvelle occasion de confronter deux conceptions de l’aménagement du territoire et de l’action publique au service de nos territoires, notamment ruraux.

Comme l’a rappelé Bruno Le Maire dans ce même hémicycle, la ruralité, ce n’est pas le passé de la France ; c’est son avenir. De plus en plus de nos concitoyens décident de s’installer dans les territoires ruraux. Nous devons tenir compte de leur choix et accompagner ce mouvement.

L’accompagner, cela veut dire répondre aux nouvelles exigences de nos concitoyens en matière de services, d’accès aux soins ou de transports, tenir compte des évolutions en profondeur de la société française – je pense notamment au développement des nouvelles technologies, qui ont désormais investi tous les secteurs d’activité et qui sont au cœur de notre vie quotidienne – et moderniser notre organisation territoriale pour renforcer le pilotage de nos politiques publiques et la qualité du service rendu à nos concitoyens.

Face à ces évolutions, le parti socialiste propose une réponse qui consiste à réglementer et à dépenser toujours plus. Il ajoute la norme à la norme ; il impose par la loi des règles uniformes, datées et rigides, des règles qui ne prennent pas en compte la diversité de nos territoires et qui, par conséquent, ne seront ni applicables ni crédibles aux yeux de nos concitoyens. Il ne tient pas compte du nécessaire impératif de maîtrise de la dépense publique, qui devrait pourtant s’imposer à tous.

Bruno Le Maire défend une vision moderne et réaliste de l’aménagement du territoire. Les deux vont ensemble : parce que nous sommes lucides sur l’état de nos finances publiques, parce que nous sommes réalistes sur les attentes de nos concitoyens, nous faisons preuve d’audace et d’imagination pour inventer les solutions de demain. Ce choix, nous l’assumons, car c’est le choix de la responsabilité. Il a l’avantage de s’inscrire dans la durée.

Arrêtons-nous un instant sur la question de la gouvernance territoriale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous proposez de relancer la conférence nationale des exécutifs pour favoriser les échanges sur le plan national. C’est fait ! Le Premier ministre a déjà lancé les travaux préparatoires en vue d’une réunion plénière.

Vous proposez également de mettre en place une conférence régionale des exécutifs. Dans la pratique, cette instance existe déjà ! La loi de réforme des collectivités territoriales comporte toute une série de dispositifs opérationnels et financiers pour approfondir la cohérence du travail entre le niveau communal et intercommunal, les départements et la région.

Dans le même temps, vous proposez de passer directement par la loi pour imposer toute une série de mesures qui ont précisément vocation à être débattues dans ces instances de concertation. Plusieurs articles de la proposition de loi, sur la contractualisation, par exemple, concernent ainsi des sujets qui seront à l’ordre du jour de la conférence nationale des exécutifs de la rentrée.

J’ajoute que certaines de vos propositions ne sont pas conformes au droit constitutionnel – c’est le cas de la consultation obligatoire de la conférence nationale des exécutifs, mentionnée à l’article 1er – ou au droit communautaire – je pense, notamment, au small business act de l’article 19.

Je voudrais faire deux remarques complémentaires sur les questions de gouvernance.

En premier lieu, nombre des dispositions que vous avez présentées s’avèrent purement déclamatoires et sans valeur normative. Elles ne passeraient sans doute pas le barrage du Conseil constitutionnel.

En second lieu, le Gouvernement ne croit pas à l’empilement des normes et des règlements. Vous savez comme moi que les élus locaux aspirent au contraire à alléger les contraintes qui pèsent déjà sur eux. Imposer un modèle unique à tout le monde sans vous préoccuper de la réalité des besoins et de la diversité des territoires, est-ce cela que vous appelez un « pacte » ?

Concernant l’offre de services, votre proposition consiste à maintenir les mêmes services publics sur tout le territoire.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

La réalité, c’est que nous n’avons pas les moyens de financer dans toutes les communes rurales un bureau de poste, une agence de Pôle emploi, un guichet de la SNCF, avec la présence physique d’employés rémunérés par la collectivité. Les statistiques montrent clairement que, compte tenu de son rapport coût-efficacité, le maintien de certains services publics sous leur forme ancienne est déraisonnable au regard du bon emploi des deniers publics. Vous en avez tous conscience.

La réalité, c’est aussi que les attentes des Français ont évolué.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Ils veulent pouvoir accéder aux services dont ils ont besoin depuis un lieu unique.

La réalité, enfin, c’est qu’internet a changé la donne.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Aujourd’hui, la plupart des services sont disponibles en ligne. On ne peut pas consacrer 4, 5 milliards d’euros à la couverture numérique du territoire et aux nouveaux services par internet et maintenir exactement le même système de services qu’avant.

Si vous voulez en rester à ces propositions qui auront des conséquences du point de vue budgétaire, nous ne vous suivrons pas. Nous avons voulu imaginer les services publics de demain, plutôt que de vouloir systématiquement maintenir ceux d’hier, à un coût excessif pour la collectivité.

Les services publics de demain, ce sont d’abord un certain nombre de services dématérialisés.

Le numérique n’a évidemment pas vocation à remplacer l’accueil personnalisé et le contact humain, mais il rend accessible la bibliothèque la plus vaste du monde à tous les élèves ; il permet aux médecins des maisons de santé rurales de croiser instantanément leur diagnostic avec celui de confrères ; il facilite les démarches des agriculteurs grâce au système de télédéclaration pour la politique agricole commune, la PAC. Pour tous les citoyens, il permet de remplir nombre de formalités administratives à distance.

Aujourd’hui, 65 % des démarches prioritaires sont accessibles en ligne, alors qu’elles n’étaient que de 30 % en 2007.

Évidemment, cela suppose d’assurer la couverture du territoire en très haut débit. C’est l’objet du programme national « très haut débit » lancé sur l’initiative du Président de la République, avec pour objectif une couverture totale du territoire en très haut débit en 2025.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Cela représente un investissement de 15 milliards d’euros sur quinze ans ; 2 milliards d’euros ont été mis à disposition des opérateurs et des collectivités pour lancer le processus dans le cadre des investissements d’avenir.

Les services publics de demain, c’est aussi la mutualisation d’un certain nombre de services. C’est le sens de la convention « Plus de services au public » que le ministre de l’aménagement du territoire a signé avec neuf opérateurs nationaux.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Cette convention est en cours de déploiement dans vingt-trois départements. Si ce premier essai s’avère concluant, le ministre de l’aménagement du territoire proposera très rapidement de généraliser l’expérimentation à tous les départements.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Il s’agit de proposer aux usagers et clients une offre de services rationnalisée depuis un lieu unique, préservant les impératifs de qualité et de proximité. Les agents seront parfois issus de La Poste, parfois de la SNCF, parfois de la CAF ou de la MSA. Ils auront à leur disposition des correspondants techniques et des outils informatiques pour répondre le plus efficacement possible aux demandes des citoyens.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Bruno Le Maire souhaite que toutes les hypothèses de mutualisation soient explorées : entre les services de l’État – c’est ce qui est fait dans le cadre de la RGPP – ; entre l’État et les collectivités, comme c’est déjà le cas dans les relais de service public ; et entre l’État et les opérateurs privés, en particulier les commerçants de proximité. Ainsi, 3 000 bureaux de tabac sont déjà des points de retrait d’argent. Pourquoi n’irions-nous pas plus loin ?

En matière de sécurité, notre politique ne doit pas reposer uniquement, comme vous le proposez, sur le recrutement de nouveaux fonctionnaires ; elle doit aussi veiller à la complémentarité entre les fonctionnaires de l’État, policiers et gendarmes, et les polices municipales dans le cadre des contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. L’efficacité, ce n’est pas la multiplicité ; c’est la complémentarité.

Voilà en quelques mots ce qu’est la réalité de l’action du Gouvernement en matière de services publics.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Il s’agit d’une action pragmatique, en phase avec l’évolution des attentes de nos concitoyens.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Tout cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas adapter ou corriger, le cas échéant, ces dispositifs.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Néanmoins, il ne peut être question d’instaurer un moratoire de la RGPP.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

S’agissant du développement économique, vous reprochez à la stratégie de polarisation et d’appels à projets conduite par le Gouvernement de contribuer à renforcer des territoires qui sont déjà attractifs. Nous assumons cette logique d’excellence et de promotion de la coopération territoriale. Nous voulons créer les conditions d’un développement économique pérenne fondé sur le respect du territoire et la coopération entre les acteurs privés et publics. Le succès considérable des pôles d’excellence rurale montre bien que cette démarche correspond à une attente forte de la part des acteurs locaux. Contrairement à ce que vous pourriez croire, il y a du dynamisme et de la créativité dans les territoires ruraux !

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Pour autant, nous n’oublions pas l’impératif de cohésion entre les territoires. Nous avons décidé d’accorder un soutien plus important aux départements ruraux dans le cadre du programme national « très haut débit ». Alors que les départements urbains seront soutenus à 33 %, nous irons jusqu’à 45% pour les projets concernant les départements les plus ruraux.

Nous avons créé les zones de revitalisation rurale pour redonner de l’attractivité aux territoires en difficulté. Je rappelle que les exonérations sociales et fiscales de ce dispositif coûtent 511 millions d’euros à la solidarité nationale en 2011.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Pour compenser l’impact social et économique sur les territoires des restructurations de défense, nous avons lancé un plan de revitalisation doté de 320 millions d’euros.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement veut continuer à assurer la solidarité entre les territoires grâce au renforcement des instruments de péréquation. La part de la dotation globale de fonctionnement consacrée à la péréquation est ainsi passée de 11, 9 % en 2003 à 16, 6 % en 2010. La dotation de solidarité rurale a été portée de 420 millions d’euros à 802 millions d’euros sur la même période.

Face à une proposition de loi qui présente une vision administrée de ce que peuvent être l’aménagement du territoire et la ruralité, nous voulons défendre une vision moderne, reposant sur le développement de l’activité économique, la qualité des services publics et l’accès à internet à haut débit pour tous.

Nos territoires sont un atout pour l’avenir de la France, mais c’est uniquement en accompagnant leur modernisation qu’ils resteront un atout pour notre pays.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

C’est bien ce dont nous sommes persuadés !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui s’ouvre aujourd’hui à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, présentée par nos collègues socialistes, est très important. En effet, il dénonce très clairement les manquements de l’État à ses missions régaliennes et dessine des pistes pour trouver des solutions à la crise économique et sociale que nous traversons.

Cette crise est également une crise de confiance qui entache notre pacte républicain, comme en témoignent la colère et les inquiétudes des élus locaux. Au travers de la politique menée par le Gouvernement, ce sont les fondements mêmes de notre République, à savoir les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont remis en cause par ses lois successives.

Au principe de la solidarité nationale, la majorité a opposé, depuis cinq ans, ceux de la concurrence entre les territoires, du repli identitaire, de la casse des mécanismes d’assurance collective, notamment dans le domaine de la santé et des retraites. Madame la ministre, la loi de finances rectificative que la majorité du Sénat vient d’adopter le prouve : votre politique bénéficie exclusivement aux plus fortunés.

Nous souscrivons évidemment à l’ensemble des constats que développent les auteurs de la proposition de loi dans l’exposé des motifs. Nous estimons comme eux que la mise en œuvre de la RGPP, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la mise en concurrence des territoires et de leurs habitants, l’assèchement des ressources des collectivités territoriales et les transferts de charges non compensés, qui mettent les collectivités dans des situations intenables, ont eu un impact très négatif.

Contrairement au Gouvernement, nous estimons que la politique doit être pensée de manière durable, et non au travers de logiques comptables. En effet, une stratégie de recherche d’économies de court terme s’avère au final bien plus coûteuse pour la collectivité. La perte d’ingénierie publique a ainsi conduit à des échecs avérés, notamment lorsqu’un grain de sable ou un flocon de neige a suffi à enrayer le fonctionnement à flux tendu des services déconcentrés de l’État.

Nous souscrivons également à la volonté de doter les collectivités territoriales des ressources leur permettant de mener les politiques pour lesquelles elles ont été élues. Pour ce faire, il faut selon nous réviser non seulement la dotation globale de fonctionnement, mais également la fiscalité locale. Mais il nous semble aussi urgent de revenir sur la réforme des collectivités, qui conduit inexorablement à dévitaliser, au profit des intercommunalités et des régions, les échelons de proximité que sont les communes et les départements.

Nous partageons avec les auteurs du texte l’exigence de mise en œuvre d’une péréquation territoriale pour incarner le principe de solidarité et permettre l’égalité de tous devant les services publics. Il s’agit en effet d’un facteur de cohésion sociale sur l’ensemble du territoire. La péréquation doit toutefois se faire prioritairement par l’impôt. Il convient donc obligatoirement de revenir sur l’ensemble des cadeaux fiscaux accordés aux catégories les plus favorisées. Il est nécessaire de réorienter l’argent vers l’intérêt général.

Nous pensons qu’un changement politique majeur ne pourra s’engager sans un affranchissement préalable des contraintes insoutenables du traité de Lisbonne, qui enferme la France dans l’étau de l’austérité et d’un modèle économique ultralibéral.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Permettez-moi d’illustrer mon propos en m’appuyant sur quelques articles de la proposition de loi.

Concernant l’école, l’article 10 dispose qu’il est nécessaire de maintenir le nombre de postes d’enseignants et d’améliorer les conditions d’exercice de leur métier. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut des enseignants plus nombreux et mieux formés. Nous estimons également qu’il est nécessaire de reposer la question de la finalité de l’éducation. Cette dernière ne consiste pas seulement à favoriser une insertion des jeunes dans la vie professionnelle, uniquement dictée par le marché de l’emploi, elle doit surtout viser à l’épanouissement d’adultes en devenir, en pleine possession de leur citoyenneté.

La question du logement est également un révélateur important de ces dysfonctionnements puisque la formation d’un marché spéculatif nourrit chaque jour davantage l’exclusion sociale. Pourtant, l’Europe indique aujourd’hui qu’il faut en ce domaine limiter l’intervention de l’État et que le droit au logement doit être reconnu non comme un droit universel, mais comme une simple assistance aux plus démunis.

En matière d’agriculture, s’il est nécessaire d’encourager une transition écologique, comme le préconisent très justement les auteurs de cette proposition de loi, une politique forte doit être menée en direction des territoires et de la diversification des cultures. Surtout, il est indispensable d’instaurer une véritable régulation des prix et des échanges dans le secteur agricole afin de garantir des prix rémunérateurs.

Concrètement, tous les indicateurs confirment qu’il ne s’agit ni de réguler le capitalisme ni de l’accompagner, mais de sortir de la financiarisation de l’économie et, parallèlement, de dégager d’urgence de nouvelles ressources pour financer des politiques de progrès pour tous, ce qui ne consiste évidemment pas à répartir le poids de l’austérité imposée par l’Union européenne.

Bien entendu, nous souscrivons aussi à la volonté de combattre la désertification des services publics sur le territoire national, non seulement dans les zones rurales, mais également dans les zones urbaines, puisque, partout, des hôpitaux, des tribunaux, des bureaux de poste ferment.

M. le rapporteur proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Or l’expérience nous prouve qu’il s’agit là d’une impasse : les opérateurs ferroviaires de proximité, ou encore ceux des télécommunications, s’implantent prioritairement dans des zones rentables, laissant des pans entiers du territoire sinistrés. La question est donc bien celle de la conception même des services publics et de leur maîtrise publique.

À ce titre, tout le monde semble être d’accord pour moderniser l’État. Mais moderniser l’État, ce n’est pas l’amputer de ses missions pour confier ces dernières à d’autres échelons territoriaux ou au secteur privé ; c’est redéfinir l’intérêt de la nation et être capable de répondre concrètement aux besoins fondamentaux de nos concitoyens !

Moderniser l’État, c’est sortir du dogmatisme qui conduit à penser que le privé est toujours plus performant que le public.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Aujourd’hui encore, nous avons la démonstration que cette théorie n’est pas fondée. Les partenariats public-privé s’avèrent en effet, selon une étude récente, plus coûteux que les marchés classiques.

Pour porter un nouveau pacte territorial et républicain, il faut donc s’attaquer à la répartition des richesses entre revenus du capital et revenus du travail, sortir de la dictature de la finance et de la libéralisation de l’économie. Il faut notamment créer un pôle public financier pour mettre enfin les banques au service de l’économie réelle et des territoires.

Vous le savez, nous avons toujours considéré qu’il fallait poser la question du service public en termes de réponse à des besoins fondamentaux. Par exemple, s’il est évidemment nécessaire de disposer de structures de soins de proximité, il est tout aussi indispensable que le service rendu y soit de qualité et accessible, ce qui ne semble évidemment pas d’actualité aujourd'hui, puisque la loi HPST a supprimé toute référence à un service public hospitalier.

Nous proposons donc comme préalable à ce pacte territorial l’abrogation de la réforme des collectivités territoriales, celle de la RGPP ainsi que celle des lois de privatisation.

Parallèlement, nous proposons la modernisation de la décentralisation en fonction du principe de proximité, afin d’optimiser les décisions publiques dans le sens de la satisfaction de l’intérêt général. Une telle modernisation passe par une redéfinition des rôles respectifs de l’État et des différents échelons territoriaux en France et en Europe.

Au rapport d’autorité que l’État instaure avec les collectivités, et qui conduit à la défiance, nous voulons renforcer le développement des coopérations. L’autonomie des collectivités territoriales doit également être réaffirmée, la démocratie participative encouragée et accompagnée d’une réforme de la fiscalité locale mettant enfin à contribution les actifs financiers des entreprises.

Permettre une nouvelle répartition des richesses empreinte de justice et un nouveau partage des savoirs et des pouvoirs, réaffirmer au final la primauté du politique sur l’économique et des peuples sur les marchés, voilà notre projet politique ! C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le renvoi en commission du texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au début de mon mandat de sénateur, il m’est arrivé de me tromper de vote. Cette mésaventure m’a valu des sourires narquois et peu compatissants sur certaines travées. Je ne cache pas que, aujourd’hui, j’ai craint de m’être trompé à nouveau, non pas de vote cette fois, mais de lieu et de réunion.

J’avais tort : je suis bien au Sénat, et non pas dans une salle polyvalente.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. Nous sommes bien conviés à ce débat par un parlementaire du Massif central, et non par un député de la Corrèze !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Qu’on ne s’y trompe pas : nous avons affaire à une « vraie-fausse » proposition de loi…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

… et à un « faux-vrai » catalogue électoral, sur la forme comme sur le fond.

Je commence par la forme.

Je vous laisse bien évidemment la paternité des formules, toutes marquées par l’outrance verbale, comme le fait de livrer « les biens publics aux appétits marchands » ou « la comptabilisation indécente des différentes coupes budgétaires ». L’intérêt général, selon vous, ne guide plus l’action publique.

Mais qu’est-ce que l’intérêt général ? Et qu’est-ce que l’indécence ? Ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux n’est chose ni agréable ni facile, mais ce n’est pas indécent.

Réduire les retraites ou les salaires de 15 % à 20 %, comme le font aujourd’hui les gouvernants de Grèce, du Portugal, d’Irlande ou d’Espagne – pour la plupart socialistes –…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

… serait en revanche tout simplement indécent.

Il faut dire qu’ils n’avaient pas d’autre choix. À cet égard, prenons garde de ne pas être contraints un jour à des mesures que le FMI ou la Commission européenne nous imposeraient parce que nous ne les aurions pas prises nous-mêmes.

À titre personnel, je préfère l’homéopathie à la chirurgie ; à mon sens, l’intérêt général a tout à y gagner !

Les vingt-sept articles de la proposition de loi ne sont qu’un catalogue électoral. Vous le savez, la plupart d’entre eux sont dépourvus de portée normative : il en va ainsi de l’article 6, qui vise à mettre en place une conférence territoriale, de l’article 10, qui tend à élaborer un nouveau pacte éducatif ou encore de l’article 14, qui vise à instaurer un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique.

Ces vingt-sept articles forment un patchwork, pour ne pas dire un inventaire à la Prévert. À quand un vingt-huitième article prévoyant le retour des conseillers d’arrondissement institués par l’Assemblée constituante, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. … ou un article 29 revenant sur la suppression des sous-préfectures par Raymond Poincaré en 1926 ?

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Tout aussi surréalistes sont vos articles concernant la réforme territoriale ou la présence postale, qui ont donné lieu ici même à des dizaines, voire à des centaines d’heures de débats, et à des votes qui, certes, n’étaient pas conformes à vos vœux, mais qui, tout de même, étaient démocratiques !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Surprenants, enfin, vos propos sur les pôles de compétitivité, réalisations qui, à vos yeux, n’ont qu’un seul tort : celui d’émaner de la majorité. Qu’on le veuille ou non, ces pôles constituent, comme d'ailleurs les pôles d’excellence rurale, des sources de développement économique important. J’en fais le constat tous les jours dans ma région et mon département.

Parlons maintenant du fond.

Y aurait-il dans cette assemblée des purs, qui défendraient le service public et la ruralité, et des pervers, qui en feraient litière ?

Beaucoup des questions que vous posez sont légitimes. Acceptez toutefois que nos réponses puissent diverger.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. Le développement des territoires ruraux ne passe pas par le maintien sous perfusion financière d’« acquis territoriaux », comme il existe des « acquis sociaux ». En revanche, ce développement suppose la faculté, pour l’État, d’apporter des réponses adaptées aux besoins des territoires. La France rurale de 2011 n’est plus celle de Jules Méline : internet a remplacé le télégraphe Chappe !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Je ne prendrai qu’un exemple.

Dans un débat qui nous a beaucoup occupés, la réforme du service public postal, mon groupe avait déposé un amendement pour maintenir 17 000 « points de contact ». Certains sénateurs de l’opposition avaient alors dénoncé la suppression des bureaux de poste de plein exercice.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. Soyons inventifs et pragmatiques : s’il faut assurer une présence postale sur l’ensemble du territoire, peu importe qu’une mairie, un commerce ou un bureau de poste assure le service public, pourvu que la mission soit remplie !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Retirer un colis chez le fleuriste plutôt que dans un guichet jaune et bleu n’a pas de conséquence pour l’usager.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Je n’ai évidemment pas le temps de développer les vingt-sept articles qui nous sont proposés, mais les parlementaires avertis que vous êtes, mes chers collègues, savent bien que réunir dans un même texte hôpital, gendarmerie, poste, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Notre proposition de loi ne parle pas de La Poste !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

… fracture numérique et école n’a pas de sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. Ces débats ont eu lieu et ils auront lieu à nouveau, mais pas de cette façon !

Ah ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Voilà pourquoi le groupe de l’Union centriste votera pour la motion tendant au renvoi en commission de cette proposition de loi. Du moins, c’est une formule, car le vrai débat n’aura pas lieu en commission, il aura lieu ailleurs, dans moins d’un an, avec tous les Français.

Aux questions que vous posez dans cette fausse proposition de loi, les uns et les autres apporteront leurs réponses. À dix mois de cette échéance, il serait un peu présomptueux de votre part de penser que seules vos réponses auront la faveur de nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

M. Jean-Jacques Pignard. L’avenir n’est à personne a priori, ni à vous ni à nous ! Il sera à ceux d’entre nous ou d’entre vous qui prépareront la France de 2012 à affronter les défis de ce monde et la dureté de ce temps !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos territoires ruraux sont un atout pour notre pays, comme vient de le dire Mme la ministre. Notre proposition de loi part du même constat, mais elle en développe la conséquence logique : il faut donner à ces territoires les moyens de rester des atouts.

Cette proposition de loi aurait pu nous fournir l’occasion d’aborder de véritables problèmes de fond. Je regrette donc que la majorité la balaie ainsi d’un revers de main.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Sans nous faire aucune illusion sur le sort réservé à ce texte, comme d’ailleurs à la plupart des propositions de loi de notre groupe, nous espérions néanmoins susciter un débat sur les mesures concrètes proposées. Malheureusement, ce ne fut pas le cas en commission, et ce ne le sera pas non plus aujourd’hui dans cet hémicycle. Vous décidez de rejeter ce texte sans que nous puissions examiner avec attention les différents articles qui le composent.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Or je peux vous affirmer que nos propositions sont loin d’être marquées du sceau de l’archaïsme, bien au contraire ! Ce ne sont pas des déclarations d’intention, mais des propositions concrètes, relayant les attentes d’une majorité de Français et d’élus, en dehors de tout clivage politique.

Je ne vous cache pas que ma surprise a été grande de constater, en commission, à quel point nos approches divergent quant au fondement même de cette proposition de loi, qui est pourtant simple : qu’ils soient périurbains ou ruraux, les territoires rencontrent aujourd’hui des problèmes aigus, dus notamment à la désertion des services de l’État, et il faut y apporter des solutions.

Pourtant, le rapport de la commission indique que notre constat est « largement excessif et orienté », …

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

… que nous portons des accusations sans fondement, et que, « à la lumière du panorama » de la politique menée actuellement par le Gouvernement, notre analyse est fausse !

J’en viens à me demander si nous vivons sur la même planète.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Nos concitoyens doivent faire face à la fermeture d’hôpitaux, de maternités de classes primaires, de gendarmeries et aux différentes restructurations judiciaires ou militaires qui vident nos territoires. Allez leur demander si notre diagnostic est excessif !

Allez demander aux élus locaux qui doivent répondre aux besoins croissants de leurs administrés, notamment dans les zones rurales, avec des budgets de plus en plus contraints, si nos déclarations sont dénuées de fondement !

Allez demander aux petits commerçants et artisans situés en zone rurale si leur situation économique n’est pas dramatique !

J’imagine bien que ce refus de tout dialogue n’est pas étranger au fait que certaines échéances électorales approchent : ce sujet est trop brûlant. Il vaut mieux repousser le débat qui, je l’imagine, trouvera toute sa place, je l’ai entendu annoncer tout à l’heure, dans le futur programme présidentiel de la majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

J’espère bien que l’opposition abordera également ces questions !

Le rapport de la commission illustre parfaitement cette position : il critique longuement la forme de notre texte, mais se garde bien d’en aborder le fond. Il établit ainsi un catalogue à la Prévert des bonnes actions du Gouvernement en faveur de la ruralité, en oubliant soigneusement d’évoquer les effets dévastateurs de la RGPP, qui est menée parallèlement.

Or ces effets sont réels et notre analyse est très largement partagée par les élus, même parmi ceux de la majorité. J’en veux pour preuve la multiplication des rapports et les débats qui souscrivent à ce constat. J’en veux également pour preuve les séances de questions orales du mardi matin qui reflètent parfaitement le désarroi des élus de terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

J’en veux encore pour preuve la proposition de loi déposée le 15 février 2011 par une trentaine de députés de l’UMP « tendant à mettre en place un Plan Marshall pour la ruralité ». Son intitulé est plus qu’évocateur et son contenu symptomatique du malaise qui règne au sein même de vos rangs sur cette question, tout comme la décision de ne pas l’inscrire à l’ordre jour, d’ailleurs. Cette proposition de loi évoque bel et bien le désengagement de l’État de la politique d’aménagement du territoire, je vous l’assure !

Monsieur le rapporteur, je pense que notre constat n’est ni exagéré ni outrancier. Il est au contraire en phase avec les réalités locales et la crise que traversent actuellement nos territoires ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Vous nous indiquez que ce texte est prématuré.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Mais la situation est critique depuis de nombreuses années déjà, et il y a urgence ! Nous avons lancé le débat en janvier dernier ; maintenant, nous en venons aux propositions concrètes.

Face à l’aggravation des inégalités économiques, sociales et désormais territoriales, nous nous devons, en tant qu’élus de la République et représentants des collectivités locales, d’enclencher une nouvelle dynamique territoriale. La ruralité est, et doit rester, une chance pour notre pays, comme le démontre le vif regain d’intérêt des Français pour l’installation en zone rurale. La tendance démographique tend même à s’inverser : 75 % des cantons ruraux voient leurs populations augmenter et dix millions de Français aspirent à vivre en dehors des grands centres urbains.

Les pouvoirs publics doivent accompagner ce phénomène comme il se doit, en donnant réellement aux Français qui le souhaitent la possibilité de mener à bien leur projet de vie. Pour ce faire, nous devons mettre en place un nouveau pacte territorial. Nous devons restaurer et institutionnaliser le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, tant mis à mal ces dernières années.

Il nous apparaît également plus que jamais nécessaire d’assurer à nos concitoyens une organisation de l’offre de services publics, dans le respect d’un principe d’équité territoriale et de proximité. L’enjeu est crucial, car seul l’accès aux biens et services essentiels dans des conditions raisonnables permettra de maintenir les habitants sur un territoire et d’attirer de nouvelles populations.

Quand nous proposons de garantir un temps d’accès raisonnable aux services publics de santé, d’éducation et d’emploi, ce n’est par posture idéologique, mais bien par réalisme et par pragmatisme. Nous devons recréer les conditions d’égal accès des citoyens aux services publics sur l’ensemble du territoire. Sans infrastructures de transports adaptées, sans accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, sans soutien aux activités économiques locales, nos territoires, qu’ils soient ruraux ou périurbains, n’auront pas de perspectives de développement adaptées aux attentes des Français.

Mes chers collègues, je regrette profondément cette occasion ratée d’engager un débat de fond sur des mesures concrètes pour un développement harmonieux de nos territoires et une plus grande prise en compte des spécificités rurales ou périurbaines, qui, à bien des égards, souffrent des mêmes maux. La commission renvoie à plus tard l’examen de questions qui, de toute évidence, embarrassent la majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Vous nous affirmez qu’il faut attendre les conclusions des trois missions communes d’information en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

N’est-ce pas une façon de refuser la réalité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

D’ailleurs, les travaux menés par la mission d’information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux le confirment : la réorganisation des services déconcentrés de l’État inspire aux élus locaux et aux Français un profond « sentiment d’abandon ». L’addition des politiques sectorielles menées depuis plusieurs années se traduit par d’importants dégâts collatéraux en termes d’aménagement du territoire.

Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie ! Ces politiques privent nos territoires d’oxygène alors qu’ils ont besoin, au contraire, d’un nouveau souffle. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste estime urgent qu’un nouveau pacte territorial soit mis en place, un pacte territorial en phase avec les besoins de nos concitoyens et en phase avec les attentes des élus locaux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, « le nouveau pacte territorial », voilà trois mots qui sonnent harmonieusement à mon oreille et ont éveillé ma curiosité autant que mon intérêt !

Comment en aurait-il été autrement pour une élue locale d’un département classé « rural » ? Ce département, qui joue aujourd’hui la Belle au bois dormant, espère son prince charmant et se désespère de sa vie végétative ; ce département s’est piqué le doigt au fuseau ou au rouet des réformes combinées de l’État et des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Ce département jouit pourtant d’une richesse exceptionnelle, celle de ses femmes et de ses hommes, qui ont démontré depuis longtemps les valeurs fortes qui sont les leurs, qu’il s’agisse du travail, de l’engagement et de la solidarité. Malgré cet atout humain remarquable, voilà un département qui s’étiole et s’abandonne à une paresse maligne. Ce constat vaut, je le crois, pour d’autres départements ruraux.

La réforme de l’État, en resserrant le dispositif étatique sur le plan régional, en opérant, de fait, une « reconcentration », a singulièrement réduit la voilure des compétences du préfet de département : ses seuls vrais domaines d’action restent l’ordre public et la gestion de crise, les autres responsabilités étant dévolues à l’échelon régional.

Proximité, que n’a-t-on pas dit en ton nom pour te sacrifier sur l’autel de la RGPP !

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

La RGPP, fille de la LOLF, aurait pu être une réforme majeure si avait été respecté l’ordre naturel des choses : une réflexion initiale sur les missions régaliennes de l’État et sur l’organisation souhaitable pour répondre à sa vocation, suivie des aménagements budgétaires qui devaient en résulter. La démarche a été inverse, partant d’un budget contraint pour en déduire la réorganisation des services et des allégements de compétences, transférées aux collectivités locales, soumises, elles-aussi, on l’oublie trop, au diktat de la RGPP.

Comment ne pas illustrer ce constat par quelques mesures prises, certaines intempestivement, sans que nos collectivités soient vraiment consultées ?

La réforme de la carte judiciaire ? On constate tous les jours combien elle rend plus difficile la proximité entre le justiciable et le service public de la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

La réforme de la carte hospitalière n’a pas, jusqu’ici, apporté de solution au problème grave et récurrent de la désertification médicale.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

La réforme de la carte scolaire contreviendrait gravement à l’égalité de tous devant le droit à l’éducation, si les inspecteurs départementaux de l’éducation nationale et les recteurs ne s’étaient pas montrés très frileux, mais très pragmatiques, dans la mise en œuvre des mesures relatives à l’affectation librement choisie par les familles.

Je ne veux pas manquer d’ajouter à ces trois grandes réformes celles dont l’effet a été diversement ressenti sur nos territoires : je pense à la carte militaire, à la territorialisation de la gendarmerie, à la réorganisation de La Poste avec la réduction de son maillage territorial, à la mise en place chaotique de la couverture numérique.

Toutes ces réformes, ou toutes ces mesures, ont concrètement des conséquences lourdes sur le fonctionnement de nos collectivités, qui sont contraintes, peu ou prou, de compenser ce que ne fait plus – ou ne peut plus faire – l’État, ou ce qu’il ne fait plus que partiellement.

Les communes accueillent des « séances foraines » des tribunaux. Les établissements publics de coopération intercommunale financent des maisons médicales, qui, soit dit en passant, ne sont certainement pas la panacée. Les communes, les départements, les régions font des efforts importants pour améliorer partout l’accueil des élèves dans des établissements scolaires rénovés, disposant des meilleurs outils pédagogiques modernes, mais trop souvent manquant de l’essentiel : les enseignants.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

La Poste, malgré la récente convention nationale qui veut garantir une qualité de service maintenue sur tout le territoire, propose des mesures trop souvent économiques, au détriment du lien social qui avait fait sa force.

Et que dire de la couverture numérique encore inachevée qui fragilise les territoires en zone blanche et met à mal l’ambition d’inclusion aux techniques d’information et de communication que s’était donnée le Gouvernement ?

Tout cela pourrait être peu de chose si les collectivités étaient aujourd’hui riches des concours financiers auxquels l’État s’était engagé. Mais il n’en est rien : la progression de l’enveloppe normée indexée sur la moitié du taux de croissance, jusqu’ici inscrite, a été supprimée. L’enveloppe normée des concours de l’État a été figée, comme l’ont été les dotations de base – population et superficie –, comme l’ont été les dotations de compensation et de garantie – à moins qu’elles n’aient même été diminuées ! –, les dotations d’intercommunalité ont été gelées à leur niveau de l’an dernier ; seule la DGF a, légèrement, très légèrement progressé, de 0, 2 % !

Ces mesures sont venues s’ajouter à d’autres pertes de ressources fiscales directes déjà entérinées les années précédentes, comme le dégrèvement de 20 % de la taxe foncière sur le non bâti ou la contribution économique territoriale, qui a fait passer le pouvoir de modulation fiscale des départements de 36 % à 12 %.

Au regard de ces ressources en baisse, les dépenses sont en constante augmentation, des dépenses dues non pas à la « fantaisie » des collectivités locales mais à leurs obligations légales nées des transferts de compétences : je ne citerai sur ce point que les charges sociales qui pèsent sur les départements en matière de revenu de solidarité active, RSA, et d’allocation personnalisée d’autonomie, APA.

Ici, sur ces travées, à l’occasion des débats sur la réforme des collectivités territoriales ou sur les lois de finances, nous avons été nombreux à soulever toutes ces problématiques.

Loin de moi l’idée de nier l’action de l’État et de ne pas vouloir reconnaître des voies de progrès. Notre excellent collègue rapporteur de cette proposition de loi a souligné le côté excessif des critiques qui ont donné naissance à ce texte et s’est attaché à montrer toutes les voies de progrès : en matière économique, avec les pôles de compétitivité, les pôles d’excellence rurale ; en matière de maillage du territoire, avec le renforcement de la présence postale, les espaces multi-services, le schéma national des infrastructures de transport, le programme national « très haut débit » et de téléphonie mobile, la coopération sanitaire.

Mais j’ai beau vouloir écarquiller les yeux pour apercevoir les effets positifs de ces mesures qui toutes devraient concourir à un aménagement harmonieux du territoire, je ne vois pas grand-chose, et surtout pas le tableau idyllique, madame la ministre, que vous avez brossé !

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Permettez-moi d’illustrer mon propos par un incident très récent que les voyageurs du vol Paris-Rodez viennent de vivre : embarquement à l’heure et souriant sur le vol habituel qui ramène en Aveyron soixante-huit passagers environ ; ceintures bouclées, portes fermées… et contrordre : tout le monde descend, l’avion change de destination pour Barcelone ! C’est plus porteur, économiquement plus rentable.

Les Aveyronnais rentreront par Toulouse et seront acheminés en car à Rodez : cinq heures de voyage pour une heure normale de vol.

Il n’y aurait rien à dire ou presque s’il ne s’agissait que d’un phénomène ponctuel, mais voilà qu’il est régulier et répétitif.

Eh bien, ce cas concret vaut pour tout le reste : nous sommes enclavés, au sens fort du terme, et les serrures sont si dures à déverrouiller qu’aucune clé ne vient les ouvrir.

Même si, je veux bien l’admettre, les propositions de nos collègues comportent certaines imperfections et mériteraient certains aménagements, elles ont l’immense avantage de provoquer une prise de conscience et d’apporter des voies de réflexion qui conduiraient à fixer des principes fondateurs pour un aménagement du territoire respectueux de la diversité de sa géographie humaine, environnementale, économique et culturelle.

Je veux ici saluer l’initiative de mes collègues du groupe socialiste, les en remercier et leur dire l’intérêt que l’ensemble des membres du groupe RDSE porte à leur proposition.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’interroge sur la portée normative et législative du texte que nous examinons.

On y trouve en effet une succession d’articles, sous forme de pétitions et de principes, qui relèvent bien davantage de la motion que d’un texte de loi proposant des mesures directement applicables…

À la lecture de l’exposé des motifs, on perçoit d’emblée l’intention majeure des signataires, qui figure à l’article 8. Il s’agit purement et simplement d’instaurer un moratoire sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Or la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, présidée par François Patriat et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a clairement souligné l’unanimité qui s’est faite, parmi toutes les personnes auditionnées, autour de l’impérieuse nécessité pour l’État de se réformer.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Notre assemblée elle-même, à la suite des missions Mercier, Lambert ou plus récemment Belot, a mis l’accent sur la nécessité d’adapter l’organisation de l’État et ses interventions aux enjeux du XXIe siècle, en tirant les conclusions de la décentralisation, de l’intercommunalité et des nouveaux moyens de communication.

Oui, disons-le clairement ! Nous devions, nous devons et nous devrons encore nous poser la question de l’amélioration du service publique, de la rationalisation de son organisation, ou encore de la maîtrise de la dépense publique, trois objectifs au cœur de la RGPP.

Ce n’est pas le rapporteur de cette mission qui niera les difficultés que peuvent rencontrer les collectivités et les territoires, y compris en ce qui concerne les conséquences de la révision générale des politiques publiques.

Permettez-moi cependant de vous dire que vous gagneriez en crédibilité en ne faisant pas porter à la RGPP tous les maux dont souffre notre société.

La pénurie de médecins en milieu rural tient plus à l’évolution des aspirations de la profession et à sa sociologie qu’à la RGPP. La désertification de certaines zones a hélas débuté bien avant la RGPP.

Quant au remplacement de certains bureaux de poste par des relais tenus par des commerçants, ou des agences tenues par des mairies, ce système a bien davantage contribué à lutter contre la désertification et à améliorer les services à la population que le maintien en l’état ou je ne sais quel pacte que vous voudriez instaurer.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Croyez-vous vraiment que la fermeture de certaines perceptions ait perturbé le service public, alors que plus personne ne paye ses impôts en liquide et que, fort heureusement à l’heure de l’informatique, les liaisons avec les mairies peuvent aisément se dématérialiser ?

Quant aux agents eux-mêmes, souvent isolés et ne disposant pas de facilités d’organisation au sein d’unités trop petites, ils y ont gagné en qualité et en sécurité au travail.

Avez-vous à ce point une vision si étroite du service public pour le réduire au seul statut de ceux qui y contribuent ? La fermeture de la perception de mon canton n’a suscité aucuns remous, tout simplement parce que l’on ne s’y rend pas tous les jours. En revanche, les habitants de ma commune verraient dans la fermeture de la boulangerie ou de l’épicerie une grave atteinte, une grave régression du service rendu au public.

Venons-en maintenant au fond du problème. Oui, il est impératif non seulement d’améliorer le service public, mais aussi de faire des économies. Ce n’est pas facile à dire et encore moins à faire, surtout en période électorale. De ce point de vue, le calendrier que vous avez choisi pour déposer votre texte ne trompe personne, surtout pas celles et ceux à qui vous voulez vous adresser. Croyez-vous donc les maires et les grands électeurs si naïfs et si peu au fait de la situation de la France, de l’Europe et du monde ?

Comme souvent face à des difficultés, il y a deux attitudes possibles : trouver des solutions ou trouver des coupables. Vous avez opté clairement pour la deuxième.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Mais l’honneur du politique est de dire la vérité et de la regarder en face. La France ne peut vivre dans une bulle, et dénoncer la mondialisation n’y change rien.

Comment ignorer que tous nos voisins européens mettent en place des politiques de maîtrise de la dépense publique ? Sont-ils tous dans l’erreur ? Auriez-vous raison, mes chers collègues, contre l’Europe entière, y compris contre les grands pays dirigés par vos amis ?

Du temps où ils étaient au pouvoir en Angleterre, vos amis ont relevé l’âge de départ à la retraite que vous vous promettez de rabaisser en France ; ils ont gelé, voire baissé les salaires de la fonction publique et diminué le nombre de fonctionnaires de 300 000 personnes.

De son côté, le socialiste Zapatero a diminué de 5 % la rémunération des fonctionnaires et a engagé un plan de réduction des dépenses de 65 milliards d’euros, sans commune mesure avec notre plan.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

L’Allemagne de Schröder, bien avant la France, engageait un plan identique.

Le Portugal s’est, comme nous, engagé dans un programme de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, mais, à la différence de la France, il n’a pas redistribué la moitié des économies réalisées sous forme d’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

La maîtrise de la dépense publique n’est pas une option, elle est une nécessité vitale ! M. Migaud lui-même, Premier président de la Cour des comptes, ne déclarait-il pas la semaine dernière devant notre commission des finances : « Les efforts nécessaires vont au-delà des mesures déjà prises. L’essentiel du chemin reste donc à faire. » ?

On ne peut être plus clair, et je m’étonne donc de votre insistance à demander toujours plus de dotations d’État pour nos collectivités, dont le maintien même dépend très largement de la réforme de l’État que vous contestez.

Une mission du Fonds monétaire international s’est rendue du 31 mai au 14 juin 2011 en France. Elle a rendu ses conclusions et jugé adaptés la politique de relance française et l’effort de consolidation budgétaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Elle souligne l’importance de la réforme des retraites de 2010 et estime équilibré notre programme de stabilité adressé au début du mois de mai à la Commission européenne.

Et vous, pendant ce temps, vous ne proposez rien de moins que d’interrompre ce processus de modernisation de l’État qui conditionne la maîtrise de la dépense publique.

Les deux grandes erreurs de votre gestion, chers collègues, lorsque vous étiez aux affaires, furent précisément l’abaissement de l’âge de la retraite et la mise en place des trente-cinq heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Pourquoi n’avez-vous pas supprimé la loi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Et l’augmentation du chômage, ce n’est pas une erreur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

C’était assurément sympathique, mais cumulait le double inconvénient du manque de financement et de la marginalisation de la France par rapport à l’évolution du reste du monde.

Puisque vous vous placez sur le registre de la démagogie et de l’aveuglement à la veille des échéances électorales, faisant d’un moratoire sur les réformes un point de rupture entre nous, permettez-moi de vous dire ou de vous prédire – au cas où vous accéderiez un jour aux affaires – que vous aurez le choix entre, d’une part, laisser dériver la dépense, comme vous vous le promettez aujourd’hui, et avant trois mois notre notation se sera dégradée au risque de nous mettre dans la situation de la Grèce, et, d’autre part, renoncer à vos promesses démagogiques, vous exposant ainsi à la déception de celles et de ceux dont vous sollicitez les suffrages.

Oui, la RGPP doit se poursuivre ! Différemment, sans aucun doute, dans la méthode, car il convient d’ajuster son application en tenant compte des territoires et des priorités.

Je le dis franchement, madame la ministre, la RGPP a péché par défaut depuis son origine, car elle ne peut pas n’être que l’affaire du Gouvernement et de l’État. Sa réussite conditionne la place de la France dans le monde et, pour réussir, elle ne peut faire le jeu des uns contre les autres. C’est un enjeu national. Par conséquent, une RGPP équilibrée exige de la solidarité, du dialogue entre les partenaires, davantage de transparence et des évaluations plus régulières.

Vous avez fait le choix, dès le départ, de ne pas entamer la concertation avec les collectivités. On peut le regretter, mais il est à craindre aussi que, sans un certain volontarisme, nous n’aurions guère bougé.

À la décharge du Gouvernement, il faut rappeler que, sur des dossiers et des enjeux tout aussi importants qui auraient dû transcender nos clivages politiques, lorsque le Gouvernement en a appelé au consensus par le passé, le parti socialiste a préféré fuir les débats, qu’il s’agisse de la réforme des retraites ou du plan de relance lors de la crise, pour ne citer que ces seuls exemples.

Vous avez reconnu, chers collègues de l’opposition, partager le diagnostic et les propositions de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, mais vous avez préféré voter contre le rapport parce que le programme du Parti socialiste prévoit un arrêt de la RGPP.

Pour la majorité des sénateurs membres de la mission, les choses sont claires : nous devons poursuivre, sans pause ni moratoire, la réforme de l’État ! C’est pourquoi le groupe UMP s’associe à la motion tendant au renvoi à la commission de cette proposition de loi, qui fait le choix de l’immobilisme, à l’heure où la situation de notre pays appelle au sursaut.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Houpert

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Lozach a le grand mérite de parler de la ruralité, de la mettre en lumière, mais je crains cependant qu’elle ne fasse pas le bon diagnostic.

Traitons la cause, pas les conséquences. Arrêtons la politique du sparadrap et adoptons le bon traitement.

En réalité, la géographie française est en train de changer. Je suis maire d’une commune de 282 habitants et conseiller général d’un canton dont la densité est de six habitants au kilomètre carré.

Le problème de la ruralité, c’est qu’elle est à la fois trop loin et trop proche de la ville : trop loin, ce qui pose un problème de transport ; trop proche, parce que la matière économique reste captée par la ville.

La ruralité, je la connais, je peux en parler. Je ne suis pas allé à la maternelle, il n’y en avait pas. J’ai fait la communale dans mon village. Je suis allé au collège voisin. Il n’y avait pas de transports scolaires. Je suis allé ensuite à l’internat à Dijon, la ville voisine. Mon fils est aujourd’hui à la maternelle, laquelle n’existait pas à l’époque.

Nous accueillons des néo-ruraux qui, s’ils travaillent en ville, n’ont pas les moyens d’y vivre, car le prix du foncier et de l’impôt foncier y est trop élevé. Faisons en sorte que cet exode devienne un choix plutôt qu’une contrainte. Permettons au monde rural de les accueillir, de créer du lien. Créons un terreau fertile pour qu’ils puissent s’enraciner et sculpter leur poutre de vie. Avoir l’esprit « village », c’est vivre entre l’église et le cimetière, entre Dieu et les ancêtres. C’est le choix du bonheur, mais avec des contraintes.

Aujourd’hui, les territoires ruraux redeviennent attractifs, mais, plus encore, ils doivent devenir une destination de vie choisie pour s’épanouir et s’enraciner. Nos enfants à la campagne sont heureux. J’ai choisi d’y vivre pour que mes enfants connaissent le même bonheur que moi, celui de ne pas être anonyme, de pouvoir, comme je l’ai fait, construire des cabanes, avoir des souvenirs, des concentrés du temps passé, des souvenirs de chasse avec leur grand-père, de parties de pêche avec leurs copains, de refaire La guerre des boutons. Je peux vous assurer que, face aux divertissements modernes, ces plaisirs ne se démodent pas. Nos enfants ne sont pas devant la télévision. Ils explorent la nature et le réel.

La ruralité ne veut pas être la banlieue de la ville, le lieu du ban, du bannissement. La campagne française ne veut pas ressembler aux satellites de Brasília, qui accueillent les employés de la capitale.

Faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir vivre à la campagne plutôt que de fuir la ville. Pour cela, il faut des commerces de proximité, car les supermarchés des villes, véritables miroirs aux alouettes, ont vidé les campagnes des derniers commerces de proximité. Je sais de quoi je parle, moi qui suis fils d’un épicier de campagne qui a dû fermer son échoppe.

Que doit faire l’État ? Il doit faire en sorte que les gens puissent choisir la campagne autour de l’esprit « village ».

Créons des lieux de proximité, des commerces, des lieux de rencontre, créateurs de liens. Relocalisons l’économie dans les territoires afin d’éviter les mouvements pendulaires, matin et soir, ces déplacements ville-campagne, boulot-dodo !

Nos villages se transforment en dortoirs avec des volets clos la journée, où les gens n’ont pas le temps de s’intégrer. Aidons-les tous ensemble à s’enraciner dans ce terreau fertile. Je le répète : faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir à la campagne plutôt que de fuir la ville.

Mener une politique d’aménagement du territoire ambitieuse, c’est d’abord relocaliser l’activité. Les services publics viennent ensuite en soutien. Le rôle de l’État est de faciliter, d’accompagner, et non d’organiser. On est mieux aidé par son prochain que par le lointain. Les erreurs du passé en sont la preuve. Faire l’inverse, ainsi que vous le proposez, cher collègue, c’est mettre la charrue avant les bœufs, ou encore charger la mule de l’État.

Relocaliser l’économie et l’emploi, c’est ce que le Gouvernement s’emploie à faire : avec les pôles d’excellence rurale – 114 projets ont déjà été lancés et 108 millions d’euros investis ; avec les pôles de compétitivité, qui ont permis aux acteurs locaux et aux collectivités locales de travailler en partenariat autour de projets innovants ; avec le programme national « très haut débit », qui vise à couvrir tous les foyers d’ici à 2025 ; avec l’opération de financement de deux cents maisons de santé ; avec l’opération « Plus de services au public », expérimentée dans vingt-trois départements en vue de permettre la mutualisation de moyens entre partenaires tels que La Poste, EDF, la SNCF, Pôle emploi et bien d’autres ; ou encore avec le FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, pour les commerces de proximité.

Enfin, comment ne pas évoquer la réforme territoriale ? Il me semble que cette réforme permettra de gagner en efficacité. C’est une réforme de fond, importante.

Avec votre proposition de loi, monsieur Lozach, vous donnez à penser que la France est sous-administrée. C’est faux ! Au contraire, la réforme était nécessaire, car l’empilement des structures devenait insupportable. Cette réforme fait entrer la France et ses collectivités locales dans une géographie moderne.

Notre ambition n’est pas d’avoir des services publics en moins, mais en mieux.

La ruralité est raisonnable, elle le prouve ; les ruraux sont lucides, ils le prouvent.

Il est vrai qu’il reste encore du pain sur la planche. Les ruraux n’ont pas les mêmes besoins que les habitants des villes. Calquer le rural sur l’urbain serait une grave erreur.

Certes, la ruralité doit relever des défis qui lui sont propres : l’éloignement, les distances, l’isolement. De ce fait, les habitants des zones rurales doivent gérer leurs déplacements et ceux de leur famille pour se rendre sur leur lieu de travail, aller faire leurs courses, pour le transport des enfants. L’un des véritables enjeux, c’est la disparition des stations-services de proximité à cause du dumping des grandes surfaces, qui sont, elles, en ville.

Peut-être devrions-nous proposer un maillage plus fin de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui relève de la compétence des régions, un maillage plus adapté aux territoires ? Il faudrait en effet appliquer des taux plus faibles en zone rurale, quand la nécessité du déplacement fait loi.

Je souhaite une autre vision de la ruralité. Il ne faut pas penser la campagne sur le modèle de la ville.

Le problème en France est qu’il n’y a pas de salut hors de l’urbain. Pourquoi ne pas installer, à l’instar de nos pays voisins – l’Allemagne, les Pays-Bas –, nos maisons de retraite à la campagne, hors des murs, là où il y a de l’espace et où nos aînés peuvent se poser et se reposer ? À cet égard, je rappelle que le foncier représente 30 % du coût de la prise en charge de la dépendance.

La réforme de la carte hospitalière a été évoquée. Vous savez très bien, chers collègues, qu’on ne peut pas conserver des hôpitaux qui font la même chose partout, ce serait y perdre en qualité des soins. L’avenir est à la spécialisation des sites et au développement des télédiagnostics. Vous savez très bien, chers collègues de l’opposition, que ce qui a tué l’hôpital, ce sont les 35 heures que vous avez votées !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Houpert

La recherche d’économies budgétaires est en réalité une opportunité pour le monde rural.

Si injustice il y a, elle est dans le traitement des dotations de fonctionnement de nos intercommunalités. Faisons en sorte que les dotations globales de fonctionnement soient les mêmes qu’en ville. Là, nous ferons alors de l’aménagement du territoire.

Les campagnes connaissent un nouvel élan démographique : employées à la ville, les familles s’installent toutefois à la campagne. De ce fait, la contribution économique territoriale, qui est normalement le fruit du travail de ces employés, bénéficie aux villes. Cependant, les travailleurs ont des besoins sur leur lieu de vie. Les taxes d’habitation et les taxes foncières ne suffisent plus, seules, à financer les crèches et les écoles primaires.

Ainsi, dans mon département, une commune dont la population a doublé a été obligée de vendre le bâtiment de sa mairie pour financer l’agrandissement de son école.

De même, la ruralité doit s’adapter à la modernité en matière de transport. À la campagne, la voirie n’est plus adaptée, dimensionnée, pour accueillir les engins agricoles d’aujourd’hui et les poids lourds de demain, lesquels, grâce à leur GPS perfectionné, empruntent les voies communales pour gagner du temps et accroître leur rentabilité, mais c’est un autre problème.

Il est encore difficile pour une commune de réaliser un réseau d’eau et d’assainissement lorsque les habitations sont éloignées : le faible nombre d’abonnés rend l’amortissement impossible.

En réalité, la ruralité, aujourd’hui dynamique, doit être le creuset de nouvelles solidarités à construire et de nouveaux espoirs à faire naître.

Usagers et habitants de la ville et de la campagne, nous avons à construire le monde de demain : un monde équilibré, juste et équitable. Ce serait un signe de reconnaissance envers la ruralité, car la campagne parle. En effet, il ne faut pas remonter très loin dans nos arbres généalogiques respectifs pour y trouver des racines rurales.

C’est au nom de cette vision de la ruralité optimiste que je vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette proposition de loi, calquée sur un modèle urbain et un schéma du passé, et de faire en sorte que demain, dans nos villages, soit un jour de fête.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la description et sur les critiques faites par mes collègues Jean-Jacques Lozach, Renée Nicoux, Anne-Marie Escoffier et Bernard Vera, qui sont parfaitement justifiées.

Je dirai simplement à notre collègue Pierre Hérisson, avec qui nous travaillons bien en général dans le cadre de l’ANEM, l’Association nationale des élus de la montagne, dans l’intérêt des territoires ruraux les plus en difficulté, qu’il pratique la méthode Coué : tout va très bien !

En mai et en juin, j’ai envoyé trois cents questionnaires aux maires, aux conseillers généraux et aux conseillers régionaux de la Corrèze, qui m’en ont retourné une trentaine, bien documentés. J’ai également rencontré les élus qui ont bien voulu assister aux cinq réunions intercantonales que j’ai organisées. J’ai ensuite transmis la synthèse de ces travaux à M. de Legge afin qu’elle soit intégrée au rapport de la mission sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.

La réalité est bien différente de celle que vous décrivez, monsieur Hérisson. Le sentiment d’abandon et le désarroi des élus locaux sont profonds. Ils sont même réellement en colère en ce moment, car il leur faut délibérer sur le schéma départemental de coopération intercommunale dans un délai de trois mois – en Corrèze, les copies doivent être rendues le 9 août –, à la hussarde, comme ils le disent, et ce sans disposer des informations fiscales et financières ou concernant les transferts de compétences, alors qu’il y a fusion des intercommunalités et fusion ou disparition des syndicats intercommunaux. Pensez-vous que cela soit sérieux ?

Je puis vous dire que nos collègues élus ruraux sont dans la difficulté et qu’ils ne manqueront pas de vous dire, lors des prochaines élections sénatoriales, ce qu’ils en pensent !

Bravo ! s ur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Pour ma part, je centrerai mon intervention sur le développement économique, car nous ne pouvons pas nous contenter, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, de faire l’inventaire de ce qui ne va pas. Il nous faut aussi faire des propositions.

En matière de développement économique, les territoires ruraux ne doivent plus seulement être des fournisseurs de matières premières brutes non transformées, des exportateurs de leur jeunesse bien formée et des collecteurs d’épargne à destination des centres urbains, voire des centres de spéculation. Ils doivent être des territoires attractifs, qui valorisent leurs ressources naturelles et humaines grâce à des entreprises, des activités et des implantations industrielles, locales ou relocalisées, et qui génèrent sur place des emplois et de la valeur ajoutée.

Pour cela, ces territoires doivent disposer de services publics performants et adaptés aux situations locales. C’est pourquoi l’organisation des services hospitaliers et scolaires, notamment, doit être fonction des temps d’accès et doit tenir compte des particularités du relief, ainsi que des conditions climatiques.

De même, l’organisation des transports et des communications doit être adaptée aux densités plus faibles. L’accès au très haut débit, indispensable, doit assurer la couverture effectivement universelle du territoire, mesurée à l’échelle de chaque commune et financée, comme nous le proposons, par une contribution des opérateurs de jeux en ligne. Mais l’horizon 2025 dont vous nous parlez, madame la ministre, est bien lointain…

Pour favoriser le financement des projets, nous proposons la mobilisation de l’épargne locale par la mise en place d’un dispositif inspiré de la législation américaine dite Community Reinvestment Act, qui date de 1974. Vous nous dites aujourd'hui que cela n’est pas conforme au Small Business Act. Voilà le paradoxe d’une Europe qui est plus libérale que le plus libéral des États du monde, qui n’est même pas capable d’adapter ses directives pour faire face à une libéralisation, à une dérégulation et à une spéculation qui sont en train de ruiner notre continent ! Sachez que nous lutterons contre cela !

Notre proposition vise à améliorer la transparence des établissements bancaires en les obligeant à publier les données relatives aux volumes d’épargne collectée et de crédits consentis dans chaque canton. Au sein du canton dont j’ai été la conseillère générale pendant onze ans, j’ai maintes fois constaté que le montant de l’épargne déposée chaque année auprès des établissements de crédit était infiniment supérieur à celui des prêts octroyés : de l’ordre de vingt fois pour ce qui concerne une caisse locale d’un organisme bancaire mutualiste agricole bien connu, sans compter les autres banques comme la Caisse d’épargne ou la Banque postale…

Pour des projets solides, les ressources locales de financement existent donc. Mais nous connaissons tous les difficultés rencontrées par les porteurs de projet pour obtenir un prêt auprès des banques, qui exigent de nombreuses garanties, comme je dis familièrement : ceinture, bretelles et parapluie !

La loi doit prévoir qu’une quote-part de l’épargne locale soit réinvestie sur place.

Par ailleurs, afin de favoriser la création de TPE et de PME, et afin de permettre la conversion écologique de l’industrie et la structuration de filières stratégiques, nous proposons de créer une banque publique d’investissement, elle-même déclinée au niveau territorial en fonds régionaux d’investissement, qui seraient mis en place par les conseils régionaux sous forme d’emprunts obligataires, et destinés au financement des projets émanant des territoires. L’exemple existe, puisque le Limousin vient de mettre en place ce dispositif.

Un autre levier d’action serait de favoriser localement l’accès à la commande publique. Nous proposons de réserver un quota minimum d’achats par la puissance publique locale aux petites et moyennes entreprises locales, notamment dans le domaine des marchés alimentaires, pour favoriser les circuits courts de distribution de produits agricoles. Cela figure d’ailleurs dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

La sécurisation de l’avenir professionnel des personnes actives essentielles au tissu économique du monde rural est également très attendue. C’est pourquoi nous proposons la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs, ainsi que la mise en place d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints, chacune délivrant, sur la base de cotisations volontaires, une « allocation rebond » en cas de défaillance de l’entreprise ou de l’exploitation. Dans la situation de crise que connaît actuellement l’agriculture, tout particulièrement l’élevage, qui peut nier l’utilité d’une telle mesure, sachant le nombre d’agriculteurs d’ores et déjà inscrits au RSA ?

De plus, nous souhaitons que le FISAC, le Fonds d’intervention pour le commerce, l’artisanat et le commerce, puisse soutenir le secteur de la petite hôtellerie rurale et serve à financer des conventions de commerce et d’artisanat, l’aspect multifonctionnel de ces activités étant un facteur essentiel de leur attractivité en milieu rural.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’ai pas le temps de terminer mon propos, mais je souhaite toutefois attirer votre attention, madame la ministre, ainsi que celle de M. le ministre de l’agriculture, sur les perspectives financières pour la période 2014-2020 qui sont en cours de négociation à Bruxelles, et sur les inquiétudes relatives à une possible nouvelle coupe dans les crédits du développement rural, qui ont déjà été amputés de 35 % sur la période 2007-2013.

Si cela s’ajoutait à une diminution des fonds structurels, ce serait dramatique pour nos territoires ruraux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi aujourd’hui en discussion devant la Haute Assemblée aurait mérité mieux que le sort que la majorité lui réserve. Ce texte s’adresse à plus de 30 000 communes françaises – rien que cela ! – et à ce titre il aurait pu donner lieu à un débat d’idées, arguments contre arguments. Ce débat n’aura pas lieu. Dont acte.

La motion tendant au renvoi à la commission annoncée remet en cause le constat dressé pourtant par de très nombreux travaux réalisés notamment dans le cadre des missions d’information ou des délégations.

Au fil de ces rapports, cités pour certains dans l’exposé des motifs, un sigle revient de façon récurrente : la trop fameuse et déjà tristement célèbre RGPP, la révision générale des politiques publiques, que certains ont rebaptisée plus justement – comme l’a fait Jean-Jacques Lozach – « raréfaction générale des politiques publiques » !

La récente conclusion de la mission qui lui a été consacrée, présidée par notre collègue François Patriat, a ainsi montré que, pour plus de 80 % des élus interrogés, elle est source d’éloignement des services publics et de moindre efficacité.

Pour nous qui proposons ce texte aujourd’hui, le constat est sans appel : la France vit une vente à la découpe de ses services publics !

Quelle nostalgie pour les plus anciens de ce monde où les services publics irriguaient les campagnes ! Nostalgie d’une époque où existait un dialogue de proximité entre les services de l’État et les élus locaux, proximité aujourd’hui disparue. Bien sûr, les temps changent, les techniques bouleversent les habitudes, les attentes et les modes de vie évoluent. Mais n’en demeure-t-il pas moins essentiel de garantir à nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la ruralité, un socle de services publics garantissant l’équité territoriale ?

L’État doit reprendre toute sa place dans nos territoires ruraux !

Je prendrai l’exemple de l’ingénierie publique.

Moteur du développement des collectivités, l’ingénierie publique est au cœur des programmes locaux en matière d’aménagement, de voirie et d’assainissement, pour ne citer que les principaux. Elle contribue à alimenter les carnets de commandes des entreprises.

Là encore, au fur et à mesure de mes travaux, j’ai croisé le chemin de la RGPP, qui, pour des considérations essentiellement financières, allait porter le coup de grâce à l’ingénierie publique d’État, celle des anciennes et mythiques DDE et DDA. Ainsi, au 1er janvier 2012, les services de l’État n’exerceront plus aucune mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’œuvre en dehors du conseil apporté dans le cadre de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, ou ATESAT.

Cette cassure brutale, dans laquelle la notion de concurrence est devenue la référence absolue, le nouveau Dieu, laisse nombre de maires ruraux face au sentiment de vide et d’abandon.

Pourtant, la multiplication des lois et des normes, la complexification technique et juridique des dossiers, la prise en compte des orientations de développement durable, la multiplication de projets qui abordent les nécessaires aspects de gestion et de maintenance exigent une ingénierie de plus en plus performante, seule garante d’une bonne élaboration de dossiers et d’une exécution de travaux de qualité.

Le risque que les prestations intellectuelles ne soient soumises qu’à la seule loi du marché et de la concurrence, sans aucune référence à des missions de service public, se rapproche, les dangers représentés par la perte de la mémoire et de la connaissance du terrain local sont perceptibles. Apparaît en outre la difficulté de trouver un modèle économique viable pour les prestations en faveur de petites communes dans des territoires peu denses. Apparaît également, à un autre niveau, le danger constitué par la perte de compétences de l’État dans notre pays, où ont pourtant émergé de grands groupes mondiaux privés de travaux publics.

Face à de tels constats, quelles réponses ? L’État ne peut se cacher derrière une ATESAT très inégale dans le pays, et certainement menacée d’extinction par une nouvelle étape à venir de la RGPP.

Un certain nombre de départements ont créé des agences départementales pour palier cette disparition de l’État.

L’idée est celle de l’organisation d’une expertise mutualisée au niveau du département afin de permettre l’exercice d’une mission de service public par des collectivités territoriales et pour elles seules, sans mise en concurrence, mais dans le strict respect des règles communautaires. C’est ce qu’on appelle une solution in house.

Mais n’est-ce pas en réalité un transfert de compétences déguisé et non compensé vers les collectivités ? Pour être mené à bien sûr tout le territoire, celui-ci a besoin d’un soutien de l’État. C’est le sens de l’article 26 de la présente proposition de loi, qui était d’ailleurs demandé par la majorité des associations auditionnées.

L’ingénierie publique de demain appartiendra aux collectivités territoriales ou disparaîtra. Le rôle de l’État, à travers son réseau scientifique et technique, demeure indispensable et déterminant. L’État prestataire s’éteint progressivement quand s’affirment ses missions d’impulsion, d’animation et de contrôle. La mission de l’État expert, dans un contexte d’ouverture aux collectivités, est un fondement indispensable pour cette nouvelle ingénierie publique que les élus espèrent et attendent à côté de l’ingénierie privée.

Je conclurai en vous invitant, mes chers collègues, à méditer sur cette citation de Paul Valéry : « Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi par M. Hérisson, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial (541, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a la réputation – et je ne crois pas qu’elle soit usurpée – de travailler sérieusement le fond des dossiers dont il se saisit. Aussi, ce n’est pas à la légère que son bureau a décidé, il y a environ six mois, de créer les trois missions communes d’information que j’ai déjà évoquées : celle sur l’organisation territoriale du système scolaire, celle sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités locales et les services publics locaux, et celle sur Pôle emploi.

Je relève au passage que la présidence de chacune de ces trois missions a été confiée à un membre du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

L’opposition sénatoriale ne peut donc pas se plaindre d’être ignorée par la majorité !

Lorsqu’elle s’est réunie la semaine dernière pour examiner cette proposition de loi, la commission de l’économie n’avait encore connaissance d’aucune des conclusions de ces trois missions communes d’information. Or les sujets traités par celles-ci recoupent largement ceux abordés par la présente proposition de loi. La commission a donc jugé nécessaire de se donner davantage de temps, afin de pouvoir prendre en compte leurs travaux. C’est pourquoi elle vous propose, mes chers collègues, d’adopter une motion de renvoi à la commission.

Je sais que d’aucuns objecteront que les rapports de deux de ces trois missions communes d’information viennent tout juste de paraître. Il n’en reste pas moins – et c’est ce qui importe – qu’ils n’étaient pas disponibles en temps utile, c’est-à-dire au moment où la commission à dû se prononcer sur le texte.

Je n’ai pas eu matériellement le temps de lire ces rapports, qui sont plutôt volumineux, puisque celui de la mission sur la RGPP compte 558 pages, réparties en deux tomes, tandis que celui de la mission sur le système scolaire compte 516 pages, également en deux tomes.

Néanmoins, en parcourant le premier tome du rapport sur la RGPP, j’ai aussitôt été frappé par les propositions faites par la mission, qui sont bien mises en évidence. Au nombre de quarante-neuf, ces propositions méritent d’être étudiées en détail. Plusieurs d’entre elles pourraient justifier l’adoption de dispositions législatives. C’est donc à bon droit que la commission de l’économie vous demande un délai d’examen supplémentaire.

De même, un coup d’œil rapide au premier tome du rapport de la mission sur l’organisation du système scolaire m’a permis de me rendre compte que celui-ci comporte des propositions visant à mieux déployer l’offre éducative territoriale. Et nous ne savons pas encore ce que nous réserve le futur rapport de la mission sur Pôle emploi !

C’est donc sans aucun état d’âme que je vous soumets cette motion de renvoi à la commission. Discuter dès aujourd’hui le dispositif de cette proposition de loi relèverait d’une certaine incohérence dans l’organisation de nos travaux. Cela signifierait que l’on considère comme quantité négligeable les analyses et les propositions élaborées par trois missions communes d’information du Sénat. Ce n’est pas de cette manière que la Haute Assemblée a l’habitude de travailler.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Bel, contre la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons n’est pas – c’est le moins que l’on puisse dire – un sujet abstrait. Nous ne discutons pas du sexe des anges. Il s’agit d’une question d’une grande actualité, qui est tout à fait essentielle pour la cohésion sociale dans notre pays.

Aujourd'hui, nous assistons d’abord à une crise structurelle, liée à la fragilité de certains de nos territoires. Elle est renforcée par la crise financière, mais également par les réformes inéquitables qui frappent ces territoires.

Débattre de tels sujets est, je crois, la mission du Sénat. Avec cette proposition de loi, nous sommes donc au cœur de nos compétences législatives et de notre rôle de représentants.

Pour ces raisons, la demande de renvoi en commission, qui vise à obtenir un délai supplémentaire – c’est en tout cas l’argument qu’on nous avance, même si, pour notre part, nous avons quelques doutes –, est inappropriée. Je dirais même qu’elle est incongrue, car il ne faut pas esquiver les enjeux.

Le Sénat aurait tort de craindre le débat sur un sujet qui le concerne au premier chef. Il ne faut pas démissionner et fuir nos responsabilités en renvoyant, sous les divers prétextes que vous avez invoqués, l’examen de cette proposition de loi à des jours meilleurs, dont on se demande d’ailleurs quand ils seront véritablement meilleurs…

Mes chers collègues, comme cela a été souligné tout à l’heure, nous assistons aujourd’hui à un véritable « malaise des territoires ». D’ailleurs, nous le vivons au quotidien, et les manifestations sur le terrain en sont nombreuses.

Il suffit de vivre dans les territoires – nous y vivons comme vous, quoique vous en disiez ! – pour constater la constante dégradation des services publics, qui donne aux habitants le sentiment d’être abandonnés par ce que certains des plus illustres responsables de notre pays ont qualifié de « France d’en haut » !

Police, gendarmerie, écoles, hôpitaux, médecins généralistes, service public postal… la liste est longue, et pourrait facilement être allongée encore. Et nos concitoyens voient bien que plus aucun service public n’est à l’abri des réductions de moyens, voire des fermetures. Le résultat serait catastrophique ; nous pourrions voir se créer de véritables déserts territoriaux délaissés par la puissance publique.

C’est aussi notre ruralité qui traverse une crise profonde ; nous devons en être conscients. Depuis le début du siècle, elle est exposée à des défis substantiels.

Il y a d’abord le défi économique, face à la tendance accrue à la concentration des activités autour des grands pôles urbains, dans le contexte d’une politique agricole commune à l’avenir incertain.

Il y a ensuite le défi de l’aménagement du territoire et des services publics, dans un contexte de rareté budgétaire qui induit le risque d’abandonner des pans entiers de notre territoire, plus que jamais condamnés à devenir le « désert français ».

Il y a enfin le défi démographique, avec la nécessité de demeurer attractifs pour attirer de nouveaux habitants. C’est notre obsession dans nos départements !

Face à cela, ni la justice territoriale ni les mécanismes de péréquation ne sont au rendez-vous. Les espaces ruraux, tout comme les banlieues des grandes villes se sentent souvent relégués et oubliés par les discours politiques, mais surtout par les politiques publiques qui sont mises en œuvre concrètement depuis plusieurs années.

En outre, la désindustrialisation touche notre pays dans son ensemble et menace le « site France ». Elle frappe d’abord, et de plein fouet, des territoires qui cumulent déjà les difficultés et les handicaps : enclavement, éloignement par rapport aux grands centres de décision, perte historique de bassins industriels traditionnels dans la sidérurgie, le textile ou les papeteries…

Et aujourd’hui, on ne fait pas grand-chose pour accompagner ces territoires. Aucun dispositif spécifique, aucun volontarisme renforcé n’a été mobilisé à leur service.

D’aucuns ont également évoqué la réforme des collectivités territoriales. C’est une réforme ratée, qui, loin de simplifier, complexifie encore un peu plus le paysage institutionnel et administratif de la France. Il faudra la reprendre de fond en comble à partir de 2012, car elle ne fait que brouiller les cartes !

Le malaise des territoires est également accru par la récente réforme des finances publiques locales, avec la suppression de la taxe professionnelle, qui a plongé les élus locaux dans le désarroi et la perplexité. Cette suppression a été engagée dans la précipitation, en laissant les collectivités préparer des budgets dans l’incertitude la plus grande, sans aucune visibilité sur les mécanismes à venir, ni sur les modalités de compensation.

Dans un contexte économique général difficile, ce type de réformes fragilise un peu plus encore les collectivités, dont il faut pourtant souligner qu’elles votent des budgets en équilibre et qu’elles sont responsables des trois quarts de l’investissement public.

Les effets de cette réforme sont bien connus, à commencer par la perte d’autonomie fiscale, alors que la Constitution en fait un critère essentiel de la libre administration des collectivités territoriales. Les collectivités sont ainsi placées devant une alternative aussi simple que brutale : soit elles veulent maintenir leur niveau de recettes, et elles devront alors procéder à des augmentations spectaculaires des impôts locaux pesant sur les ménages – dans le contexte actuel, c’est évidemment impensable –, soit elles devront réaliser des coupes brutales dans les services rendus à la population, qui sont pourtant plus que jamais nécessaires en termes de protection et de solidarité.

Et puis, vous le savez, tant la réforme territoriale que la réforme des finances publiques locales se sont déroulées dans un climat permanent de méfiance envers les élus locaux. J’en veux pour preuve le discours incessant de stigmatisation dont les élus locaux font l’objet.

C’est la conjugaison de tous ces éléments que nous appelons le « malaise des territoires ». Et c’est pour apporter des réponses concrètes et crédibles à ce malaise que notre groupe a travaillé sur la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial.

À cet égard, je souhaite rendre hommage à nos collègues Jean-Jacques Lozach, Renée Nicoux et Didier Guillaume, ainsi qu’aux autres auteurs de la présente proposition de loi, auxquels tous les membres du groupe socialiste ont souhaité s’associer.

Nous partons d’un constat simple et désolant : depuis plusieurs années, des territoires ont été tout simplement exclus des préoccupations publiques, qu’il s’agisse des zones les moins densément peuplées ou des zones périurbaines, qu’il ne faut pas oublier.

La ruralité, notamment, est absente du débat public. Lorsqu’elle est abordée, c’est sous l’angle de l’agriculture, qui est ô combien importante et qui traverse une crise sans précédent, mais qui ne résume pas à elle seule l’ensemble des problématiques auxquelles la ruralité est confrontée.

Les travaux des socialistes ont donc abouti au concept de « bouclier rural », qui comporte plusieurs volets, notamment l’instauration d’un temps d’accès maximum aux services publics, la mise en place d’une véritable couverture numérique universelle pour lutter contre la fracture numérique, l’instauration de conditions équitables de développement économique pour les entreprises et les collectivités territoriales – c’est très important –, via la création de zones de développement économique rural, et le soutien à la création d’entreprises, dans les commerces de proximité, l’artisanat, ou encore les services.

Ce bouclier rural doit non seulement protéger, mais également permettre de revitaliser les zones rurales et de retisser du lien entre les territoires urbains et les campagnes qu’il ne faut pas opposer, par le biais d’une plus grande solidarité.

Au Sénat, notre groupe a souhaité continuer la réflexion et faire de nouvelles propositions. En effet, la ruralité est au cœur de nos préoccupations.

C’est pourquoi nous avons souvent interrogé le Gouvernement. Je me souviens par exemple de la question intitulée « La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires » que notre collègue Didier Guillaume a posée à M. Bruno Le Maire.

Nous avons dénoncé le désengagement flagrant de l’État et souligné le rôle irremplaçable des collectivités territoriales dans l’animation des territoires, en insistant sur la chance que représentent les zones rurales pour l’équilibre de notre société.

De même, notre collègue Jean-Jacques Lozach – Mme Escoffier y a fait allusion – a déclaré : « Toute forme de recentralisation des fonctions collectives est préjudiciable aux intérêts de la ruralité, car elle appauvrit une relation de proximité, par exemple entre les services déconcentrés de l’État et les citoyens ou entre les élus et les citoyens ».

Au cours de ce débat, nous avions pu constater que les inquiétudes étaient partagées quelle que soit la sensibilité politique. Nombreux sont aujourd’hui les élus, notamment dans la majorité – nous les croyons sincères –, à regretter l’abandon des territoires ruraux et les relations de défiance qui se sont instaurées entre l’État et les collectivités territoriales.

Nous avons donc souhaité aller plus loin. Nous avons entendu – cela a été rappelé – de nombreux représentants des élus locaux, qui nous ont fait part de leur point de vue sur la manière dont vous traitez les territoires. C’est sur cette base que nous avons finalisé une série de propositions à la fois ambitieuses et réalistes.

En premier lieu, nous proposons une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Restaurer les liens de confiance entre l’État et les collectivités, n’est-ce pas là une impérieuse nécessité ?

C’est pourquoi nous proposons un dialogue, qu’il faudra reprendre, institutionnalisé et plus régulier, mais aussi la mise en place d’outils de contractualisation, comme les contrats ruraux de cohésion territoriale.

En second lieu, nous voulons une nouvelle organisation de l’offre de services publics dans le respect de deux principes qui ont été énoncés, mais qui sont aujourd'hui méconnus : l’équité territoriale et la proximité.

Aujourd’hui, la réforme et la modernisation des services publics se résument en quatre lettres, « RGPP », pour révision générale des politiques publiques. En lieu et place d’un ambitieux plan de réforme, il s’agit en fait de l’application dogmatique du non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite dans les services de l’État et d’une restructuration purement comptable des moyens judiciaires, pénitentiaires, hospitaliers, militaires, scolaires... Bref, ce n’est pas un projet auquel nous avons envie d’adhérer. C’est une simple coupe budgétaire, sans vision d’ensemble de ce que doit être demain le service public, même si nous savons, nous aussi, qu’il doit évoluer.

C’est pourquoi, je veux le dire et le répéter avec force, nous demandons un moratoire sur la RGPP !

Dans un souci de proximité, nous proposons d’instituer un temps d’accès maximum aux principaux services publics comme la santé ou l’éducation. C’est ainsi que nos concitoyens, où qu’ils vivent, pourront accéder de manière égale aux services auxquels ils ont légitimement droit. La République, la Constitution reconnaissent l’égalité de tous les citoyens !

Par ailleurs, nous prônons un aménagement équilibré de l’espace, un développement des possibilités de mobilité et de communication et un encouragement – c’est difficile à obtenir, mais il faut y travailler – du développement économique.

Comme vous le savez, la ruralité est un formidable atout pour notre pays. Actuellement, on décèle déjà des phénomènes significatifs – je le constate dans mon département – de « retour à la campagne ». Je suis convaincu que nous devons accompagner cette tendance de fond. Il est donc nécessaire de nous aider à maîtriser le foncier et à mener une politique volontariste de désenclavement physique et numérique des territoires les plus reculés.

L’État doit aussi assumer une fonction redistributrice en veillant au maintien des capacités locales d’animation et d’expertises, qui sont nécessaires pour mener à bien des projets d’aménagement urbain ou de développement économique, et en mettant en œuvre les mécanismes de péréquation, si nécessaires pour permettre aux collectivités territoriales d’assumer leurs missions.

Nous le voyons, les enjeux sont nombreux et, pour tout dire, immenses. Pour nous, il ne s’agit pas d’un sujet abstrait : ce sont des visages, ce sont des femmes et des hommes qui vivent sur des territoires !

Notre pays a besoin de renouer avec une ambition d’aménagement du territoire, comme ce fut le cas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi, en un sens, ce que le général de Gaulle a su mettre en œuvre avec Olivier Guichard à une certaine époque.

Il nous faut une vision stratégique et des outils concrets au service d’une telle ambition pour préparer l’avenir.

Notre surprise est grande aujourd’hui de voir comment ce sujet est traité. En effet, on nous oppose en séance une motion de procédure qui empêche l’examen du contenu de notre proposition de loi.

Je veux le dire avec gravité, cette pratique va à l’encontre de l’initiative parlementaire, de l’idée généreuse d’accorder un espace à chaque groupe afin que nous puissions examiner jusqu’au bout, articles y compris, les textes déposés par les uns et par les autres. Cette pratique, qui oppose en réalité une fin de non-recevoir à toutes nos propositions, est d’autant plus regrettable que la Haute Assemblée a en particulier le devoir de se préoccuper des questions relatives aux territoires.

Ce qui nous est proposé, ce n’est pas de repousser les délais, mais c’est bien d’enterrer tout simplement cette intéressante proposition de loi, sous prétexte d’attendre de nouveaux rapports. Il y a déjà eu tellement de rapports !

Notre proposition de loi s’appuie, elle-même, sur de nombreux rapports. Je pense à celui d’Yves Daudigny sur l’ingénierie publique, à celui de Jacqueline Gourault et de Didier Guillaume, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la rénovation du dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, ou encore à celui de Michèle André sur la RGPP dans les préfectures et la mise en péril de la qualité du service public.

Qu’attendons-nous de plus ? Les arguments qui nous sont opposés ne sont que des prétextes pour masquer les insuffisances de la politique menée et pour esquiver un débat dont nous savons bien qu’il est essentiel pour l’avenir de notre République décentralisée.

Dans ce contexte, je regrette profondément que des arguments de procédure interdisent un véritable débat de fond.

C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j’ai l’honneur de demander le rejet de la motion de renvoi à la commission qui nous est présentée.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Le Gouvernement est favorable à la motion de renvoi à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que le Gouvernement est favorable à cette motion.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici le résultat du scrutin n° 257 :

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales, présentée par M. Robert Navarro et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 251 rectifié, rapport n° 657).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’aurons sûrement pas le temps d’aller au bout de ce débat. Je préviens donc mes collègues qui n’auront pas l’occasion de s’exprimer aujourd'hui sur ce texte que j’en demanderai de nouveau l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux dès la prochaine rentrée parlementaire.

Je suis ici, devant vous, pour vous proposer de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est historique. Il est unique depuis 1951.

Vous le savez, je suis du Languedoc-Roussillon. Certains ici sont de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque. Oui de France et d’outre-mer, nous sommes les enfants de nos régions !

Ici, à mon pupitre, en observant cette diversité, je regarde l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo. Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment aujourd’hui ne pouvons-nous pas songer aux tranchées de 14-18, à tous ces soldats qui se retrouvaient après l’assaut meurtrier du soir autour d’une soupe claire, autour d’un patois ?

Pouvons-nous aujourd’hui dire, en cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Les langues régionales sont le corps de notre nation. Je suis ici devant vous pour les défendre, pour leur donner vie dans notre République une et indivisible mais riche, tellement riche de sa diversité.

Pour que ce texte arrive devant vous, le parcours a été long. Il a fallu du courage à beaucoup de mes collègues et à moi-même pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette assemblée.

Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes. Je suis ici devant vous pour vous demander de dépasser les clivages politiques traditionnels, pour vous dire que les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Les langues régionales sont au cœur de notre identité républicaine. C’est dans cette diversité que nous trouvons notre unité. L’Académie française l’a si bien rappelé en proclamant : « Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. […] Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre nation. »

Ces réalités, ces sensibilités avaient déjà été évoquées par Voltaire : « c’est le peuple ignorant qui a formé les langages », a-t-il écrit. Gardons notre sang-froid.

En donnant sa vraie dimension aux langues régionales, en leur donnant leur vraie place, nous ne mettrons pas à bas l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, signée par François Ier, et qui a imposé le français comme langue du droit et de l’administration en France. Examinons ici, dans cette enceinte, notre histoire avec lucidité.

Depuis 1539 et pendant trois siècles, le français est resté minoritaire. Dans son rapport de juin 1794, l’abbé Grégoire a révélé qu’on ne parlait exclusivement le français uniquement dans environ quinze départements sur quatre-vingt-trois à l’époque. Oui, au temps fort de la Révolution, seuls 3 millions de Français sur 28 millions parlaient la langue nationale.

Pourtant, la République fut proclamée. Pourtant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fut rédigée. Si je suis ici devant vous, c’est aussi pour rappeler que nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Je veux croire qu’aujourd’hui nous pouvons dépasser le clivage droite-gauche sur ce sujet majeur et dessiner une nouvelle majorité pour ne pas sacrifier ce patrimoine menacé de disparition.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est nécessaire et utile à notre pays.

En France, les langues régionales n’ont toujours pas de véritable statut juridique. À court terme, les langues régionales parlées dans notre République sont menacées : si nous n’agissons pas, nous serons responsables de cette perte de patrimoine, de notre richesse, de notre diversité. La diversité, ce n’est pas seulement les espèces végétales ou animales, c’est aussi le patrimoine immatériel.

Les responsables politiques que nous sommes ont le devoir d’être les passeurs de ces savoirs, de ce patrimoine. Ceux qui sont sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de transmettre cette richesse doivent avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent.

Mon objectif est de donner un droit d’accès et d’usage des langues vivantes autres que le français, non pas aux seuls Bretons ou aux Occitans, mais à l’ensemble des habitants d’un espace géographique imprégné par cette langue.

J’entends, ici, parler d’un risque d’inconstitutionnalité. À ma connaissance, nul ne soulève ce risque quand il s’agit d’imposer l’initiation à une langue étrangère dans les programmes de l’enseignement primaire obligatoire !

On m’objectera que les langues régionales ne sont pas les langues étrangères. Mais des langues comme l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont-elles encore étrangères quand elles sont surtout européennes ? Le danger pour le français ne vient pas tant des langues régionales que de l’Europe, où on ne parle actuellement que l’anglais, et où il est très difficile d’obtenir la transcription en français de tous les débats.

La menace de saisine du Conseil constitutionnel ne doit pas nous effrayer : de fait, l’enseignement du corse est aujourd’hui garanti et nul n’a censuré cette mesure. L’équité exige que toutes les langues bénéficient du même engagement de la République.

Maintenant que nous débattons de cette proposition de loi, nous devons nous efforcer de réunir une majorité d’idées autour de la nécessité de préserver concrètement notre patrimoine commun. En effet, nous sommes convaincus qu’il existe une majorité politique responsable, dans tous les groupes, prête à défendre cet objectif et consciente du fait que les langues régionales sont toujours menacées en France.

Les élus que nous sommes doivent également tenir compte de la hiérarchie des normes, des obligations et des devoirs : en effet, la France défend avec raison la diversité linguistique ailleurs dans le monde, et elle a raison. Au niveau international, elle s’engage à préserver ce patrimoine qui existe sur son territoire. Nous devons à présent respecter ces engagements internationaux.

Notre République s’honorerait de se mettre en conformité avec les recommandations internationales qu’elle a signées, telles la convention de l’UNESCO du 18 mars 2007 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ou encore la convention du 20 avril 2006 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Il est temps que notre pays reconnaisse enfin les langues régionales comme patrimoine national et il est temps pour la République de contribuer à en assurer la valorisation et la transmission, notamment grâce à l’octroi d’un statut protégé.

À ce titre, l’État, l’ensemble des ministères et des structures concernés par cette mission ont un rôle majeur à jouer et des responsabilités précises à assumer.

Mes chers collègues, la France n’est plus menacée de scission depuis longtemps ! La décentralisation est une réussite et la vivacité de notre territoire est le fruit des mesures adoptées, depuis les lois Defferre, par les diverses majorités politiques qui se sont succédé. La reconnaissance des langues et cultures régionales est, à nos yeux, un prolongement logique de cette décentralisation.

Par essence, les sénateurs, de gauche comme de droite, ne peuvent qu’être favorables à une république des territoires.

Dans bien des cas – pas dans tous certes, et d’autres mécanismes sont d’ailleurs prévus par la loi – la région constitue le meilleur échelon à même de soutenir les langues et cultures régionales. Son rôle doit être renforcé, en coordination avec les autres échelons, dans une logique partenariale avec l’État, afin de faciliter et d’accélérer le déploiement de dispositifs efficaces de soutien aux langues régionales.

En tant que chefs de file territoriaux, les régions seraient ainsi en mesure de mieux coordonner l’action des collectivités locales et des services publics dans ce domaine. Mais comme une région n’est pas toujours concernée dans son ensemble par une langue régionale, elle doit pouvoir déléguer cette compétence à un département ou à un établissement public de coopération intercommunale le cas échéant. En outre, si une même langue régionale est commune à plusieurs régions, ces dernières doivent pouvoir se doter, avec l’aide de l’État, d’une instance assurant la mise en œuvre de cette mission.

Pour préserver ce patrimoine encore vivant, nous devons rétablir les mécanismes de transmission naturelle. Tel doit être, in fine, l’objectif de toute politique publique en matière de langues et cultures régionales.

Deux secteurs clefs sont nécessaires à une transmission naturelle de la langue : l’éducation et les médias.

L’éducation nationale, tout comme les médias, est chargée de faire vivre ce patrimoine culturel, de veiller au développement des langues régionales, afin de mieux contribuer à leur transmission. Oublier cette responsabilité ne serait pas un signe de modernité ; au contraire, il s’agirait d’une perte de substance de l’héritage culturel national.

On m’objecte souvent que les enfants devraient déjà apprendre correctement le français, mais cet argument masque une réalité : en effet, les élèves qui, dans les écoles bilingues, étudient une langue régionale, obtiennent des résultats scolaires bien meilleurs que les autres. Enseigner les langues régionales, c’est donc améliorer l’éducation et la culture dans son ensemble.

La Constitution proclame que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » : nous devons en tirer les conséquences quant à la responsabilité et aux obligations assumées par l’État, premier garant de ce patrimoine, ainsi que par les régions, appelées à jouer un rôle sans cesse croissant dans le paysage politique français.

Dans ce cadre, la République a son rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive aux demandes, aux attentes, à la vie des différentes langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme en outre-mer. Il serait suicidaire de le nier.

Mes chers collègues, le temps du débat a commencé ; il est possible que nous n’examinions pas l’ensemble du texte, même si je vous appelle à être brefs et à ne pas faire d’obstruction.

Surtout, par cet examen, nous appelons solennellement nos collègues députés à examiner, eux aussi, les deux propositions en attente : ces textes doivent être inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il n’est pas légitime de priver des millions de citoyens en attente d’avancées sur ce sujet majeur.

Après le temps du débat doit venir celui de la loi, d’une loi qui rassemble en un texte unique l’ensemble des dispositions ayant trait aux langues et cultures régionales, afin de conférer à ces dernières une visibilité qu’elles n’ont pas actuellement, et surtout de leur dessiner un nouvel avenir.

Mes chers collègues, nous, parlementaires, en votant en faveur de la défense des langues régionales, porterons la voix d’une République généreuse, tolérante et courageuse. En votant en faveur de la défense des langues régionales, nous serons véritablement au cœur de ce qui symbolise la valeur de notre engagement en sein de la vie de notre cité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on considère le nombre de questions orales et écrites ainsi que la densité des initiatives parlementaires sur le sujet, force est de constater que l’intérêt pour les langues et les cultures régionales est largement partagé au sein de notre assemblée.

La proposition de loi rectifiée de M. Navarro et des membres du groupe socialiste, qui partage beaucoup de ses dispositions avec le texte déposé par M. Alduy et plusieurs membres du groupe UMP, en est un signe supplémentaire.

Intervenant à la suite de l’inscription des langues régionales à l’article 75-1 de la Constitution en tant qu’éléments du patrimoine de la France, ce texte touche à tous les domaines de compétence de la commission de la culture et même au-delà. Sont ainsi concernés l’éducation, les médias et le spectacle vivant, la place des langues régionales dans la vie publique, la vie économique et sociale, l’onomastique et la toponymie.

Mes chers collègues, le temps des « guerres linguistiques » est révolu et la révision constitutionnelle de juillet 2008 l’a bien marqué. La commission de la culture estime qu’il est impératif de conserver le statut prééminent du français, notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, l’un des piliers de l’unification de notre pays.

Cependant, il convient de rejeter la tentation de l’anathème et de reconnaître le trésor culturel que constituent les langues régionales, chacune à sa manière. Celles-ci ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter au plan international pour conserver sa place dans le monde.

En outre, le terme générique de « langues régionales » masque une très grande variété de situations. Rares sont les points communs entre le basque, le breton, les langues d’oc, l’alsacien, le catalan, le corse, le picard, le flamand occidental, les créoles, le tahitien, les langues canaques et amérindiennes. Ces langues diffèrent par le nombre de leurs locuteurs et le degré réel de maîtrise linguistique de ceux-ci, mais aussi par leur mode de transmission, naturel ou scolaire, par l’extension de leurs aires d’usage, par leur vitalité et par les politiques menées localement en vue de les soutenir.

Certaines langues sont ainsi confinées à des territoires restreints comme le pays basque ou l’arrondissement de Dunkerque, tandis que les langues d’oc, ou les variétés d’occitan comme on voudra, couvrent la moitié sud du pays. Il ne faut pas non plus négliger le cas des langues transfrontalières reconnues dans des pays voisins à l’instar du catalan en Espagne et en Sardaigne. De plus, si l’allemand est reconnu comme forme écrite de l’alsacien, les locuteurs du flamand occidental n’adoptent pas le standard néerlandais. Certaines de ces langues connaissent une littérature pluriséculaire, d’autres ne sont pas encore véritablement dotées d’un standard écrit.

De même, l’intervention des collectivités diffère d’un territoire à l’autre, en fonction des priorités librement déterminées de leur politique. Certaines régions, comme l’Alsace ou la Bretagne, mènent une politique vigoureuse en faveur de leur langue propre, d’autres non. Des organismes très structurés existent parfois comme l’office public de la langue basque, dont chacun salue l’efficacité et le succès.

Faut-il pour autant imposer ce modèle partout ? Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, il paraît inopportun de confier au législateur la tâche de tracer un cadre commun uniforme, qui sera par nature mal ajusté aux spécificités de telle ou telle langue, de tel ou tel territoire. Plutôt que de figer des situations très évolutives et mouvantes par des normes nationales, mieux vaut laisser les initiatives locales se développer. D’ailleurs, j’ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les nombreux projets qui fleurissent spontanément un peu partout. Toutefois, une circulaire pourrait être utile pour lever certaines ambiguïtés d’interprétation : le ministère de la culture y travaille.

La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente ; c’est bien là le sens de l’inscription des langues régionales au sein du titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Il revient à ces dernières de déterminer les modalités d’action qu’elles jugent pertinentes pour répondre à la demande sociale locale.

En effet, il ne faudrait pas tout attendre de l’État alors que sont en jeu des intérêts essentiellement locaux. Pour autant, l’État ne doit pas se priver d’intervenir pour sauvegarder les langues régionales. Il s’acquitte d’ailleurs de sa responsabilité de manière très satisfaisante. Ainsi, l’éducation nationale et l’audiovisuel public se sont engagés fortement et à la hauteur de la demande constatée, sans qu’il soit justifié de leur imposer de nouvelles obligations.

Dans les écoles, les collèges et les lycées, toutes formes d’enseignement confondues, quelque 193 500 élèves sont concernés par un enseignement de langues régionales, dont 125 000 environ dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l’offre de formation actuelle et par les perspectives d’évolution inscrites dans la programmation du ministère de l’éducation nationale.

Pour atteindre ces résultats, l’Éducation nationale a mobilisé des ressources importantes destinées au recrutement d’enseignants. Ainsi, depuis 2002, plus de 1 300 postes « bivalents » de professeurs des écoles ont été ouverts.

Cependant, avec à peine plus de deux candidats et demi pour un poste proposé, ces concours ne semblent pas particulièrement attractifs. Pour le second degré, les CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole et occitan – de langue corse et de tahitien recrutent des personnels enseignants depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 600 postes ont été offerts aux candidats. Au collège et au lycée, les enseignements ont été assurés par 502 professeurs certifiés de langue régionale en 2010. Depuis quatre ans, ces effectifs ont même progressé.

L’État et les collectivités territoriales ont également employé la faculté ouverte par l’article L. 312-10 du code de l’éducation, que la présente proposition de loi tend à supprimer, afin de signer des conventions pour la promotion de l’enseignement des langues régionales. C’est notamment le cas dans les académies de Bordeaux, de la Martinique de Montpellier, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse.

L’effort de l’État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n’est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission aux composantes de l’audiovisuel public d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales d’une part, de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France d’autre part.

La mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales a été réaffirmée à l’occasion de la loi du 5 mars 2009 réformant l’audiovisuel public.

Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France transcrivent fidèlement cette exigence. Une part non négligeable des temps d’antenne est aujourd’hui réservée à l’expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales.

En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d’émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. De plus, la chaîne Via Stella, spécifique à la Corse, a diffusé environ 900 heures supplémentaires de programmes. Les Télés Pays outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d’information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l’offre en différé et à la demande. J’estime d’ailleurs qu’internet constitue, plus que les antennes classiques, un excellent instrument de diffusion des langues.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Enfin, il convient de rappeler que les dispositifs d’aide financière dont bénéficient les médias écrits et audiovisuels en français sont également ouverts aux médias qui utilisent les langues régionales. La presse en langue régionale peut bénéficier des aides à la presse, en particulier celles du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne.

L’engagement de l’État se traduit donc par des investissements très importants, qui sont parfois méconnus mais qui couvrent d’ores et déjà les besoins identifiés, sans qu’il soit nécessaire d’adapter le cadre légal et réglementaire en vigueur.

Par conséquent, la nécessité d’une intervention du législateur n’est pas avérée. Outre cette réserve de principe, la commission de la culture estime que le texte de la proposition de loi n’offre pas une base juridique satisfaisante.

Tout d’abord, la quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, lesquels entraînent des coûts supplémentaires dans les domaines éducatif, médiatique et culturel pour l’État, les collectivités territoriales et l’audiovisuel public, pourrait être déclarée irrecevable.

En effet, l’article 40 de la Constitution interdit toute aggravation d’une charge publique d’initiative parlementaire. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais ces gages sont sans objet, puisque l’article 40 ne permet que la compensation des pertes de recettes et exclut toute compensation d’une aggravation de charge publique.

Toutefois, la commission de la culture a considéré que le débat sur les langues régionales devait se poursuivre en séance publique du fait de son importance et de son intérêt intrinsèque. C’est pourquoi elle a choisi de ne pas recourir à la procédure de l’article 40.

De même, la commission de la culture n’a pas souhaité déposer de motion d’exception d’irrecevabilité pour ne pas couper court au débat. Pourtant, certaines dispositions de la proposition de loi pourraient conduire à la reconnaissance d’un droit collectif opposable à l’État par des groupes minoritaires définis sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d’unicité du peuple français et d’indivisibilité de la République.

Je vise notamment l’ensemble constitué par le statut protégé pouvant être octroyé par les collectivités aux langues régionales d’après l’article 3 du texte.

Sont également concernées les obligations générales d’offre de formation en langue régionale, y compris à destination de tous les enseignants du primaire et du secondaire, au titre II.

L’attribution automatique de fréquences de radio à l’article 24 et les autorisations nécessaires aux télévisions régionales à l’article 30 sont également visées.

C’est aussi le cas de l’obligation d’instaurer une signalétique bilingue dans les services publics à l’article 40.

Enfin, la présomption d’absence de discrimination dans l’organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale, à l’article 49, paraît également aller à l’encontre du principe d’unicité.

La libre utilisation des langues régionales demeure protégée au titre du principe général de la liberté d’expression et de communication, garanti par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l’article 2 de la Constitution. Certaines dispositions de la proposition de loi paraissent revenir sur cet équilibre, ce que la commission de la culture ne souhaite pas.

En donnant compétence au conseil régional pour coordonner l’action des services de l’État et des autres collectivités locales en matière de politique linguistique, ce qui implique une intervention très extensive dans des champs de compétences qui ne sont pas les siens, le domaine éducatif notamment, l’article 4 pourrait méconnaître l’organisation générale des pouvoirs publics et le principe de libre administration des collectivités territoriales, garantis par l’article 72 de la Constitution.

Outre ces doutes sur la constitutionnalité du texte, il convient également de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées par les collectivités.

Plusieurs dispositions des titres IV, V et VI énumèrent des facultés qui sont satisfaites par le droit existant.

En mettant en avant des cas particuliers, le texte risque surtout d’affaiblir la portée générale des possibilités déjà offertes par le droit existant. C’est le cas aux articles 44 et 45, qui renvoient aux services de la petite enfance ou pour les personnes âgées. Ces énumérations peuvent nourrir des interprétations restrictives limitant les facultés d’emploi des langues régionales aux seuls cas mentionnés expressément dans la loi. Nous pouvons déjà prévoir la multiplication des recours. Loin de clarifier les possibilités offertes aujourd’hui, le texte pourrait créer paradoxalement les conditions d’un affaiblissement des langues régionales.

Par ailleurs, certaines dispositions du texte sont d’ordre purement réglementaire. Ainsi, l’article 18 vise à inscrire dans la loi le recrutement des enseignants de langue régionale. L’organisation des concours des différents corps d’enseignants, ainsi que le détail de leurs formations initiale et continue relèvent de décrets du ministre de l’éducation nationale ou du ministre de l’enseignement supérieur. Il ne serait pas légitime de réserver un sort particulier aux seuls enseignants de langues régionales au sein de l’éducation nationale.

Enfin, je me dois d’insister sur le coût potentiellement très élevé des mesures inscrites dans le texte. L’éducation nationale, le ministère de la culture, France télévisions, l’Association des régions de France, l’ARF, lors de leurs auditions, se sont montrés préoccupés par l’impact financier du texte, tant pour l’État que pour les collectivités territoriales.

Dans un contexte budgétaire très difficile, les efforts demandés dans le texte paraissent excessifs. Ils visent essentiellement à faire émerger une demande de langues régionales au sein de la population plutôt qu’à répondre à des besoins clairement identifiés, qui sont en réalité largement satisfaits.

Malgré mon attachement sincère à la préservation de la richesse culturelle que portent les langues régionales, je ne peux dès lors qu’émettre, au nom de la commission de la culture, un avis défavorable sur l’adoption de la présente proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission de la culture, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, les langues régionales appartiennent désormais au patrimoine de la France. Elles ont donc toute leur place dans notre République, une République ouverte et généreuse qui sait s’enrichir de sa diversité, sans jamais oublier d’affirmer son unité. Cette unité est, plus que jamais, nécessaire pour faire face aux bouleversements du monde, pour répondre aux défis de la mondialisation, qui est une réalité quotidienne pour chacun d’entre nous.

Les langues régionales appartiennent donc au patrimoine de la France, et cela est inscrit dans notre loi fondamentale. Pour autant, et je préfère le dire d’emblée, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de la proposition de loi de Robert Navarro relative au développement des langues et des cultures régionales.

En cela, le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de votre rapporteur, Colette Mélot, dont je veux saluer l’excellent et patient travail. Le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de la commission de la culture du Sénat.

Entendons-nous bien : l’opposition du Gouvernement à cette proposition de loi ne saurait en aucun cas être interprétée, je le dis avec force, comme une opposition de principe aux langues régionales. D’ailleurs, vous savez bien que le Gouvernement n’hésite pas à apporter son appui à la démarche législative lorsque le besoin s’en fait sentir : ici même, au mois de février dernier, mon collègue Frédéric Mitterrand – qui serait présent aujourd'hui s’il n’accompagnait le Premier ministre dans un déplacement en Asie – a soutenu, au nom du Gouvernement, une proposition de loi prévoyant que les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique pouvaient être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale.

D’ailleurs, pour vous montrer que l’obstruction ou le sectarisme ne font pas partie de notre pratique, je veux rappeler devant vous l’effort de l’État en faveur de l’usage et de la transmission des langues régionales. Je souhaite d’autant plus le faire que, à l’occasion des discussions que j’ai eues avec certains d’entre vous et au cours d’échanges avec plusieurs de vos collègues de l’Assemblée nationale, je me suis aperçu que l’action de l’État en faveur des langues régionales, pourtant soutenue au cours des dernières décennies, était par trop méconnue.

Elle est méconnue alors même qu’elle répond très largement à la demande de certains de nos territoires et de certains élus. Je mesure d’ailleurs la vigueur de cette demande au moment où quatre propositions de loi ont été déposées presque conjointement au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par l’opposition comme par la majorité.

Aussi, avant d’en venir aux raisons qui conduisent le Gouvernement à vous demander de rejeter cette proposition de loi, vous me permettrez de tracer devant vous à grands traits les contours de l’action de l’État en faveur des langues régionales.

L’école de la République a longtemps été accusée d’être l’ennemi farouche des langues régionales. Elle aurait combattu leur usage. Elle se serait opposée à leur transmission. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la conception que je me fais de notre école. Ce n’est pas la conception que l’éducation nationale se fait des langues régionales. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’effort soutenu qu’elle consacre depuis plusieurs décennies aux langues régionales, et je remercie Mme le rapporteur d’en avoir pris acte dans son rapport.

Enseignées dans dix-huit des trente académies de France, les langues vivantes régionales sont tout d’abord pleinement reconnues dans les programmes nationaux de l’Éducation nationale. C’est le signe de l’attachement que nous leur portons, mais également de la rigueur et du sérieux de cet enseignement.

Ainsi, au cours des dernières années, le ministère a rénové ou profondément repensé les programmes de langues vivantes régionales métropolitaines – basque, breton, catalan, corse, occitan-langue d’oc, langues régionales d’Alsace et des pays mosellans – afin de les inscrire dans le cadre européen commun de référence pour les langues. Quelle belle reconnaissance pour ces langues !

Ces rénovations ont eu lieu en 2007 pour le primaire, en 2007 pour le palier 1 du collège, qui vise le niveau A2, en 2010 pour le palier 2 du collège, qui vise le niveau B1, et pour la classe de seconde.

En outre, des programmes de créole pour l’école et le collège sont en voie de publication. Ils sont à l’ordre du jour du Conseil supérieur de l’éducation de ce jour, 30 juin, et seront applicables dès 2011-2012.

Enfin, le gouvernement local de Polynésie française s’apprête à publier des programmes de tahitien, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par la loi organique en matière d’enseignement des langues de la Polynésie française.

J’ajoute que l’enseignement des cultures régionales ne se limite pas à la transmission des langues régionales. En effet, la géographie, la culture et l’histoire régionales peuvent également être étudiées dans le cadre du cours d’histoire et de géographie et ainsi être connues de celles et de ceux qui ne suivent pas d’enseignement de langue régionale. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le programme de géographie du cycle 3 de l’école comprend une entrée intitulée « Des réalités géographiques locales à la région où vivent les élèves ».

La spécificité des départements d’outre-mer est, quant à elle, prise en compte dans des programmes adaptés d’histoire et de géographie.

J’en reviens à l’enseignement des langues régionales, inscrit au cœur de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, pour en souligner la richesse. En effet, à l’école, au collège, comme au lycée, plusieurs modalités d’enseignement coexistent qui présentent toutes une singularité et un intérêt.

Ainsi, à l’école, on peut distinguer quatre modalités d’enseignement différentes.

L’enseignement extensif est dispensé durant une heure trente prise sur l’horaire de langue vivante selon des modalités définies dans le projet d’école. Certaines langues, dans le cadre des dispositions particulières qui les régissent – je pense au corse ou au tahitien – sont considérées comme une matière incluse dans l’horaire normal d’enseignement ; trois heures leur sont alors consacrées.

L’enseignement renforcé est dispensé selon un horaire hebdomadaire allant au-delà d’une heure et demie, par exemple de deux heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire est assuré pour moitié en langue régionale, pour moitié en français. Une partie des activités inscrites au programme de l’école se déroulent donc dans la langue régionale de la section.

Enfin, l’enseignement bilingue par immersion est dispensé dans le cadre scolaire des réseaux associatifs. La langue régionale est alors non seulement la langue des activités pour plus de la moitié de l’horaire, mais également la langue de la vie scolaire de l’école.

Au collège, plusieurs modalités spécifiques d’enseignement existent également.

En sixième et en cinquième est dispensé un enseignement facultatif, à raison d’une heure hebdomadaire, cette durée étant généralement portée à deux heures, voire à trois heures pour le corse et le tahitien. Cet enseignement se poursuit en classe de quatrième au titre d’enseignement optionnel facultatif.

L’enseignement optionnel obligatoire de deuxième langue vivante correspond à un horaire de trois heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire se pratique dans les sections « langues régionales ». Au moins trois heures hebdomadaires sont consacrées à l’enseignement de langues et cultures régionales ; une ou plusieurs disciplines sont enseignées dans la langue régionale, ce qui permet d’atteindre progressivement un enseignement à parité en français et en langue régionale.

Toujours au collège, notons l’enseignement bilingue par immersion, selon les mêmes principes que ceux que je viens d’évoquer pour le primaire.

Au lycée, enfin, dans le cadre de la nouvelle organisation des enseignements mise en œuvre depuis la rentrée scolaire de 2010, les langues régionales sont proposées en classe de seconde comme troisième langue vivante, au titre des enseignements d’exploration ou facultatifs. Cet enseignement se poursuit dans le cycle terminal des séries ES, L et S.

En outre, les enseignements bilingues suivis dans les sections « langues régionales » de collège sont également assurés au lycée selon des modalités d’organisation proches de celles qui régissent les sections européennes.

Puisque j’évoque les formes et les objectifs de l’enseignement de notre pays, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que, le 6 novembre 2009, lors du comité interministériel de l’outre-mer, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait développer le recours aux langues régionales – dont le créole – dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, pour faciliter les apprentissages.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Cet enseignement « contrastif », c’est-à-dire en comparaison permanente avec le français, doit permettre aux élèves d’apprendre à distinguer rapidement les deux langues et à progresser dans l’acquisition de chacune d’elles.

J’ai d’ailleurs moi-même signé avec le président du conseil régional de la Martinique, Serge Létchimy, le 22 février dernier, une convention qui officialise et renforce cet enseignement.

Permettez-moi aussi d’ajouter que l’État consacre des moyens importants à cet enseignement. En effet, des postes « bivalents » sont proposés par les académies dans le cadre de concours de recrutement de professeurs des écoles dits « spéciaux ». À la session 2010, 133 postes ont été ouverts à ce titre. Au total, au cours des dix dernières années, 1339 postes de professeurs des écoles ont été proposés dans ce cadre.

Dans le second degré, des CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole, occitan, corse et tahitien – permettent de recruter des professeurs depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 602 postes ont été offerts aux candidats. Aujourd’hui, les enseignements de langue régionale sont assurés au collège et au lycée par 570 professeurs certifiés, le tahitien mobilisant 60 postes.

En outre, pour ce qui concerne l’enseignement privé sous contrat, 570 enseignants sont rémunérés par l’État. En 2010, 26 postes ont été ouverts aux concours spécifiques pour le premier degré et 11 pour le second degré.

Finalement et sans doute en raison non seulement de la diversité des modalités de transmission, mais aussi de l’importance des moyens consacrés, l’enseignement des langues régionales connaît une véritable vigueur dans notre pays ; il concerne près de 200 000 élèves, étudiant sous une modalité ou une autre. Comptabilisant près de 125 000 élèves, le premier degré est le niveau le plus dynamique, même si, bien sûr, des différences importantes sont enregistrées d’une académie à une autre.

Rigueur, richesse et vigueur caractérisent l’enseignement des langues régionales, qui est loin d’être négligeable dans notre pays, et les moyens qui y sont consacrés, dans un contexte budgétaire difficile, vous ne l’ignorez pas, permettent de répondre à la demande des élèves et de leurs familles.

Par ailleurs, et vous le savez, les conseils académiques des langues régionales, qui existent dans quatorze académies et au sein desquels siègent les représentants de l’éducation nationale, des professeurs, des familles et des collectivités, permettent d’organiser cet enseignement en concertation. Le dialogue avec les collectivités territoriales est souvent inscrit dans le cadre des conventions nouées entre l’État et ces dernières, conformément aux dispositions de l’article L. 312-10 du code de l’éducation.

L’effort est également marqué dans le champ de la culture et des médias. Et je tiens tout d’abord à rappeler, au nom de mon collègue Frédéric Mitterrand, que la mise en valeur de la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France fait partie depuis longtemps des missions des organismes du secteur public audiovisuel, en métropole comme en outre-mer. Ce principe, clairement posé dans la loi du 30 septembre 1986, a été fortement réaffirmé dans la loi du 5 mars 2009 réorganisant le secteur public audiovisuel.

Le rapport d’exécution 2010 du cahier des charges de France Télévisions précise que, pour l’année écoulée, France 3 a contribué à l’expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain en assurant un volume total de 264 heures d’émission, contre 253 en 2009, et 213 en 2008, dans les six régions concernées, à savoir Alsace, Aquitaine, Sud, Méditerranée, Corse et Ouest.

La tendance est donc à une augmentation globale continue : toutes les langues concernées ont vu leur volume de diffusion soit augmenter, soit se stabiliser. Cette dynamique est même amenée, dans certains cas, à se renforcer ; j’en veux pour preuve la signature, vendredi dernier, avec la collectivité territoriale de Corse et en présence de Frédéric Mitterrand, de la convention sur le développement cinématographique et audiovisuel en Corse et de la convention avec la chaîne satellitaire Via Stella. Les programmes en langue corse, bilingues français corse ou en corse sous-titré en français pourront s’appuyer sur ces dispositions. Cette dynamique se retrouve également dans les outre-mer, avec le développement des Télé-pays de France Télévisions comme avec les Radios-pays.

Pour ce qui concerne plus précisément les radios, le réseau France Bleu a d’ores et déjà fixé sur ses stations locales des rendez-vous courts en langue régionale tout au long de la semaine, une émission d’une heure étant de surcroît diffusée, en fin de semaine, sur un bon créneau horaire.

Pour les langues de France connaissant un grand nombre de locuteurs, des dispositions ont été prises depuis de nombreuses années : je pense à la séparation totale de l’antenne française et régionale, comme en Alsace, où la FM diffuse principalement en français, tandis que les ondes moyennes assurent une diffusion en alsacien avec France Bleu Elsass ; une antenne complètement bilingue existe en Corse avec France Bleu Corse Frequenza Mora ; des antennes FM accueillent des programmes en langues régionales telles France Bleu Pays Basque ou France Bleu Breizh Izel.

Pour ce qui est de la mise en valeur des langues régionales dans le champ des médias, il est utile de rappeler que d’ores et déjà beaucoup de choses ont été réalisées. Certains diront que l’on pourrait faire encore plus ; mais les actions menées présentent tous les gages de l’engagement de l’État, aux côtés des collectivités territoriales concernées, pour la mise en valeur d’un patrimoine linguistique très riche qui relève d’une responsabilité partagée entre l’État et les collectivités territoriales.

Pour ce qui concerne la création culturelle, l’État apporte d’ores et déjà un soutien aux œuvres et aux projets qui contribuent à installer et à mieux légitimer la création en langues de France dans le paysage culturel, soit par le biais de crédits déconcentrés via les directions régionales des affaires culturelles, soit par l’action de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a succédé, en 2001, à la Délégation générale à la langue française.

À titre d’exemple, le théâtre La Rampe en Languedoc-Roussillon et le Centre dramatique occitan de Toulon bénéficient d’une aide au titre de leurs créations originales, ainsi que pour leurs activités de diffusion et de formation, indispensables à l’existence d’un théâtre vivant dans un cadre interrégional.

Je pourrais également évoquer le soutien apporté dans le domaine du cinéma, avec le film Au bistro du coin, tourné en français et doublé en six langues régionales – l’alsacien, le breton, le corse, le créole, l’occitan et le picard –, entraînant ainsi la création de filières de postproduction dans plusieurs régions.

Je pourrais aussi citer le soutien aux festivals, notamment à l’Estivada de Rodez ou à Vibrations Caraïbes, mais encore le soutien continu à l’édition en langues régionales, à travers le programme « Librairie des langues du monde », alimenté conjointement avec le Centre national du livre, grâce à un fonds destiné, notamment, à la production de dictionnaires bilingues français-langues de France.

Le ministère de la culture et de la communication apporte également un appui renforcé aux institutions et organismes représentatifs des langues de France, par exemple à l’Institut d’études occitanes ou l’Institut occitan de Pau, en matière de formation, d’édition, de création de centres de ressources linguistiques.

Il soutient les rencontres, les colloques et les débats qui ont les langues régionales pour objet. Je pourrais citer, à titre d’illustration, le Forum des langues du monde de Toulouse, qui conjugue animation populaire et réflexion critique sur les rapports interlinguistiques, le festival Mir redde Platt à Sarreguemines, qui met en valeur le francique de Moselle dans sa dimension transfrontalière, ou encore les congrès de l’association internationale d’études occitanes, sans oublier l’Observatoire des pratiques linguistiques, comité d’experts installé à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a développé notamment le programme « Corpus de la parole », lequel met en valeur un corpus oral unique sous la forme de ressources linguistiques numériques, au service de la recherche, via un site internet, avec déjà trente langues de France et plusieurs centaines d’heures d’écoute accessibles à tous.

Enfin, au mois de décembre prochain, le ministère de la culture et de la communication va organiser à Cayenne des états généraux du multilinguisme outre-mer. À cette occasion se trouveront réunies en Guyane des délégations provenant de l’ensemble des territoires d’outre-mer. Les questions relatives au multilinguisme relèvent d’une importance majeure pour les territoires d’outre-mer, en termes d’intégration et de démocratisation culturelle, et je sais que mon collègue Frédéric Mitterrand accorde une grande importance à ces rencontres, au-delà de la célébration de l’année des outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant précisément à la proposition de loi que nous examinons ce jour.

Bien sûr, je connais l’attachement de nombre d’entre vous aux langues régionales, réalité vivante dans les territoires dont vous êtes les élus.

Or la promotion des langues régionales s’appuie sur des dispositions éparses, que l’on retrouve dans divers textes – le code général des collectivités territoriales, le code de l’éducation, ou encore la loi du 4 août 1994 dite « loi Toubon ». Cette dispersion peut sembler, à certains d’entre vous, préjudiciable à la promotion des langues régionales.

Par conséquent, la volonté de rendre plus lisible et plus visible ce qui se fait et ce qu’il est possible de faire dans le cadre législatif et constitutionnel en vigueur me paraît compréhensible.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Mais faut-il pour autant légiférer en la matière ? Je ne le crois pas, et ce pour deux raisons au moins.

D’une part, nombre des dispositions de la présente proposition de loi se bornent à énumérer des possibilités déjà offertes par le cadre existant.

D’autre part, nombre de ses dispositions relèvent du cadre réglementaire et non de l’ordre législatif.

Surtout, je me dois de vous alerter sur les risques que comporte le texte que vous proposez, monsieur Navarro. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de Mme le rapporteur, qui les a clairement identifiés et exposés.

Le premier de ces risques est de nature constitutionnelle. Vous l’avez indiqué à plusieurs reprises, et je l’ai moi-même rappelé : la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de reconnaître l’apport remarquable des langues régionales dans l’identité de la France. L’article 75-1 de la Constitution, issu de cette révision, reconnaît en effet de manière solennelle : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Mais cet article ne remet pas pour autant en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’usage de la langue française.

La langue de la République est le français.

L’article 2 de la Constitution dispose en effet : « La langue de la République est le français. » En application de cette règle constitutionnelle, il ne peut être reconnu aucun droit à pratiquer une langue autre que le français dans la sphère de la « vie publique », que ce soit la justice, les services publics ou l’enseignement.

De la même façon, les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français interdisent que soient conférés des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées.

Par conséquent, toutes les formulations qui, dans votre texte, monsieur Navarro, pourraient être interprétées comme « ouvrant un droit » aux langues régionales, courent le risque d’être déclarées inconstitutionnelles. La décision du Conseil constitutionnel du 20 mai dernier relative au code de l’éducation a d’ailleurs confirmé cette volonté de ne pas ouvrir la porte à des traitements différenciés, qui contreviendraient aux principes que j’évoquais à l’instant.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, si une telle loi était adoptée, les recours devant le Conseil constitutionnel pourraient se multiplier.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Ceux qui respectent la loi sont sanctionnés et ceux qui la bafouent sont encensés !

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Par ailleurs, les deux articles finaux de la proposition de loi, qui prévoient de compenser les dépenses supplémentaires que la loi imposerait à l’État et aux collectivités territoriales par des taxes additionnelles et une augmentation proportionnée de la dotation globale de fonctionnement, sont contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’article 40 de la Constitution, qui exclut toute aggravation d’une charge publique par une proposition de loi, ainsi que l’ont d’ailleurs relevé Mme le rapporteur, voilà un instant, et M. le président Legendre, lors de l’examen du texte en commission.

Je pourrais également, monsieur Navarro, évoquer l’article 4 de votre proposition de loi, qui prévoit de donner compétence aux régions pour coordonner les actions des services de l’État et des autres collectivités territoriales en matière de politique linguistique. En effet, il pourrait être interprété comme contrevenant à la fois aux règles générales de l’organisation des pouvoirs publics et au principe de libre administration des collectivités territoriales, posés par l’article 72 de la Constitution.

L’article 4 de la proposition de loi paraît également porter atteinte à l’équilibre existant, aux termes du code de l’éducation, entre l’État et les collectivités territoriales, s'agissant du partage des compétences et des responsabilités en matière d’enseignement.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

De fait, le principe du caractère national des programmes mais aussi, plus profondément, la compétence de principe de l’État pour organiser le service public de l’éducation seraient remis en cause, via notamment le pouvoir confié à la région en matière de définition des schémas de développement des langues régionales et des modalités d’insertion de ces langues dans le « temps scolaire ».

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

J’ajoute que la disjonction entre un organisme prescripteur relevant de la région et un financement toujours à la charge de l’État ne me paraît guère opportune.

Cette analyse de l’article 4 de la proposition de loi me permet d’aborder le second risque majeur que, me semble-t-il, cette proposition de loi fait courir : le risque budgétaire.

Au-delà même de la question du respect de l’article 40 de la Constitution, il est manifeste que la proposition de loi présentée par M. Navarro emporte des risques budgétaires importants, tant pour mon ministère que pour celui de la culture et de la communication. Certains articles du texte proposé reprennent certes, pour partie, des engagements existants, mais d’autres suscitent plus que des interrogations, notamment en ce qui concerne la redevance audiovisuelle.

Je crois d’ailleurs savoir qu’une grande partie des institutions interrogées par Mme le rapporteur, à commencer par l’Association des régions de France – vous l’avez rappelé tout à l'heure, madame Mélot –, ont évoqué ce risque.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Je dois dire que, compte tenu du contexte budgétaire actuel, qui est, vous ne l’ignorez pas, monsieur Navarro, particulièrement tendu, je partage pleinement l’analyse de Mme le rapporteur. Du reste, j’espère vous avoir montré que l’État consent déjà un effort important en faveur des langues régionales.

Enfin, vous me permettrez de sortir du strict cadre de l’examen de cette proposition de loi et de m’adresser, en conclusion, aux élus locaux que vous êtes pour la plupart, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je connais votre attachement à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Je partage cet attachement, moi qui suis également un élu local. Or les dispositions de la présente proposition de loi s’inscrivent clairement à contre-courant du mouvement de simplification et d’allégement des normes applicables aux collectivités territoriales que le Président de la République et le Gouvernement ont engagé, véritable moratoire visant à arrêter la course à la complexité des normes.

En effet, cette proposition de loi prévoit de nombreux instruments de gouvernance territoriale, certains à titre facultatif, mais d’autres à titre obligatoire – je renonce à les citer tous –, qui ajoutent à la complexité du dispositif au moment même où la réforme des collectivités territoriales conduite par le ministère de l’intérieur entend au contraire clarifier cette gouvernance.

La gouvernance que vous proposez, avec la constitution de services ou organismes, la conclusion de conventions ou l’élaboration de programmes, certaines mesures étant qui plus est obligatoires, est lourde et, à mon sens, inopportune, ne serait-ce que par les coûts qu’elle engendrerait, dans le contexte du moratoire que j’évoquais.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette analyse, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette proposition de loi. Il s’agit d’un avis motivé, éclairé et serein.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je l’affirme devant votre assemblée, notre République a dépassé les divisions d’antan. Elle ne craint pas les langues régionales. Au contraire, l’État les respecte et contribue à leur expression, comme à leur transmission.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre

Toutefois, les efforts que nous consentons sont l’expression d’une République faite d’équilibre : une République qui sait reconnaître et valoriser la diversité culturelle et linguistique de ses territoires ; une République pleinement consciente de l’enjeu stratégique que représente, dans le monde contemporain, l’enseignement des langues vivantes étrangères, à commencer par l’anglais ; une République, surtout, qui n’oublie pas que sa langue est le français, fondement vivant de notre culture commune.

Vous pouvez compter sur moi, mesdames, messieurs les sénateurs, pour veiller sans relâche, en ma qualité de ministre de l’éducation nationale, à ce que notre École remplisse sa plus haute mission : enseigner la langue de la République à ses enfants. En effet, notre langue est tout à la fois l’héritage de leurs aïeux, la clé de leur réussite et le vecteur de leur insertion sociale et professionnelle.

C’est pourquoi, si je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, je n’en souhaite pas moins, comme l’a indiqué Colette Mélot, proposer au Premier ministre, en accord avec le ministre de la culture et de la communication, la publication d’un document qui synthétiserait l’ensemble des dispositions visant, dans l’état actuel du droit, la promotion et l’enseignement des langues régionales. Ce serait à mon sens la meilleure manière de faire connaître l’action de l’État, une action insuffisamment connue et reconnue.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Claude Biwer applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des conclusions de la conférence des présidents, ce débat doit s’arrêter à dix-neuf heures, c'est-à-dire dans une vingtaine de minutes. Il est clair que, dans ce délai, tous les orateurs inscrits ne pourront pas prendre la parole.

Je vous propose néanmoins d’entendre de toute façon les cinq premiers d’entre eux, de façon qu’un représentant de chaque groupe puisse s’exprimer ce soir ; ainsi, aucun groupe ne pourra se sentir lésé.

Assentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici attachés à notre patrimoine. En témoignent les débats que nous avons eus récemment, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative au patrimoine monumental déposée par ma collègue de l’Union centriste Françoise Férat.

Patrimoine matériel et immatériel, tout ce qui est constitutif de notre culture doit être préservé. Nos langues régionales et nos particularismes régionaux, qui s’expriment aussi bien dans la musique que dans les arts plastiques ou encore la littérature, sont la preuve vivante de la diversité sur laquelle s’est construite notre culture. Même si, aujourd’hui, tous les Français ne parlent pas un patois, il reste tous ces accents et phrasés qui font que, de Rennes à Montpellier, on parle la même langue, mais sans jamais la prononcer de la même façon !

En outre, les langues régionales vivent toujours au sein du français, qui s’est enrichi de certains de leurs vocables et dont nombre d’expressions portent les traces de cet héritage. Comme l’écrivait Émile Littré, « tous les siècles font entrer dans la désuétude et dans l’oubli un certain nombre de mots ; tous les siècles font entrer un certain nombre de mots dans l’habitude et l’usage ».

Chaque langue régionale apporte ainsi, tout autant que l’histoire locale, une connaissance culturelle qui doit être entretenue et transmise. À ce titre, nous partageons les motivations qui ont inspiré notre collègue Navarro, auteur de la proposition de loi. Nous le remercions d’ailleurs d’avoir suscité ce débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Toutefois, nous nous interrogeons sur les préconisations qu’il formule à travers sa proposition de loi pour atteindre ses objectifs. En effet, celles-ci posent des questions d’ordre technique, financier et juridique.

Le constat de notre collègue est que le cadre législatif relatif aux langues et cultures régionales est inapproprié, de sorte que, selon l’exposé des motifs, « ne rien faire reviendrait à précipiter leur disparition ou, tout du moins, leur effacement ».

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Ce constat me semble pour le moins excessif. De fait, au vu de l’ensemble des initiatives relevant des ministères de l’éducation nationale et de la culture et de la communication – l’état des lieux a déjà été fait –, il apparaît que de nombreuses actions sont menées.

Une mission d’enseignement est déjà assumée par l’État, comme l’a souligné notre collègue Colette Mélot, que je voudrais d'ailleurs féliciter pour le caractère très approfondi de son rapport. Ce sont ainsi près de 200 000 élèves qui suivent aujourd'hui un enseignement de langue régionale. L’offre actuelle semble répondre à la demande des parents. Moi qui ai enseigné l’anglais pendant vingt ans – mais peut-être n’est-ce pas un bon exemple, puisqu’il s’agit de la langue dominante –…

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

… je n’ai jamais entendu de plainte au sujet d’un quelconque déficit d’enseignement du cauchois dans ma région ; et Dieu sait si, en ma qualité de linguiste, j’y aurais été attentive ! Il est vrai que cette langue est sans doute moins vivace que certaines de ses homologues ; je pense notamment au breton, parlé dans la région de mon collègue Joseph Kergueris.

Les médias, notamment audiovisuels, ont été évoqués. Ils constituent en effet un autre vecteur de transmission de ce patrimoine. Pour avoir été rapporteur de la loi de 2009 sur l’audiovisuel public, je ne peux que m’étonner des propositions énoncées par les articles 19 à 32. De fait, non seulement les auteurs de la proposition de loi semblent méconnaître les obligations déjà faites aux médias audiovisuels, mais ils formulent en outre des propositions difficilement applicables, en raison du flou juridique entourant les termes utilisés.

Je rappelle donc que la mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales est inscrite tant dans la loi que dans le contrat d’objectifs et de moyens, sur lequel nous émettrons d’ailleurs prochainement un avis. Peut-être cette mission est-elle insuffisamment remplie : à titre personnel, j’ai longtemps regretté que France 3 n’affirme pas assez sa vocation régionale. Il nous appartient de remédier à ces insuffisances en étant particulièrement exigeants dans la formulation de notre avis. La montée en puissance du global media nous fournit d'ailleurs une occasion idéale de souligner que des services et émissions en langues régionales pourraient être proposés.

J’en viens à la proposition de répartition non pas de la « redevance », monsieur Navarro, puisque son nom a été modifié en 2009, mais de la contribution à l’audiovisuel public, ou CAP.

Cette proposition me semble étrange en ce qu’elle méconnaît les règles budgétaires, comme cela a été rappelé tout à l'heure. En outre, il est paradoxal que ses signataires, qui s’étaient opposés à l’extension de l’assiette de la CAP que j’avais défendue lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, proposent maintenant de renforcer cette CAP ! Cela n’est pas vraiment logique… Malgré tout, j’ai eu le plaisir de constater que ma proposition figurait dans le programme du parti socialiste !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Élus de proximité, nous nous interrogeons aussi sur l’incidence qu’aurait ce texte pour les collectivités territoriales : celles-ci ont indéniablement un rôle à jouer, mais dans quelle mesure ? Une loi trop généraliste ne serait-elle pas difficile à appliquer, étant donné la diversité des langues régionales ? Qu’en disent les associations d’élus, du reste ? Quels outils communs pourraient permettre à la fois la transmission du créole et celle du normand ?

Si, comme l’affirme l’exposé des motifs, « la reconnaissance des langues et cultures régionales est un prolongement logique de la décentralisation », laissons donc aux collectivités territoriales le soin de mettre en œuvre leurs propres plans d’action, en fonction des demandes exprimées sur leur territoire et des spécificités de celui-ci. N’oublions pas qu’elles en ont déjà légalement la possibilité.

Certaines s’en sont d’ailleurs déjà saisies : un Office public de la langue basque a ainsi été créé en 2004 par la volonté conjuguée de tous les acteurs, et il assure désormais, avec une remarquable efficacité, la promotion de l’euskara ; en Haute-Normandie, ce sont plutôt de petites associations qui font vivre la langue régionale, les autorités régionales ne s’impliquant guère, ce que je regrette.

Au vu de tous ces éléments, nous pensons que, si une nouvelle loi est peut-être nécessaire, celle-ci doit reposer sur des propositions réalistes. Une circulaire clarifiant le droit en vigueur pourrait être tout aussi opportune. Je sais, monsieur le ministre, que vous y travaillez avec le ministère de la culture et de la communication ; nous serions heureux que vous puissiez nous donner des indications plus précises à ce sujet.

Selon Victor Hugo, la langue française, quand elle s’est construite, « commençait à être choisie par les peuples comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi ». Si l’on peut regretter que l’utilisation exclusive du français dans les actes officiels se soit faite au détriment de certains patois, pour autant nous ne pouvons pas remettre en cause cette unicité.

Bon nombre d’obligations pour l’État et les collectivités territoriales sont créées par des dispositions de cette proposition de loi qui risquent d’être invalidées par le Conseil constitutionnel : celui-ci a en effet confirmé le 20 mai que, si les langues régionales appartiennent bien au patrimoine de la France, elles ne confèrent aucun droit. Or notre collègue Robert Navarro nous propose au contraire de reconnaître des droits spécifiques à certains citoyens, sur des territoires déterminés.

Fort heureusement, le principe de liberté d’expression ne s’oppose nullement à la possibilité dans notre pays de s’exprimer en langue régionale. Mais tirer partie d’une possibilité n’est pas exercer un droit !

Enfin, je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais, connaissant la situation financière de notre pays et au vu des coûts que pourrait induire cette réforme, à tous les échelons, je m’interroge sur la manière dont pourraient être financées de telles dépenses.

Une approche pragmatique des coûts induits a-t-elle été faite par les auteurs de la proposition de loi ? Je sais ce que cette question a de vulgaire s’agissant de culture, mais, à l’heure où il est établi que 3, 1 millions de Français souffrent d’illettrisme, avant de rendre obligatoires les langues régionales pour tous dans leur région, ne faut-il pas plutôt que le budget de l’État soit prioritairement consacré à remédier à cette situation catastrophique et militer pour un renforcement des moyens consacrés à l’enseignement de notre langue ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

En fait, il y a dans ce texte une confusion entre l’enseignement des langues fondamentales et des langues régionales : les premières sont utilisées dans le milieu professionnel et économique, les secondes correspondent à une approche linguistique et culturelle.

Je ne remets pas en cause l’intérêt que représente le multilinguisme, surtout dès le plus jeune âge, mais reconnaissons qu’à l’heure actuelle il est sans doute plus utile pour un jeune de parler espagnol, anglais, allemand ou chinois qu’un patois qu’il ne pourra utiliser que très localement.

Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

L’objectif de l’enseignement des langues vivantes, inscrit dans une perspective européenne, est que chaque élève, à la fin du lycée, soit capable de communiquer dans au moins deux langues vivantes. Cela ne lui interdit pas d’apprendre aussi sa langue régionale, mais l’urgence est plutôt de renforcer les moyens dédiés à l’apprentissage des langues étrangères.

Pour toutes ces raisons – et, monsieur Navarro, il s’agit de raisons pragmatiques, et non pas partisanes –, les membres de l’Union centriste sont, dans leur grande majorité, dubitatifs devant ce texte et réservés quant à ses effets ; ils partagent les ambitions affichées, mais souhaiteraient des solutions adaptées.

Reconnaissant que ce débat est utile et important, ils remercient l’auteur de la proposition de loi ainsi que le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, qui, malgré l’article 40 de la Constitution, a permis que nous en discutions.

Nous espérons que le débat continuera de vivre au sein du comité stratégique des langues ; nous serons, bien entendu, très attentifs aux propositions que celui-ci formulera.

Je conclurai en citant Walther von Wartburg : « Comme moyen d’expression individuelle la langue française est peut-être inférieure à d’autres langues. Mais la langue a une autre fonction : elle sert de lien entre les différents membres de la société ; elle met en rapport les différents individus du même groupe linguistique. Envisagé de ce point de vue, le français, grâce à sa clarté, est supérieur à toutes les autres langues. Ce n’est pas en vain que trois siècles y ont travaillé avec une ardeur incomparable. »

Soyons donc, mes chers collègues, tout en respectant les langues régionales, les ardents défenseurs d’une francophonie vivante parfois trop menacée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Monsieur le ministre, vous nous avez donné l’avis du Gouvernement. Cependant, permettez-moi de dire que, lors d’une très récente visite dans ma ville de Quimper – le 10 juin dernier, précisément –, M. le ministre de la culture, interrogé sur sa position concernant les langues régionales, a annoncé qu’il n’y était pas opposé et qu’il soutiendrait un texte à l’Assemblée nationale. Mais c’est ici, avec vous, monsieur le ministre de l’éducation nationale, que nous commençons à débattre – je dis « commençons » puisque nous ne pas pourrons aller jusqu’au bout du débat aujourd'hui – de l’avenir de ces langues et de ces cultures.

Il est plus que temps, mes chers collègues, car elles sont en danger de mort !

Dès 1991, Joshua Fishman, éminent linguiste américain, expliquait que, pour sauver une langue menacée, il fallait que la transmission de celle-ci soit assurée sur trois générations. Cette condition n’est plus remplie en Bretagne, non plus d’ailleurs que dans les autres régions, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de brittophones est aujourd’hui bien modeste, avec 206 000 locuteurs…

À ce propos, monsieur le ministre, pourquoi ne pas insérer une question sur la pratique des langues régionales dans le questionnaire de l’INSEE, ce qui nous permettrait d’avoir une connaissance exacte de la situation des différentes langues régionales et du nombre de leurs locuteurs ?

Mme le rapporteur a évoqué la vigueur avec laquelle certaines collectivités menaient des actions en faveur de leur langue régionale. Je crois les collectivités territoriales effectivement très soucieuses de lutter contre la disparition de ce patrimoine immatériel qu’est la langue. Elles se sont organisées et structurées, souvent en collaboration avec l’éducation nationale et des associations, pour développer l’enseignement des langues régionales sur leur territoire. Toutefois, monsieur le ministre, elles restent trop souvent soumises à l’arbitraire des recteurs.

À titre d’exemple, deux collectivités, que je connais fort bien, la région Bretagne et le département du Finistère, ont orienté leur politique autour de deux axes forts.

Premièrement, elles développent l’enseignement et encouragent la sensibilisation pour pallier l’absence de transmission familiale.

Dans le primaire et le secondaire, elles soutiennent et financent l’enseignement grâce à des partenariats avec les communes et l’éducation nationale, ainsi que par l’intermédiaire d’un établissement public de coopération culturelle, l’Office public de la langue bretonne, qui regroupe la région, le rectorat, la DRAC et cinq départements. Actuellement, ce sont 26 000 élèves qui, de la maternelle au baccalauréat, sont concernés !

Dans le supérieur, l’engagement de ces collectivités passe par l’attribution de bourses à la formation des formateurs.

En outre, elles adhèrent à un réseau européen de promotion de la diversité culturelle.

Deuxièmement, comme l’a dit Mme Morin-Desailly, il faut que la langue puisse être parlée au quotidien.

L’usage de la langue régionale dans les pratiques sociales est particulièrement important pour les personnes âgées. On constate en effet dans les EPHAD que, très souvent, celles-ci reviennent à la langue de leur jeunesse. Pour maintenir ce lien social dont parlait ma collègue, lien qui leur permettra de garder pied dans la réalité, il faut pouvoir échanger avec elles.

Il importe également de promouvoir l’usage de la langue dans le domaine économique – chacun de vous, mes chers collègues, connaît sans doute la marque Produits en Bretagne, qui promeut également la langue – et, bien sûr, dans le domaine culturel, dans le spectacle vivant comme dans les métiers d’art – je pense, par exemple, aux brodeurs bretons, extrêmement doués et compétents –, mais aussi dans les nouvelles technologies et les supports multimédias.

Sur ce dernier point, un livret et un CD informatifs, intitulés Le bilinguisme pour les petits, un grand outil pour la vie, constituent un outil tout à fait remarquable pour sensibiliser parents et professionnels à l’intérêt de l’apprentissage de plusieurs langues. Vous le disiez, monsieur le ministre, ne pas parler deux langues est un handicap dans la vie !

La disparition annoncée des langues régionales interpelle de grands médias internationaux. CNN et Al-Jazira ont ainsi réalisé des reportages, à Quimper et à Lorient, sur la baisse du nombre de locuteurs, mais aussi sur l’essor des écoles bilingues, qui obtiennent d’excellents résultats au bac, passé en français, je le rappelle.

À vous entendre, monsieur le ministre, tout va très bien, et vous avez énuméré les actions de l’État. Mais la réalité dans les territoires est tout autre, et c’est encore plus vrai en cette période de disette financière et de RGPP. Tous les dispositifs que vous avez mentionnés relèvent des soins palliatifs et ne peuvent que stopper la marche vers la disparition des langues régionales de notre République !

Il est vital que ces langues régionales aient un statut juridique et obtiennent une reconnaissance de l’État leur garantissant dignité et protection, comme les autres formes de patrimoine. On a bien vu, en effet, à la suite de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel le 20 mai dernier, que l’article 75-1 de la Constitution n’avait qu’un effet décoratif et qu’il était complètement dépourvu de portée normative.

Il semble bien que le patrimoine bâti soit mieux protégé que le patrimoine linguistique, vieux de quinze siècles pour le breton, dont les premiers écrits, bien antérieurs aux premiers écrits en français, remontent au VIIIe siècle.

Patrimoine encore vivant…mais pour combien de temps, mes chers collègues ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Mousou lo president, mousou lo ministre, madama la reportaïra, cars collegas, me fa plaser de parlar la lengua de mon enfança mas coma gairé ben digus compren vau fau la redirado sul pic.

Rassurez-vous, je m’en tiendrai là pour l’occitan !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier. Nous aimons autant, en effet !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Voici, en français maintenant, ce que je viens de dire : « Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, cela me fait plaisir de parler la langue de mon enfance mais, comme personne ne comprend, je vais vous traduire tout de suite ce que j’ai dit. »

Et pourtant, si cette proposition de loi était adoptée, c’est tout mon discours que j’aurais pu faire en occitan !

Depuis plus de vingt ans, je soutiens dans ma ville et mon département l’apprentissage de cette langue qui a nourri ma prime jeunesse.

Je tiens évidemment à réaffirmer ici la nécessité absolue, soulignée par tous, de l’enseignement des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine culturel.

Cependant, il faut être extrêmement vigilant quant à la motivation de chacun et aux risques que peut faire peser la volonté excessive de rendre l’enseignement d’une langue régionale obligatoire.

Nous avons conscience que notre jeunesse ne doit pas nier ses origines culturelles et doit même en tirer de la force, mais cela ne doit et ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans le monde d’aujourd’hui comme dans le monde de demain.

L’enseignement d’une langue régionale ne doit pas non plus se faire au détriment du français, comme l’a dit Catherine Morin-Desailly, car, je le rappelle, près d’un tiers des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas la langue française. À l’issue de la période de scolarité obligatoire, 5 % des jeunes sont illettrés, 10 % ont de réelles difficultés et ne maîtrisent pas la langue écrite.

Mes chers collègues, le républicain que je suis accorde la priorité à ce combat-là, sans, bien sûr, négliger celui des langues régionales.

Le deuxième écueil à éviter est la perte du sens.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde d’extrême incertitude, d’extrême insécurité, et je comprends parfaitement que, dans ce désordre mondial, chacun ait besoin de retrouver ses racines parce que cela donne l’impression d’être plus en sécurité. Mais prenons garde à ce que ce repli sur soi ne se transforme pas en une sorte de communautarisme ! Cela pourrait être en quelque sorte se confondre avec un repli sécuritaire, avec la fausse idée que le retour à la terre, le retour à ses origines, par une espèce de patriotisme de terroir, préserverait d’un avenir qu’on ne maîtrise pas.

Si la volonté de retrouver ses origines est légitime, parfois salvatrice, elle est potentiellement dangereuse, destructrice, elle peut conduire à l’isolement.

Je prendrai l’exemple de ma ville de Toulouse, qui voit chaque année, et ce depuis quinze ans, arriver 10 000 habitants supplémentaires. Ils viennent de toutes les régions de France, de Bretagne, d’Alsace, de Corse, de Catalogne, mais aussi de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, car nous avons sur notre territoire des entreprises internationales. Et qu’est-ce qui nous permet de communiquer avec toutes ces personnes, sinon avec le français ? Il est notre point de repère commun !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

En fin de compte, la langue est le véhicule de la paix entre les hommes : pour rester ouvert à l’autre, il faut que je parle la langue de l’autre, et que l’autre parle ma langue. Et si l’autre peut parler ma langue, c’est qu’il l’a apprise.

Je voudrais rappeler aussi que le changement est la loi de la vie et qu’aucune loi ne peut arrêter ce perpétuel mouvement qu’est la vie. Il est parfaitement humain, je le dis encore, de vouloir conserver ses racines, mais cela ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans l’évolution du monde. Il faut veiller à ne pas se laisser prendre par une forme de conservatisme nostalgique qui pourrait nous conduire à une régression de la République ! Je veux que nos enfants soient capables de vivre dans le monde de demain et je souhaite que la jeunesse de demain soit une jeunesse mondialisée. Jeunes, nous avons appris l’anglais ; demain, la jeunesse devra apprendre le chinois et l’arabe pour communiquer et pour favoriser la paix.

Debut de section - PermalienPhoto de Gélita Hoarau

Là, ce n’est pas une question d’identité !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Mes chers collègues, monsieur le ministre, le groupe du RDSE est très partagé sur cette proposition de loi. À titre d’illustration, je vais vous citer un exemple significatif. Le paradoxe, qui est à l’image de ce qui se passe dans notre pays, c’est que notre ami Jean-Michel Baylet, qui ne parle pas un mot d’occitan, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

…va voter pour ce texte, à l’égard duquel je suis, moi qui parle l’occitan, extrêmement réservé. Mais c’est, au fond, ce qui se passe dans la vie moderne !

Pour conclure, je dirai à mon ami Jean-Michel : Quora parlaras la lengua nostra ? Autrement dit, en français : « Jean-Michel, quand parleras-tu notre langue ? »

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le président, je voudrais tout d’abord m’adresser à nos collègues d’outre-mer pour leur dire que je comprends leur frustration de ne pouvoir s’exprimer au cours de ce débat après avoir parcouru des milliers de kilomètres pour venir ici !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les positions passionnées qui s’expriment ont une explication historique : le français a été imposé comme langue de la République par la force, et ce au détriment des langues régionales.

Partout, la pratique de ces dernières connaît un déclin très important malgré l’émergence de politiques linguistiques dans certaines collectivités territoriales.

Le conseil régional de Bretagne, par exemple, a officiellement reconnu, à côté du français, le breton et le gallo comme langues de la Bretagne historique. Il a assorti cette reconnaissance d’un plan volontariste tendant à leur sauvegarde, leur transmission et leur développement.

Traces vivantes de l’histoire, les langues régionales sont d’immenses sources de richesses.

Cette défense des langues régionales n’entre pas en concurrence avec la langue de la République qu’est le français, mais il faut plutôt y voir une complémentarité.

Leurs usages et leurs pratiques peuvent parfaitement s’inscrire dans une dynamique qui ne remet pas en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Favoriser l’essor des langues régionales doit être l’une des grandes batailles à mener aujourd’hui compte tenu de l’hégémonie grandissante de l’anglais et de la menace d’uniformisation culturelle mondiale qu’il fait peser.

Cela n’est pas sans lien avec le sujet qui nous occupe, car, à l’heure de la mondialisation et de l’uniformisation à marche forcée, le repli identitaire et la résurgence des mouvements nationalistes, indépendantistes, semblent s’instaurer comme autant de réponses à la dilution des repères culturels nationaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Le pacifisme des actions revendicatives doit absolument prévaloir si nous voulons progresser ensemble.

La question centrale qui est posée consiste à savoir comment accorder une reconnaissance à ces langues dans le respect de l’unité républicaine.

La majorité des sénateurs du groupe CRC-SPG craint que certains aspects de cette proposition de loi n’aillent trop loin.

En créant une véritable obligation de service public en langue régionale dans des domaines aussi larges que l’enseignement, l’audiovisuel ou encore la presse écrite, on pose, tout d’abord, la question de l’engagement de l’argent public et celle de la libre administration des collectivités locales.

À notre avis, l’État ne s’engage pas suffisamment sur le plan financier en faveur des langues régionales. Pis, la RGPP pèse lourdement sur l’enseignement bilingue en laissant une lourde responsabilité aux régions et autres collectivités locales concernées.

Notre groupe appelle à la prudence sur cette question délicate. C’est la raison pour laquelle la majorité des sénateurs de mon groupe souhaite s’abstenir sur ce texte. Néanmoins, à titre personnel, je voterai la proposition de loi pour donner un signal fort au Gouvernement sur l’urgence qu’il y a à régler ces questions.

Une langue régionale est à la fois un instrument d’échange et un patrimoine culturel au sens large du terme. Aujourd’hui, l’une des plus grandes difficultés pour les locuteurs est son utilisation au quotidien et son partage intergénérationnel.

Le volet patrimonial et culturel semble plus aisé à conserver, à développer, à valoriser, pour peu que les pouvoirs publics, les collectivités, les enseignants, les artistes, aient la volonté d’œuvrer ensemble.

L’enjeu des langues régionales est bien de les revitaliser et de promouvoir leur usage. Gardons des racines : c’est essentiel pour vivre !

Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une langue est le cœur d’une culture et, souvent, le pilier d’un État. Il est donc légitime d’être attentifs à la politique linguistique, qui est bien loin d’être un sujet de préoccupation secondaire.

Après le vote de la proposition de loi déposée par M. Courteau pour régler des problèmes de signalétique en langues régionales, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte beaucoup plus ambitieux. Un débat riche et passionné s’est déjà amorcé au sein de la commission de la culture et de l’éducation sur cette proposition de loi. L’importance du sujet nous conduit naturellement à prolonger la discussion en séance publique, même si l’on me permettra de regretter que le groupe socialiste, qui disposait de quatre heures, ait prévu de faire examiner aujourd’hui deux textes dont l’un, celui-ci, comporte 58 articles. Comment aurions-nous pu, mes chers collègues, traiter sérieusement aujourd’hui d’un texte d’une telle longueur ?

C’est pourquoi je n’ai pas souhaité, en tant que président de la commission de la culture, faire une stricte application de l’article 40 de la Constitution, qui aurait conduit à déclarer irrecevable une bonne partie du texte. De même, en accord avec le rapporteur, je n’ai pas souhaité, malgré les risques d’inconstitutionnalité, que la commission dépose une motion d’exception d’irrecevabilité.

La commission n’a pas élaboré de texte, afin que ce soit le texte même déposé par les auteurs de la proposition de loi qui soit discuté en séance publique.

Je crois avoir ainsi démontré ma volonté de faire en sorte que le débat ne soit pas tronqué et dure tout le temps réservé par le groupe qui l’a suggéré. Je regrette simplement que ce temps soit trop restreint.

Au moment d’aborder la question des langues régionales, il faut avant tout se garder de les opposer brutalement à la défense du français. Les langues régionales ne menacent pas l’existence du français, lequel n’a réciproquement pas vocation à étouffer l’expression des langues régionales. Ce serait un appauvrissement très regrettable de notre patrimoine commun. Il ne faut donc pas dresser le français contre les langues régionales ou l’inverse !

L’enjeu est bien plutôt de trouver un équilibre entre notre langue commune, la langue de la République, la seule dont l’usage soit obligatoire, et des langues qui, implantées dans nos territoires, forment une part importante de notre patrimoine immatériel.

C’est fort de cette conviction qu’en 1994, déjà, je rapportais la loi Toubon en dialoguant avec les défenseurs des langues régionales, notamment avec notre ancien collègue Henri Goetschy, qui fut sénateur du Haut-Rhin. Comme lui, je pense que la défense de notre propre langue passe par le respect de celle des autres, de toutes les autres.

Je tiens à rappeler que le dispositif de protection du français inscrit dans la loi Toubon n’était aucunement dirigé contre les langues régionales et ne s’oppose absolument pas à leur usage.

En tant que sénateur du Nord, j’éprouve d’ailleurs un attachement particulier pour le picard, une ancienne langue de culture, au moins jusqu’au XIIIe siècle. Je souhaite aussi que le flamand occidental, parlé dans l’arrondissement de Dunkerque, puisse être pleinement reconnu par l’éducation nationale. Encore un effort, monsieur le ministre !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Mon attention aux langues régionales découle naturellement de mon engagement en faveur du plurilinguisme. Je partage la pensée de Claude Hagège, qui, de sa chaire au collège de France, sait veiller aussi bien sur la diversité culturelle et linguistique que sur le statut de langue internationale du français.

Chacun sait que je suis un fervent défenseur de la langue française et de son rayonnement international. Aujourd’hui, la vraie menace pour le français, ce ne sont pas les langues régionales ! La menace, il faut la chercher dans la tendance au bilinguisme anglophone qui se développe dans notre pays même, au cœur des universités et des grandes écoles qui forment nos élites. Il faut y faire très attention, monsieur le ministre ! C’est contre cela que nous devons agir !

À partir de cette analyse, je crois que nous pouvons nous accorder pour permettre à tous ceux qui le souhaitent, sans obliger qui que ce soit, à apprendre et pratiquer une langue régionale. Les modalités pratiques peuvent être discutées, mais les contraintes budgétaires ne doivent pas servir de prétexte commode.

Applaudissements et marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Cela vaut pour ceux qui sont a priori les héritiers historiques des cultures régionales, mais pas seulement pour eux. Il faut aussi que ceux qui ont été séduits par la poésie de Bertrand de Born ou l’œuvre de Pierre-Jakez Hélias puissent s’approprier et pratiquer l’occitan ou le breton, s’ils le désirent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

C’est ainsi qu’un dialogue fécond entre les cultures peut se nouer hors de toute passion identitaire.

J’aimerais citer un exemple particulièrement intéressant de ces échanges interculturels qui font vivre harmonieusement notre patrimoine dans sa diversité. Il s’agit d’un opéra contemporain intitulé l’Amour de loin. La partition a été composée par Mme Saariaho, Finlandaise travaillant à Paris, sur un livret en français d’Amin Maalouf, Libanais qui vient d’entrer à l’Académie française. Cette œuvre est inspirée par la vie de Jaufré Rudel, le célèbre troubadour du XIIe siècle : un véritable hommage et à la francophonie et à la littérature occitane !

En revanche, il ne faut pas nous cacher que perdurent encore de nos jours des conceptions communautaristes inquiétantes. Ce sont celles qui lient étroitement le sang, la terre et la langue, et qui pourraient, à travers la revendication d’une identité régionale fermée, remettre en cause l’unité nationale.

Je n’en doute pas, aucun des auteurs de la proposition de loi ni aucun membre de notre Sénat ne partage cette vision !

Mais ne nous y trompons pas, mes chers collègues : j’ai longtemps siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, pourtant réputée pour être un temple de la démocratie, et il m’est arrivé d’y être confronté à des pensées de ce type, y compris dans ce qui peut tourner autour de la Charte européenne des langues régionales. Il faut voir là, chez certains, l’influence d’une conception germanique de la nationalité, héritée de Herder, de Fichte et du romantisme allemand. Nous devons impérativement résister à ce type de vision du monde, totalement contraire à l’esprit des Lumières et à notre tradition républicaine. L’histoire nous a appris combien elle pouvait être dangereuse.

C’est pourquoi il faut surtout nous garder d’instaurer une obligation de bilinguisme français-langue régionale qui nous entraînerait sur une pente glissante. Aucune obligation d’apprendre telle ou telle langue dans telle ou telle région ne peut être acceptée. Je me méfie des revendications identitaires qui valorisent exclusivement l’enracinement dans une terre. Souvenons-nous de l’interpellation de Gide : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? »

Je crois qu’il faut garder cela présent à l’esprit pour pouvoir discuter sereinement et lucidement de notre patrimoine immatériel commun et de la meilleure façon de le préserver.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui est très long et, qu’il me soit permis de le dire, touffu. Il ne peut pas être adopté en l’état. Je souhaite, monsieur le ministre, que l’État en reprenne ce qui est réalisable, éventuellement par la voie réglementaire. J’ai entendu votre proposition, qui me paraît en effet intéressante et importante : il faut que nous soyons en mesure de présenter l’ensemble des droits et possibilités offerts aux langues régionales pour que celles et ceux qui le souhaitent, y compris les collectivités locales, puissent, s’ils en décident, s’en saisir avec le concours et l’aide de l’État.

Je sais que la proposition que vous avez déposée, monsieur Navarro, recoupe largement les réflexions de certains membres des groupes de la majorité, notamment de l’UMP. Ce n’est pas Mme Bruguière ou M. Alduy qui me démentiraient ! Je crois que sur l’ensemble des travées, nous devons témoigner de notre attachement au patrimoine immatériel de la France que constituent conjointement ses langues régionales et sa langue nationale.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Ainsi que je l’ai annoncé, nous sommes contraints d’arrêter là cette discussion.

Je tiens à dire à nos collègues d’outre-mer qui sont venus de leurs lointains territoires pour intervenir dans ce débat combien je suis désolé qu’ils en soient empêchés pour des questions d’horaire, mais il nous faut vraiment, maintenant, passer au point suivant de notre ordre du jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 30 juin 2011, trois décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 2011-142/145, 2011-143 et 2011-144 QPC).

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 30 juin 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-167, 2011-168, 2011-169 et 2011-170 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (texte de la commission n° 641, rapport n° 640).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie au Sénat le 15 juin dernier afin d’établir un texte commun aux deux assemblées sur la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.

Je vous rappelle tout d’abord qu’une proposition de loi déposée par M. Christian Jacob, député, a servi de support aux discussions et aux amendements, mais que quatre autres propositions de loi, déposées au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par la majorité comme par l’opposition, ont également nourri nos débats.

Après une lecture dans chaque assemblée, la commission mixte paritaire, saisie dans le cadre d’une procédure accélérée, a trouvé un accord qui constitue, me semble-t-il, le meilleur des compromis. Le texte qu’elle a élaboré et qui est soumis aujourd’hui à votre approbation a déjà été adopté par nos collègues députés le mardi 21 juin.

L’article 1er prévoit l’interdiction sur le territoire national de l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche. Il s’agit de mettre fin à une technique dont nous mesurons encore mal les conséquences environnementales.

Le Sénat avait souhaité qu’il puisse être dérogé à cette interdiction générale pour des projets scientifiques d’expérimentation sous contrôle public, qui auraient permis de mieux connaître l’état du sous-sol et de mettre au point, le cas échéant, des techniques d’exploitation plus respectueuses de l’environnement.

La commission mixte paritaire a retenu la notion d’expérimentation, mais a exclu toute dérogation à l’interdiction générale posée par l’article 1er. Une expérimentation avec fracturation hydraulique ne pourra donc pas être menée si ce texte est adopté et promulgué.

L’article 1er bis a été introduit par le Sénat sur la proposition de notre collègue Claude Biwer, que je salue. Il institue une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.

Cette instance, qui réunit les cinq parties du Grenelle de l’environnement, sera un lieu d’approfondissement des connaissances et d’échanges entre toutes les parties concernées. La commission mixte paritaire en a complété la composition en prévoyant la présence d’un député et d’un sénateur, afin de garantir également l’information du Parlement.

Cette commission nationale ne proposera pas, contrairement à ce que le Sénat avait souhaité, des projets scientifiques d’expérimentation, mais elle émettra un avis sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations qu’étudiera le rapport prévu par l’article 4.

L’article 2 ne fait pas partie du texte soumis aujourd’hui à notre vote puisque le Sénat l’a adopté sans modification en première lecture. Je rappelle pour mémoire qu’il prévoit l’abrogation des permis de recherches lorsque le titulaire n’est pas en mesure de justifier, dans les deux mois, qu’il n’aura pas recours à la technique de fracturation hydraulique.

De même, le Sénat a confirmé en première lecture la suppression par l’Assemblée nationale de l’article 3. Il faudra toutefois revenir le plus rapidement possible sur la question de la réforme du droit minier, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance qui réécrit le code minier.

Enfin l’article 4, introduit par l’Assemblée nationale et modifié par le Sénat, a été adapté par la commission mixte paritaire afin de tirer les conséquences de la modification faite par celle-ci à l’article 1er.

Le rapport prévu par l’article 4 portera donc de manière générale sur les techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol, sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, sur les travaux de la commission prévue par l’article 1er bis et, enfin, sur le cadre législatif et réglementaire. Il ne permettra pas de mener d’ores et déjà des expérimentations avec fracturation hydraulique : l’interdiction posée par l’article 1er est très claire à ce sujet.

En conséquence, ce texte ne retient que très partiellement l’apport du Sénat, mais il reste centré sur ce qui en constitue la disposition principale : la France interdit l’emploi de la technique de fracturation hydraulique.

Il s’agit d’une position forte et originale sur le plan international. Si certains pays prévoient un moratoire d’une durée limitée, en attendant une amélioration des connaissances scientifiques, d’autres nations voient dans les gaz de schiste une solution alternative au charbon ou aux importations de gaz, une réduction de la dépendance énergétique ou une énergie de transition.

Mais les incertitudes sont nombreuses. Les études se multiplient. Un rapport du MIT, le Massachusetts Institute of Technology, publié il y a peu, voit dans le gaz naturel, notamment le gaz de schiste, la seule solution de rechange au charbon. À l’inverse, une très vaste enquête publiée dimanche dernier par le New York Times rapporte les doutes d’acteurs de la filière sur la rentabilité effective de l’exploitation du gaz de schiste.

Mes chers collègues, l’avenir nous dira si la France a été pionnière en s’engageant de manière résolue, à l’occasion d’un texte de loi adopté définitivement trois mois à peine après son dépôt, sur la voie de l’interdiction de fait de l’exploration et de l’exploitation des gaz et huiles de schiste.

Ce choix ne peut être considéré isolément : renoncer à une source d’énergie, c’est nécessairement en privilégier d’autres, qui la remplaceront, ou s’engager résolument sur la voie des économies d’énergie. Les débats sur les hydrocarbures non conventionnels tout comme l’accident de Fukushima nous obligent à réfléchir à notre bouquet énergétique. Or aucune source d’énergie ne s’impose comme la meilleure sans débat : certaines émettent trop de gaz à effet de serre, d’autres sont intermittentes ou trop chères, ou encore elles accroissent notre dépendance énergétique.

Nous devons donc, n’en doutons pas, mes chers collègues, faire des choix. Mon souhait est que ceux-ci soient éclairés par la recherche scientifique plus que par les passions. Tel est le débat vers lequel devraient nous conduire l’examen et l’adoption de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l'économie, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons à la fin d’un véritable marathon législatif sur une question extrêmement sensible.

Les positions des uns et des autres se sont exprimées vivement, que ce soit au Parlement ou sur le terrain, avec une couverture médiatique importante.

La situation était d’ailleurs paradoxale. En effet, nous n’étions pas véritablement en terrain vierge, puisque des autorisations avaient été accordées, mais nous n’étions pas non plus en terrain connu, ce qui m’a fait dire que ces autorisations n’auraient pas dû être accordées avant les travaux que nous avons lancés.

Dès mon arrivée au ministère, j’ai appliqué le principe de précaution sur ce sujet en réclamant et en obtenant une suspension des forages, notamment ceux qui sont suivis de fracturation hydraulique de la roche.

Il m’est en effet très vite apparu que l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels était une activité industrielle qui pouvait présenter de multiples risques ou provoquer des nuisances, en matière de pollution des nappes souterraines et des sols, d’impact paysager, d’augmentation du trafic routier.

En première lecture, Michel Houel, dans le rapport qu’il a rédigé au nom de la commission, a souligné que « les risques que cette technique, utilisée massivement, pourrait faire peser sur l’environnement et, plus généralement, l’incertitude qui entoure ses conséquences s’opposent à son utilisation dans l’état actuel des connaissances ».

En effet, même si certaines technologies utilisées sont, de fait, relativement anciennes, leur utilisation intensive, de manière très dense sur certains territoires, semble extrêmement problématique au regard des expériences en la matière, notamment en Amérique du Nord.

La question s’est aussi révélée difficile, dès le début, en raison de ses enjeux économiques et énergétiques. Les conclusions de la mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, comme la mission parlementaire à l’Assemblée nationale, conduite par les députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin, ont mis en lumière les débats sur ces projets d’exploitation, susceptibles de modifier profondément et durablement notre production d’énergie et les marchés gaziers à l’échelle mondiale.

Je pose cependant une question qui me semble essentielle : à quoi servent les richesses, sinon à mieux vivre sur une planète dont le climat sera stabilisé, dans un environnement préservé et un climat social serein ?

À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à évoquer devant vous l’espace Causses-Cévennes. Ma démarche tendant à interdire la fracturation hydraulique a été d’emblée très cohérente avec ma proposition d’inscrire cet espace magnifique au patrimoine mondial de l’humanité, et je me réjouis de la décision positive qu’a rendue l’UNESCO cette semaine. C’est une victoire pour notre pays, c’est une victoire pour un territoire.

Il s’agit d’un projet qui compte plusieurs d’entre vous parmi ses promoteurs. Il aura une forte incidence en termes de préservation de notre patrimoine mais également en matière touristique.

À l’évidence, cette proposition de loi a contribué à valider le projet de protection des Causses et des Cévennes.

Les débats qui ont eu lieu dans les deux assemblées ont parfois été passionnés. Plusieurs projets ont éclos ici ou là. J’en veux pour preuve le sujet lancé en première lecture par votre collègue Claude Biwer, qui a ouvert une réflexion sur l’expérimentation des forages à des fins scientifiques.

La solution de compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat trouvée par la commission mixte paritaire me semble de nature à rassurer chacune et chacun d’entre nous. Elle est aussi celle que je défends au nom du Gouvernement.

Elle prévoit que l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdits sur le territoire national.

Elle organise l’abrogation des permis de recherche des hydrocarbures non conventionnels en limitant les risques juridiques et financiers liés à une telle abrogation.

Elle maintient la remise d’un rapport annuel au Parlement par le Gouvernement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation du sous-sol français.

Elle conserve la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, introduite au Sénat, qui émettra un avis sur les conditions d’une éventuelle expérimentation aux seules fins de recherche scientifique de la fracturation hydraulique.

Je tiens à souligner que, avec cette solution de compromis, aucune expérimentation scientifique avec fracturation hydraulique ne sera possible sans une nouvelle loi, contrairement à ce que j’ai pu entendre dire ici ou là.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que cette proposition de loi obtiendra l’assentiment du plus grand nombre dans cet hémicycle. Ce texte a quasiment valeur constitutionnelle puisqu’il entend mettre en œuvre le principe de précaution qui est désormais inscrit dans notre loi fondamentale.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP ainsi qu’au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, après de longues heures de débat, au cours desquelles se sont exprimées des positions divergentes, non seulement entre les groupes politiques, comme madame le ministre vient de le rappeler, mais aussi entre les deux chambres du Parlement, nous nous prononçons aujourd’hui sur un compromis trouvé lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures par fracturation hydraulique et à abroger les permis octroyés, mais aussi à permettre l’expérimentation, en liaison avec une commission scientifique qui doit être créée.

Nul doute qu’il faudra très prochainement revenir sur cette question en vue d’améliorer le texte que nous nous apprêtons à voter. En effet, comme tous les compromis, le texte issu de la CMP apporte son lot de déceptions, de satisfactions, mais également d’interrogations.

Pendant le débat, le groupe de l’Union centriste, dont je me fais le porte-parole, a appréhendé la question difficile des hydrocarbures non conventionnels avec le souci de trouver un juste équilibre entre, d’une part, l’opportunité économique et sociale que représente le potentiel d’hydrocarbures de roche-mère et, d’autre part, la protection de l’environnement, qu’il n’est évidemment pas question de sacrifier.

Je note d’ailleurs que la conciliation de ces deux objectifs est aux fondements du principe constitutionnel de développement durable.

Je ne reviens pas en détail sur ces deux aspects, puisque j’avais largement évoqué ces sujets en première lecture.

Je rappelle néanmoins que, selon le rapport des députés Gonnot et Martin, le potentiel d’hydrocarbures non conventionnels représenterait, s’agissant du gaz, une centaine d’années de consommation française. En ce qui concerne l’huile de schiste, nos deux collègues députés estiment que le Bassin parisien disposerait de réserves représentant l’équivalent de la moitié du champ pétrolifère de la mer du Nord.

À l’heure où la France dépend d’une consommation incompressible d’énergies fossiles, malgré les efforts faits pour diversifier notre mix énergétique, l’exploitation du potentiel d’hydrocarbures, qu’ils soient conventionnels ou non, répond à un double enjeu : en effet, outre l’indépendance énergétique, il ne faut pas négliger l’impact que pourrait avoir une telle exploitation sur l’équilibre de notre balance commerciale, l’importation d’hydrocarbures au prix fort ayant coûté 45 milliards d’euros l’année dernière. La France pourrait même, à terme, devenir exportatrice, comme les États-Unis.

J’aurais aimé pouvoir dire, lors du débat sur la loi de finances rectificative de la semaine dernière, alors que nous cherchions des moyens d’approcher l’équilibre de nos finances publiques, que l’exploitation des hydrocarbures était une réponse possible. La recherche et les études complémentaires que j’appelais de mes vœux dans ce domaine auraient peut-être eu leur place à cet égard. Permettre d’économiser quelques dizaines de milliards d’euros par an n’est quand même pas une incongruité dans la situation financière où se trouve actuellement la France !

Cela étant, la fracturation hydraulique utilisant entre 10 000 et 20 000 mètres cube d’eau par puits, il ne me semble pas incohérent de limiter cette pratique au profit de la recherche d’autres méthodes d’exploitation. Vous avez parlé à l’instant, madame la ministre, de l’interdire ; je dois dire que je n’avais pas vu les choses tout à fait comme cela.

Enfin, je crois que la protection contre les risques d’exploitation qu’impose le règlement général des industries extractives, tels que la pollution visuelle ou les problèmes d’étanchéité des puits, relève plus du décret que de la loi.

Fort de ces considérations, j’ai donc, à l’occasion de la première lecture, déposé et fait adopter par la commission de l’économie un amendement à l’article 1er tendant à concilier les deux préoccupations, économique et environnementale. Cet amendement, qui n’a pas survécu dans sa totalité à la CMP – il a été un peu « saucissonné » pour en minimiser l’importance –, prévoyait une exception à l’interdiction d’exploration et d’exploitation : pour les expérimentations scientifiques destinées à favoriser les techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Ces techniques existent, n’en déplaise à ceux qui ont martelé le contraire en première lecture ; elles consistent en l’injection à forte pression de propane, ou encore en la création de microfissures par des arcs électriques.

La commission mixte paritaire a confirmé la création d’une commission nationale de suivi et d’évaluation chargée de veiller au bon déroulement de ces expérimentations, de manière que celles-ci soient menées en toute transparence.

En tant que parlementaire, je me réjouissais que le bilan de ces expérimentations puisse être joint au rapport annuel remis au Parlement par le Gouvernement. Cette position ouverte à la recherche, venant soutenir les initiatives innovantes au service de notre politique énergétique, tout en en encadrant le déploiement pour tenir compte de notre pacte environnemental, me semblait être une réponse adéquate au principe de précaution et au principe de développement durable, tout du moins en apparence.

J’ai constaté qu’un certain nombre de parlementaires n’ont pas appréhendé les deux piliers du principe de développement durable que sont le développement économique et social et la protection de l’environnement de la même manière que moi.

Je n’émettrai pas d’hypothèses sur les motivations qui ont conduit certains à céder à l’obscurantisme sur cette question d’intérêt national ou local, selon les cas.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a ceci de décevant qu’il vient écorner l’équilibre du triptyque expérimentation-évaluation-information.

En effet, il affaiblit considérablement l’expérimentation puisqu’elle n’est plus de droit. La commission nationale en fixe seulement les modalités, car son pouvoir de proposition, qui faisait d’elle un organe dynamique, est abandonné au profit de l’État.

La commission nationale conserve en revanche la mission d’évaluation, ce qui va entraîner, une fois encore, une suradministration ; j’espère que cela ne freinera pas la recherche et l’innovation…

Bien sûr, le fait qu’on ne ferme pas complètement la porte à ces expérimentations scientifiques – c’est, du moins, ce que l’article 4 suggère – est une satisfaction.

Le cadre législatif arrêté en CMP reste cependant opaque sur la mise en œuvre concrète des expérimentations. Le pouvoir d’autoriser des expérimentations selon les modalités fixées par la commission nationale appartiendra-t-il au Gouvernement ou au Parlement ? Peut-être pourrez-vous, madame le ministre, m’éclairer sur ce point.

Je ne me ferai pas l’inquisiteur des failles et des incohérences, mais je tiens tout de même à signaler que c’est la fracturation hydraulique qui est en cause. Alors, pourquoi ne met-on pas en cause ladite fracturation lorsqu’il s’agit de la géothermie ?

Pourquoi condamne-t-on aussi a priori des techniques non hydrauliques ?

De même, pourquoi ne soulève-t-on pas les mêmes interrogations au sujet des déchets nucléaires ? À cet égard, dans mon département, la Meuse, on m’a expliqué qu’une profondeur d’enfouissement de 600 mètres protégeait de tout risque de pollution externe pendant des millions d’années, alors que, par ailleurs, on pointe des risques écologiques à une profondeur de 3 000 mètres ! Il y a là une incohérence que, modestement, j’aimerais qu’on m’explique...

À mon sens, il existe un intérêt général national qui ne doit pas être remis en question sous des prétextes où se mêleraient des considérations relatives à l’environnement, au pouvoir et à la pression locale !

Je remarque, enfin, que nous avons été peu nombreux dans cet hémicycle à défendre le principe constitutionnel du développement durable. Vous avez, pour beaucoup, hypothéqué le principe de développement économique au profit de la protection parcellaire de l’environnement, alors que le principe constitutionnel nous impose de concilier les deux, au risque de se faire taxer par certaines associations écologistes de « VRP de Total »… C’est ce que j’ai vécu ! Je n’ai pourtant pas eu la chance de rencontrer les dirigeants de cette multinationale, ce qui, au demeurant, n’aurait rien eu de déshonorant.

J’espère que la réforme du code minier nous donnera l’occasion de revenir sur ce sujet. Je forme le vœu que le clivage politicien qui nous divise aujourd’hui cède alors le pas à un débat national plus objectif et plus réaliste. Car je trouve tout de même assez extraordinaire que, dans une enceinte parlementaire, les mêmes auditions et rapports mènent à des préconisations parfois tout à fait opposées !

En séance, ce clivage est apparu nettement et beaucoup d’entre nous ont caricaturé le débat sur l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère en la présentant comme un « cadeau » fait aux pétroliers.

Il est vrai que, derrière le débat sur l’énergie, qu’elle soit fossile, nucléaire, renouvelable, il y a avant tout des entreprises qui œuvrent pour la croissance et des perspectives d’économies. Mais notre assemblée, me semble-t-il, doit limiter la portée de son œuvre normative à la possibilité d’offrir aux Français une énergie au meilleur coût économique, social et environnemental. Telle est ma conception du développement durable.

L’exploitation de nouvelles ressources peut également avoir un impact sur l’équilibre humain et familial, tout particulièrement en cette période de restriction du pouvoir d’achat.

Or je pense que le texte issu de la CMP constitue un pas en arrière par rapport à la solution équilibrée que je préconisais et qui était partagée par la majorité du Sénat en première lecture.

Aujourd’hui, l’importation de panneaux photovoltaïques de Chine, de gaz de Russie ou d’Algérie et, demain, peut-être, de Pologne, grâce à l’exploitation de leur gaz de schiste, a un coût économique, social et environnemental, ne l’oublions pas ! Or ce coût pourrait être réduit si nous arrivions à stimuler des dynamiques et à encadrer l’exploitation du gaz de schiste mieux qu’on ne le fait dans d’autres pays. Au lieu de cela, on freine des quatre fers ! La science nous effraie ! Nous doutons de notre propre capacité à encadrer correctement cette activité, au service du bien-être de chacun d’entre nous.

Nous serons donc obligés d’importer du gaz au prix fort, tandis que les sous-sols polonais, allemands et anglais feront l’objet d’exploitation, avec des normes peut-être moins sévères que celles que nous pourrions prendre. Des risques accrus de pollution menaceront alors des terres dont les fruits peuvent circuler librement et arriver dans nos assiettes !

En tant que sénateur élu d’une région frontalière, je suis bien placé pour vous parler des conséquences de ce type d’isolement : à l’époque de la restructuration de la sidérurgie, sous l’autorité du président Mitterrand, l’Arbed, entreprise luxembourgeoise, continuait à exploiter du minerai situé dans le sous-sol français pour nous le revendre ensuite, alors que les mines françaises avaient fermé. Tout cela s’était passé sur mon territoire et m’avait profondément frappé. J’espère que cette situation ne se renouvellera pas, mais ce risque existe, dans une Europe divisée sur ce thème.

La compétitivité de la France est menacée, car notre fébrilité ne touche pas seulement le domaine énergétique : elle se manifeste aussi à propos des nanotechnologies et des OGM.

Pour conclure, je forme le vœu que nous fassions preuve de plus d’impartialité, d’objectivité et surtout de responsabilité politique dans notre approche du débat énergétique – notamment s’agissant des hydrocarbures fossiles – dont la réforme du code minier nous donnera l’occasion. Je pense pourtant que ce sujet devrait plutôt relever d’une « loi pétrolière », dont j’ai proposé l’examen, en accompagnement de la réforme du code minier.

Je suis persuadé que si cette réforme intervient après un changement politique, espéré par certains d’entre nous, les positionnements sur ce débat évolueront très certainement. Le rapporteur y avait d’ailleurs fait allusion lors de la première lecture.

Pour l’heure, l’Union centriste se satisfait d’avoir au moins apporté un « mieux » par rapport à ce qui nous était proposé par l’Assemblée nationale, à défaut d’avoir obtenu un « bien ». Pour cette raison, la majorité du groupe votera ce texte. Il y va de l’intérêt de notre pays. Néanmoins, je reste persuadé que nous pouvions faire mieux et ma conviction reste entière en ce domaine.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M Aymeri de Montesquiou applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le président, madame la ministre, chères et chers collègues, le 1er mars 2010, le Gouvernement accordait des permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste, en catimini, sans fournir la moindre information à quiconque, même pas aux maires des communes concernées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

La décision fut prise immédiatement après le vote des lois dites Grenelle 1 et Grenelle 2. Quel grand écart !

À la fin de l’année 2010, la découverte de la délivrance de ces permis a suscité une très forte mobilisation citoyenne sur les territoires concernés. Les manifestations ont été et sont toujours très nombreuses. Celle du 26 février 2011 à Villeneuve-de-Berg, en Ardèche, a ainsi rassemblé plus de 20 000 personnes.

En effet, le retour d’expérience des États où se pratique l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a fait prendre conscience des dangers de la technique utilisée : la fracturation hydraulique, car c’est d’elle qu’il s’agit, est énormément consommatrice d’eau et fait courir le risque d’une pollution de la nappe phréatique par les adjuvants chimiques utilisés dans le processus.

Au Sénat, nous avons été plusieurs à poser des questions au Gouvernement, et le groupe socialiste, apparentés et rattachés a déposé, le 24 mars 2011, une proposition de loi dont les principaux points étaient les suivants : la reconnaissance de la distinction entre les hydrocarbures dits « conventionnels » et « non conventionnels » ; l’abrogation, avec effet rétroactif, des permis exclusifs de recherches ; l’obligation de conditionner la délivrance de tels permis au respect de certaines règles, à savoir la réalisation d’une enquête publique préalable et d’une étude d’impact ainsi que la consultation du public.

Cette remise à plat nous apparaît, en effet, comme une nécessité et un préalable à la révision du code minier et à un débat sur la politique énergétique de la France.

D’autres propositions de loi ont suivi, notamment à l’Assemblée nationale : celle, d’abord, du groupe socialiste, celle, ensuite, de Christian Jacob, président du groupe UMP, celle, enfin, de Jean-Louis Borloo, ce qui ne manque pas de sel quand on sait qu’il a lui-même signé les permis contestés !

Pris, en quelque sorte, la main dans le sac, le Gouvernement a décidé de mettre en place une mission appelée à rendre un rapport et, dans l’intervalle, a suspendu les recherches et travaux en cours. Puis il a fait en sorte que la proposition de loi Jacob, mais pas les autres textes, soit examinée sans délai.

Dans sa version initiale, cette proposition de loi prévoyait l’interdiction générale de l’exploration et de l’exploitation des huiles et gaz de schiste. Toutefois, au cours des débats à l’Assemblée nationale, l’article en question a été modifié, l’interdiction générale étant transformée en une simple interdiction de l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique.

Le texte, ainsi modifié, a été examiné par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat. Les socialistes, les Verts, les communistes, les sénateurs du parti de gauche et les radicaux de gauche ont voté contre, d’autant qu’un amendement centriste, adopté par la majorité, est venu autoriser l’expérimentation de la fracturation hydraulique à des fins de recherche scientifique.

Lors de l’examen en séance publique ici même, les 1er et 9 juin, nous avons déposé des amendements reprenant les principaux points de notre proposition de loi qui n’avait pu être examinée. Ceux-ci ayant été tous rejetés par la majorité sénatoriale, nous avons voté contre le texte.

La version du Sénat différant quelque peu de celle de l’Assemblée nationale, une commission mixte paritaire a été réunie au Sénat en vue d’élaborer un texte commun. Lors de cette réunion, les deux rapporteurs ont proposé de supprimer l’amendement centriste à l’article 1er, c'est-à-dire l’expérimentation de la fracturation hydraulique.

Toutefois, une telle possibilité a été réintroduite à l'article 1er bis, où elle figure cependant d’une manière beaucoup plus voilée. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles Alain Fauconnier, ici présent, sénateur de l’Aveyron, qui représentait avec moi le groupe socialiste du Sénat en tant que membre titulaire la commission mixte paritaire, s’est livré au commentaire suivant : « Le débat était gazeux, il est devenu fumeux. »

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

En commission mixte paritaire, nous avons déposé des amendements sur les articles restant en discussion. Ceux-ci ayant été rejetés, nous avons voté contre le texte.

Depuis, les conclusions de la commission mixte paritaire ont été adoptées par l’Assemblée nationale et elles nous sont soumises ce soir. Voilà où nous en sommes.

Que peut-il se passer maintenant ?

Bien que les industriels titulaires de ces permis aient indiqué, explicitement ou implicitement, leur intention d’utiliser la technique de la fracturation hydraulique dans les pièces annexes aux permis exclusifs de recherches, on peut raisonnablement penser qu’ils décideront de recourir à la possibilité offerte par l'article 2 du texte en déclarant ne pas utiliser cette technique, ce qui leur permettra de conserver le bénéfice de leurs permis. Ceux-ci ont d’ailleurs saisi le juge administratif d’une demande d’annulation des arrêtés municipaux interdisant l’exploration et l’exploitation. S’ils ont satisfaction, rien ne les empêchera de prendre contact avec des propriétaires privés pour entrer sur leurs terrains et pratiquer des forages sans fracturation hydraulique.

Peut-être iront-ils plus loin en baptisant sous un nom différent cette technique, échappant ainsi aux dispositions de l’article 1er. Ou peut-être tenteront-ils, madame la ministre, d’obtenir des autorités le droit de réaliser des expérimentations à des fins scientifiques.

Au final, le texte sur lequel nous avons à nous prononcer se caractérise par un « ni-ni » : ni véritable interdiction, ni abrogation. Ces ambiguïtés paraissent avoir pour seul objectif de ne pas mécontenter les entreprises concernées puisque la porte n’est pas fermée à la poursuite des recherches ni même à l’expérimentation de la fracturation hydraulique, expérimentation à des fins scientifiques rendue possible par l'article 1er bis.

Le Gouvernement veut, à l’évidence, éviter le risque éventuel de devoir payer des indemnités aux entreprises titulaires de permis.

Ce constat conduit notre groupe à renouveler sa demande d’une révision du code minier et d’un débat sur la politique énergétique de la France.

À ce sujet, madame la ministre, où en sommes-nous ?

Le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de l’ordonnance du 20 janvier dernier portant codification de la partie législative du code minier. Il n’en demeure cependant pas moins que ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement, alors que vous aviez annoncé que nous pourrions en débattre avant l’été : or, si je ne me trompe, nous sommes maintenant en été…

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre

Il y a trop de textes de loi, monsieur Teston !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

C’est dans ce contexte que nous sommes ainsi amenés à nous prononcer, en procédure accélérée, sur un texte caractérisé par des ambiguïtés majeures, venant s’ajouter au manque de transparence du Gouvernement dans la conduite de ce dossier.

Ce texte n’apportant aucune véritable garantie, il est certain que, au-delà du vote de ce soir, – je n’ai pas besoin de préciser dans quel sens ira le nôtre ! –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

M. Michel Teston. … la mobilisation citoyenne va continuer, relayée par une vigilance toute particulière des élus des territoires concernés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois à peine, les termes techniques « hydrocarbures de roche-mère » ou encore « fracturation hydraulique » n’étaient connus que des spécialistes et totalement ignorés de la plupart des Français. Et qui, parmi nos concitoyens, même parmi les élus, avait alors connaissance de l’existence de permis exclusifs de recherches d’un nouveau type d’énergie appelé « gaz de schiste » ?

En mars 2010, la décision d’accorder des permis de forages de prospection sur le territoire national à plusieurs industriels, américains et français, fut prise sans la moindre consultation, malgré les questions en suspens sur les techniques utilisées pour l’exploration et l’exploitation.

Après la diffusion d’images frappantes de robinets crachant du feu ou de paysages dévastés, certes vraisemblablement mises en scène, mais toujours traumatisantes, l’inquiétude, d’abord, puis l’indignation et la colère ont saisi les habitants des départements concernés par les permis, dont l’existence n’a été révélée que par la presse.

Les Français ont alors commencé à s’interroger sur cette nouvelle ressource énergétique, le Gouvernement a dû instaurer un moratoire sur les autorisations et, finalement, le Parlement a légiféré à la hâte, dans l’urgence, sur un problème complexe dont on découvrait la réalité.

Nous sommes très nombreux à nous interroger sur cette précipitation gouvernementale.

La mobilisation citoyenne, si elle est légitime, ne doit pas susciter de telles méthodes de gouvernance. Le rôle du Parlement n’est pas, ne doit pas être de réagir à chaud sur tous les sujets faisant la une des médias.

Le débat, trop improvisé, et donc incomplet, sur un sujet pour lequel on est encore mal informé se trouve totalement faussé. L’absence d’information et la mauvaise communication ont largement contribué à envenimer la situation.

Mes chers collègues, personne n’ignore plus aujourd’hui que les gaz de schiste font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la technique n’a pas encore apporté toutes les réponses. Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles ne s’inscrit pas dans les objectifs du Grenelle de l’environnement, les conséquences sur l’environnement et la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste seraient potentiellement graves, mais restent aujourd'hui peu connues.

Tout, donc, se résume à de grandes interrogations.

Dès lors, l’urgence est, me semble-t-il, d’acquérir une connaissance scientifique sur ces procédés et leurs conséquences. La majorité de mes collègues du groupe du RDSE et moi-même estimons indispensable de lancer au plus vite un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux à l’échelon national, voire européen.

La recherche sur les techniques d’exploitation des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France ; c’est fort regrettable. Les incertitudes et les différences de point de vue sont toujours trop grandes.

Hier encore, les médias faisaient état d’une nouvelle polémique aux États-Unis, après la publication sur le site du New York Times de courriels échangés par certains acteurs du secteur ; il semble bien qu’un intense débat se développe aussi entre les spécialistes.

Pour opérer les bons choix, nous avons besoin d’une véritable étude scientifique. Nous n’en disposons pas aujourd'hui : l’émotion prend donc le pas sur la raison et brouille notre réflexion. Les conditions ne sont pas, selon nous, réunies pour légiférer.

Pour l’instant, seule l’expérience d’autres pays exploitant ces ressources depuis plusieurs années, comme les États-Unis ou le Canada, nous donne quelques éléments sur les conséquences de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. Il est indéniable que cette exploitation est aujourd’hui loin d’être neutre d’un point de vue écologique.

Deux arguments principaux sont avancés pour refuser catégoriquement l’exploitation des gaz de schiste. D’une part, la fracturation hydraulique nécessite de grandes quantités d’eau, ce qui va clairement à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable. D’autre part, les produits chimiques utilisés seraient vraisemblablement toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Pourtant, une étude scientifique américaine récente, si elle admet des cas de contamination de l’eau potable, estime que la pollution serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits. Qui croire ?

Nous entendons aussi les inquiétudes concernant les rejets accidentels de méthane et les remontées à la surface de boues toxiques.

Tout cela est, certes, très alarmant.

Pour autant, à ce stade, si la préservation de l’environnement reste une priorité et nous conduit à la plus grande prudence sur l’exploitation des gaz de schiste, il serait stérile de fermer définitivement la porte à l’expérimentation scientifique. Hormis la fracturation, il y a peut-être de nouvelles techniques à mettre en œuvre. Par exemple, l’extraction de gaz de schiste par injection de propane est déjà utilisée de façon marginale au Canada et pourrait à l’avenir représenter une solution de remplacement. Sans expérimentation, nous ne pourrons pas découvrir toutes ces nouvelles techniques et serons condamnés à importer de l’énergie au prix fort.

Or la sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures, qui peuvent devenir vitales. Elles se situent au cœur du débat. Il faut rappeler que la France dispose d’une soixantaine de petits gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et le Bassin parisien ; leur production représente entre 1 % et 2 % de la consommation nationale. Par conséquent, 98, 5 % du gaz naturel que nous consommons en France est importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et n’ira qu’en augmentant puisque notre consommation est appelée à croître inexorablement dans les cinquante années à venir.

Malgré les efforts consentis pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de développement d’énergies renouvelables, nous sommes toujours de grands consommateurs d’hydrocarbures, et nous le resterons sans doute encore pendant de longues décennies. L’exploitation de nouvelles ressources ne peut donc être refusée par principe : elle est essentielle pour notre indépendance énergétique.

Selon une étude de l’Agence d’information sur l’énergie publiée en avril 2011, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. Même si nous manquons encore de certitudes scientifiques sur ce point, nous ne pouvons rejeter a priori ce potentiel : il représente un tel enjeu d’un point de vue économique et stratégique qu’il justifie toutes les recherches. On ne peut refuser l’hypothèse selon laquelle notre sous-sol pourrait nous conférer une plus grande indépendance énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie quant à la production de gaz naturel. Ils ont, grâce à cela, pris la tête du classement mondial.

Bien entendu, des polémiques agitent les États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste. Néanmoins, leur exemple montre quel atout considérable peut représenter cette ressource ; il serait irresponsable de l’ignorer ou de la refuser a priori.

Le principe de précaution ne doit pas conduire à l’immobilisme et à l’obscurantisme.

L’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de l’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée avec légèreté. Au-delà de la question écologique, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient s’en trouver bouleversés.

Le texte proposé aujourd’hui à notre examen n’est pas satisfaisant. Il est intervenu dans un contexte peu serein. Non seulement il ne repose sur aucune étude scientifique fiable, mais il a été examiné par les deux assemblées alors que la mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier n’avait pas encore rendu ses conclusions. Quant à la mission confiée par le Gouvernement au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil général de l’environnement et du développement durable, son rapport définitif est toujours attendu. L’emballement irrationnel dont a fait l’objet le dossier du gaz de schiste décrédibilise l’exécutif et le Parlement.

Par ailleurs, ce texte est la conséquence directe d’une erreur manifeste d’appréciation globale dans ce dossier. Comment peut-on accepter que des actes administratifs ayant des conséquences aussi importantes sur les territoires que les permis d’exploration des sous-sols aient été pris sans aucune connaissance ni concertation en amont ? C’est impensable, et cela nous oblige aujourd’hui à de bien périlleuses acrobaties juridiques et législatives, sans parler des risques financiers auxquels nous nous exposons vis-à-vis des entreprises bénéficiaires d’autorisations de prospection.

Pour couronner le tout, il est clair que ce texte n’est de nature ni à apaiser l’inquiétude et donc la colère de nos concitoyens ni à répondre à leurs attentes en matière de politique énergétique. Il ne satisfait personne. La mobilisation des citoyens, et pas seulement de ceux qui sont immédiatement et directement concernés, ne faiblira pas. Les industriels déjà engagés ne pourront poursuivre leurs recherches et réclameront de fortes indemnités. En outre, notre pays risque de se priver de ressources essentielles, et ce à un moment où nous redéfinissons une politique énergétique que nous souhaitons fondée sur le principe de l’indépendance.

L’orientation de notre politique énergétique et de ses ressources potentielles mérite d’être reconsidérée après la catastrophe de Fukushima. Comme l’a déjà dit à cette tribune Yvon Collin, nous souhaitons un débat global sur la politique énergétique de la France, un « Grenelle de l’énergie ».

Avant même son adoption définitive, ce texte montre ses faiblesses, et nous savons déjà qu’il n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste.

Nous allons être le premier pays au monde à interdire la technique de la fracturation hydraulique. Faut-il s’en réjouir ? Je n’en suis pas certain.

Était-il opportun de légiférer sur ce sujet-là, et à ce moment précis ? J’en doute fortement.

C’est pourquoi, comme en première lecture, aucun des membres du groupe RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, beaucoup d’autres, comme moi, s’abstiendront.

Écoutons Louis Pasteur : « La chance ne sourit qu’aux esprits biens préparés. » Préparons donc l’avenir ! (

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat parlementaire mouvementé autour des propositions de loi relatives à l’exploration des hydrocarbures de roche prend fin ici par la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire et par le vote du texte définitif.

J’espère sincèrement que la langue de bois et le double langage qui ont marqué nos débats ne seront pas de mise ce soir, mais j’avoue avoir quelques doutes.

En effet, il n’a jamais réellement apporté de réponse à la question de savoir s’il fallait interdire l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste et, en conséquence, abroger l’ensemble des permis accordés.

Ainsi, madame la ministre, si vous avez institué un moratoire et créé une mission d’information interministérielle, affichant par là même votre détermination à ne pas reproduire les erreurs commises outre-Atlantique, vous avez pourtant laissé la majorité parlementaire affirmer, sans la contredire, que la place du gaz et des huiles de schiste dans le bouquet énergétique était indiscutable.

En effet, dans un premier temps, les parlementaires de la majorité, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont joué l’indignation en déposant des propositions de loi tout à fait claires sur les risques environnementaux et sanitaires de l’exploitation des hydrocarbures de roche. Pourtant, dans un second mouvement, l’adoption d’amendements lors des débats a permis de modifier en profondeur le dispositif proposé, pour en faire un dispositif obsolète avant même son application.

Ainsi, la proposition de loi n’a cessé de perdre de sa portée.

Elle est d’abord devenue inefficace à l’Assemblée nationale par la réécriture de l’article 2, qui, dans sa rédaction finale, ne prévoit plus l’abrogation automatique des permis de recherche concernant l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Pis, elle est devenue contre-performante, à la suite de son passage dans notre hémicycle puisque la majorité a autorisé, sous couvert de nécessité de recherche scientifique, la fracturation hydraulique que les propositions de loi se proposaient d’interdire ; et ce, alors qu’il s’agit d’un enjeu environnemental considérable, notamment au regard de la consommation importante d’eau qu’induit la fracturation hydraulique, mais également des risques de pollution des nappes phréatiques par des adjuvants chimiques.

Pour ces raisons, nous avons vivement combattu ce texte et sa réécriture par la commission de l’économie. Le groupe CRC-SPG a également fait le choix, lors des dernières questions d’actualité, de rappeler la dangerosité du texte proposé et d’inviter le Gouvernement à davantage de prudence. En vain, puisque vous nous avez répondu de manière parfaitement inexacte, madame la ministre, que « l’objet de la proposition de loi était bien d’empêcher l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste au moyen de la fracturation hydraulique, seule technologie aujourd’hui utilisable ». Il s’agit d’une inexactitude, par erreur ou par oubli, puisque l’exploration par fracturation hydraulique était bien autorisée par le texte de la commission à des fins de recherche scientifique.

Vous nous avez également répondu que la nouvelle rédaction de l’article 2, aux termes de laquelle les permis de recherche seraient abrogés si, dans un délai de deux mois, les industriels indiquaient avoir recours à la fracturation hydraulique, inciterait les industriels à « sortir du bois et à se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ». Le pensez-vous réellement ?

Les industriels, par exemple le groupe Total, ou les sociétés Toreador et Shuepbach, ont-ils intérêt à déclarer qu’ils recourent à la fracturation hydraulique ? Est-ce d’ailleurs de leur responsabilité de se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ? N’est-ce pas plutôt à la loi de l’imposer ? Sur le fond, ne sont-ils pas d’ores et déjà « sortis du bois », en sollicitant vivement les parlementaires afin d’adopter cette nouvelle version de l’article 2 qui leur convient assez bien, comme le rappelait le PDG de Total lors d’une assemblée générale des actionnaires du groupe ?

Le Monde d’hier citait un industriel qui réagissait à la possibilité d’abandonner ses permis : « Dans le monde de la mine, un permis, c’est les tripes d’un industriel, son actif le plus précieux, son portefeuille. »

De fait, les industriels qui n’envisagent pas une seconde d’arrêter toute exploitation déclareront, évidemment, qu’ils n’utilisent pas la fracturation hydraulique, mais recourent à une autre pratique, par exemple la « stimulation de la roche ». Ils seront également tentés, comme l’affirment Toreador et Schuepbach, d’explorer, voire d’exploiter la piste du contentieux juridique, tant ce texte de loi présente de failles.

Je leur fais également confiance pour développer de nouvelles techniques, notamment à base de propane ou d’azote, sans par ailleurs prévoir aucune étude d’impact sur l’environnement, afin de ne pas se retrouver contraints d’abandonner une manne très profitable avec l’exploration de ces hydrocarbures.

De l’article 2 il n’a pas été question en commission mixte paritaire puisque la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a été votée de manière conforme au Sénat. Ce qui a évolué, c’est l’article 1er et les arrangements pris par la majorité parlementaire avec le principe d’interdiction du recours aux forages suivis de fracturation hydraulique.

Nous le reconnaissons, la version proposée par la commission mixte paritaire est meilleure, ou moins mauvaise, que celle adoptée par le Sénat.

Il faut dire que l’adoption des amendements du sénateur Bizet en commission de l’économie, puis leur confirmation en séance constituaient un recul particulièrement flagrant puisque, au final, la pratique de la fracturation hydraulique était légalisée sous couvert des besoins de recherche.

Autre amélioration : alors que nous avions indiqué en séance que nous trouvions étrange de concevoir une commission nationale privée de représentants du Parlement, un amendement en ce sens présenté par les deux rapporteurs a été adopté en commission mixte paritaire.

Nous aurions souhaité que nos autres arguments trouvent la même issue et que les membres de la majorité nous écoutent un peu plus, car cela ne fait pas du texte proposé par la commission mixte paritaire un bon texte de loi.

Les aspects nocifs perdurent. Ainsi, l’article 1er bis, qui crée une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, a été maintenu, alors que nous en avions demandé la suppression.

Les missions de cette commission restent par ailleurs identiques, ce qui est en contradiction totale avec l’article 1er. Cette commission a pour mission d’évaluer les risques liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Il faut être précis : si la technique de la fracturation hydraulique est interdite, est-il nécessaire d’évaluer les risques qu’elle engendre ? En effet, l’évaluation sous-entend l’expérimentation. Or cette expérimentation est bien prévue à l’article 4, alors même qu’elle devrait être impossible au regard du contenu même de l’article 1er.

On reste donc dans un dispositif ambigu et contradictoire, bref inapplicable.

Nous voyons bien, sur le fond, que la réécriture de l’article 1er par la commission mixte paritaire, si elle constitue un progrès, ne règle pas la question de manière satisfaisante et laisse la voie ouverte à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Fondamentalement, en limitant la question de l’exploitation des hydrocarbures de roche aux seuls forages suivis de fracturation hydraulique, mais également en renversant la charge de la preuve au profit des industriels, toute latitude est donnée pour l’exploitation des huiles et gaz de schiste, contrairement à ce qui a encore été affirmé par la majorité parlementaire lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Non, cette proposition de loi ne ferme pas la porte à l’exploration des hydrocarbures de roche. À l’inverse, l’ensemble du dispositif de cette loi et son articulation permettent de ne pas se priver, à l’avenir, de cette ressource fossile. C’est en fait, très clairement, l’objectif de la majorité.

En effet, interdire véritablement l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schistes exige que les permis de recherche soient abrogés par la loi ; car, loin des affirmations de la majorité parlementaire, ceux-ci ne sont pas muets et mentionnent explicitement les pratiques utilisées. Nous le savons aujourd’hui grâce aux documents fournis par la Commission d’accès aux documents administratifs.

De plus, en s’arrêtant, pour les techniques employées, à une dénomination qui n’a pas de définition juridique claire, la porte reste ouverte à de nouvelles appellations pour une technique qui resterait la même, et donc à de nombreux contentieux juridiques.

Et quand bien même de nouvelles techniques seraient envisageables, comment celles-ci pourraient-elles éviter la fracturation puisque le gaz est emprisonné au cœur de la roche ? Or la fracturation de la roche à grande échelle pose de nombreux problèmes, et nous avons aujourd’hui suffisamment de retours des expériences nord-américaines pour en être convaincus.

Je voudrais également revenir sur l’opacité qui a entouré cette question. Durant de nombreux mois, les maires et les populations ont été totalement ignorés, n’apprenant les risques de désastre écologique encourus que grâce à la diffusion de documentaires réalisés outre-Atlantique.

En ce domaine, nous ne le répéterons jamais assez, l’information et la transparence en matière énergétique doivent être un corollaire de l’action publique. Alors que l’accident de Fukushima devrait nous éclairer sur cette nécessité, le Gouvernement et les services de l’État ont continué de pratiquer la rétention d’information.

Je crois pourtant que nos concitoyens et les élus des territoires concernés méritent plus de respect de la part du Gouvernement.

Pour finir, mais j’aurais pu commencer par là, je dirai que reste posée la question de l’opportunité de continuer dans la voie de l’exploitation des ressources fossiles, quelle que soit la technique employée. Sur ce point, nous avons, madame la ministre, une divergence importante.

En effet, pouvons-nous encore nous permettre, en contradiction avec l’ensemble de nos engagements internationaux concernant la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et ceux pris lors du Grenelle de l’environnement, de faire reposer l’avenir énergétique de la France sur l’extraction de ressources fossiles ?

La fin annoncée de l’ère du pétrole laisse trop de questions sans réponses parce que la transition écologique n’est pas assurée. Cette situation s’explique notamment par un déficit de recherche scientifique, mais également et surtout par la structuration du marché énergétique.

Comme ils sont principalement déterminés par la profitabilité, les principaux acteurs se placent, de fait, en dehors de toute responsabilité économique, sociale ou environnementale. Nous voyons bien là les limites concrètes du modèle libéral et son incapacité à penser de manière durable l’accès aux ressources de première nécessité.

En tout état de cause, nous estimons que l’avenir énergétique de la France, de l’Europe et du monde passera non pas par l’exploitation des huiles et gaz de schiste, mais bien par la recherche dans le domaine des énergies renouvelables, afin d’en renforcer progressivement le poids dans le bouquet énergétique.

Ainsi, fondamentalement, l’ambition en termes de politique énergétique portée par les sénateurs de mon groupe réside dans une réappropriation des enjeux, grâce à une maîtrise publique renforcée, seule à même de garantir véritablement la sécurité d’approvisionnement.

Un pôle public de l’énergie, dans lequel serait par exemple intégrée une société comme Total, permettrait également d’influer sur les choix d’investissements et la politique de développement de cette dernière. Une telle évolution serait particulièrement bienvenue à l’heure actuelle alors que cette société se prépare à aller exploiter les hydrocarbures de roche présents dans le sous-sol polonais, en dehors de tout principe de responsabilité environnementale, ce qui ne devrait plus être permis.

La transition écologique et la garantie de l’accès de tous à l’énergie imposent donc de revoir les modèles libéraux appliqués par l’Union européenne et singulièrement par notre Gouvernement, ceux-là même qui nous ont conduits à privatiser GDF, à ouvrir le capital d’EDF, à octroyer des permis de recherches à des sociétés privées dont le seul objectif est de réaliser d’importants bénéfices sur les ressources de notre sous-sol. À l’inverse, l’intérêt général commande de reprendre le contrôle de notre avenir énergétique et non de le déléguer à la bonne volonté du marché et des actionnaires.

À ce titre, les révélations du New York Times, qui ont déjà été évoquées à cette tribune, devraient nous interpeller. En effet, comparant l’affaire des gaz de schiste à celle d’Enron, le célèbre journal place assez haut le niveau de mystification de la population et de détournement d’argent : un responsable du secteur forage d’un grand cabinet d’études américain aurait ainsi assuré que l’exploitation du gaz de schiste s’apparenterait à une « arnaque pyramidale » visant à gruger les investisseurs.

Du reste, alors que l’exploitation de cette ressource fossile est promue par les industriels comme le nouvel eldorado énergétique et que les élites politiques semblent convaincues, de nombreux professionnels, notamment des géologues, estiment que la révolution du gaz de schiste est survendue. Les réserves exploitables pourraient être très inférieures à celles annoncées. Au Texas, les puits ne produisent que 20 % de ce qui était annoncé. De plus, l’exploitation serait bien moins rémunératrice qu’on ne s’y attendait.

Voilà encore une illustration navrante du pouvoir des lobbies sur les choix politiques et, en l’occurrence, énergétiques, ces lobbies qui souhaitent, avec cette exploitation, engendrer une bulle spéculative permettant de dégager des profits pour les grands groupes énergétiques en dehors de la réalité économique et loin de toute considération environnementale.

Ces révélations faites par le New York Times devraient vous amener à revoir d’urgence votre copie, car elles illustrent les contradictions inhérentes à la défense de l’intérêt général face aux intérêts privés, contradictions dans lesquelles le Gouvernement s’est enlisé. La responsabilité politique devrait vous conduire à satisfaire avant tout l’intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche confirme son opposition à cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire pose clairement le principe de l’interdiction, tout en permettant le développement, dans des conditions strictes, de la connaissance.

Je tiens à rendre hommage au rapporteur, mon collègue Michel Houel, qui a veillé à ce que le texte final soit équilibré et qu’il contribue à rassurer nos concitoyens.

La commission mixte paritaire a estimé souhaitable de revenir sur la rédaction de l’article 1er, le code minier n’abordant pas la question de l’expérimentation. Cette sage décision nous permettra d’attendre la réforme de ce code, que nous espérons pour l’automne et qui instituera un cadre juridique clair.

La commission mixte paritaire a approuvé la création, selon le souhait du Sénat, d’une commission de suivi qui donnera un avis sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations à seules fins de recherche scientifique, sous contrôle public, afin d’évaluer les techniques d’extraction alternatives.

Les débats ont été très vifs entre les tenants de l’interdiction absolue et les personnalités, dont je suis, qui estiment que nous n’avons pas le droit de fermer la porte à des progrès technologiques nous permettant, comme nous l’espérons, d’accéder à de nouvelles et importantes ressources d’énergie.

La France n’est pas assez riche en réserves d’énergies de source fossile pour se permettre de renoncer à leur évaluation et à leur exploitation éventuelle sans expérimentation contrôlée et sans étude approfondie de ce qui se passe dans d’autres territoires – je pense notamment au Canada, particulièrement en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec.

Le groupe parlementaire France-Canada a consacré une partie de son dernier voyage à l’audition des principaux acteurs de la filière, des autorités québécoises qui en ont la responsabilité, et des experts, notamment universitaires, qui étudient depuis plusieurs années les nuisances de toute nature liées à l’exploitation des gaz et des huiles de schiste.

Je dois vous dire que, à l’issue de ces auditions contradictoires, le sentiment des parlementaires membres de notre délégation était mitigé et beaucoup moins tranché qu’à leur arrivée au Québec pour ce qui concerne le gaz de schiste, alors qu’il restait très réservé pour ce qui concerne l’exploitation des schistes bitumineux de l’Alberta, à Fort McMurray et dans ses environs.

Nous avons noté en particulier les progrès constants des techniques d’extraction, et les efforts des sociétés concernées, sous la pression également constante de l’opinion publique, pour réduire tant les nuisances environnementales en surface que les incertitudes liées à la fracturation hydraulique, notamment en matière d’utilisation des ressources en eau, à leur retraitement, à leur restitution au milieu naturel et à leur réutilisation.

C’est pourquoi il m’apparaît essentiel, pour ne pas compromettre l’avenir, que la commission de suivi élargisse ses consultations et son expertise à l’ensemble des sites et des mécanismes d’exploitation opérationnels hors de nos frontières.

Le Parlement pourrait également confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui regroupe des parlementaires de toutes opinions et développe une analyse libre et indépendante, une étude approfondie de cette question si importante pour notre avenir et notre indépendance énergétique.

La commission mixte paritaire a également approuvé la présence de deux parlementaires à la commission nationale d’orientation, là encore selon le souhait du rapporteur du Sénat.

Enfin, elle a approuvé la remise d’un rapport annuel au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux, et sur la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement dans le domaine minier.

Le texte précise ainsi que le Parlement ne peut se priver d’une information essentielle à la satisfaction de l’article 6 de la Charte de l’environnement, dont je rappelle les termes : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

La fracturation hydraulique avait suscité un grand émoi, qui a permis de mettre en lumière une triple exigence : celle de moderniser notre législation minière devenue obsolète ; celle, pour le Parlement, de favoriser le développement de la connaissance du sous-sol et d’encourager l’innovation pour l’élaboration de techniques d’exploration et d’exploitation maîtrisées et respectueuses de l’environnement ; enfin, celle d’une meilleure implication des collectivités territoriales et d’une information accrue du public.

Malgré ses imperfections, qui ont été soulignées par plusieurs orateurs, la proposition de loi satisfait à ces exigences. Elle met en œuvre le principe de précaution et répond indéniablement au désir légitime de transparence de la population et des élus des territoires concernés.

Ce sont les raisons pour lesquelles, avec mes collègues du groupe UMP, nous y apporterons notre soutien.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cet examen des conclusions de la commission mixte paritaire, s’achève enfin, ce soir, le « marathon » législatif et médiatique commencé il y a quelques mois.

Votre prédécesseur, madame la ministre, avait cru bon d’autoriser les fameux permis qui ont fait couler tant d’encre et mobilisé, sur le terrain, tant de nos compatriotes, horrifiés à l’idée de voir mener en France une expérience technologique que les Américains regrettent aujourd’hui d’avoir laissée prospérer : ils s’en mordent franchement les doigts !

Réunions publiques et manifestations dans les régions, y compris aux portes de Paris, dans plusieurs départements d’Île-de-France, questions écrites, orales ou d’actualité dans les deux assemblées, propositions de loi de tous bords, rapports, débats se sont succédé pour parvenir à une seule et même constatation : la majorité de droite s’est enferrée dans un dossier dont elle ne sait plus comment se sortir, sauf à multiplier les arguties, les faux-semblants, les contrevérités.

Jamais, en effet, depuis le commencement de cette interminable discussion, n’a été apportée une réponse claire à une question claire : la fracturation hydraulique sera-t-elle, oui ou non, interdite en France après le vote de cette loi ?

Le groupe socialiste a déposé une proposition de loi qui, elle, avait le mérite d’être tout à fait explicite à cet égard.

Je ne voudrais pas me répéter en ressassant les arguments que j’ai moi-même, à plusieurs reprises, développés dans cet hémicycle. Ce n’est pas l’opposition sénatoriale qui a autorisé les recherches de gaz de schiste, encouragé son éventuelle exploitation et, jusqu’au dernier moment, caressé l’espoir, après un repli stratégique, de les reprendre au moment qui paraîtra opportun.

Non, madame la ministre, ce n’est pas une conviction personnelle que vous avez exprimée ici même ; vous avez seulement ouvert une parenthèse pour gagner du temps.

De cela j’ai eu la confirmation hier, dans une assemblée qui débattait des problèmes énergétiques, réunie dans les locaux du Cercle de l’Union interalliée. Un proche conseiller du Président de la République – je pourrai vous donner son nom en aparté, si vous le souhaitez, madame la ministre – a confié, devant un partisan des gaz de schiste qui s’interrogeait sur les conséquences de la loi : « Il ne faut pas voir les choses à l’instant. Dire que jamais on explorera, non ! Pour l’instant, on arrête, mais on continue d’expérimenter... Tout cela se fera dans le temps. »

Madame la ministre, c’est ce que l’on appelle le double langage ! Ce propos, s’il est cynique, a au moins le mérite d’être clair : en conclusion, l’exploitation du gaz de schiste serait pour le moment interdite, mais sa recherche est toujours autorisée… Il n’y a donc pas d’interdiction.

Entre-temps, d’autres institutions, et non des moindres, ont pourtant pris sur le sujet, vous l’avez rappelé, des positions très claires.

Je veux naturellement parler de l’UNESCO, qui, avant-hier, a choisi d’inscrire au patrimoine mondial la zone Causses-Cévennes, qui s’étend sur cinq départements, l’Aveyron, l’Ardèche, l’Hérault, le Gard et la Lozère, ainsi que sur deux régions, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Or c’est l’un des lieux phare sur lesquels des permis avaient été autorisés pour la recherche de gaz de schiste par fracturation hydraulique.

Pourquoi cette décision ? Pour la beauté, bien sûr, de ses paysages naturels – vous l’avez dit – et de son architecture traditionnelle. Mais surtout, et c’est d’ailleurs une première, « pour s’attacher à pérenniser le travail des hommes qui ont vécu sur ces terres », autrement dit pour protéger l’agro-pastoralisme et l’un de ses produits d’excellence sur le plateau du Larzac : le roquefort.

Il s’agit en fait de « sanctuariser » une activité que la fracturation hydraulique eut incontestablement détruite par les conflits d’usage de l’eau, l’altération des écosystèmes, la dégradation de la biodiversité, la pollution et l’assèchement progressif des nappes phréatiques.

Madame la ministre, vous venez de rappeler que vous avez vous-même donné un avis très favorable – j’en prends acte – à l’inscription de ce territoire à l’UNESCO. Cet avis a pesé.

Pour être franc, je ne comprends pas que vous puissiez présenter un tel texte qui autoriserait sur cet espace, non pas l’exploitation de gaz de schiste par fracturation, certes, mais son exploration expérimentale à titre scientifique.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre

Ce n’est pas vrai ! De telles déclarations sont graves !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Cette ambiguïté de vocabulaire est habile !

En cohérence avec votre avis, vous allez me dire qu’on n’expérimentera pas sur ce territoire, ce qui signifie qu’on expérimentera ailleurs, pour des raisons scientifiques.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre

La fracturation hydraulique est interdite ; un point, c’est tout !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Contrairement à ce que vous affirmez, on pourra continuer, à titre expérimental, à procéder aux fracturations, en se référant aux alinéas 2 et 3 de l’article 1er bis.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre

Quelle mauvaise foi !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

La conclusion de tout cela est simple : avec l’extraction, à titre expérimental, des hypothétiques gaz et huiles de schiste, non seulement la France tourne le dos à la nécessaire transition environnementale, mais elle ne respecte pas non plus les engagements nationaux qu’elle a contractés, en vertu notamment de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, dite loi « POPE » – ainsi que ses propres engagements internationaux : Kyoto, Cancún, Copenhague, etc.

Madame la ministre, la proposition de loi que vous défendez – je l’ai affirmé à plusieurs reprises dans cet hémicycle et en commission mixte paritaire, et je le répète encore – n’est pas satisfaisante et vous le savez. Contrairement à ce que vous déclarez, elle n’interdit pas définitivement la technique de fracturation.

Pour quelle raison ? Tout simplement parce que le Gouvernement s’est mis dans une ornière et a engagé une course contre la montre jusqu’à l’échéance de 2012, avec un texte qui dit tout et son contraire.

C’est à nous, élus des territoires concernés par ces permis et, par là même, représentants des populations protestataires, que l’on fait un procès en sorcellerie. Vous avez l’art de confondre les victimes que nous sommes et les coupables que vous êtes, ou plutôt qu’était votre prédécesseur, récemment converti à la dangerosité de la fracturation. En termes rugbystiques, cela s’appelle « faire les bordures », ou « botter en touche ».

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

M. Alain Fauconnier. C’est pourquoi, madame la ministre, je vous le dis une dernière fois : admettez une fois pour toutes que les Français ne veulent pas de cette technique, même à titre expérimental, et tirez-en toutes les conséquences. Ce n’est pas le cas de ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Michel Billout applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette fortement que ce ne soit pas pour valider la proposition de loi déposée par Nicole Bricq que nous sommes aujourd'hui réunis. J’avais en effet cosigné ce texte avec plaisir, parce qu’il avait le mérite de s’attaquer au fond du problème : il interdisait purement et simplement l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère. Les permis exclusifs de recherches, dont on sait avec quelle transparence et quel discernement ils ont été délivrés, auraient ainsi été définitivement abrogés et rendus impossibles. La volonté populaire majoritaire et la demande de ses représentants auraient, quant à elles, été entendues.

La proposition de loi que nous examinons ce jour présente au contraire bien des ambiguïtés et des lacunes, qui se sont aggravées au fil de la navette et de son passage en commission mixte paritaire.

Son principal défaut est de ne s’attaquer – d’ailleurs tout à fait partiellement ! – qu’à la méthode d’extraction par fracturation hydraulique, au demeurant qu’elle ne définit pas, laissant une confortable faille à qui veut s’y glisser. Elle ne touche pas en revanche au cœur du problème qu’est l’utilisation d’une « nouvelle » ressource fossile dispersée au sein d’une formation de roche non poreuse qu’il faut fissurer pour en permettre l’extraction.

L’abrogation des permis en cours emprunte des chemins tortueux qui laissent aux exploitants toute latitude pour observer une attitude passive et conserver leurs droits dans le temps en ne mentionnant pas l’utilisation des techniques de fracturation hydraulique.

Si elle ne les autorise plus explicitement à l’article 1er, la proposition de loi continue en effet de faire référence à de telles techniques, aux articles 1er bis et 4. Que veulent ses auteurs ? Les citoyens ont le droit de savoir !

Oui, la méthode de fracturation hydraulique pose de nombreux problèmes environnementaux et sanitaires, et il est urgent de faire en sorte qu’elle ne se pratique pas sous nos sols. Mais, d’une part, le Gouvernement n’a pas besoin de cette proposition de loi pour suspendre et abroger les permis exclusifs qu’il a accordés. D’autre part, ce texte ne répond pas à l’exigence minimale d’interdiction de la fracturation hydraulique, puisqu’il laisse la porte ouverte à la prospection et à l’expérimentation.

Enfin, comment pouvez-vous faire mine d’ignorer les retours d’expériences extrêmement négatifs des pays comme les États-Unis ou le Canada, qui, depuis une dizaine d’années, utilisent cette technique ? On prévoit d’expérimenter comme si l’on ne savait rien ! Pourtant, les rapports d’information confirment, les uns après les autres, les dégâts causés à l’environnement lorsqu’il y a fracturation de la roche, y compris par des techniques autres que l’injection de fluides.

Une fois de plus, les questions liées au choix des énergies fossiles et carbonées ne sont pas posées.

Avec le recours à ce type de ressource souterraine, plus compliquée à exploiter et coûteuse sur le plan environnemental, économique et sanitaire, l’apport irresponsable de gaz à effet de serre, qui accélère le changement climatique par un bilan carbone particulièrement chargé, où sont passés les engagements de la France de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ?

Madame la ministre, face à l’unanime mobilisation des territoires contre vos initiatives, vous faites de la communication avec le mot « interdire », mais vous laissez les portes ouvertes pour les industries gazières et pétrolières.

Pourtant, la question de l’exploitation des hydrocarbures de la roche-mère est grave et mérite un arbitrage clair, rendu en connaissance de cause. Les risques environnementaux – consommation d’eau, dispersion de polluants, contamination des nappes phréatiques, perturbation des sous-sols, bilan carbone négatif... – ont été longuement évoqués lors des discussions précédentes.

Aux articles 1er bis et 4, vous prévoyez respectivement la création d’une commission ainsi que la rédaction d’un rapport afin d’en savoir davantage. Pour ma part, je vous propose, à la place de ces articles, de gagner du temps et de l’argent public.

L’Agence de protection environnementale des États-Unis, l’EPA, peut vous donner toute la liste des composants des fluides de fracturation. L’Institut national de santé publique du Québec, l’INSP, met à votre disposition les effets des 20 millions de litres d’eau utilisés pour chaque puits.

Enfin, voici le rapport réalisé par la très sérieuse Association Toxicologie Chimie, sous la direction d’André Picot, toxicologue expert auprès de l’Union Européenne

Mme Marie-Christine Blandin brandit un document

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Il y est question, premièrement, des « molécules que les fluides contiennent quand on les injecte », et de « leurs effets toxiques », et, deuxièmement, des « molécules qui sortent des roches pulvérisées où elles étaient enfermées, ainsi que leurs graves effets sur l’organisme », ce qui prouve que, même si le gaz est extrait sans la fracturation hydraulique et l’injection de fluides toxiques, une liste de molécules particulièrement dangereuses s’échappera néanmoins.

Troisièmement, le rapport aborde « le fait que la zone de fracturation se comporte, entre les grains de sable qui l’empêchent de se refermer, comme un creuset où se déroulent des réactions chimiques, en présence de catalyseurs minéraux, qui produisent de nouvelles substances cancérigènes, neurotoxiques et hématotoxiques ».

Je ne vais pas vous citer toutes ces substances, qui sont répertoriées dans une dizaine de pages de tableaux. J’évoquerai seulement l’éthylène-glycol, le chrome hexavalent, le N-oxyde de la 4-nitroquinoléine, qui, entre autres réjouissances, ont tout de même eu la peau du bétail ayant inhalé ces substances, dont certaines ont en plus la faculté de traverser la peau, de se fixer dans les graisses et d’engendrer des leucémies !

Quant aux lugubres « pluies d’oiseaux », elles proviennent d’émanations de sulfure de dihydrogène.

J’ai bien entendu les propos de M. de Montesquiou, qui estime qu’il ne faut pas faire peur avec des robinets qui s’enflamment.

Voici ma réponse : un rapport scientifique, objectif, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

… que chacun peut consulter sur atctoxicologie.free.fr, le site de l’association.

Non, l’humanité n’en est pas au point de devoir sucer les roches pulvérisées pour produire les derniers kilowatts, au risque de mettre en péril ses paysages, sa santé et son eau potable !

Quelle est la priorité pour notre politique énergétique ? Trouver des solutions illusoires à notre boulimie? Je pense, et nous sommes de plus en plus nombreux à le penser, que l’avenir énergétique de la France passe par le triptyque : sobriété, efficacité et efficience, bouquet énergétique redéfini.

Sobriété : promenez-vous dans les rues en ces périodes de chaleur et sentez le froid de tous les climatiseurs qui refroidissent les pattes des moineaux : quel gâchis incroyable !

Efficacité et efficience : quand arrêtera-t-on de perdre 30 % de l’énergie en transports ?

Enfin, bouquet énergétique redéfini : il s’agit de laisser la part belle aux énergies renouvelables.

Il est plus que temps de privilégier l’intérêt général – nous sommes ici pour le défendre! –, et non les multinationales, qui ont dû avoir leurs entrées pour obtenir la signature des permis d’exploitation !

Il est temps d’avoir la volonté de développer les solutions qui respectent l’avenir.

Les écologistes ne voteront pas ce texte de dupes qui dissout le principe de précaution dans les autorisations d’expérimentations, fussent-elles déguisées en recherche scientifique.

Demandez aux habitants de Bure qui hébergent un laboratoire de recherche scientifique s’ils n’entendent pas déjà le bruit des camions qui ramènent l’uranium ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :

Proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique

(texte de la commission mixte paritaire)

En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national.

(texte de la commission mixte paritaire)

Il est créé une commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.

Elle a notamment pour objet d’évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives.

Elle émet un avis public sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues par l’article 4.

Cette commission réunit un député et un sénateur, désignés par les présidents de leurs assemblées respectives, des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret en Conseil d’État.

(texte de la commission mixte paritaire)

Le Gouvernement remet annuellement un rapport au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux, sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, sur les travaux de la commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation créée par l’article 1er bis, sur la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement de 2004 dans le domaine minier et sur les adaptations législatives ou réglementaires envisagées au regard des éléments communiqués dans ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...

Le vote est réservé.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au moment où nous allons clore ce débat, il est temps non plus de répondre à chaque argument par un argument opposé – mes collègues l’ont fait ce soir avec la même ardeur que lors de l’examen du texte en première lecture –, mais de faire le bilan et de se demander ce qui va se passer dans un avenir proche.

Finalement, et sans grande surprise, le texte qui résultera du débat parlementaire permettra aux entreprises extractrices d’attendre la fin de la séquence électorale qui commencera par les élections sénatoriales en septembre, suivies, quelques mois plus tard, par l’élection présidentielle et les élections législatives.

J’insiste sur ce point, parce qu’avant même la réunion de la commission mixte parlementaire, qui s’est tenue, me semble-t-il, le 15 juin, nous avons pu voir les entreprises concernées, ou les lobbies qui les défendent, égrener dans la presse le chapelet de leurs démonstrations scientifiques, suivant lesquelles d’autres techniques que la fracturation hydraulique étaient envisageables. Nous avons donc vu fleurir les initiatives, mais nous avons bien compris qu’il s’agissait d’attendre des jours meilleurs, en espérant que la mobilisation populaire faiblisse.

Je souhaite également revenir sur un sujet que nous n’avons pas pu aborder. En effet, entre le 1er juin, date du début du débat au Sénat, et le 15 juin, date de la réunion de la commission mixte paritaire, la mission d’information de l’Assemblée nationale a remis son rapport, dont la lecture attentive conforte l’analyse de notre groupe.

Je ne reprendrai pas en détail les conclusions de ce rapport, car il est trop tard. En revanche, nos collègues députés établissent un bilan assez accablant du passé et du passif du Gouvernement, sur les dix dernières années, et constatent un lent dessaisissement du politique, dans des domaines de plus en plus complexes. Le pouvoir a été abandonné à l’administration, puisque le ministre en charge de cette politique ne signait plus les permis exclusifs de recherche.

Du reste, votre prédécesseur, madame la ministre, a déclaré n’avoir eu connaissance de la question des hydrocarbures de schiste qu’après son départ du Gouvernement. C’est un comble et j’espère que vous avez repris la situation en main ! Mais je n’en suis pas si sûre…

En effet, des élus du parc naturel régional du Lubéron, dont le président Jean-Louis Joseph est un ami, m’ont fait part de leur colère, depuis qu’ils ont constaté que les services de l’État en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ont repris avec entrain l’instruction de deux permis d’exploration, les permis de Provence et de Gargas, pour ne pas les citer. Nous ne pouvons donc qu’être inquiets quant aux vertus du texte que la majorité sénatoriale va adopter.

Cette proposition de loi ne clôt pas la discussion, car il est impératif que la refonte du code minier, effectuée par ordonnance, fasse l’objet d’un véritable débat au Parlement, afin que celui-ci se ressaisisse de la question. Telle est, en tout cas, la volonté du groupe socialiste et j’observe que vous aviez pris rendez-vous à ce sujet, madame la ministre.

Cette refonte est d’autant plus importante que, depuis 1994, l’enquête publique minière existe uniquement pour la phase exploratoire, empêchant une information adéquate du public qui doit s’en remettre à la lecture quotidienne du Journal officiel, ce qui est tout de même assez compliqué, même pour des citoyens attentifs !

Nous n’avons cessé de réclamer que ces permis d’exploitation soient différenciés en fonction du type d’hydrocarbure : il faut obtenir cette différenciation à l’occasion de la refonte du code minier, afin que tout le monde puisse y voir plus clair. Les deux rapporteurs de la mission d’information de l’Assemblée nationale ont d’ailleurs recommandé de distinguer les permis et de définir des procédures de délivrance spécifiques.

Pour conclure, madame la ministre, nous attendons que vous nous indiquiez la date du rendez-vous que vous avez promis d’honorer. Vous aviez dit qu’il aurait lieu avant l’été : nous y sommes, la session extraordinaire commence demain. Mais nous voulons espérer que vous vouliez parler de l’été indien qui, comme chacun le sait, a lieu en automne !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Plus sérieusement, madame la ministre, nous faisons de ce rendez-vous un enjeu démocratique, car toute cette affaire a été très mal conduite par l’État, qui n’a pas exercé ses responsabilités…

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

… et nous attendons réparation.

Derrière les parlementaires qui posent ce problème démocratique, vous trouvez les élus des territoires, ne vous en déplaise, monsieur Hérisson ! Comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Michel Billout, il serait trop facile d’user d’un double langage : nous vous donnons donc rendez-vous sur le terrain et au Parlement !

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s’oppose très clairement à cette proposition de loi, car elle ne clôt pas le débat. Au contraire, elle l’embrouille et permet aux sociétés extractrices d’attendre des jours meilleurs !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Billout applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

J’ai entendu beaucoup d’expressions diverses, sur toutes les travées, qui découlent, je n’en doute pas, des recherches que chacun a pu effectuer, individuellement ou en groupe, pour obtenir les meilleurs renseignements possibles.

Vous nous reprochez de faire peur à propos de l’autonomie énergétique, d’autres essaient de faire peur en invoquant la pollution permanente, mais au moins un élément nous rassemble : nous souhaitons tous vivement reprendre au plus vite ce débat, dans le cadre de la refonte du code minier – sur ce point, je rejoins Mme Bricq –, en la jumelant avec l’examen d’une loi pétrolière. C’est ainsi que nous pourrons le mieux rendre service à ceux que nous représentons.

Vous évoquiez à l’instant les élus de terrain, madame Bricq. Comme je l’ai dit tout à l’heure, vous exprimez visiblement une préoccupation locale. C’est votre droit et je respecte cette expression locale ! Dans le cas qui nous occupe, j’ai plutôt choisi d’exprimer une préoccupation plus inspirée par l’intérêt national, au sens large du terme, y compris économique.

Tout à l’heure, à la tribune, j’ai évoqué, à titre d’exemple, le problème des déchets nucléaires dans mon département, la Meuse, qui a été le seul département à accepter leur stockage. Ne me dites surtout pas que les déchets nucléaires ne sont pas polluants ! Malgré tout, nous maintenons notre position et nous apportons ainsi notre contribution aux besoins de la France dans ce domaine, en faisant nôtre la politique conduite par le Gouvernement. Nous avons pris cette décision en 1991 ; depuis cette date, les gouvernements et les majorités au pouvoir ont changé, mais nous avons maintenu notre position.

Mme Nicole Bricq s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Biwer

Je ne peux donc pas accepter d’entendre dire que nous sommes à la limite de la malhonnêteté pour avoir côtoyé des gens qui détenaient peut-être des intérêts directs dans l’exploitation des gaz de schiste. Veuillez m’excuser, je n’ai pas besoin de cela pour vivre ! En revanche, j’ai aussi besoin de m’exprimer de temps en temps !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici le résultat du scrutin n° 258 :

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi visant à interdire l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique est adoptée définitivement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-trois heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt-et-une heures, est reprise à vingt-trois heures cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.