En ce qui nous concerne, nous tablons sur une hausse de 30 % des tarifs à l'horizon 2020 par simple rattrapage des prix de nos voisins européens.
Peut-être aurais-je dû le préciser, je parle ici principalement des tarifs pour les ménages. Je reviendrai tout à l'heure à la dimension « entreprises ». La décorrélation entre le coût de l'électricité pour les entreprises, notamment dans les activités électro-intensives, et pour les ménages est certes forte, mais c'est une situation que l'on retrouve dans l'ensemble des pays européens et qui implique d'autres arguments, notamment économiques.
Pour compléter ma réponse à la question de savoir ce que devrait être l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, j'ajouterai qu'il y a, pour la Fondation, deux éléments importants.
En premier lieu, l'impact d'une hausse, tant social qu'économique, c'est-à-dire non seulement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, constitue une préoccupation qui doit être prise en considération. Nous risquons en effet d'être en situation de vulnérabilité à ce stade.
Or environ 3 millions de ménages, soit à peu près 8 millions de personnes, vivent d'ores et déjà en situation de précarité énergétique - ce qui signifie, grosso modo, car les définitions sont en cours d'élaboration, qu'ils dépensent plus de 10 % de leurs revenus annuels pour couvrir leurs besoins de chauffage et d'eau chaude - et que 300 000 personnes déclarent avoir froid chaque hiver dans leur logement simplement parce que, pour éviter d'avoir à payer une facture trop élevée, elles préfèrent couper le chauffage !
La préoccupation sociale est une question centrale pour nous, puisque nous estimons que la fourniture d'électricité fait partie des services de base indispensables aux ménages, au même titre que l'alimentation et que l'énergie associée à la mobilité.
En second lieu, l'évolution à la hausse des tarifs de l'électricité par un mécanisme d'élasticité-prix permettrait de réduire la consommation, et donc l'ensemble des externalités environnementales associées à la production, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre ou d'émissions de particules fines, voire, bien entendu, des quantités de déchets nucléaires qu'il sera nécessaire de stocker puisqu'une hausse des prix entraînera, a priori, une réduction de la consommation.
D'un point de vue strictement écologique, l'évolution des tarifs à la hausse est une voie qui nous intéresse, étant précisé que nous préférerions que cette évolution soit pilotée et contrôlée, plutôt que subie, comme c'est aujourd'hui le cas pour le pétrole.
S'agissant du pétrole, le manque d'anticipation des gouvernements précédents nous a mis dans une impasse, puisque nous sommes confrontés à sa rareté dans un contexte où il est très difficile de nous émanciper de cette ressource par le biais de solutions alternatives.
Au vu des conséquences non seulement sociales mais aussi économiques pour les secteurs fragiles ou particulièrement vulnérables face aux hausses des prix de l'énergie - pour le pétrole, je pense en particulier aux transports routiers -, nous devons donc nous interroger sur la manière dont peut être sereinement envisagée une transition énergétique.
Il n'est pas forcément mauvais que les prix évoluent à la hausse, sous réserve que l'on soit capable de gérer les impacts sociaux et économiques. À cette fin, nous envisageons un accompagnement des acteurs dans la réduction de leur consommation plutôt que des subventions à la consommation, comme c'est un peu trop la tendance aujourd'hui en France. Autrement dit, nous préférons accompagner les acteurs d'un secteur dans l'innovation technologique, en vue de la réduction de leur consommation en même temps que de l'amélioration de leur compétitivité, au lieu de les aider à payer la facture, ce qui n'est pas de nature à leur permettre de changer de « logiciel économique » et les place finalement en sursis en termes de vulnérabilité face au renchérissement de l'énergie.
J'en viens à la deuxième question, relative à l'avenir du parc électronucléaire et à l'investissement dans le développement de nouvelles centrales.
À ce sujet, je ferai une remarque préalable qui ramène à ce que je disais en introduction : s'il est intéressant de se poser la question de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, il ne faut pas le faire uniquement d'un strict point de vue économique.
Tant du fait de notre préférence pour les investissements en faveur de l'efficacité énergétique et pour la réduction des consommations en amont que compte tenu des risques associés à la production d'électricité nucléaire comme aux autres modes de production électrique, nous estimons en effet qu'il faut s'émanciper du simple débat sur le tarif à court terme de l'électricité et avoir une vision un peu plus générale.
Comme l'écrit Nicholas Stern dans son rapport, il vaut mieux investir aujourd'hui dans la prévention, notamment face au changement climatique, plutôt que de payer demain les conséquences de risques qui seront devenus réalité.
Cette philosophie conduit à se positionner au regard non pas seulement du prix à court terme, mais aussi et surtout de l'ensemble des coûts à moyen et à long terme, y compris les coûts potentiels de gestion des risques. Qu'il s'agisse du risque climatique pour l'électricité d'origine fossile, du risque de prolifération ou encore des interrogations que l'on peut avoir sur le traitement des déchets, il est important de compléter l'analyse strictement économique par une réflexion sur l'ensemble des enjeux, notamment des enjeux environnementaux, qui ne peuvent pas tous être « monétisés » : il n'est pas évident de déterminer le coût réel d'un accident nucléaire dont on peut mesurer les impacts...