La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie.
Comme vous le savez, notre commission a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, madame Mader, afin d'entendre le point de vue de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, la CLCV, sur le sujet qui nous intéresse.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à Mme Reine-Claude Mader, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Madame Mader, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Reine-Claude Mader prête serment.)
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler les questions qu'il vous a adressées à l'avance afin que vous puissiez préparer cette audition. Une fois que vous y aurez répondu, les membres de la commission d'enquête pourront être amenés à vous poser des questions complémentaires.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Madame Mader, voici quelles sont mes quatre questions.
Premièrement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, selon lequel les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter d'environ 30 % d'ici à 2016 ? Le niveau auquel a été fixé l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, soit 42 euros, vous semble-t-il satisfaisant ?
Deuxièmement, pensez-vous que les différents coûts de l'électricité - production, transport, distribution, fourniture - soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les consommateurs finaux ?
Troisièmement, selon vous, quelles seraient les conséquences sur la facture d'électricité des consommateurs, à court et moyen termes, d'un développement important des énergies renouvelables dans le mix électrique français ? Quel jugement portez-vous sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - crédit d'impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro, etc. ?
Quatrièmement, l'évolution de la demande d'électricité en France ces dernières années s'est caractérisée par une augmentation importante - 25 % - de la demande de pointe. Quels moyens vous semblent à même de réduire cette demande de pointe ? Que pensez-vous d'une généralisation de la diversification des tarifs - y compris du tarif réglementé - selon l'heure et la période de l'année ? Quel jugement portez-vous sur le déploiement du « compteur intelligent » Linky et vous semble-t-il qu'il soit un moyen de réduire la demande de pointe ? La place qu'occupe dans notre pays le chauffage électrique vous semble-t-elle excessive ?
Pour dire si le tarif régulé de l'électricité est, ou non, satisfaisant, encore faut-il savoir comment il est calculé. En tant qu'association de consommateurs, nous travaillons beaucoup sur l'énergie, nous menons des recherches, mais il ne nous est pas nécessairement facile de connaître la manière dont sont effectués ces calculs. Ce qu'il faut savoir, c'est que l'évaluation de 42 euros a été faite à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes. Pour notre part, nous trouvons ce tarif élevé, mais, je le répète, nous n'avons pas vraiment la possibilité de procéder à notre propre calcul.
En revanche, nous trouvons beaucoup plus inquiétante l'annonce de M. de Ladoucette selon laquelle les tarifs régulés de l'électricité devraient augmenter de 30 % d'ici à 2016. Nous nous demandons sur quels éléments repose cette prévision. En particulier, s'agissant de l'électricité d'origine nucléaire, nous avons constaté, après étude, qu'un certain nombre de calculs avaient été établis sans que soient nécessairement prises en considération les conditions dans lesquelles l'industrie nucléaire s'est développée jusqu'à présent. Par conséquent, nous sommes très réservés à l'égard de cette prévision. Surtout, nous nous inquiétons fortement pour les consommateurs particuliers d'une telle perspective de hausse, car ceux-ci souffrent déjà beaucoup de l'augmentation des prix de l'énergie. C'est un véritable problème, car l'énergie est une dépense largement incompressible pour les ménages.
La deuxième question portait sur l'imputation aux agents économiques des différents coûts de l'électricité.
Il faut distinguer les consommateurs industriels des consommateurs particuliers. Aux premiers, le kilowattheure est facturé 0,06 euro hors taxes ; aux seconds, il est facturé 0,1 euro hors taxes. Cette clé de répartition entre les consommateurs particuliers et les consommateurs industriels est sans doute discutable.
Pour l'instant, et j'insiste sur ce point, le consommateur particulier n'a absolument aucun pouvoir de négociation. Il subit les règles qui sont fixées au niveau politique par les producteurs et ne dispose que d'une faible marge de manoeuvre.
Quand il reçoit sa facture, le consommateur considère avant tout son montant global. Celui-ci englobe l'abonnement, dont le montant est fixe, mais dont personne ne sait vraiment ce qu'il recouvre, la consommation, dont la tarification donne lieu à différents modes de calcul, la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, ainsi que les autres taxes et contributions - taxes locales, TVA, contribution tarifaire d'acheminement.
En préparant cette audition, je discutais avec un certain nombre de représentants de notre association, lesquels avaient bien du mal à faire une distinction entre les contributions et les taxes. Pour eux, une contribution c'est une taxe, et vice-versa.
Véritablement, c'est ainsi que les consommateurs appréhendent le coût de l'électricité plutôt qu'à partir de son prix de production, de transport et de distribution. Ils ne disposent pas des éléments d'appréciation nécessaires.
Nous avons trouvé un certain nombre d'informations dans le rapport de la Cour des comptes, notamment, mais, pour tout vous dire, je me suis demandé ce que vous entendiez par « se voir adresser le bon signal-prix ». Est-ce tout simplement un signal-prix tel qu'il conduirait les consommateurs à réduire leur consommation ?
En réalité, les gens sont très attentifs à leur consommation énergétique et ont même réduit celle-ci beaucoup plus qu'on ne le croit, en raison des contraintes qui pèsent sur leur pouvoir d'achat. C'est ce qui apparaît en particulier lorsque l'on s'entretient avec des consommateurs qui se chauffent à l'électricité depuis un certain nombre d'années.
À plusieurs reprises, j'ai participé aux travaux du Grenelle de l'environnement et je suis toujours très surprise que l'on puisse considérer que c'est uniquement en jouant sur le prix qu'on va pouvoir influer sur le comportement des consommateurs. Certes, cela joue, mais il faut aussi tenir compte de tous les efforts qui ont été faits jusqu'à présent, surtout en faveur des consommateurs qui disposent de revenus faibles ou moyens.
Par ailleurs, quand les logements souffrent d'un défaut d'isolation, il n'est guère facile, d'un coup de baguette magique, de remédier à cette situation.
Nous pensons également que les consommateurs pourraient être beaucoup mieux informés qu'ils ne le sont actuellement. Cela leur permettrait parfois de ne pas porter des jugements à l'emporte-pièce.
S'agissant des économies d'énergie par rapport à un bon signal-prix, cette approche me paraît assez problématique.
Si j'ai bien compris, pour la CLCV, il n'y a pas grand-chose à dire sur le fait que le consommateur paie la fourniture, le transport et la distribution de l'électricité. Tel qu'il a formulé sa question, M. le rapporteur voulait savoir, me semble-t-il, si votre association a un point de vue notamment sur la CSPE. Autrement dit, cet élément de la facture est-il, à vos yeux, trop important, normal, logique, illogique ? Monsieur le rapporteur, c'est ainsi que j'ai compris votre question.
La question des énergies renouvelables est très importante. Il n'est pas envisageable de penser que l'on pourra continuer à n'avoir qu'une seule source d'énergie principale, ce qui est le cas à l'heure actuelle. Par philosophie, la CLCV est favorable au développement des énergies renouvelables, mais elles sont incontestablement plus chères. En fait, il faudrait parvenir à un mix électrique permettant de satisfaire à l'obligation de diversification des sources d'énergie, mais à un coût supportable pour le consommateur.
Toute augmentation des prix de l'énergie est problématique pour les consommateurs.
Comme je le disais à l'instant, la prévision qu'a faite M. de Ladoucette d'une augmentation de 30 % des tarifs régulés de l'électricité d'ici à 2016 ne manque pas de nous inquiéter. Cela nous a conduits à réfléchir. Les centrales nucléaires devront être remplacées ou bien voir leur sécurité améliorée, pour certaines d'entre elles. Je ne parle même pas de leur entretien courant. On sait déjà que ces opérations seront très coûteuses.
Par exemple, j'ai eu l'occasion d'étudier les contrats que passent les particuliers pour revendre le surplus de l'électricité photovoltaïque qu'ils produisent eux-mêmes. D'un côté, ils sont contents de pouvoir revendre celle-ci à un prix plus important que le prix du kilowattheure qu'ils achètent. Cela fait quand même réfléchir. D'un autre côté, cette contrainte de disposer de plusieurs sources de production donne le sentiment d'un cercle infernal dont on ne sait pas vraiment comment s'extraire.
Par ailleurs, toujours en préparant cette audition, je me suis penchée sur la question des concessions de centrales hydrauliques qui arrivent à terme et qui vont devoir être renouvelées. Dans quelles conditions vont-elles l'être ? Dans quel cadre ?
Tous ces bouleversements dans le domaine de l'énergie ne peuvent que susciter des inquiétudes ; on ne sait pas quelles seront les répercussions sur les tarifs, qui sont extrêmement bas.
En travaillant avec mes homologues des autres associations européennes, je me suis rendu compte que, nous autres Français, nous avons été gâtés jusqu'à présent. Quand j'observe le prix de l'électricité dans les autres pays, je me demande comment nous allons pouvoir continuer à pratiquer un tel prix chez nous. Personnellement, je suis très inquiète.
S'agissant des dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables - le crédit d'impôt développement durable, l'éco-prêt à taux zéro, etc. -, ils sont absolument indispensables si l'on veut progresser dans ce domaine. C'est tout à fait clair. En l'absence de tels dispositifs, certaines des personnes que nous rencontrons dans notre association ne se seraient pas lancées dans le photovoltaïque et un certain nombre de recherches portant sur les économies d'énergie n'auraient pas été engagées. Si l'on veut faire évoluer le mix électrique, il faut que les particuliers qui désirent diversifier l'origine de l'énergie qu'ils consomment soient aidés par la collectivité. À défaut, la situation sera totalement bloquée.
Très peu de gens, moins encore ceux qui ne disposent que de peu de moyens, peuvent sauter le pas et changer leur source d'énergie. C'est pourquoi, dans l'optique du Grenelle de l'environnement, les dispositifs fiscaux sont très importants.
La dernière question portait notamment sur la demande de pointe d'électricité. La CLCV a-t-elle pris position sur ce sujet ?
Vous évoquez la possibilité, actuellement à l'étude, de fixer des tarifs différents selon l'heure et la période de l'année, y compris pour les tarifs réglementés - cette question rejoint celle du signal-prix. Dans cette hypothèse, comment procéder ? Les personnes qui se chauffent à l'électricité voient leurs factures d'électricité inégalement réparties au cours de l'année - la consommation est évidemment plus forte en hiver qu'en été. Aussi, si l'on devait diversifier les tarifs en fonction des heures et des périodes de l'année, il faudrait véritablement s'en donner les moyens.
À cet égard - et c'est votre deuxième question -, le compteur Linky est-il la solution ?
Nous portons un regard intéressé sur Linky, parce que nous pensons que les compteurs intelligents sont une nécessité. Néanmoins, Linky appartient à la première génération de ces compteurs, et il ne nous paraît pas opportun d'en équiper dès à présent l'ensemble des foyers. En fait, nous avons l'impression qu'il s'agit plus d'un choix industriel que d'un choix définitif. De fait, les industriels travaillent actuellement à l'élaboration de compteurs ou de systèmes de comptage beaucoup plus performants que Linky.
Cette comparaison va peut-être vous faire sourire, mais il ne faudrait pas que nous revivions l'épisode du Minitel, qui, s'il a été un très bon outil, a néanmoins bloqué pendant un certain temps l'arrivée de l'informatique dans les foyers. Aussi, ne serait-il pas préférable d'attendre l'arrivée de compteurs plus performants ?
Cela dit, le principe d'une diversification des tarifs ne nous choque pas a priori, à condition qu'elle soit menée intelligemment et qu'on se donne les moyens de la faire respecter.
Au-delà du chauffage électrique, il faut considérer le chauffage en général.
Actuellement, certaines personnes s'interrogent sur le maintien du chauffage électrique dans leur habitation. Toutefois, les maisons ont été conçues pour être chauffées à l'électricité, non seulement en raison de leur mode d'isolation, mais encore parce qu'elles ont été équipées à cet effet de radiateurs ou d'autres appareils. Par conséquent, cette période au cours de laquelle on a vendu du chauffage électrique au consommateur est plus ou moins révolue ; désormais, les gens « se jettent » beaucoup moins sur le chauffage électrique. C'est une bonne chose, car il existe d'autres sources de chauffage.
Cela étant, la CLCV ne porte pas un jugement particulier sur la période au cours de laquelle on a « placé » du chauffage électrique. Maintenant, il faut tourner la page et tendre vers une diversification des sources de chauffage. Mais c'est très difficile. En effet, autant le chauffage électrique peut être déployé sur l'ensemble du territoire national, autant les autres solutions dépendent des lieux d'habitation.
Étant une association nationale, nous constatons que les personnes qui sont sensibilisées aux problèmes de développement durable ne choisissent pas les mêmes options selon l'endroit où elles vivent ; les solutions diffèrent avec la situation géographique. Ceux de nos membres qui résident dans une région forestière s'équiperont plutôt en chaudières à bois, tandis que d'autres opteront pour les pompes à chaleur.
À la CLCV, le débat est libre. Les tenants du chauffage électrique soulignent son côté extrêmement pratique et son installation peu onéreuse. C'est la raison pour laquelle ce mode de chauffage gardera toujours des partisans ; bien géré, il demeure très intéressant.
Merci, madame la présidente. Plusieurs de mes collègues souhaitent maintenant vous poser quelques questions ou vous demander des précisions.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Madame la présidente, je voudrais vous poser trois questions au sujet des précaires énergétiques.
Premièrement, sachant que certaines personnes disposent de deux modes de chauffage ou sont équipées en réseaux de chaleur, serait-il pertinent, selon vous, de coupler les aides à l'énergie en ne dissociant plus l'énergie électrique de l'énergie au gaz ou au fioul - même si la prime à la cuve a disparu -, au profit d'une aide globale à l'énergie ?
Deuxièmement, vous semblerait-il pertinent, comme l'a proposé le Médiateur national de l'énergie, que cette aide prenne la forme d'un « chèque énergie » distribué par les caisses d'allocations familiales ?
Troisièmement, êtes-vous favorable à l'interdiction des coupures d'énergie sur la totalité de l'année et non pas seulement pendant la période hivernale ?
La CLCV étant très implantée dans les quartiers d'habitat social, elle est souvent sollicitée par des consommateurs en difficulté. Ce sont donc des sujets sur lesquels, malheureusement, nous avons dû beaucoup travailler.
S'agissant des coupures, c'est simple, nous avons pris position récemment sur cette question : nous y sommes catégoriquement opposés. Nous ne voulons pas encourager les gens à se soustraire à leurs obligations, mais ces coupures ne nous paraissent pas justifiées. On n'imagine pas, aujourd'hui, qu'un foyer vive sans eau, sans électricité, voire sans téléphone, autant de services qui peuvent être considérés comme essentiels. Au-delà de notre propre association, cette position est également défendue, autant que je peux en juger, par l'ensemble des associations européennes de lutte contre la précarité.
En outre, il me paraît justifié de regrouper les aides à l'énergie en une seule aide. Cela relève du bon sens. Par exemple, un certain nombre de personnes vivant en milieu rural n'ont pas accès au gaz de ville et ne disposent pas de chauffage électrique. La seule solution, pour elles, c'est le gaz liquide, et, à ma connaissance, il n'existe aucune aide pour ce type d'énergie. De fait, on ne voit pas très bien pourquoi telle ou telle catégorie serait aidée plus que d'autres.
J'en viens maintenant à votre question sur le « chèque énergie ». En France, il existe énormément d'aides, dans tous les domaines. Alors que je travaillais sur le surendettement, je me rappelle m'être entendu dire un jour par un représentant du ministère des affaires sociales qu'il en existait 133 au total. Évidemment, personne n'est capable de toutes les citer !
Ces aides sont connues, mais elles ne sont pas demandées. Les initiatives visant à faire des caisses d'allocations familiales le référent unique nous paraissent bonnes. Ces caisses ont d'ailleurs fait beaucoup d'efforts, dans différents domaines, puisqu'elles contactent désormais un certain nombre de personnes éligibles à ces aides pour leur signifier leurs droits.
Le fait de centraliser en un lieu unique la distribution des aides auxquelles ont droit les personnes en situation de précarité est certainement une très bonne chose. Actuellement, certaines font valoir leurs droits, d'autres pas.
Que cette aide à l'énergie prenne la forme d'un « chèque énergie », pourquoi pas, mais, pour notre part, nous pensons qu'il est possible d'être plus ambitieux. Selon nous, il vaudrait mieux mettre sur pied un système privilégiant une politique plus globale à l'égard des personnes en situation de précarité plutôt que de multiplier les aides.
La CLCV a formulé un certain nombre de propositions dans ce sens. Par exemple, nous suggérons que les premières unités de consommation soient fixées à un prix très faible de manière que chacun puisse y accéder. Ensuite, le prix de ces unités augmenterait graduellement de manière à ce que les personnes qui le peuvent paient un prix normal.
Notre philosophie est la suivante : nous n'aimons pas beaucoup ce qui stigmatise les gens. C'est pourquoi placer les caisses d'allocations familiales au centre du dispositif nous paraît être une bonne chose dans la mesure où cela permet d'éviter aux personnes ayant droit à ces aides de venir les demander. Actuellement, la vie est très dure pour bien des personnes et un certain nombre d'entre elles passent beaucoup de temps pour faire respecter leurs droits, tout simplement.
Madame Mader, je vous poserai deux questions.
Tout d'abord, quelle est la position de votre association sur la tarification progressive ?
Certes, mais Mme Rossignol a le droit de demander un complément d'information !
Ensuite, vous avez dit tout à l'heure que vous restiez dubitative quant à l'efficacité du signal-prix. Considérez-vous néanmoins que, si l'on met à part le cas des familles en situation de précarité énergétique, la consommation d'électricité, dans le reste de la population, est supérieure à ce que pourrait être une consommation rationnelle, raisonnable ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il y a du gaspillage en matière d'électricité ? Quel moyen serait susceptible d'y remédier, si ce n'est le signal-prix ?
J'ai évoqué très rapidement la tarification progressive tout à l'heure.
Comme je l'expliquais, nous proposons que les premières unités de consommation d'eau ou d'énergie, par exemple, soient facturées aux ménages à un prix très faible. Évidemment, il conviendra d'étudier les modalités de mise en oeuvre de cette proposition.
Nous proposons ensuite que, selon la composition du ménage, on évalue le nombre d'unités qui lui seraient facturées pratiquement à prix coûtant. Ensuite, ce prix unitaire augmenterait en fonction des capacités financières des personnes.
Pour prendre l'exemple de l'eau, celui qui remplit sa piscine peut a priori payer son eau beaucoup plus cher que celui qui ne s'en sert que pour sa consommation familiale et ménagère.
Un certain nombre de personnes travaillent sur la faisabilité de notre système.
Deux points demeurent en suspens : les taxes et les contributions diverses, d'une part, ce que recouvre l'abonnement, d'autre part.
L'abonnement est-il la contrepartie d'un droit de raccordement au réseau ? Couvre-t-il son entretien ? Selon la réponse qu'on apporte à ces questions, selon ce qu'on intègre dans ces coûts, la détermination du prix coûtant s'en trouvera modifiée. En effet, il faudra considérer non pas simplement le prix de l'électricité, mais également celui des tuyaux.
À ma connaissance, personne, à ce jour, n'a procédé à ce calcul. Notre association l'a fait, mais celui-ci est forcément aléatoire, car nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires.
J'en viens au signal-prix, auquel je suis extrêmement sensible. Bien évidemment, on consomme moins un produit cher. Cependant, certaines consommations sont obligatoires. Je prendrai l'essence à titre d'exemple. D'aucuns soutiennent que, avec le signal-prix, nos concitoyens consommeront moins d'essence. Or certaines personnes sont « coincées » : habitant en province et n'ayant pas la possibilité d'avoir recours au covoiturage, elles sont obligées d'avoir une ou deux voitures pour se rendre à leur travail.
Pour en revenir à l'électricité, qu'en est-il du signal-prix ? Quid de la personne qui habite une maison mal isolée et utilise beaucoup d'électricité pour la chauffer ? Certes, parallèlement, des mesures fiscales peuvent lui permettre d'entreprendre des travaux. Mais les sommes engagées ne seront amorties qu'au terme d'une longue période.
Le calcul a été effectué à propos d'une machine à laver. Il faut se servir d'une machine à laver haut de gamme, qui dispose d'un certain nombre de fonctions et consomme moins, pendant douze ans pour récupérer le prix d'achat. Par conséquent, à l'heure actuelle, malgré les aides offertes, les personnes à pouvoir d'achat contraint n'ont pas réellement les moyens de choisir.
La responsabilité des consommateurs est souvent évoquée. Étant présidente de l'une de leurs associations, je vais être franche avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Je ne nie pas leur responsabilité, mais n'oublions pas celle des personnes qui mettent sur le marché les produits. Si des recherches ne sont pas entreprises, si de nouvelles techniques ne sont pas développées, le comportement des consommateurs demeurera « irresponsable ».
On ne peut pas critiquer quelqu'un qui utilise une machine à laver qui coûte cher mais qui consommera moins, alors qu'il en existe sur le marché à 200 euros. On ne peut pas demander aux gens de se priver de chauffage ou d'énergie alors que leur maison est une « passoire énergétique ».
Un consensus doit se dégager afin de rechercher une diminution de la consommation des ménages. Un conseil tout bête est d'ores et déjà donné : ne pas laisser les appareils en veille. Mais encore faudrait-il que tous les produits disposent de la fonction adéquate !
Je souhaite obtenir quelques précisions à propos du compteur intelligent Linky. Madame Mader, votre association a-t-elle été consultée en amont ? Avez-vous fait des propositions ? Si tel est le cas, quelles sont-elles ? Par ailleurs, de quelles informations dispose le consommateur ? On le sait également, il suffirait d'installations automatisées qui couperaient le courant en cas de non-utilisation. Or un tel dispositif n'est pas prévu en l'espèce.
Les consultations des consommateurs interviennent toujours au dernier stade ; l'étape industrielle est déjà franchie ; l'appareil a été conçu par des techniciens compétents la plupart du temps. Or les associations de consommateurs sont souvent plus à même d'apprécier l'utilisation, le caractère pratique d'un produit.
Pour ce qui concerne le compteur Linky, nous avons été informés de son existence et de son installation à tel ou tel endroit dans le cadre d'expérimentations. Nous avons alors procédé à nos propres recherches afin de savoir si des matériels autres et plus pratiques d'utilisation existaient. Puis nous avons repris contact avec les décideurs en la matière et leur avons fait connaître notre point de vue. Mais notre rôle s'est limité à cela.
À la suite de l'expérimentation réalisée à Lyon en milieu urbain et en Indre-et-Loire en milieu rural, la CLCV a été invitée à assister aux différentes réunions du comité de suivi de l'expérimentation du compteur Linky, tout comme les industriels, les fournisseurs et les autres associations de consommateurs.
Tout à fait, monsieur le président. Mais nous aurions dû être consultés plus en amont.
Certes, les associations de consommateurs ne disposent pas forcément de la technologie ou de l'expertise nécessaires, mais leurs interrogations pratiques permettent souvent de soulever un certain nombre de questions.
Il me semblait que les représentants de la CLCV étaient présents lors de l'expérimentation effectuée en Touraine.
Je ne le nie absolument pas, monsieur le président.
À partir du moment où des expérimentations ont été réalisées, nous avons pu comprendre comment le système fonctionnait. Nous avons alors formulé un certain nombre d'observations. Or malgré cela, on nous a annoncé l'extension de l'installation du compteur Linky.
Les appareils de comptage de ce type nous paraissent intéressants. Mais, à l'échelon national, la CLCV a l'impression d'avoir assisté in situ à l'expérimentation d'un modèle industriel qui sera vendu à d'autres pays sans qu'il soit tenu compte, afin d'améliorer le matériel, de l'existence, dans les cartons, d'autres outils qui seront performants.
La question se pose de savoir s'il faut équiper les foyers du compteur Linky puis mettre à leur disposition ultérieurement un autre matériel. Au final, qui va payer ? Les consommateurs n'ont pas à financer les différents systèmes.
Sauf erreur de ma part, ERDF nous a dit que le compteur ne serait pas à la charge des consommateurs.
Selon le montage proposé, ERDF emprunte et garantit de trouver un accord dont il sera pris acte demain matin, lors du conseil d'administration de la FNCCR, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Ce seront les économies réalisées qui permettront de financer le dispositif.
Pour le moment, on commence avec le compteur Linky de première génération. Des travaux sont d'ores et déjà menés sur un compteur de deuxième génération. Alors que 17 millions de compteurs seront à terme installés, le premier appel d'offres va porter sur 5 ou 6 millions de compteurs. Lorsque la deuxième génération de compteurs sera plus performante et plus intéressante non seulement pour le fournisseur, mais aussi pour le consommateur, il est fort probable que les compteurs posés par la suite seront différents.
La décision a cependant été prise de mettre en place un compteur qui est performant, mais pas assez, je crois que vous avez raison, madame Mader.
Le compteur est performant pour fournir des informations au producteur, notamment sur la pointe.
Les associations de consommateurs ont été, à juste titre, très exigeantes. Elles se sont demandé à quoi servait le dispositif si les consommateurs ne pouvaient pas disposer chez eux de plus d'informations.
Le premier compteur Linky est déjà une très bonne chose. Mais il est peut-être dommage de ne pas attendre d'avoir un compteur plus performant pour aller plus loin. Pour ma part, je vous l'avoue, j'étais partisan de lancer l'opération dès maintenant et de l'ajuster au fur et à mesure. Mais je le reconnais, ce point peut faire l'objet d'un vrai débat. Les associations de consommateurs, dont la CLCV, se sont prononcées pour la mise en oeuvre, mais dans l'attente de la deuxième génération de compteurs.
Je comprends votre position, madame : s'il y a quelqu'un d'intelligent dans l'appartement, autant en profiter - je parlais du compteur, bien entendu. (Sourires.)
S'agissant des investissements destinés à renforcer l'efficacité énergétique et à réduire les coûts de l'énergie, vous avez souligné que le signal-prix avait un effet parfois éloigné dans le temps - douze ans pour une machine à laver - et que de nombreux foyers ne pouvaient pas se permettre d'investir. Malgré tout, il faut bien réaliser des investissements. Dans ces conditions, que pensez-vous de la répartition entre propriétaires et locataires ? Le propriétaire doit-il répercuter sur le loyer des investissements faisant réaliser des économies au locataire ? Est-ce plutôt au locataire d'investir en bénéficiant d'une pause dans le paiement du loyer ? Quel modèle préconiseriez-vous en matière d'investissements pour la maîtrise de l'énergie et l'efficacité énergétique ?
Comme vous le savez, un décret fixe les charges qui sont imputables au locataire et celles qui incombent au propriétaire. Les associations comme la mienne, qui couvrent tous les aspects de la vie quotidienne, sont extrêmement réticentes à toute modification de ce fameux décret. Elles craignent que, si nous ouvrons la boîte de Pandore, de nouveaux postes ne soient intégrés dans les charges.
Les propriétaires, ne l'oublions pas, valorisent leur bien. Je rappelle que 52 % des Français sont propriétaires de leur logement. Une juste répartition des charges entre les uns et les autres serait acceptable. Cela étant, les discussions sont toujours très difficiles.
Dans ce genre de situation, je suis personnellement très sensible à la présence de deux parties : la partie forte, le propriétaire en l'occurrence, et la partie plus faible, le locataire, qui subit. Quelles règles convient-il d'édicter pour parvenir à un juste équilibre, en sachant que certaines personnes sont dans des situations si difficiles qu'elles sont incapables de payer ? Si elles y sont obligées, elles contribueront, mais cela leur posera un véritable problème. Le décret « charges » opère bien la différence entre l'installation et les « fluides ». Si le locataire réalise des économies d'électricité, par exemple, une participation « honnête » ne me paraît pas devoir être bannie absolument.
Quelle est votre position s'agissant de travaux d'isolation, par exemple, qui occasionnent une moindre consommation ?
Les travaux d'isolation coûtent extrêmement cher. Jusqu'à présent, en particulier dans le parc social, ce sont les propriétaires qui assument les frais de rénovation. C'est également une question de prix du patrimoine : il ne faudrait pas non plus mettre à la charge des uns ce qui revient aux autres dans un second temps ; il faut être équitable.
La question qu'il faut vraiment prendre en considération est la suivante : à qui bénéficient réellement les investissements ? Certains investissements profitent très directement au locataire, d'autres tout autant, voire plus, au propriétaire. Il faut en tirer les conclusions.
C'est la position de notre organisation. J'ajoute que la CLCV travaille beaucoup sur la question de l'énergie, qui représente une part importante du budget des ménages.
Il faut trouver un consensus entre les locataires, les utilisateurs de matériels et ceux qui les mettent sur le marché. Nous soutenons particulièrement toutes les initiatives en matière de recherche et investissements. Nous considérons que la recherche nous permettra d'employer moins d'énergie dans les années qui viennent. Nous sommes très sensibles aux questions de développement durable et nous considérons que d'importants progrès sont encore possibles.
La suite de notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Benoît Faraco, porte-parole et coordinateur Changement climatique et énergies de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme.
Je rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Faraco, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Benoît Faraco prête serment.)
Monsieur Faraco, le rapporteur de notre commission, M. Jean Desessard, vous a adressé les questions qu'il souhaitait vous poser de manière à vous permettre d'entrer directement dans le vif du sujet ; il va les rappeler afin qu'elles figurent dans l'enregistrement de l'audition. Je vous demanderai, bien sûr, d'y répondre, en tenant cependant compte du fait qu'il nous faut garder un peu de temps pour les questions complémentaires tant de M. le rapporteur que de l'ensemble des membres de la commission.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Monsieur Faraco, je vous ai adressé six questions.
Première question : de façon générale, les tarifs actuels de l'électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l'électricité en France et quelle devrait être, à vos yeux, l'évolution de ces coûts et de ces tarifs dans les dix années à venir ?
Deuxième question : la France devrait-elle prolonger la durée de vie des centrales existantes et/ou investir dans le développement de nouvelles générations de réacteurs, EPR et réacteurs de quatrième génération ?
Troisième question : quelle appréciation portez-vous, filière par filière, sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables ?
Quatrième question : pour respecter les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement, quelle capacité de production renouvelable, par filière, faudrait-il installer et à combien chiffrez-vous - si vous êtes en mesure de le faire - cet investissement ?
Cinquième question : le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ?
Sixième question : quelles actions convient-il prioritairement de mener selon vous, et avec quels moyens, afin de réduire la consommation d'électricité en France ?
Je me propose de respecter l'ordre du questionnaire, même s'il m'aurait semblé intéressant - je le dis en préalable - d'inverser cet ordre. La position de la Fondation consiste en effet à considérer qu'avant de parler des éléments de production d'énergie, et notamment d'électricité, il est légitime de s'interroger sur nos besoins. Cette analyse conduirait à commencer par la sixième question, mais je vais jouer le jeu et donc répondre d'abord à la première.
Si vous estimez nécessaire pour votre démonstration d'inverser l'ordre, n'hésitez en effet pas à le faire.
Je vais profiter de cette possibilité pour dire que nous estimons - c'est notre point de départ - qu'en France, s'agissant des consommations d'électricité, les questions relatives à l'offre et à la demande sont analysées un peu trop séparément : en général, on suit une logique, que traduit notamment la PPI, la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui amène à « décorréler » la réflexion sur l'offre de la réflexion sur la demande.
Pour la Fondation, qui se place dans la perspective de la lutte contre le changement climatique tout en prenant en compte la dimension sociale des enjeux tarifaires de l'énergie, en particulier de l'électricité, il est au contraire intéressant de commencer par une réflexion sur la demande et sur nos besoins.
J'entrerai par la suite dans le détail pour justifier les différents éléments de notre réflexion. Je souligne d'emblée que la philosophie qui est derrière celle-ci se fonde d'abord sur des raisons tenant aux contraintes climatiques : même si elle est faiblement carbonée en France, l'électricité contribue aux émissions de gaz à effet de serre, du fait notamment des centrales à gaz ou à charbon qui continuent à fonctionner, émissions particulièrement importantes au moment de la pointe électrique.
Elle est en outre liée, puisque nous sommes sur la plaque européenne, au contexte européen.
D'une part, les émissions de gaz à effet de serre sont problématiques en Europe, dans la mesure où la production d'électricité en représente, grosso modo, de 30 % à 40 %.
D'autre part, il est légitime de s'interroger, s'agissant notamment des moyens de production thermique à base de charbon et de gaz, sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans un contexte où les indicateurs à notre disposition témoignent d'un accroissement des importations aussi bien de gaz que de charbon en même temps que d'un plafonnement de la production européenne de gaz, la situation étant à peu près stable pour le charbon.
La dépendance énergétique aux importations s'accroît donc dans le temps. Pour la France, on atteint des taux de plus de 95 % pour le gaz et de pratiquement 100 % pour le charbon, puisque nous n'avons plus de mines.
Ce sont ces paramètres qui nous conduisent à considérer que la priorité absolue doit être accordée à la réduction des consommations : c'est à ce niveau qu'il faut se placer pour être ensuite capables de gérer l'offre énergétique à même de répondre à nos besoins.
Nous avons coutume de dire dans la sphère écologique que la meilleure énergie, à la fois la moins chère et la moins polluante, est celle qui n'est pas consommée, adage qui me paraît fondamental pour les politiques publiques, notamment lorsque l'on s'intéresse aux impacts socio-économiques d'une énergie dont on voit le coût croître au fil du temps.
Ce préalable, sur lequel je pourrai revenir lors des questions suivantes s'il s'agit d'un aspect qui vous intéresse, est à notre sens profondément structurant pour l'ensemble des politiques publiques dans un contexte où il y a, me semble-t-il, un consensus assez fort sur les perspectives d'évolution du prix de l'énergie, et notamment de l'électricité. En France, où l'on paie l'électricité de 30 % à 50 % moins cher que chez nos voisins européens, il y a en tout cas un constat partagé.
Cela me ramène à la première question que vous m'avez adressée, qui porte sur le prix pour les consommateurs et le coût de production de l'électricité, sujet qui appelle selon nous deux grandes interrogations.
En premier lieu, la pratique actuelle des tarifs réglementés pour les consommateurs, en tout cas pour les 80 % de clients particuliers à qui est encore appliquée une forme de tarif réglementé, ne nous semble pas permettre au régulateur, et donc à l'État, de répercuter la hausse des coûts.
On a aujourd'hui le sentiment que la question des tarifs appliqués aux consommateurs d'électricité est plus un sujet de débat politique qu'un sujet de débat économique. La préférence va à la satisfaction d'une demande sociale, par ailleurs complètement légitime au regard du nombre de ménages en situation de précarité énergétique. Il y a donc une tendance à la perpétuation des tarifs réglementés qui a pour effet de décorréler le prix final du coût global.
Or on sait que ce coût va augmenter, pour les raisons que je rappelais, notamment l'épuisement ou l'appauvrissement des ressources fossiles, du fait des tensions géopolitiques, mais aussi parce que de nouveaux investissements sont nécessaires, notre parc thermique classique, qu'il soit nucléaire ou fossile, étant en fin de vie.
Je rappelle à cet égard que, selon le rapport de RTE, entre 30 % et 50 % de nos centrales à charbon fonctionnent actuellement sous un régime dérogatoire par rapport aux normes relatives à la pollution atmosphérique fixées par l'Union européenne, régime que l'on a choisi de leur accorder tant pour des motifs économiques, d'investissement, qu'en raison de la présence physique des unités de production concernées sur notre territoire.
Le coût réel de production va donc sans doute augmenter trop vite pour que le politique et le régulateur puissent répercuter la hausse sur le grand public, voire sur les entreprises.
En second lieu, un autre facteur joue dans le sens de la « décorrélation » entre les coûts de production et les prix aux consommateurs, à savoir la prise en compte des externalités environnementales dans les coûts.
C'est problématique dans la mesure où la pratique des tarifs réglementés revient à fixer à l'avance des prix dans lesquels EDF ne peut pas répercuter certaines de ces externalités environnementales, notamment le coût de la tonne de CO2. Il s'agit en effet d'un coût variable, fixé dans le temps sur le marché européen en fonction des volumes disponibles, des quantités allouées et des perspectives de régulation climatique internationale.
Or il s'agit là d'une composante essentielle pour la Fondation, qui plaide à la fois pour le développement d'une fiscalité écologique et pour l'instauration d'un « signal-prix » aux consommateurs, car le fait que l'opérateur historique, qui contrôle une grosse partie du marché, ne soit pas en capacité de traduire un tel coût environnemental dans le prix final aux consommateurs a pour effet d'atténuer l'efficacité de la réglementation européenne sur les quotas d'émissions.
En résumé, les tarifs de l'électricité ne nous semblent pas refléter fidèlement son coût réel.
S'agissant de la seconde partie de la première question, à savoir ce que devrait être, à nos yeux, l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, je m'autoriserai à vous demander une précision. Souhaitez-vous plutôt une perspective ?...
Vous évoquiez à l'instant les coûts économiques réels ; en poursuivant votre raisonnement, vous devriez « rattraper » cette question.
Pour nous, il est évident que le prix de l'électricité va augmenter, et cela pour deux raisons principales que je rappelle : d'une part, l'épuisement des ressources finies, notamment le pétrole et le gaz, qui constituent une composante importante du coût de cette énergie ; d'autre part, le vieillissement du parc de production et donc les investissements nécessaires, que ce soit pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ou pour le recours aux énergies renouvelables, qui entraînent, par rapport à des sources plus conventionnelles, des surcoûts que l'on connaît aujourd'hui, notamment pour l'éolien offshore et le solaire photovoltaïque.
À l'échelle européenne, un troisième paramètre, à l'introduction duquel nous sommes totalement favorables, devrait tendre à faire augmenter le prix de l'énergie : les régulations environnementales.
Si l'Europe souhaite atteindre le fameux objectif de la limitation à 2 degrés du réchauffement qu'elle s'est fixé à Copenhague, elle devra s'attaquer à ce secteur important de la production d'émissions de gaz à effet de serre qu'est la production d'électricité et donc faire payer la tonne de CO2 nettement plus cher.
Aujourd'hui, le prix de la tonne de CO2 est environ de 8 euros sur le marché européen des quotas. Les économistes, notamment ceux qui travaillent pour la Commission européenne et pour le laboratoire de Patrick Criqui, à Grenoble, estiment que nous devrions nous situer sur une trajectoire nous amenant aux alentours de 100 euros par tonne de CO2 à l'horizon 2020 pour être « dans les clous » et atteindre les objectifs, fixés à Kyoto puis réaffirmés à Copenhague, devant nous conduire au nouvel accord mondial sur le climat qui devrait être ratifié en 2015.
L'adoption d'une telle trajectoire aurait une incidence forte sur le prix de l'électricité à l'échelle européenne et, comme il y a clairement une volonté européenne d'harmoniser le marché de l'électricité et de l'ouvrir complètement, il n'y a pas de raison pour qu'il n'y ait pas de répercussions en France.
Même si, encore une fois, le kilowattheure français est nettement moins carboné que le kilowattheure européen, il y aura en effet un alignement et une évolution à la hausse du fait de l'ouverture du marché européen à la concurrence. Pour donner un ordre de grandeur - dans les exercices prospectifs, il n'est pas possible d'être plus précis -, je dirai que l'on s'attend à ce que l'alignement du prix français de l'électricité sur les prix européens conduise à un rattrapage, c'est-à-dire à une hausse, de l'ordre de 30 % à 50 % à l'horizon 2020-2030.
En ce qui nous concerne, nous tablons sur une hausse de 30 % des tarifs à l'horizon 2020 par simple rattrapage des prix de nos voisins européens.
Peut-être aurais-je dû le préciser, je parle ici principalement des tarifs pour les ménages. Je reviendrai tout à l'heure à la dimension « entreprises ». La décorrélation entre le coût de l'électricité pour les entreprises, notamment dans les activités électro-intensives, et pour les ménages est certes forte, mais c'est une situation que l'on retrouve dans l'ensemble des pays européens et qui implique d'autres arguments, notamment économiques.
Pour compléter ma réponse à la question de savoir ce que devrait être l'évolution des coûts et des tarifs dans les dix années à venir, j'ajouterai qu'il y a, pour la Fondation, deux éléments importants.
En premier lieu, l'impact d'une hausse, tant social qu'économique, c'est-à-dire non seulement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, constitue une préoccupation qui doit être prise en considération. Nous risquons en effet d'être en situation de vulnérabilité à ce stade.
Or environ 3 millions de ménages, soit à peu près 8 millions de personnes, vivent d'ores et déjà en situation de précarité énergétique - ce qui signifie, grosso modo, car les définitions sont en cours d'élaboration, qu'ils dépensent plus de 10 % de leurs revenus annuels pour couvrir leurs besoins de chauffage et d'eau chaude - et que 300 000 personnes déclarent avoir froid chaque hiver dans leur logement simplement parce que, pour éviter d'avoir à payer une facture trop élevée, elles préfèrent couper le chauffage !
La préoccupation sociale est une question centrale pour nous, puisque nous estimons que la fourniture d'électricité fait partie des services de base indispensables aux ménages, au même titre que l'alimentation et que l'énergie associée à la mobilité.
En second lieu, l'évolution à la hausse des tarifs de l'électricité par un mécanisme d'élasticité-prix permettrait de réduire la consommation, et donc l'ensemble des externalités environnementales associées à la production, qu'il s'agisse des émissions de gaz à effet de serre ou d'émissions de particules fines, voire, bien entendu, des quantités de déchets nucléaires qu'il sera nécessaire de stocker puisqu'une hausse des prix entraînera, a priori, une réduction de la consommation.
D'un point de vue strictement écologique, l'évolution des tarifs à la hausse est une voie qui nous intéresse, étant précisé que nous préférerions que cette évolution soit pilotée et contrôlée, plutôt que subie, comme c'est aujourd'hui le cas pour le pétrole.
S'agissant du pétrole, le manque d'anticipation des gouvernements précédents nous a mis dans une impasse, puisque nous sommes confrontés à sa rareté dans un contexte où il est très difficile de nous émanciper de cette ressource par le biais de solutions alternatives.
Au vu des conséquences non seulement sociales mais aussi économiques pour les secteurs fragiles ou particulièrement vulnérables face aux hausses des prix de l'énergie - pour le pétrole, je pense en particulier aux transports routiers -, nous devons donc nous interroger sur la manière dont peut être sereinement envisagée une transition énergétique.
Il n'est pas forcément mauvais que les prix évoluent à la hausse, sous réserve que l'on soit capable de gérer les impacts sociaux et économiques. À cette fin, nous envisageons un accompagnement des acteurs dans la réduction de leur consommation plutôt que des subventions à la consommation, comme c'est un peu trop la tendance aujourd'hui en France. Autrement dit, nous préférons accompagner les acteurs d'un secteur dans l'innovation technologique, en vue de la réduction de leur consommation en même temps que de l'amélioration de leur compétitivité, au lieu de les aider à payer la facture, ce qui n'est pas de nature à leur permettre de changer de « logiciel économique » et les place finalement en sursis en termes de vulnérabilité face au renchérissement de l'énergie.
J'en viens à la deuxième question, relative à l'avenir du parc électronucléaire et à l'investissement dans le développement de nouvelles centrales.
À ce sujet, je ferai une remarque préalable qui ramène à ce que je disais en introduction : s'il est intéressant de se poser la question de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, il ne faut pas le faire uniquement d'un strict point de vue économique.
Tant du fait de notre préférence pour les investissements en faveur de l'efficacité énergétique et pour la réduction des consommations en amont que compte tenu des risques associés à la production d'électricité nucléaire comme aux autres modes de production électrique, nous estimons en effet qu'il faut s'émanciper du simple débat sur le tarif à court terme de l'électricité et avoir une vision un peu plus générale.
Comme l'écrit Nicholas Stern dans son rapport, il vaut mieux investir aujourd'hui dans la prévention, notamment face au changement climatique, plutôt que de payer demain les conséquences de risques qui seront devenus réalité.
Cette philosophie conduit à se positionner au regard non pas seulement du prix à court terme, mais aussi et surtout de l'ensemble des coûts à moyen et à long terme, y compris les coûts potentiels de gestion des risques. Qu'il s'agisse du risque climatique pour l'électricité d'origine fossile, du risque de prolifération ou encore des interrogations que l'on peut avoir sur le traitement des déchets, il est important de compléter l'analyse strictement économique par une réflexion sur l'ensemble des enjeux, notamment des enjeux environnementaux, qui ne peuvent pas tous être « monétisés » : il n'est pas évident de déterminer le coût réel d'un accident nucléaire dont on peut mesurer les impacts...
En somme, vous voulez dire que vous ne vous posez pas la deuxième question.
Je peux y répondre...
Si vous nous dites que vous ne voulez pas y réfléchir pour les raisons que vous venez d'exposer, vous n'êtes pas obligé d'y répondre.
Pour être franc, je veux répondre - c'est l'intérêt de notre participation à cette commission d'enquête -, mais en insistant avant tout sur le fait que l'on ne peut pas se satisfaire d'un raisonnement strictement économique pour aborder ces questions dont les impacts environnementaux sont extrêmement lourds.
Pour la Fondation, le débat sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes est à la fois politique et économique ; c'est un débat sur la gestion du risque, qui appartient - notamment - aux Français, lesquels doivent pouvoir être informés de l'ensemble des avantages et des inconvénients de la filière nucléaire afin d'être capables de se former un avis et en mesure de se prononcer.
C'est un premier élément de réponse.
Deuxième élément de réponse, si l'on examine cette question d'un point de vue strictement économique - ce n'est donc pas ce que je vous invite à faire ! - et si notre objectif est de conserver le prix du kilowattheure le moins cher et donc un tarif de l'électricité relativement bas, il est évident que la prolongation de la durée de vie des centrales est sans doute l'une des meilleures options, et cela même si, malgré les avancées dues au rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, il y a manifestement aujourd'hui une petite sous-estimation des coûts de cette filière.
Le troisième élément qui nous semble central dans ce débat est le respect dû à l'analyse et à la parole de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette analyse doit être décorrélée, là encore, du raisonnement strictement économique que le politique a un peu trop tendance à faire.
Se laisser le choix de demander à l'Autorité de sûreté nucléaire, dont on reconnaît la légitimité, de dire que la durée de vie de telle ou telle centrale peut ou ne peut pas être prolongée, ou peut l'être à condition que des investissements de tel ou tel montant soient réalisés, paraît être la meilleure réponse possible au problème posé. Il appartiendra ensuite aux opérateurs d'opter entre les différents moyens de production qui s'offrent à eux, en tenant compte, bien entendu, des contraintes environnementales, notamment de la contrainte climatique.
La position de la Fondation est donc à peu près celle-ci : ne pas entrer dans le débat sous le seul angle du coût ; s'assurer que l'Autorité de sûreté nucléaire peut se prononcer en toute indépendance s'agissant d'un sujet dont on sait à quel point il est sensible politiquement et dans l'opinion publique ; laisser aussi des arbitrages économiques en internalisant les externalités environnementales.
À la question relative à l'investissement dans de nouvelles générations de réacteurs, EPR et de quatrième génération, nous sommes tentés de répondre de la façon suivante : continuer la recherche, pourquoi pas ? mais il faut absolument éviter tout malentendu et surtout ne pas dire que ce type de centrales nucléaires pourra répondre aux interrogations et aux besoins énergétiques des Français à proche échéance.
Pour l'EPR, on constate que des retards sont pris sur les deux chantiers, en Finlande comme en France, et, si le projet ASTRID commence à avancer, il n'y a pas encore de réacteur de quatrième génération opérationnel. Nous ne nous situons donc pas là à des horizons de temps à la mesure des enjeux sociaux et climatiques qui sont les nôtres. Il nous faut faire évoluer à la baisse nos consommations d'énergie et nos émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, c'est-à-dire commencer tout de suite, pour que des avancées significatives puissent avoir été accomplies d'ici à 2020. Or ces solutions technologiques ne seront pas opérationnelles dans ce délai.
La quatrième question porte sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables productrices d'électricité.
Je traiterai l'hydroélectricité à part, puisque cette filière est relativement aboutie ; elle peut, en améliorant son efficacité énergétique, notamment par le remplacement des turbines, produire un peu plus qu'elle ne produit aujourd'hui, mais nous considérons qu'elle n'a pas besoin de mécanismes de soutien, ce qui la sort du champ de la question.
Je vais, cette fois encore, faire une observation préalable.
Dans les principales filières électrogènes que l'on envisage de développer en France, à savoir l'éolien, onshore et offshore, et le solaire photovoltaïque, les coûts de production sont bien plus élevés que pour les moyens conventionnels de production thermique. Je souligne cependant qu'avec un CO2 à 60 ou 70 euros la tonne, la production d'électricité à base d'éoliennes deviendrait compétitive par rapport au charbon, ce qui signifie que, si l'on prend en compte les enjeux climatiques, les coûts commencent à se rapprocher.
Les énergies renouvelables sont donc aujourd'hui des énergies un peu plus chères en termes de production, mais leurs prix suivent une tendance fortement orientée à la baisse, contrairement aux énergies fossiles et au nucléaire, dont les tendances de prix sont plutôt orientées à la hausse, pour les énergies fossiles, en raison de l'épuisement des ressources, et, pour le nucléaire, en raison, notamment, des investissements dans la sécurité en réaction à l'accident de Fukushima.
C'est ce constat qui fonde notre philosophie globale et justifie à nos yeux une bonne partie des investissements dans les énergies renouvelables.
Pour ce qui est des mécanismes de soutien à ces énergies, je me propose de passer en revue les différentes filières.
L'éolien onshore présente des coûts relativement comparables à ceux des filières conventionnelles ou qui commencent à se rapprocher de ceux-ci. On peut donc imaginer qu'à l'horizon 2020 cette filière n'aura plus besoin d'être soutenue.
Le recours à des mécanismes de soutien, notamment le tarif d'achat, paraît donc avoir produit ses effets pour l'éolien terrestre, à propos duquel nous ne sommes d'ailleurs presque plus dans un débat économique mais plutôt dans un débat de société portant sur l'acceptabilité de l'installation de nouvelles éoliennes en France.
De façon générale, les mécanismes de soutien nous semblent être totalement justifiés et appropriés en matière de politique énergétique : que ce soit pour le nucléaire ou pour les énergies renouvelables, une amorce par un financement public est souvent nécessaire pour développer des technologies dans lesquelles les opérateurs économiques ne trouveraient pas sinon de rentabilité.
Pour l'éolien offshore, il y a principalement deux mécanismes de soutien, à savoir un mécanisme d'appel d'offres couplé à un mécanisme de tarif d'achat.
Les volumes financiers correspondants devraient, certes, être significatifs - je fais un petit « détour » par la quatrième question -, mais compte tenu des enjeux et du potentiel important de cette filière, notamment en termes de leadership industriel pour la France, ces mécanismes nous semblent tout à fait justifiés. Des consortiums se sont montés pour répondre à l'appel d'offres éolien et, en contrepartie du tarif d'achat, il y a des bénéfices sociaux et économiques, notamment en termes d'emploi, d'innovation et de recherche.
Pour le solaire photovoltaïque, la logique est semblable, s'agissant en tout cas de l'intérêt du tarif d'achat, mais il y a peut-être plus d'interrogations.
D'abord, dans l'élan du Grenelle de l'environnement, un certain nombre de projets, parfois un peu farfelus, avaient été développés en vue de profiter d'une sorte d'effet d'aubaine, ce qui avait conduit à une croissance du coût de l'électricité pour les consommateurs et à un emballement du mécanisme, qui avait dû être freiné.
Ensuite, les retombées économiques pour la France qui permettraient de légitimer pleinement le tarif d'achat nous semblent, pour l'instant, un peu moindres que pour l'éolien au regard de perspectives à la baisse du solaire photovoltaïque mais aussi d'autres enjeux.
Je pense notamment aux émissions de gaz à effet de serre. Si le bilan du solaire photovoltaïque n'est qu'un tout petit peu plus élevé que celui de l'éolien, ce bilan se dégrade très fortement dès lors que les panneaux sont produits dans une zone où l'électricité est fortement carbonée. Bref, si on utilise des panneaux solaires produits en Chine pour faire de l'électricité en France, le gain en termes de CO2 sera pratiquement nul.
Par conséquent, la justification du tarif d'achat par des motivations environnementales n'a plus lieu d'être.
Oui, et je vous ai apporté un certain nombre de documents pour étayer mes propos.
On nous a dit que le temps de retour énergétique, la période pendant laquelle il faut tenir compte de l'impact énergétique des panneaux, était de quatre ans, et qu'on pouvait utiliser ces panneaux pendant vingt ans. Cela signifie qu'il y a seize ans de bonus.
Vous avez complètement raison concernant le temps de retour énergétique, mais mon exposé visait les émissions de gaz à effet de serre.
Oui, nous en avons : en plus des documents que je vous ai apportés, je vous ferai parvenir une étude que nous avons réalisée sur le solaire photovoltaïque.
Grosso modo, un panneau solaire fabriqué en Europe représente 47 à 55 grammes de CO2 par kilowattheure produit. Dans le mix électrique français, on est autour de 100 à 110 grammes de CO2 par kilowattheure - des débats existent, mais on est bien dans cet ordre de grandeur. Le niveau d'émission s'élève, en Allemagne, à 450 grammes de CO2 par kilowattheure - ce pays utilise beaucoup de charbon - et, en Chine, de 800 à 900 grammes de CO2 par kilowattheure.
Si on produit un panneau solaire en Chine, les émissions seront de 80 à 90 grammes par panneau, qu'il faut comparer aux 100 à 110 grammes français. Avec des panneaux chinois, le gain sera donc de 20 grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que, avec des panneaux produits en France ou en Europe, voire aux États-Unis, le gain sera plutôt de l'ordre de 50 à 70 grammes de CO2 par panneau.
Cela nous amène à formuler une recommandation : prendre en compte le critère des émissions de gaz à effet de serre dans l'attribution de tarifs d'achat pour encourager la production de panneaux en Europe et en France, s'assurer de la vertu environnementale du dispositif et, dans une moindre mesure, inciter les pays producteurs, et notamment la Chine, à investir dans des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leur mix électrique, ce qui aurait des conséquences bénéfiques pour l'ensemble du système climatique.
Vous calculez le coût en termes d'émissions de CO2 de l'électricité nécessaire pour fabriquer les panneaux ?
Il existe aujourd'hui deux principales technologies sur le marché du solaire photovoltaïque.
La première, qui représente environ 85 % du marché, est l'utilisation du silicium. Celle-ci présente un énorme avantage : le silicium étant le deuxième élément le plus abondant sur la croûte terrestre, il n'y a aucun problème de ressources. En revanche, le procédé - il s'agit de faire fondre du sable pour dépasser la qualité du verre industriel - consomme énormément d'énergie. C'est pour cette raison que l'on impute aux panneaux solaires des émissions de gaz à effet de serre assez élevées.
La seconde est la technologie à couche mince. Son inconvénient est que les métaux utilisés - le cadmium, par exemple - sont dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes lorsqu'ils sont dispersés dans l'environnement. Cependant, d'un point de vue industriel, leur installation sur les panneaux ne nécessite pratiquement pas de consommation d'énergie. En termes de quantité d'énergie utilisée, il y a un rapport de un à quatre entre les deux technologies.
Dans les pays où l'électricité est fortement carbonée, les panneaux sont largement émetteurs de gaz à effet de serre. À titre d'illustration, nous avons effectué un petit calcul : en Suède, où l'électricité hydraulique représente près de 90 % de l'électricité produite, passer au photovoltaïque entraînerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, ce qui irait à l'encontre des objectifs de la politique environnementale.
Cela ne veut pas dire, et cela m'amène à notre deuxième remarque sur la question des tarifs d'achat du solaire photovoltaïque, qu'il faut faire une croix sur cette une énergie qui a, selon nous, un potentiel important en France. Aujourd'hui, l'approche retenue par le Gouvernement, à la suite notamment du rapport Charpin-Trink de l'an dernier, consiste à plafonner par les volumes la quantité de panneaux solaires installés. L'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement était de 5,4 gigawatts de puissance installée d'ici à 2020 ; pour des raisons économiques - par crainte d'un emballement -, on a décidé de faire ce qu'il fallait pour l'atteindre mais de ne pas le dépasser.
Nous nous interrogeons quant à la rationalité économique de cette logique. En effet, il nous semblerait plus opportun de fixer un volume financier maximal attribué au développement de cette énergie, et de laisser les acteurs de la filière nous fournir les panneaux les plus performants, en prenant évidemment en compte un certain nombre de paramètres environnementaux, afin de s'assurer qu'aucun produit toxique n'est dispersé dans l'environnement et qu'il y a bien un gain en termes de CO2.
Aujourd'hui, le Gouvernement semble vouloir s'en tenir à l'objectif de 5,4 gigawatts installés fixé dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'éviter l'emballement économique. Par ailleurs, il existe des objectifs européens de développement des énergies renouvelables, sur lesquels je reviendrai.
Telle est la logique qui semble prévaloir aujourd'hui.
Nous sommes favorables à une autre logique, consistant à fixer le montant que l'État est prêt à investir ou la charge que le consommateur est prêt à supporter pour développer les panneaux solaires, puis à demander aux acteurs économiques de nous proposer les panneaux les moins chers et les plus performants. Plus il y en aura, mieux ce sera ! Si les industriels peuvent arriver à 10 gigawatts installés avec les deux milliards d'euros prévus, qu'ils le fassent ! Nous sommes favorables à un pilotage économique de la filière plutôt qu'à la fixation d'un plafond quantitatif qu'il ne faut surtout pas dépasser.
Ce n'est pas ce qui s'est passé. Nous avons fixé une quantité et une date d'échéance, avec des tarifs tellement rentables - vous avez parlé à juste titre d'effet d'aubaine - que tout le monde s'est rué dessus. De ce fait, le nombre de projets déposés en un an et demi à peine représentait la totalité des tarifs d'achat que la France est capable de garantir sur dix ans. Voilà le problème ! Cela a entraîné un effet de stop and go malheureux, puisque les acteurs - nous avons bien compris ce que nous ont dit ceux que nous avons auditionnés - ont besoin de visibilité à plus long terme.
Cependant, indépendamment du système retenu - je suis assez sensible aux avantages de celui que vous proposez -, l'erreur a plutôt été de ne pas fixer des quotas annuels. Il aurait fallu, dès le début, fixer la capacité économique annuelle du pays, peut-être en intégrant votre suggestion, qui me paraît bonne.
Peut-être auriez-vous dû apporter une précision à l'attention de Mme Rossignol, monsieur Faraco. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il fallait construire davantage de panneaux solaires en France. Cela me semble contradictoire avec la logique que vous proposez, puisque celle-ci pourrait conduire à fabriquer des panneaux en Chine dans la mesure où cela coûte aujourd'hui moins cher. Telle était l'interrogation de Mme Rossignol. (Mme Laurence Rossignol acquiesce.)
Je n'ai sans doute pas été assez précis. Les deux paramètres sont importants.
Pour ne pas tomber dans une discussion un peu stérile sur la question de la protection aux frontières pour motifs environnementaux, dont on sait qu'elle fait fortement débat au sein tant de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, que de l'Union européenne, nous proposons de mettre en place un double système : d'une part, un plafonnement par les prix et la capacité financière de la France afin d'inciter les acteurs à optimiser leurs méthodes de production ; d'autre part, une contrainte environnementale conduisant à privilégier les panneaux les plus performants de ce point de vue, soit en interdisant les panneaux entraînant des émissions de plus de 80 ou 90 grammes de CO2, soit en établissant un cahier des charges technique permettant de sélectionner les panneaux les plus respectueux de l'environnement.
Nous reviendrons sur la question des panneaux chinois, mais allez d'abord au bout de votre démonstration, sans quoi vous ne pourrez pas répondre aux six questions que nous vous avons adressées.
J'en viens donc à la quatrième question, à laquelle je répondrai plus rapidement.
On peut poser le problème de deux manières. Tout d'abord, on peut l'appréhender du point de vue de l'offre énergétique, en restant dans une perspective d'augmentation de la consommation d'électricité, et alors nous ferons face à une vraie difficulté.
En matière d'énergies renouvelables, l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement est une proportion de 23 % dans la consommation d'énergie finale en 2020, ce qui est légèrement plus ambitieux que l'objectif de 20 % adopté par l'Union européenne. Au niveau européen, il existe un autre objectif, qui ne nous semble pertinent ni sur le plan économique ni sur le plan écologique, en matière d'agrocarburants. Je laisse toutefois cette question de côté, puisque votre commission d'enquête ne traite que de l'électricité.
Concernant l'objectif européen d'augmentation de la part des énergies renouvelables, il y a, je le répète, deux manières d'aborder le problème.
Soit on part du principe que la consommation d'énergie va continuer à augmenter en France, et alors il faut augmenter la production d'énergies renouvelables au prorata de la quantité d'énergie consommée : puisqu'il s'agit d'une fraction, il faut augmenter le numérateur si le dénominateur augmente.
Soit on considère que, pour atteindre l'objectif européen, on peut diminuer la consommation d'énergie : les investissements à consentir en matière d'énergies renouvelables sont dès lors moins importants. Ces énergies représentent déjà 12 à 13 %, ou peut-être même 14 % de la production d'électricité ; si nous réduisons notre consommation, nous aurons besoin de moins de nouvelles éoliennes et de nouveaux panneaux solaires pour atteindre nos objectifs, et nous pourrons même être plus ambitieux. Ce point nous semble fondamental, mais il a été un peu oublié par l'administration dans ses scénarios, notamment dans ceux qui ont servi de support à la politique pluriannuelle d'investissement.
La fondation Nicolas Hulot - il ne s'agit pas de faire notre publicité, mais nous pourrons vous communiquer ces éléments - a lancé hier une campagne intitulée « L'énergie, c'est mon choix », qui permet aux citoyens de se projeter en 2030 grâce à des scénarios énergétiques intégrant plusieurs indicateurs et notamment la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité. Nos modélisations, qui s'appuient sur un travail effectué avec le cabinet d'étude Carbone 4, montrent que, sans réduction de la consommation d'énergie, il sera difficile non seulement d'atteindre les objectifs européens à l'horizon 2020, mais aussi de faire croître la part des énergies renouvelables au-dessus de 30 % d'ici à 2030.
Si nous ne changeons pas nos habitudes, si notre consommation d'énergie continue à augmenter, nous ne pourrons pas atteindre des objectifs suffisamment ambitieux exprimés en pourcentage.
Notre conclusion est donc que, si nous voulons atteindre les objectifs du Grenelle de l'environnement, la première des priorités est de réduire notre consommation d'énergie. Cela nous permettra, d'une part, d'éviter des investissements dans de nouvelles infrastructures de production, et, d'autre part, de limiter l'impact économique sur les ménages et les entreprises des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Si vous le souhaitez, je peux vous donner un exemple, en comparant les conséquences de deux scénarios pour un ménage.
Il faut vous arranger pour achever votre propos à seize heures quarante-cinq, afin qu'il nous reste un quart d'heure pour les questions complémentaires.
Dans ce cas, je passe tout de suite à la cinquième question : « Le caractère intermittent de la plupart des énergies renouvelables ne les cantonne-t-il pas à un rôle d'appoint en matière de production d'électricité ? »
C'est sans doute le cas, jusqu'à un certain point. Selon nous, l'objectif de 100 % d'électricité à partir d'énergies renouvelables est un mythe, il ne nous semble pas possible de l'atteindre d'ici à 2030 ni même d'ici à 2050, non parce que ce ne serait pas souhaitable politiquement, mais pour des raisons techniques et technologiques.
Nous sommes assez en phase avec les conclusions du rapport sur les énergies renouvelables du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, selon lequel, si l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables n'est pas atteignable, les travaux de prospective et l'état de la recherche scientifique sur les sources de production d'électricité et les réseaux intelligents nous permettent cependant d'espérer atteindre, à l'horizon 2050, une proportion de 80 à 90 % d'énergies renouvelables, en associant des énergies variables et intermittentes à la production hydraulique. On pourrait ainsi arriver à des taux de pénétration très importants mais à des horizons de temps éloignés et donc de manière assez peu corrélée aux préoccupations du jour.
Vous abordez un problème important : les énergies renouvelables sont souvent décriées au motif qu'il faudrait les compenser par le thermique. Ainsi, ce que l'on gagne en recourant aux énergies propres, on le perdrait en utilisant le thermique. Or vous nous dites que, grâce à des systèmes intelligents - je suppose qu'ils le seront -, la compensation thermique ne sera pas nécessaire : on arrivera à un petit écart de 20 % par rapport à l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables, écart qui sera facilement comblé par la production hydraulique.
Pourriez-vous nous décrire ces systèmes intelligents, sachant que nous ne sommes pas habitués à une telle complexité technologique ?
Compte tenu du temps qui m'est imparti, il me sera difficile d'entrer dans le détail.
D'après nos échanges avec les différents opérateurs de distribution, notamment RTE et ERDF, un certain nombre de paramètres nous permettront d'améliorer le système de prévision météorologique indispensable pour l'éolien et le solaire. En effet, il est essentiel de connaître quarante-huit à soixante-douze heures à l'avance les conditions potentielles d'ensoleillement et de vent, afin d'obtenir une vision assez fine de la production et d'être ainsi en mesure d'installer des unités de production de manière suffisamment dispersée sur le territoire pour que la production soit relativement constante.
C'est bien cela.
En outre, le développement de réseaux intelligents nous permettra de passer d'un réseau relativement centralisé, en toile d'araignée - un point central, l'unité de production, diffuse l'énergie vers les différents lieux de consommation -, à un maillage plus fin, avec des réseaux capables d'échanger le courant dans les deux sens, de manière plus adaptée et plus rapide, voire de s'auto-réparer en cas de problème de tension posé par les énergies renouvelables - par exemple, si toutes les éoliennes fonctionnent en même temps. La continuité de l'approvisionnement sera ainsi garantie.
Dès aujourd'hui, grâce à ces réseaux en évolution, il est possible de transporter du nord au sud de l'Allemagne une bonne partie de la production des éoliennes, puisque l'on observe une décorrélation entre les lieux de production et les lieux de consommation.
En effet.
On peut comprendre cette décentralisation de deux manières.
La première, un peu autarcique, consiste à produire sur un territoire l'électricité qui y est consommée ; cette approche ne nous semble pas la plus pertinente d'un point de vue économique, puisqu'elle impliquerait la création d'un grand nombre de réseaux locaux et que cela ne constitue pas la meilleure manière de garantir la sécurité d'approvisionnement des territoires.
La seconde est de construire un super-réseau intelligent au niveau européen ; cela passe par des investissements dans de nouvelles lignes, notamment à moyenne et haute tension - pas forcément à très haute tension -, même si l'on peut étudier ce qui se passe du côté de Desertec.
Une troisième amélioration pourrait être obtenue par un ensemble d'investissements dans des appareils techniques tant pour la transformation que le pilotage global des réseaux.
Je pense que nous pourrions ainsi atteindre un taux de pénétration des énergies renouvelables dans les réseaux compris entre 30 et 50 %. Par exemple, au Danemark, à certains moments, plus de 50 % de la production d'électricité est d'origine renouvelable.
L'état de la recherche, notamment le fameux rapport du GIEC, qui a le mérite d'avoir fait une revue assez exhaustive de la littérature sur le sujet, laisse envisager des taux élevés de pénétration des énergies renouvelables.
Dans combien de temps ? On ne peut pas parler de taux de pénétration de 30 à 50 % sur le réseau sans préciser le temps nécessaire pour y parvenir. Le Danemark a atteint de tels taux, mais c'est la conséquence d'une évolution entamée il y a trente ans ; tous les réseaux danois ont été équipés dès cette époque pour accueillir l'éolien. Vous dites que cela ne posera pas de problèmes de faire de même en France, mais à quelle échéance ?
Nos analyses prennent comme base l'horizon 2030, mais les résultats dépendront évidemment de certains paramètres, notamment économiques, comme la capacité d'investissement dans les réseaux. Les spécialistes affirment que nous disposons de marges de manoeuvre - nous pouvons aller plus vite sans mettre à mal la résilience de nos réseaux -, mais il va de soi que, pour atteindre des taux de pénétration de 30 à 50 % d'ici à 2020 ou 2030, il faudra réaliser des investissements assez importants dans les réseaux.
Je vous laisse répondre à la dernière question, qui concerne également le domaine que vous venez d'aborder. Notre rapporteur s'est concentré sur la question des énergies renouvelables.
Si vous le permettez, je ferai d'abord un petit retour en arrière sur la question des tarifs d'achat. En effet, j'ai omis d'évoquer un point qui nous semble essentiel : l'information et la transparence vis-à-vis du public concernant les mécanismes de financement.
Il nous paraît absolument fondamental, pour apaiser le débat sur les tarifs d'achat, d'informer le grand public, notamment sur l'utilisation de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, via par exemple l'obligation pour les différents fournisseurs d'électricité de préciser le pourcentage du montant de la facture consacré à l'énergie solaire, à l'éolien ou à la cogénération de gaz.
Aujourd'hui, d'après ce que nous disent les sympathisants de la communauté de la fondation Nicolas Hulot, l'opacité des tarifs suscite de grandes interrogations. Concernant le coût des énergies renouvelables ou le rôle de la péréquation tarifaire, voire des soutiens à la cogénération de gaz, les ressentis sont assez déconnectés des réalités. C'est pourquoi, je le répète, il nous semble vraiment essentiel, si on veut améliorer l'acceptabilité sociale de ces mécanismes, d'informer en toute transparence celui qui paie, c'est-à-dire le consommateur, sur l'utilisation de la CSPE, sur la part de sa facture annuelle qui sert au développement de l'éolien et du solaire, ou à la solidarité, à la péréquation tarifaire avec les départements, régions et collectivités d'outre-mer.
Après cette parenthèse, j'en viens à la sixième question, qui porte sur les actions qu'il convient de mener prioritairement afin de réduire la consommation d'électricité en France.
Le constat qui justifie que nos recommandations soient principalement centrées sur les ménages, c'est que la consommation d'électricité dans le secteur industriel est à peu près constante depuis une trentaine d'années, notamment à cause de la désindustrialisation de la France. En effet, de nombreuses activités électro-intensives, comme la scierie, ont été délocalisées, ailleurs en Europe, à la périphérie de l'Europe ou dans les pays émergents. Dans le même temps, des gains ont été réalisés en matière d'efficacité énergétique.
En revanche, ce qui est préoccupant, c'est la forte croissance du chauffage électrique et de l'électricité spécifique, tant dans les bâtiments résidentiels que dans les bâtiments tertiaires. Au total, la consommation d'électricité des ménages augmente de 3 % par an, d'une manière assez régulière depuis une dizaine d'années. Ni la hausse du prix de l'électricité ni la crise économique n'ont entraîné de véritable ralentissement.
Je distinguerai deux types de mesures prioritaires : des mesures structurantes et des mesures spécifiques liées à la pointe électrique, qui constitue un sujet important.
S'agissant de la pointe électrique, il y a deux sujets principaux.
Le premier est le chauffage, puisque chacun allume le sien à dix-neuf heures, en rentrant du travail, ce qui nous permet de battre chaque année un bien triste record : celui de l'appel de puissance. Nous sommes favorables à des mesures fortes d'isolation des bâtiments, voire d'interdiction du développement du chauffage électrique dans les logements mal isolés. En effet, le chauffage électrique est sans doute pertinent pour des logements performants d'un point de vue thermique, mais, compte tenu des perspectives d'évolution à la hausse du coût de l'électricité, des enjeux sociaux et de l'efficacité relativement modeste de l'électricité en termes de service rendu et de confort dans les logements mal isolés, il nous semble important que les pouvoirs publics agissent prioritairement sur ce point.
Le deuxième sujet principal est l'éclairage. Nous avons progressé grâce à l'interdiction des ampoules à incandescence, mais d'autres questions ont été laissées de côté. Depuis les tables rondes sur l'efficacité énergétique, on commence à aborder certaines d'entre elles ; je pense notamment à l'interdiction des enseignes lumineuses, même si ce n'est qu'une petite mesure.
Toutefois, il nous paraît important d'engager une réflexion plus globale sur l'éclairage, et notamment sur la question des halogènes. En effet, pour un service rendu d'éclairage quasi identique, la consommation peut être multipliée par dix par rapport à une ampoule à incandescence. Or, malheureusement, l'éclairage halogène est en constant développement, puisque, même si on en a fini avec l'halogène à 100 ou 200 watts, on installe partout, chez les ménages mais aussi parfois dans les commerces, de petites rampes de cinq ou six halogènes à 10 watts, qui utilisent dix fois plus d'électricité que les ampoules basse consommation, pour un service rendu à peu près équivalent. Il y a donc vraiment des actions à mener dans ce domaine.
J'en viens aux mesures structurelles. Nous avons besoin de travailler fortement sur les compteurs intelligents. Il nous paraît important, en termes de pédagogie et d'information du public, de rendre visibles les consommations d'électricité. Peut-être cela vous fera-t-il sourire, car cela peut sembler anecdotique, mais le fait de donner un peu de visibilité aux compteurs dans la maison, en mettant un voyant rouge ou vert, par exemple, d'utiliser des éléments de communication et de pédagogie vis-à-vis des consommateurs d'électricité, est fondamental à nos yeux.
Il nous paraît également important de renforcer les normes, notamment pour l'ensemble des appareils électroménagers, hi-fi et autres. On a parlé d'un système de bonus-malus pour les téléviseurs et les ordinateurs. Là aussi, on peut avoir l'impression que c'est anecdotique, mais nos analyses de la consommation électrique des Français montrent que c'est l'accumulation de ces nouveaux usages de l'électricité qui contribue à l'augmentation de la consommation.
Je prendrai un exemple : la consommation annuelle d'une « box » donnant accès au wifi et à la télévision - presque chacun d'entre nous en possède une aujourd'hui - représente la moitié de celle d'un réfrigérateur. Par conséquent, la multiplication de ces petits appareils - on pourrait aussi mentionner les recharges de téléphone - soulève un certain nombre d'interrogations. Or, pour l'instant, ni l'État ni l'Union européenne ne se sont vraiment intéressés aux moyens de réglementer ce secteur afin d'harmoniser les consommations.
Il en va de même du parc de téléviseurs : pour un même service rendu - regarder un match de football -, certains modèles neufs consomment dix fois plus que d'autres dont le prix est équivalent. Il y a donc, je le répète, un besoin de contrôle, voire de normes dans ce domaine.
Je vais m'arrêter là, sauf si vous me laissez l'opportunité de développer une proposition d'évolution des tarifs de l'électricité présentée par la fondation Nicolas Hulot. Cette proposition me semble particulièrement pertinente compte tenu de l'objet de votre commission d'enquête. Dois-je la développer maintenant ou vous la laisser par écrit ?
Peut-être pouvez-vous simplement la commenter, car votre note est dans le dossier que vous nous avez remis.
Comme je vous le disais en introduction, deux paramètres sont importants à nos yeux : premièrement, le système des tarifs réglementés ne permet pas de refléter la prise en compte des externalités environnementales - notamment les émissions de CO2 - dans le prix de l'électricité ; deuxièmement, nous avons perdu la dimension incitative du tarif de l'électricité. (M. Benoît Faraco fait circuler plusieurs photocopies d'un document.) Sans pilotage du prix par la puissance publique, il sera délicat d'obtenir des réductions de la consommation.
Notre proposition repose sur un double système : d'une part, un forfait de kilowattheures à un tarif proche du tarif actuel pour les consommations correspondant à des besoins essentiels, de base - la production de chauffage et d'eau chaude ainsi qu'un petit complément pour l'éclairage et la cuisson -, et, d'autre part, un tarif multiplié par deux pour l'ensemble des consommations dites de confort, afin d'inciter à la réduction des consommations.
Nous proposons également de coupler ce système à un mécanisme social permettant aux ménages en situation de précarité énergétique de bénéficier gratuitement des 3 000 à 5 000 premiers kilowattheures, ce qui serait bien plus efficace que les mécanismes actuels de tarifs sociaux de l'électricité, qui ne sont pas calibrés pour répondre aux besoins de ces personnes.
Nous préconisons aussi un mécanisme proche de l'option « effacement des jours de pointe » qu'avait proposée EDF à une époque, et qui permettait aux ménages de limiter eux-mêmes leur consommation d'électricité aux périodes où il y avait le plus de tension sur le réseau. Concrètement, nous proposons la création d'un tarif d'ultra-pointe, qui fixerait à un niveau très élevé le prix du kilowattheure aux moments où toutes les consommations sont maximisées, notamment lors de la pointe de dix-neuf heures en hiver, pour inciter fortement les consommateurs à modérer leurs usages de l'électricité.
Des améliorations technologiques contribueront également à cette réduction de la consommation. Par exemple, les compteurs intelligents et les dispositifs d'effacement vous permettront un jour d'éteindre automatiquement votre réfrigérateur entre dix-neuf heures et dix-neuf heures trente, sans aucun impact sur la qualité des aliments. Il faut continuer à avancer dans cette voie, en complément des efforts qui peuvent être demandés aux ménages en matière tarifaire, et qui permettraient de rationaliser les comportements de consommation.
Je crois que notre rapporteur ne souhaite pas vous poser de questions complémentaires ; peut-être vous interrogera-t-il plus tard, à titre personnel. (M. Jean Desessard acquiesce.)
Pour ma part, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des énergies renouvelables et notamment du prix de rachat de certaines d'entre elles. Vous vous êtes « mouillé », puisque vous avez déclaré qu'il ne fallait pas hésiter à mettre en place un tarif de rachat évolutif en fonction de l'origine des panneaux photovoltaïques.
C'est alors que Laurence Rossignol est intervenue, à juste titre.
Je vous signale que, bientôt, nos panneaux seront presque exclusivement d'origine chinoise. Il n'y avait pas de panneaux français, nous utilisions des panneaux allemands ; or la plus grosse société allemande de production de panneaux photovoltaïques a été mise en liquidation judiciaire il y a deux jours ; elle a licencié neuf cents personnes, soit le tiers de ses effectifs, et annoncé qu'elle ne pouvait pas tenir face à la concurrence chinoise. Par conséquent, notre principal fournisseur non chinois est menacé de disparition, sa situation juridique étant gravissime.
Je souhaiterais donc que vous approfondissiez votre idée d'un tarif évolutif sur ces panneaux. Comment cela fonctionnera-t-il ? Quel mécanisme proposez-vous ?
Il y a deux manières de faire : soit on fixe un seuil d'émissions de gaz à effet de serre...
On pourrait fixer ce seuil au niveau communautaire.
Vous avez cependant raison de m'interroger sur la faisabilité de notre proposition. De fait, il s'agit de remettre en cause un certain nombre de règles, notamment les règles de libre-échange sur le marché européen, mais aussi, plus généralement, dans le cadre de l'OMC. Il existe donc un vrai doute quant à la faisabilité juridique de ce type de mécanisme.
Toutefois, cela ne nous empêche pas de proposer la mise en place d'un système un peu volontariste. Une des astuces que l'on pourrait utiliser consisterait à bonifier ou à dégrader le tarif pour les panneaux ne respectant pas certaines normes. Cela aurait un effet incitatif, certes amoindri mais qui pourrait tout de même constituer un système de soutien, pour des raisons environnementales, à des filières plus propres. Un tel système nous paraît intéressant.
Le second mécanisme consisterait en l'établissement d'un cahier des charges environnemental. L'Union européenne l'a déjà fait pour les véhicules, avec les normes Euro 4 et Euro 5 ; cela n'a posé aucun problème aux compétiteurs chinois, qui se sont rapidement alignés sur ces normes sans provoquer de conflit commercial. Nous disposons donc de certaines marges de manoeuvre.
Plus généralement, ces sujets nous renvoient au débat sur la taxe d'ajustement aux frontières ou le mécanisme d'inclusion carbone, c'est-à-dire à la question de la compétitivité de l'industrie européenne. On sait que l'on ne résoudra pas tous les problèmes par des mesures françaises, voire européennes. C'est pourquoi nous plaidons également pour la mise en place, au niveau international, d'une organisation mondiale de l'environnement, qui pourrait contrebalancer fortement la dimension libre-échangiste de l'OMC quand elle ne prend pas en compte la dimension environnementale.
Il nous semble vraiment légitime, à condition qu'il ne s'agisse pas de protectionnisme pur et simple et que les motivations soient bien d'ordre environnemental, d'instaurer une véritable réglementation environnementale, d'abord au niveau communautaire puis au niveau international.
Il y a vingt-cinq ou trente ans, la France exerçait un vrai leadership technologique dans le domaine du solaire photovoltaïque. Nous avons perdu cet avantage par manque de visibilité et de stabilité. Je sais qu'il est facile de donner des leçons a posteriori, mais on voit bien que les pratiques actuelles de stop and go ralentissent certains investisseurs. On peut regretter l'effondrement des fournisseurs allemands et le développement des panneaux solaires chinois, mais il ne faut pas oublier que, derrière la question des coûts de production de ces panneaux, se pose celle du coût de la main-d'oeuvre en Chine et des conditions de travail des salariés chinois. Cette situation appelle des régulations plus globales, qui dépassent le seul sujet des panneaux solaires et des émissions de gaz à effet de serre.
Hier, nous nous sommes demandé à qui a profité le crime d'enrichissement, si je puis dire.
Notre président vient d'évoquer la situation de Q-Cells. Je rappelle que, il y a un an et demi ou deux ans, la Chancelière Merkel s'était étonnée que les prix du photovoltaïque ne diminuent pas, alors que l'augmentation de la productivité entraînait une baisse du coût. Les industriels n'ont pas diminué les prix, alors que les évolutions technologiques le leur permettaient. Aujourd'hui, Q-Cells paie cash le fait de n'avoir pas pris les mesures qui auraient répondu aux voeux de Mme Merkel.
Monsieur Faraco, vous avez rappelé qu'une entreprise française avait été sauvée il y a quelque temps par un opérateur historique.
Il y a quinze ans, cette entreprise était la troisième mondiale dans son secteur et maîtrisait une technologie. Je partage donc votre point de vue, monsieur Faraco : un accompagnement adapté nous permettrait de reconquérir cette maîtrise technologique, qui est actuellement à la portée des industriels français.
Je souhaite revenir sur la question des effets d'aubaine. De fait, le gros problème d'un certain nombre de mécanismes incitatifs, notamment de nature fiscale, est que l'on a du mal à optimiser l'utilisation de l'argent public, car l'État n'a pas forcément les moyens de s'assurer que les industriels ne profitent pas d'un effet d'aubaine.
À mon sens, cette difficulté appelle un pilotage extrêmement fin et régulier. Les Allemands ont réussi à baisser le tarif d'achat sans effet de stop and go ; c'est de ce côté que nous devons chercher des solutions. Il ne s'agit pas d'offrir une « aubaine verte » à certains acteurs. Le tarif d'achat - nous en sommes bien conscients - doit être envisagé de manière provisoire, temporaire et décroissante à mesure que la rentabilité s'améliore ; cette condition nous semble essentielle.
En parallèle, nous devons examiner attentivement les subventions et autres soutiens accordés à la production d'énergie conventionnelle.
J'ai beaucoup aimé la logique de votre démonstration. J'ai notamment apprécié la partie relative aux préoccupations sociales, avec votre proposition d'accompagnement des personnes les plus précaires : c'est une idée très originale.
Il était également important de dire, comme vous venez de le faire, que, qu'on le veuille ou non, la France a subventionné la production de panneaux chinois, c'est-à-dire une activité qui, sur le plan social, laisse quelque peu à désirer...
Bien sûr !
Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions de manière aussi complète et précise. Ne soyez pas surpris cependant si notre rapporteur les prolonge de questions complémentaires.
Je vous interrogerai notamment sur les réseaux intelligents et les mécanismes de compensation, monsieur Faraco.
La commission d'enquête est-elle habilitée à recevoir des contributions écrites ? Peut-on verser des documents au dossier ?
Tout à fait ! Nous sommes mêmes demandeurs.
Je vous remercie, monsieur Faraco.
Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'audition de M. Jacques Percebois, professeur et coauteur du rapport « Énergies 2050 ».
Monsieur Percebois, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, qui n'en est d'ailleurs pas une, puisqu'on ne peut pas refuser de venir devant une commission d'enquête. (Sourires.)
Notre commission d'enquête a été créée à l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel ».
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a adressées par écrit, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Jacques Percebois prête serment.)
La parole est à M. le rapporteur.
Monsieur Percebois, nous vous avons transmis sept questions - c'est pour l'instant le record ! -, que je vais donc résumer.
Première question : pouvez-vous présenter les principales conclusions du rapport « Énergies 2050 » ? En particulier, êtes-vous en mesure de préciser l'impact des grandes options que vous avez étudiées en termes de prix de l'électricité ?
Deuxième question : quelle est la sensibilité de vos conclusions, d'une part, au choix d'un taux d'actualisation pour les charges futures, d'autre part, aux prix du CO2 ? Avez-vous pris en compte, et sous quelle forme, des externalités qui ne seraient pas déjà incluses dans les tarifs : emploi, balance commerciale, impact sur l'environnement... ?
Troisième question : le rapport « Énergies 2050 » suggère, dans sa synthèse générale, la construction d'un petit nombre d'EPR ; quels éléments vous conduisent-ils à penser que le coût de l'électricité produite par EPR sera compétitif au point de justifier un engagement sur le long terme tel que la construction de réacteurs nucléaires nouveaux ?
Quatrième question : le marché de l'électricité est-il ou risque-t-il d'être dans les vingt prochaines années, compte tenu du développement de certains moyens de production, en situation de surcapacité ? Qu'en est-il du parc de centrales nucléaires ?
Cinquième question : en tant qu'économiste, considérez-vous que les différents tarifs régulés de l'électricité reflètent actuellement les « coûts réels » complets de production, transport, distribution et fourniture ?
Quelle est votre point de vue sur les déclarations du président de la Commission de régulation de l'énergie, qui annonce une augmentation de 30 % des prix de l'électricité d'ici à 2016 ?
Sixième question : estimez-vous que le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, a été fixé au niveau approprié ?
Septième question : quel jugement portez-vous, d'une manière générale, sur les mécanismes actuels de soutien aux différentes énergies renouvelables, à la cogénération et aux économies d'énergie ? S'agit-il de systèmes économiques optimaux pour promouvoir ces nouveaux moyens de production ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette « invitation ». C'est bien volontiers que je vais rendre compte des principales conclusions de la commission « Énergies 2050 ».
Permettez-moi tout d'abord de rappeler que c'est à la demande de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, que j'ai été nommé président de la commission « Énergies 2050 » en octobre 2011, le vice-président étant Claude Mandil.
Cette commission a été chargée de faire des projections à l'horizon 2030-2050 au regard des principaux enjeux énergétiques, notamment électriques, pour la France dans le cadre de la préparation à la programmation pluriannuelle des investissements, puisqu'en 2013 le Parlement aura à se prononcer sur la PPI.
Dans la lettre de mission qui m'a été adressée par le ministre, il était question de l'énergie en général pour la France, mais plus spécifiquement de la place du nucléaire. En particulier, il nous était demandé d'examiner de près quatre scénarios nucléaires, sur lesquels je vais revenir.
Cette commission comprenait une cinquantaine de personnes. Outre le président et le vice-président, elle comptait dix rapporteurs, dont deux rapporteurs généraux. Ces rapporteurs étaient issus de la direction générale de l'énergie et du climat, de la direction générale du Trésor, du Centre d'analyse stratégique, le CAS, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. Six personnalités qualifiées siégeaient également au sein de cette commission, ainsi que des représentants des entreprises énergétiques, des organisations syndicales, des associations de consommateurs, et de diverses organisations, notamment écologistes ; l'une d'entre elles, qui a participé au scénario négaWatt, a ainsi été auditionnée deux fois.
Cette commission a siégé durant quatre mois de façon intensive : nous avons auditionné quatre-vingts personnes ou organismes. Les rapporteurs ont accompli un travail important, comme en témoigne le rapport, qui comporte un peu plus de cinq cents pages.
À ce document sont annexées les propositions des différents membres de la commission. Seuls le président et le vice-président sont signataires du rapport et ce sont eux qui donnent un avis au ministre chargé de l'industrie, mais les membres de la commission ont pu s'exprimer à titre personnel ou au nom de leur organisation afin de faire part de leurs observations.
L'objectif était d'étudier l'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie à l'horizon 2030-2050.
La première observation que je ferai, qui apparaît bien dans le rapport, c'est que, s'il est possible de faire des projections pour 2030, il est bien plus difficile d'être précis pour 2050 : pensez aux scénarios énergétiques que nous aurions pu envisager en 1973, au moment du premier choc pétrolier, pour 2012 ! Il faut donc être extrêmement modeste et prudent dans ses prévisions.
On peut penser que, d'ici à 2030, il n'y aura pas de grandes mutations technologiques. En revanche, au-delà de 2030 de telles mutations sont possibles. Parmi celles qui nous paraissent susceptibles de changer complètement la donne figure le stockage à grande échelle dans des conditions économiques de l'électricité. Cela changerait totalement les choses, notamment pour la promotion des énergies renouvelables.
Un autre élément important est le captage et le stockage du CO2. On sait qu'on pourra le faire, mais on ne sait pas précisément à quelle échéance.
Un certain nombre de mutations techniques peuvent donc apparaître après 2030. Nous avons examiné huit scénarios élaborés par différents organismes, notamment RTE, le CEA, AREVA, le ministère... Ces scénarios, en général, s'arrêtent à 2030 ; seuls deux d'entre eux vont au-delà, jusqu'en 2050. Bien sûr, nous avons aussi examiné les prévisions pour 2050 de la roadmap de la Commission européenne, mais il s'agit de considérations assez générales.
Les incertitudes concernent d'abord la demande d'énergie. Il est certain, pour le dire de façon simple, qu'à l'échelle mondiale la demande d'énergie va croître, notamment en Asie, et que c'est cette demande asiatique qui va largement tirer les prix de l'énergie vers le haut.
Notre hypothèse, c'est que le prix du pétrole ne devrait pas chuter. Par conséquent, il devrait rester élevé au moins jusqu'en 2030. Le prix actuel du baril étant de 120 à 125 dollars le baril, nous avons envisagé qu'en monnaie constante, à l'horizon 2050, ce prix devrait être d'au moins 150 dollars, ce qui ne paraît pas excessif.
Nous avons également fait l'hypothèse que le prix du CO2, qui est très bas aujourd'hui, ne s'écroulerait pas. Sans nous fonder sur des prix très élevés, nous avons pensé que la contrainte environnementale demeurerait forte.
La part des énergies fossiles restera importante. Aujourd'hui, à l'échelle mondiale, elles représentent 80 % du bilan primaire ; en France, elles représentent 53 % du bilan primaire et 70 % de l'énergie finale. Nous faisons l'hypothèse qu'à l'horizon 2030 la part des énergies fossiles, c'est-à-dire le pétrole, le gaz et le charbon, devrait baisser un peu, sans toutefois diminuer substantiellement, car des inerties très fortes existent dans le secteur énergétique. Et puis parce que de larges ressources en pétrole, en gaz et en charbon subsistent, surtout si l'on fait l'hypothèse qu'il existe des sources importantes de gaz non conventionnel à l'échelle mondiale. Il suffit à cet égard de se référer à la situation américaine. En tout état de cause, nous nous sommes fondés sur l'idée qu'aucune mutation à l'horizon 2030 n'affecterait la part des énergies fossiles.
Un point sur lequel tout le monde s'accorde est la nécessité de l'efficacité énergétique. Il existe en France un potentiel énorme d'économies d'énergie, en particulier dans deux domaines : le bâtiment et les transports.
Toutefois, pour les bâtiments existants, nous sommes quelque peu démunis. Si, sur les nouveaux bâtiments, les contraintes vont pouvoir s'appliquer - on peut même faire des constructions à énergie positive -, en revanche, sur l'existant, les économies à opérer sont coûteuses, à peu près tout le monde est prêt à en convenir. Ainsi, l'isolation thermique des bâtiments existants coûte cher. Il faut donc trouver le moyen d'inciter les ménages à réaliser ces économies d'énergie. J'ajoute qu'il revient généralement aux propriétaires d'effectuer ce type de travaux, dont profitent le plus souvent les locataires. Le potentiel d'économies existe mais le système est compliqué à mettre en oeuvre.
Nous avons examiné avec beaucoup d'attention et d'intérêt des scénarios très ambitieux, très volontaristes. Ainsi, selon le scénario négaWatt, en faisant appel à des technologies très performantes, on pourrait quasiment diviser par deux la consommation d'énergie en France à l'horizon 2030-2050. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue et nous sommes un certain nombre à ne pas y souscrire ; c'est en tout cas le sentiment qui transparaît à la lecture de notre rapport. Il est en effet difficile de faire évoluer les comportements, qui demeurent assez rigides. Même si les technologies permettant de réaliser d'importantes économies seront disponibles, on ne peut pas escompter contraindre trop fortement les consommateurs, leur demander, par exemple, de ne pas recourir à des technologies nouvelles qui seraient consommatrices d'énergie.
En ce sens, on peut tout à fait concevoir un scénario selon lequel la consommation totale d'énergie baisserait tandis que la consommation d'électricité augmenterait. En effet, il peut y avoir davantage d'usages électriques dans le futur.
L'accent est donc largement mis sur l'efficacité énergétique, même si, nous le savons, la mise en oeuvre de cette efficacité n'est pas toujours facile, car, lorsque les technologies existent, elles sont coûteuses.
Concernant les énergies renouvelables, nous estimons qu'il existe un potentiel important. Il ne faut donc pas opposer, en matière d'électricité par exemple, le nucléaire et les renouvelables. Il y a un potentiel, des engagements ont d'ailleurs été pris, des efforts sont consentis, j'aurai l'occasion d'y revenir en réponse à la dernière question posée. Cela étant, un problème se pose, qu'il ne faut pas sous-estimer, celui des installations de back up, c'est-à-dire la nécessité de compenser l'intermittence.
Les énergies renouvelables, qu'il s'agisse du solaire ou de l'éolien, ne sont pas disponibles en permanence. Quand il n'y a pas de soleil ou de vent, il faut que des centrales en stand-by permettent de faire face à l'intermittence.
Ce n'est pas un élément négligeable. Nous avons ainsi étudié la disponibilité du vent en Europe, en nous fondant sur l'hypothèse selon laquelle cette disponibilité à l'horizon 2030 serait à peu près du même ordre que durant ces dernières années : nous nous sommes aperçus que l'éolien était disponible en moyenne 21 % du temps, ce taux pouvant monter à 60 % à certains moments, ce qui est important, mais également baisser à 5 %, voire en deçà, à d'autres moments.
Un des enseignements intéressants de nos débats a été que le foisonnement sur lequel beaucoup insistent ne semble pas exister. On a tendance à penser que, lorsqu'il n'y a pas de vent dans le sud de l'Europe, il y en a dans le nord. Mais, à regarder les choses de près, on se rend compte que ce n'est pas tout à fait vrai. Au vu des statistiques disponibles, il nous est apparu que, lorsqu'il n'y avait pas de vent dans une zone de l'Europe en raison d'un anticyclone, notamment en période de froid, il n'y en avait nulle part. Le problème de l'intermittence se pose donc avec acuité.
À partir de là, quelles sont les perspectives pour le parc électrique français ?
Nous avions à examiner, conformément à la lettre de mission adressée par le ministre, quatre scénarios.
Le premier scénario consistait en la prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, donc du parc des 58 réacteurs de deuxième génération. Ce parc a aujourd'hui une trentaine d'années ; il est programmé pour durer quarante ans - les coûts ont été calculés sur cette durée -, soit jusque vers 2020, 2025. Ce premier scénario revenait à se demander si l'on pouvait prolonger la durée de vie des réacteurs pendant encore vingt ans, en sachant - il faut être prudent - que, de toute façon, la prolongation ne peut se faire que sur autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire. L'hypothèse fonctionne sous réserve que l'ASN donne son accord pour chacun des réacteurs, pour dix ans, et renouvelle son accord au bout de dix ans.
Nous avons ensuite étudié, sur le plan strictement économique, car nous ne sommes pas compétents pour porter un jugement sur les aspects techniques ou de sûreté, quelles seraient les conséquences d'une prolongation de vingt ans des réacteurs actuels.
Un deuxième scénario reposait sur l'accélération du passage à la troisième, voire à la quatrième génération. La troisième génération est celle de l'EPR ; un EPR est en construction, un autre est programmé. La question posée est la suivante : quand les réacteurs actuels atteignent environ trente ou quarante ans, faut-il passer aux générateurs de troisième génération et, éventuellement, vers 2040, accélérer le passage vers la quatrième génération ? C'est le prototype ASTRID.
Un troisième scénario envisageait une baisse de la part du nucléaire. Lorsque les réacteurs atteignent quarante ans, un sur deux est remplacé, soit par des renouvelables, soit par des fossiles, c'est-à-dire de l'électricité produite essentiellement à partir du gaz, ou parfois aussi du charbon. Un réacteur sur deux continue à être du nucléaire, l'autre étant remplacé par un mix de renouvelables ou de fossiles.
Le quatrième scénario consisterait en l'arrêt du nucléaire. Quand les réacteurs atteignent quarante ans, ils sont systématiquement arrêtés et remplacés par un mix de fossiles ou de fossiles et de renouvelables.
Nous avons étudié en détail sur le plan économique ces différents scénarios, en nous appuyant sur les chiffres à notre disposition, notamment ceux de la Cour des comptes. Claude Mandil et moi-même faisions également partie du groupe d'experts auxquels la Cour des comptes a fait appel pour l'élaboration de son rapport. Nous ne pouvions pas officiellement faire état de ces chiffres tant que nous n'avions pas auditionné Mme Pappalardo, ce qui a été fait en cours de route. Il y a une cohérence entre les chiffres du nucléaire donnés par la Cour des comptes et les chiffres sur lesquels nous nous sommes appuyés.
Pour résumer les conclusions de notre rapport, le scénario qui, dans l'état actuel des informations et compte tenu des hypothèses que j'ai rappelées tout à l'heure, permet de minimiser le coût de l'électricité ou d'éviter une trop forte augmentation des tarifs - dans tous les cas de figure, en effet, le prix de l'électricité peut monter, j'aurai l'occasion d'y revenir - est celui qui consiste à prolonger la durée de vie des réacteurs actuels.
Ce scénario, qui est le plus intéressant sur le plan économique, suppose deux conditions fondamentales : premièrement, que l'ASN donne son accord, et nous faisons l'hypothèse que cela est de sa compétence ; deuxièmement, que les investissements de jouvence et de sûreté qui sont programmés soient réalisés. Leur montant n'est pas négligeable, puisqu'ils représentent 55 milliards d'euros, soit environ 45 milliards d'euros en termes de jouvence et 10 milliards d'euros supplémentaires pour la sûreté.
Les scénarios alternatifs sont plus coûteux. De toute façon, quoi qu'on fasse, en 2050, le parc actuel sera renouvelé. La différence, c'est que, dans un cas, il faut se préoccuper de remplacer les réacteurs dès 2025, alors que, dans les autres cas, on peut attendre 2030, 2035, voire 2040. Dès lors que sont consentis des investissements importants pour changer les réacteurs, le coût est évidemment plus élevé.
Nous avons également étudié les conséquences de ces scénarios en termes d'externalité : sur la balance commerciale, sur l'emploi, sur l'indépendance énergétique de la France. Quel que soit le scénario envisagé, les conclusions étaient les mêmes : l'intérêt économique de la France, c'est d'allonger la durée de vie des réacteurs actuels. Cela nous permettra en outre le moment venu, c'est-à-dire d'ici à quinze ans, d'y voir plus clair en matière de solutions alternatives.
C'est au fond une stratégie de moindre regret, au sens mathématique du terme, non au sens trivial : on minimise les inconvénients et l'on y verra plus clair dans quinze ans, notamment si interviennent des mutations technologiques et si le coût des renouvelables s'est fortement amenuisé. On pourra, à ce moment-là, prendre les bonnes décisions, réduire un peu la part du nucléaire pour passer à plus de renouvelables ou, au contraire, envisager d'autres solutions.
Le scénario d'accélération de l'EPR nous est apparu plus coûteux, car l'EPR, il est vrai, coûte plus cher. À cela s'ajoute une contrainte en termes de potentiel de l'industrie française : il n'est pas du tout certain que celle-ci puisse faire face à la construction de deux réacteurs par an, à intervalles réguliers.
Cet élément industriel est important ; comme nous l'avons souligné dans nos conclusions, nous considérons que c'est pour la France une chance d'avoir une industrie nucléaire performante, à tous points de vue. Notre pays est compétent dans plusieurs domaines sur le plan industriel, notamment l'aéronautique et le nucléaire. Donc, à la fois en termes d'emplois qualifiés, de potentiel industriel, voire d'exportations, il faut absolument maintenir cette compétence.
Je rappelle que notre balance commerciale présente un déficit de 70 milliards d'euros, sur lesquels 60 milliards d'euros sont dus à l'énergie. Le nucléaire contribue, certes modestement, à soulager ce déficit avec 2,3 ou 2,5 milliards d'euros d'exportations. Les calculs sont faciles à faire : si l'on ne faisait pas de nucléaire, il faudrait logiquement construire des centrales à gaz et importer pour 20 milliards d'euros supplémentaires.
Nous sommes prudents mais, durant ces quatre mois où nous avons étudié tous les scénarios, notamment ceux proposés par les autres institutions, auditionné un grand nombre de personnalités, ce scénario de la prolongation du parc nucléaire actuel nous est apparu collectivement comme le meilleur.
Quand vous dites que notre industrie n'a pas la capacité de construire deux EPR par an, faites-vous allusion aux entreprises de travaux publics ?
En effet. Construire un deuxième EPR au bout de deux ou trois ans, c'est possible, faire deux EPR par an est plus problématique. Si l'on retient l'hypothèse d'une accélération, cela veut dire que l'on devra, à un moment donné, commencer par faire deux EPR, ce qui risque d'être difficile.
Il s'agit de remplacer les 58 réacteurs à mesure qu'ils atteignent la fin de leur durée de vie, sans la prolongation des vingt ans, par des EPR ?...
Absolument. C'est du systématique.
C'est vrai. L'EPR est un réacteur plus sûr que les réacteurs actuels, mais le coût en est plus élevé. Nous aurons l'occasion d'y revenir puisqu'une question m'a été posée au sujet de l'EPR.
Cela étant, notre commission a recommandé de faire un peu d'EPR, de lisser un peu le remplacement, c'est-à-dire de ne pas perdre de vue que l'EPR est un excellent réacteur et qu'il est bon, ne serait-ce que pour maintenir la compétence technologique française, notamment celle des ingénieurs, de faire des EPR, mais pas systématiquement tous les ans.
Je vous remercie de cette précision, car, compte tenu de la façon dont le rapporteur a formulé sa question, on pouvait comprendre qu'il fallait s'arrêter après le premier EPR. Or, ce que l'industrie ne peut pas assumer, ce sont deux EPR par an.
Absolument, monsieur le président.
J'en arrive à la deuxième question, la sensibilité au prix du CO2.
Si l'on avait choisi un prix du CO2 très élevé, on aurait en quelque sorte pénalisé les fossiles. Nous avons donc été raisonnables et retenu un prix de 50 euros par tonne de CO2. C'est nettement plus qu'aujourd'hui, mais c'est loin du prix de 100 ou 150 euros retenu par certains. Le taux d'actualisation intervient, ce qui peut modifier ce prix à la marge. Mais on a choisi un taux qui n'est pas négligeable, qui est de 8 %, avec des simulations à 5 %, comme l'a fait la Cour des comptes, ou à 10 %.
Il est vrai que, plus on choisit un taux élevé, plus on « écrase » le futur. Il est certain que, si le remplacement du nucléaire se fait tard, cela favorise une solution nucléaire de prolongement. En même temps, si l'on choisit un taux très bas, si l'on fait des investissements rapides en matière d'énergies renouvelables, cela peut pénaliser ces dernières, puisque le coût sera relativement élevé.
Cela modifie à la marge les résultats relatifs, mais cela ne modifie pas la hiérarchie économique, ce que l'on appelle la règle du merit order. Le nucléaire reste la moins chère des énergies. Le kilowattheure produit à partir des renouvelables ou des fossiles est plus coûteux.
Pour les renouvelables, au vu des chiffres actuellement disponibles, nous avons avancé l'hypothèse qu'il y aurait un effet d'apprentissage et que le coût des renouvelables baisserait. Comme cela apparaît bien dans l'ensemble des tableaux, nous avons fait l'hypothèse qu'il y aurait des gains d'efficacité, des économies d'échelle, mais que les renouvelables resteraient relativement coûteuses.
Une autre hypothèse, c'est que le prix du gaz resterait corrélé au prix du pétrole, sans être toutefois systématiquement indexé sur ce dernier, comme c'est le cas aujourd'hui. Un scénario pourrait changer la donne : imaginons qu'il y ait en France la même situation qu'aux États-Unis, c'est-à-dire un gaz de schiste à 2 dollars le million de BTU (British thermal unit).
C'est une hypothèse académique ! (Sourires.)
La question est importante parce qu'aux États-Unis, aujourd'hui, le prix du gaz a modifié la donne : 50 % de la production américaine d'électricité provient des centrales à charbon et, à l'heure actuelle, celles-ci ne sont plus compétitives, contrairement aux centrales à gaz.
C'est le seul scénario qui changerait la donne, mais nous ne l'avons pas explicité dans le rapport.
La question des externalités - j'ai évoqué la balance commerciale - est importante.
Sur l'emploi, nous avons conscience que les énergies renouvelables créent aussi des emplois. Schématiquement, le nucléaire représente environ 400 000 emplois, dont 200 000 emplois directs et 200 000 emplois indirects. Après avoir examiné les choses de façon générale, sans trop entrer dans le détail, nous avons néanmoins remarqué que la nature des emplois n'était pas la même. Il importe, en effet, de différencier les types d'emplois et de compétences. L'installateur de chauffe-eau solaire n'est pas l'ingénieur nucléaire. La compétence industrielle joue aussi. Le nombre d'emplois est un argument, mais il ne faut pas se limiter à ce seul critère.
En revanche, ce qui nous est apparu important, en faisant fonctionner le modèle NEMESIS de la Commission européenne, c'est que le nucléaire représente un avantage s'agissant des emplois induits. Ces emplois sont liés au fait que, grâce au nucléaire, le prix de l'électricité reste bas, ce qui, pour l'industrie ou pour les services en France, est un avantage dans la compétition. Une augmentation du prix de l'électricité entraînerait sûrement des délocalisations ou des suppressions d'emplois. Suivant les scénarios, nous étions à 100 000, voire 200 000 emplois.
Un prix moindre de l'électricité favoriserait la création d'emplois induits ?
Tout à fait.
Il faut différencier les emplois directs, c'est-à-dire directement liés au nucléaire, les emplois indirects, qui concernent ceux qui travaillent indirectement pour le nucléaire et les emplois induits, qui concernent ceux qui profitent d'un prix de l'électricité relativement bas.
Il est certain qu'une augmentation du prix de l'électricité aurait des conséquences pour certains secteurs industriels. On peut notamment penser à l'aluminium et à certaines industries électro-intensives.
Le faible prix des hydrocarbures aux États-Unis entraîne un repositionnement de certaines industries grosses consommatrices de pétrole et de gaz dans ce pays. Le maintien à un prix assez bas de l'électricité en France nous permettra de maintenir des industries électro-intensives, voire d'en accueillir de nouvelles.
S'agissant de l'environnement, je souligne que la France émet très peu de CO2 par habitant grâce au nucléaire. Si l'on arrêtait le nucléaire, ou si l'on en diminuait la part, pour le remplacer par des renouvelables, cela n'aurait pas d'impact direct sur le CO2. En revanche, si l'on passait à l'électricité d'origine fossile, même partiellement, même s'il s'agit du gaz, cela entraînerait une augmentation des émissions de CO2.
J'en viens à la question de savoir si le coût de l'EPR peut baisser. Je reviendrai tout à l'heure sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes, parce qu'il faut faire le lien entre le coût donné par la Cour des comptes et le prix de l'ARENH.
La Cour des comptes évalue à 49,50 euros le coût moyen d'un mégawattheure ; avec l'EPR, on est plus proche de 75 euros, mais c'est un prototype. Nous avons fait l'hypothèse que, si l'on passait à l'EPR, le prix ne serait pas nécessairement de 75 euros, qu'il serait un peu plus bas, tout en étant supérieur à 50 euros. Suivant les scénarios, on est plutôt aux alentours de 60 euros. Un effet d'échelle peut jouer faisant ainsi baisser le coût. C'est un pari qu'on peut faire, car l'expérience montre que, en général, si l'on fait plusieurs EPR, on peut gagner en termes de coût ; mais on n'en a pas la preuve. Évidemment, un coût de 75 euros renforce la conclusion que je vous ai tout à l'heure exposée : il ne faut surtout pas faire deux EPR par an. À 60 euros, il faut en faire un peu.
Dans le domaine électrique, sommes-nous en sous-capacité ou en surcapacité ? Ne perdons pas de vue que, l'électricité ne se stockant pas, il faut en permanence que la demande soit satisfaite par une offre suffisante. Par conséquent, il vaut mieux être en surcapacité qu'en sous-capacité.
On observe aujourd'hui que l'on est parfois, en Europe - pas seulement en France -, en surcapacité à certaines heures et en sous-capacité aux heures de pointe. En Europe, le gros problème qui va se poser, c'est la pointe. Il se pose déjà en France. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la loi NOME prévoit qu'il faut mettre en place un marché de capacité. Ce problème se posera avec plus d'acuité encore à l'avenir parce que, pour l'instant, les équipements de pointe ne sont pas très rentables.
Pendant un certain nombre d'années, nous avons été en surcapacité nucléaire, ce qui nous a permis d'exporter de l'électricité en base.
Pour notre part, nous nous fondons sur l'hypothèse selon laquelle la demande d'électricité en France restera stable ou connaîtra une légère croissance ; nous n'imaginons pas une chute de la demande. Certains militaient pour une hypothèse de forte augmentation, arguant que des usages électriques vont apparaître. Si l'on retient l'hypothèse d'une demande stable ou en légère augmentation, nous ne serons pas en surcapacité en France.
En revanche, en Europe, on le voit bien, puisque nous sommes interconnectés, il peut y avoir à certaines heures une surcapacité, notamment en éolien. C'est l'un des problèmes auxquels sont confrontés les Allemands à l'heure actuelle. Lorsqu'il y a beaucoup de vent en mer du Nord et que la demande d'électricité est faible, par exemple la nuit, ils ont trop d'électricité. La logique devrait alors commander d'arrêter des centrales thermiques, puisque l'éolien est prioritaire sur le réseau. Néanmoins, dans la mesure où il est coûteux d'arrêter de telles installations pendant trois ou quatre heures pour les remettre ensuite en marche, il faut trouver quelqu'un qui accepte de prendre cette électricité en trop et de payer ce quelqu'un, si bien que l'on aboutit à des prix négatifs. Cela s'est produit plusieurs fois en Allemagne.
Ce n'est évidemment pas le consommateur final qui achète sur le marché de l'électricité à un prix négatif. Ce sont essentiellement les Suisses qui le font. Avec cette électricité, ils montent de l'eau au sommet de leurs montagnes, où ils possèdent des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, c'est-à-dire des installations pour stocker de l'eau. Ils « returbinent » aux heures de pointe pour revendre aux Italiens de l'électricité à prix élevé. Par conséquent, ils gagnent deux fois, quand ils prennent et quand ils revendent. C'est un effet pervers du système : à ce moment-là, il serait logique d'arrêter soit l'éolien, soit les centrales thermiques.
En France, ce phénomène ne s'est pour l'instant produit qu'une seule fois : le 2 janvier 2012, à quatre heures du matin, le mégawattheure a coûté, je crois, moins 5 euros ; mais c'est anecdotique.
Je ne pense pas que nous soyons en surcapacité. Il faut plutôt se préoccuper de la sous-capacité aux heures de pointe, car c'est un des gros problèmes.
Indépendamment de l'aspect commercial et financier de l'exemple que vous venez de décrire, le fait que les Suisses remontent l'eau, la stockent et produisent ensuite de l'électricité en période de pointe peut être intéressant pour faire face aux pointes.
Oui.
Je me trompe peut-être, mais ce n'est pas la seule utilisation de la surcapacité. Certaines entreprises profitent de cette « électricité négative » pour fabriquer des produits dont elles n'ont pas un besoin immédiat, mais qu'elles ont la capacité de stocker.
Oui. Les entreprises allemandes ont préempté beaucoup de STEP dans les pays nordiques : elles savent qu'elles auront des problèmes et elles veulent donc pouvoir stocker indirectement. À défaut de stocker l'électricité, elles stockent l'eau. C'est ainsi qu'elles procèdent.
Vous semblez avoir beaucoup approfondi ce point.
Vous êtes-vous penché sur l'action des pays voisins - Allemagne, Autriche, Espagne -, qui semblent développer des capacités STEP pour répondre à ce besoin de l'énergie à bas coût ?
Non, nous savons que le problème existe. Nous ne nous en sommes pas préoccupés et nous n'avons pas étudié ces questions.
Nous avons cependant examiné de près la situation de deux pays, puisque nous avons auditionné des représentants du ministère de l'énergie britannique et du ministère de l'énergie allemand. Il s'agit de deux cas un peu antinomiques puisque, dans un pays, on veut refaire du nucléaire et, dans l'autre, on veut en sortir.
Avec les spécialistes de RTE, nous avons examiné les effets induits, par exemple en Pologne ou en République tchèque. En effet, quand il y a trop d'électricité dans le nord de l'Allemagne, comme il n'y a pas assez de lignes pour la transporter du nord vers le sud, les Allemands sont obligés de passer par la Pologne, par l'Autriche, puis ils remontent vers le sud de l'Allemagne. Cela peut poser des problèmes aux pays limitrophes de l'Allemagne, donc, demain, également à la France. Pour faire simple, les Allemands ont intérêt à avoir des interconnexions de plus en plus fortes, mais je ne suis pas absolument certain que ce soit l'intérêt de tous les pays limitrophes.
J'en viens au prix de l'électricité. Je rappelle que, dans le rapport que nous avons rédigé, nous nous sommes avant tout préoccupés du coût « sortie centrale », c'est-à-dire du coût complet du kilowattheure. Je rappelle, car c'est important et nous y insistons beaucoup dans le rapport, que, le prix de l'électricité qu'acquitte le consommateur final domestique correspond, pour 40 % au coût du kilowattheure, pour 35 % aux péages d'accès aux réseaux - distribution, 25 %, et transport, 10 %. Les 25 % restants correspondent à des taxes et à la CSPE. Notre mission consistait avant tout à regarder le coût du kilowattheure « sortie centrale ». Pour les réseaux, on part de l'hypothèse que c'est la CRE qui fixe les tarifs : en fait, elle donne son avis et c'est le ministre qui décide. Pour la CSPE, c'est la même chose ; j'aurai l'occasion d'y revenir à propos des énergies renouvelables.
Bien sûr, pour le prix de l'électricité, nous avons conscience que les péages d'accès aux réseaux risquent d'augmenter si l'on fait plus de réseaux, surtout si l'on enfouit les réseaux de distribution, car il s'agit d'une opération coûteuse. La France a un effort à accomplir dans ce domaine-là : il faut moderniser les réseaux. Par conséquent, on ne s'attend pas à une chute des péages d'accès aux réseaux, d'autant que la CRE est assez vigilante sur ce sujet : elle fixe des péages qui couvrent les coûts, notamment ceux des investissements nouveaux.
J'en viens aux taxes. La CSPE pose évidemment problème. Presque la moitié de cette contribution est destinée à couvrir les surcoûts liés à l'aide aux énergies renouvelables ; une partie sert à la péréquation spatiale des tarifs avec les départements d'outre-mer, une autre, plus petite, concerne la cogénération.
Le tarif de première nécessité pour les ménages en situation de précarité représente seulement 2 % de la CSPE. C'est vraiment très modeste. Ce sont donc bien les surcoûts qui posent difficulté et non ces aides.
Pour les énergies renouvelables, le surcoût est relativement élevé et il a eu tendance à s'accroître. Fort heureusement, les aides qui ont été attribuées ont été revues à la baisse, car cela a entraîné des effets d'aubaine assez importants.
Le surcoût est difficile à déterminer ex ante, car il dépend du prix du marché. Je viens d'expliquer que le coût du kilowattheure représentait 40 %, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est constitué du kilowattheure français - c'est la base - et de ce que l'on appelle le « complément marché », c'est-à-dire le kilowattheure qu'il faut acheter aux heures de pointe sur le marché. En général, il s'agit du marché européen : c'est du kilowattheure thermique provenant d'Allemagne ou d'ailleurs. Il dépend du thermique, c'est-à-dire du prix du pétrole et du prix du gaz.
On ne sait pas très bien comment évoluera ce coût ; on fait l'hypothèse qu'il va plutôt augmenter. Le surcoût des énergies renouvelables, c'est la différence entre ce prix du marché et le prix auquel on rachète. Évidemment, cela peut fluctuer.
Ces derniers temps, le surcoût a fortement augmenté, puisque la CSPE est passée de 4 euros à 9 euros. À partir du mois de juin prochain, elle passera à 10 euros ou à 10,50 euros. La CRE estime même qu'elle devrait être aux alentours de 13 euros. EDF se plaint qu'une partie du surcoût reste à sa charge, même si, quand elle vend du renouvelable, elle profite du système.
Il est certain qu'il faut plutôt s'attendre à une hausse. Même si cette question n'entrait pas directement dans notre champ de compétences, nous avons néanmoins fait observer qu'aider les énergies renouvelables était une bonne mesure. Toutes les énergies ont été aidées. Cependant, si les énergies renouvelables le sont durablement, cela peut poser problème. La question qui se pose est la suivante : faut-il maintenir le système actuel ou envisager d'autres systèmes ? J'aurai peut-être l'occasion d'y revenir.
Concernant le coût de l'électricité elle-même, nous avons fait l'hypothèse que le complément marché allait augmenter un peu. L'avantage du nucléaire, c'est que cela permet une relative stabilité du coût « sortie centrale ». C'est un élément fort, qui explique le différentiel de prix entre la France et l'Allemagne, par exemple, ou même la moyenne européenne.
Est-ce que les prix reflètent les coûts ? À cette question, j'aurais tendance à répondre : à peu près.
En France, depuis qu'EDF a mis en place le système de la tarification coût marginal pour les industriels, en 1956, puis pour les particuliers, en 1965, les prix de l'électricité reflètent à peu près les coûts. On ne peut pas dire que ce soit en permanence le cas : la CRE formule de temps en temps des observations, notamment lorsque le ministère n'autorise pas l'augmentation qui aurait été souhaitable, pour des raisons qui tiennent par exemple à la lutte contre l'inflation.
Il n'en reste pas moins que, globalement, en France, les tarifs de l'électricité reflètent assez bien les coûts, avec une nuance sur la CSPE, qui n'est peut-être pas totalement intégrée dans le tarif. Pour ma part, je considère que la politique tarifaire est bonne de ce point de vue. D'ailleurs, la politique de tarification fondée sur les coûts marginaux est, à mes yeux, un très bon système.
Cela m'amène à l'ARENH, qui constitue un sujet important. Pour avoir eu l'honneur de participer aux commissions Champsaur, je ne peux pas ne pas répondre que l'ARENH est un bon système ou que le montant de 39 euros est pertinent !
Après la publication du rapport de la Cour des comptes, certains ont fait observer que les chiffres de la Cour des comptes ne coïncidaient pas avec l'ARENH. C'est logique, car il s'agit de deux choses différentes. La Cour des comptes a examiné les chiffres que lui a transmis EDF. Elle a donc d'abord observé qu'il n'existait pas de coûts cachés, même s'il restait des incertitudes sur certains coûts, notamment les coûts de démantèlement. C'est normal puisque ce sont des coûts à venir que l'on ne connaît pas bien ; je pense, par exemple, aux coûts de gestion des déchets. En revanche, sur les coûts passés, on arrive à peu près à reconstituer ce que l'on a dépensé.
La Cour des comptes estime que 49,5 euros le mégawattheure correspond à une bonne estimation de ce qu'a coûté le programme nucléaire actuel, c'est-à-dire le parc nucléaire actuel.
J'insiste bien sur le fait qu'il s'agit aujourd'hui du coût du passé. Si, demain, la France veut réinvestir, il faudra que le prix de l'électricité anticipe les investissements nouveaux. La politique menée dans le passé par EDF est d'ailleurs bonne : elle a consisté à établir la tarification sur la base de ce que l'on appelle le « coût en développement ». Cela revient à anticiper les investissements nécessaires et à répercuter par avance une partie des coûts dans les tarifs. En effet, il ne faut pas faire payer à la génération actuelle tous les coûts futurs, mais il ne faut pas non plus laisser à la génération future tous les coûts. C'est donc un bon système.
Pour l'instant, la question ne se pose pas puisqu'il ne faut pas renouveler les réacteurs. Elle se posera lorsqu'il faudra le faire. Dès lors, le prix de l'électricité devra augmenter. Mais ce ne sera que dans dix, quinze ou vingt ans, selon les choix qui seront faits par le politique.
Le coût actuel - 49,50 euros - est donc un coût moyen qui reflète assez bien ce qu'a coûté le programme nucléaire.
Pour l'ARENH, c'est complètement différent. Cela répond à une logique qui consiste à calculer le coût du parc actuel, par mégawattheure, pour EDF, en sachant qu'une partie importante des investissements a déjà été récupérée. Il ne faut pas que le consommateur français paie deux fois.
Lorsque la commission Champsaur 2 a calculé l'ARENH, elle a examiné, sur la base de la comptabilité - c'est un coût comptable -, ce qui avait été amorti et ce qui restait. Elle a donc procédé à un calcul prospectif sur la partie résiduelle, c'est-à-dire les quinze ans restants sur les quarante ans, puisque les calculs se fondent sur cette durée, en tenant compte de ce qui a déjà été payé. Elle est parvenue à 33 euros le mégawattheure. Elle y a ajouté le montant des « investissements de jouvence », de l'ordre de 5 euros à 6 euros, puisqu'il va falloir prolonger le parc et l'anticiper dès maintenant, et a abouti à 39 euros.
En fait, la commission Champsaur a proposé au ministre entre 38 euros et 40 euros, parce que l'on ne pouvait pas dire que l'on était à 39 euros exactement. Le rapport a été remis au moment de Fukushima et le ministre a estimé que, dans la mesure où des dépenses supplémentaires devraient probablement être engagées à cause de la sûreté, il valait mieux prévoir 40 euros en 2011 et même 42 euros en 2012. C'est une décision politique. On n'est pas très loin du chiffre proposé. D'ailleurs, le ministre l'a dit : le Gouvernement s'appuie sur le rapport Champsaur 2 pour fixer le tarif.
Il est impossible de comparer les 39 euros ou les 42 euros de l'ARENH aux 49,50 euros de la Cour des comptes. On ne parle pas de la même chose ! Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui, dans les tarifs régulés de vente, le TRV, de prendre 49,50 euros pour fixer le tarif.
N'oublions pas que le fameux tarif de 42 euros a pour but de permettre aux concurrents d'EDF de jouer à armes égales. On peut évidemment discuter de la logique de la loi NOME, mais elle répondait bien à cet objectif. Du fait des prix internationaux et des prix européens plus élevés, les concurrents d'EDF, qui n'ont pas la chance d'avoir un programme nucléaire, se trouvent dans une situation plus difficile, car leur prix de revient est plus élevé.
Il y a deux solutions : soit on considère qu'il existe une rente de rareté du nucléaire, dont profite EDF, et l'État peut éventuellement prélever la rente et, éventuellement, la redistribuer aux consommateurs ; soit on autorise les concurrents à se « sourcer » pour partie, à condition que ce soit pour alimenter les consommateurs français, sur la base du nucléaire français, à concurrence de 25 %, mais aux conditions auxquelles cela revient à EDF. Bien sûr, pour le consommateur, le coût s'établit à 49 euros le mégawattheure, mais EDF a déjà récupéré une partie de la mise.
Il est donc logique de prendre 42 euros pour fixer le tarif. Pour EDF, ce n'est pas une mauvaise affaire, parce qu'il y a une rentabilité du capital. Le rapport Champsaur précise clairement que la décomposition des différents éléments montre qu'est pris en compte ce qui a été amorti et qu'est introduite une rentabilité du capital, ce qui est tout à fait légitime pour un investisseur. On aboutit alors à un montant de 40 euros à 42 euros le mégawattheure.
Le montant actuel de l'ARENH - 42 euros - doit-il augmenter ? Le système est en principe prévu jusqu'en 2025. Ce tarif comprend une partie des dépenses d'exploitation, les OPEX, c'est-à-dire une partie des coûts de fonctionnement. Par conséquent, on peut supposer qu'il y aura de l'inflation. La seule chose que l'on pourrait considérer, c'est que, sur les 42 euros, à peu près 25 euros ou 26 euros correspondent à des coûts de fonctionnement. C'est peut-être sur ces coûts particuliers qu'il faudrait, chaque année, tenir compte de l'inflation, aux alentours de 1,5 % ou de 2 %.
Pour autant, rien ne justifie de porter l'ARENH à 49,50 euros. Cela répond à deux visions tout à fait différentes ; il n'y a donc pas de contradiction. D'ailleurs, la Cour des comptes le dit très bien : dans un cas, il s'agit du coût pour le consommateur à l'instant t ; dans l'autre, du coût pour EDF aujourd'hui, sachant qu'une partie a déjà été récupérée.
Il y a deux jours, la CGPME et, par son intermédiaire, toute une série de petites et moyennes entreprises ont tiré le signal d'alarme, disant qu'à ce prix-là elles n'y arriveraient pas.
Je rappelle qu'EDF demandait au départ 46 euros, voire plus. Certains parlaient de 33 euros. Le rapport Champsaur 2 a conclu à 39 euros, précisant qu'EDF n'y perdait pas. L'objectif était bien de permettre à l'opérateur historique de récupérer sa mise, ce qui est tout à fait légitime. La question se pose en effet : est-il légitime de demander à celui qui a fait un effort d'investissement - les centrales nucléaires appartiennent à EDF - de vendre une partie de son électricité à ses concurrents ?
C'est le débat sur le TARTAM, c'est la logique de l'Europe. Il y avait des menaces crédibles : « Si vous ne faites pas ça, on va interdire à l'opérateur historique d'avoir plus de x % de parts de marché ! »
Si l'on considère qu'il faut demander à l'opérateur historique de se sacrifier un peu pour vendre une partie de son électricité, les producteurs alternatifs deviennent des revendeurs de l'électricité nucléaire d'EDF, ce qui ne leur donne pas totalement satisfaction.
Pour nous, un ARENH à 39 euros, c'était un tarif qui paraissait raisonnable et qui, en tout cas, ne pénalisait pas EDF. Certains ont considéré que c'était insuffisant, en arguant que la Cour des comptes avait dit que le bon niveau, c'était 49 euros. Le pouvoir politique a décidé que ce serait 42 euros, eu égard aux coûts supplémentaires de sûreté. Nous, nous n'avions pas d'avis à donner sur ce point.
Certains industriels peuvent considérer qu'ils auront du mal, mais on peut leur répondre qu'il vaut mieux se « sourcer » en France sur l'ARENH à 42 euros que sur le marché européen à 50, 55 ou 60 euros. De ce point de vue, leur situation ne me semble pas si délicate.
Je voudrais être sûr de bien comprendre la différence entre 39 euros et 49 euros ou 42 euros.
Pour vous, 33 euros correspondent au coût calculé en fonction de l'investissement qui reste à amortir pour les centrales actuelles. Vous y ajoutez 6 euros au titre de la nécessaire modernisation. Cela donne un total de 39 euros, auxquels le Gouvernement ajoute 3 euros pour améliorer la sécurité, à la lumière de l'accident survenu au Japon.
C'est cela.
Mais comment est calculé le coût de 49 euros ? Si je vous ai bien compris, dans l'hypothèse où nous devrions reconstruire notre parc aujourd'hui, il faudrait payer le mégawattheure 49 euros pour financer sa construction ?
Absolument ! Si nous devions reconstruire notre parc de centrales nucléaires dans la nuit - ce que l'on appelle le coût overnight -, en tenant compte de tout, le prix du mégawattheure devrait être fixé à 49,50 euros. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment le coût overnight, car il y a une partie de ce montant qui tient aux intérêts intercalaires. Cela signifie donc que le prix de revient des 58 réacteurs, pour le consommateur français, s'élève à 49,50 euros par mégawattheure. C'est le bon chiffre. Mais le consommateur a déjà payé une partie de ce prix...
Oui ! En 2010, l'investissement était amorti à hauteur de 75 % : EDF a donc récupéré une partie de sa mise.
D'ailleurs, si l'on observe la courbe des investissements d'EDF, elle monte entre 1973 et 1985, et celle des tarifs a suivi. Les industriels français ont payé 25 % de plus, en monnaie constante, entre 1973 et 1985. Ensuite, les tarifs d'EDF ont pu baisser régulièrement parce que l'on n'investissait plus ; aujourd'hui, ils remontent parce qu'il faut réinvestir : c'est tout à fait logique !
Plusieurs systèmes sont envisageables.
Le système des prix garantis est séduisant et a prouvé ses vertus. En effet, dans les pays où les prix garantis sont très élevés, notamment en Allemagne et en Espagne, d'importants moyens de production d'énergies renouvelables ont été mis en place. Ce système a un inconvénient : comme l'État ne sait pas bien quel sera le coût de cette production, il fixe un prix garanti et attend de connaître les quantités produites. Il peut en résulter un effet pervers : la quantité produite peut être plus ou moins importante suivant les coûts. Il y a eu des effets d'aubaine...
Pour l'éolien onshore, les tarifs ne sont pas excessifs : ils se situent à 82 ou 83 euros par mégawattheure ; c'est correct. D'ailleurs, l'éolien approche du seuil de compétitivité du marché suivant les heures - avec une nuance que j'évoquais tout à l'heure, à savoir le problème du back up. D'ailleurs, s'il y a une recommandation à faire, c'est que la Cour des comptes fasse pour les renouvelables ce qu'elle a fait pour le nucléaire, qu'elle établisse un bilan de ce que cela a coûté, des avantages et des inconvénients de chaque système.
Avec l'éolien, on a un système qui n'a pas trop mal fonctionné, même si, en Allemagne, cela l'a un peu boosté, mais, après tout, c'est plutôt bon et c'est surtout légitime : en effet, toutes les énergies, à un moment de leur histoire, ont été aidées d'une façon ou d'une autre - la plus aidée étant le charbon, y compris en France -, par la fiscalité, par des aides publiques ou par la recherche publique, notamment dans le cas du nucléaire.
En ce qui concerne l'électricité photovoltaïque, il faut bien reconnaître que les prix garantis étaient très élevés. Quand le mégawattheure était racheté 600 euros, c'était excessif. Je connais une collectivité locale qui a fait une bonne affaire en installant des panneaux solaires sur sa mairie et en signant un contrat de fourniture d'une durée de vingt ans avec un prix du mégawattheure à 600 euros. Ils sont très contents ! Ce n'est pas cela qui peut plomber le système français, mais cela montre bien qu'il y a eu des effets d'aubaine importants.
L'État a compris que c'était trop et on a réduit les aides, ce qui est une bonne chose.
La solution alternative, c'est celle qui vient d'être adoptée pour l'éolien offshore et qui consiste à recourir aux appels d'offres. C'est un bon système ! « J'ai besoin de 3 000 mégawatts installés d'éolien offshore... Qui est candidat et à quel prix ? » On va voir quels prix vont être proposés. Nous pensions que ce serait entre 150 euros et 200 euros par mégawattheure, ce qui est tout à fait raisonnable, puisque la production offshore coûte plus cher.
Il faut aider les énergies renouvelables de manière transitoire, mais on ne peut pas adopter un système où elles sont aidées durablement. Il faut surtout analyser les conséquences de ces aides, afin de savoir qui en profite vraiment. Aujourd'hui, l'installation de panneaux photovoltaïques en Europe profite principalement aux entreprises chinoises. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous soutenons l'emploi en Chine, ce serait caricaturer, mais les retombées en termes d'emplois ici ne sont pas à la hauteur des espérances.
Notre rapport rappelle qu'il est important que la France développe aussi, à côté d'une industrie nucléaire performante à l'échelle internationale, une industrie du solaire qui pourrait aussi être une industrie d'exportation : n'oublions pas que, dans le passé, notre pays a été en pointe dans ce domaine. Pour différentes raisons, ce n'est plus le cas. Des marchés importants existent dans des pays très ensoleillés, comme la Californie : pourquoi l'industrie française ne serait-elle pas compétitive dans ce domaine ? Il n'y a aucune raison valable de restreindre la recherche et l'industrie françaises au nucléaire.
Il faut cependant raison garder : les consommateurs n'ont pas toujours conscience du fait que ce sont eux qui paient ces aides aux énergies renouvelables, puisqu'elles sont répercutées dans la CSPE.
Il ne faut pas s'attendre à voir le prix de l'électricité baisser parce qu'il faudra investir dans les réseaux, aider les renouvelables, faire des efforts, y compris dans le nucléaire - et si l'on en sort, il faudra consentir des investissements encore plus importants ! Il faut donc expliquer au consommateur que nous conserverons un avantage relatif, dans la mesure où les prix français resteront très en deçà des prix européens, mais il faut qu'il soit conscient de la nécessité de réaliser des économies d'énergie, et donc des investissements dans l'efficacité énergétique, même s'ils sont relativement coûteux. La vérité des prix oblige à dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que les prix baissent, même s'ils augmenteront moins vite en France qu'ailleurs, grâce au nucléaire.
Vous avez raison de souligner que le système des appels d'offres est beaucoup plus juste que le système du prix de rachat. Pour la CSPE, quelle serait la solution la plus juste ?
Certains souhaiteraient en élargir la base : on pourrait concevoir qu'elle soit payée par le contribuable, mais, a priori, ce n'est pas logique. En effet, c'est le consommateur d'électricité qui profite in fine de l'électricité : il est donc logique que ce soit lui supporte la charge de cette taxe.
D'autres avancent que l'électricité ne devrait pas être seule visée et suggèrent que cette contribution frappe la consommation d'énergie : il faudrait alors élargir la base de la CSPE au pétrole et au gaz. Mais il faudrait également trouver à cela une justification économique. On veut aider les énergies électriques : si l'on instaure un système de subventions croisées, en faisant payer le nucléaire pour le pétrole, puis le pétrole pour l'électricité, il deviendra très rapidement complètement opaque.
Selon moi, la logique exige que ce soit le consommateur d'électricité qui subventionne les énergies renouvelables. Simplement, il faut baisser le prix de rachat garanti, comme cela a déjà été fait, et peut-être, dans certains cas, changer le fusil d'épaule en passant au système des appels d'offres, comme on le voit pour l'éolien offshore. Au départ, la Commission européenne n'était pas favorable au système des prix garantis, qui a pourtant fonctionné au-delà des espérances en Allemagne et en Espagne ; d'ailleurs, l'Espagne connaît une situation un peu difficile, avec des prix de rachat relativement élevés. Je pense donc que l'on a bien fait d'aider.
Oui, et très fortement ! En fait, c'est le photovoltaïque qui est dans le collimateur, pas l'éolien.
Pour ce qui est de l'éolien, on est à peu près maintenant sur un rythme de croisière. Mais le photovoltaïque a bénéficié d'un effet d'aubaine trop important : le prix de rachat de l'électricité produite par les panneaux installés sur les toits des maisons était destiné aux particuliers, pas aux agriculteurs qui ont décidé de couvrir leurs hangars de panneaux solaires pour que l'électricité ainsi produite leur soit rachetée au même tarif. On peut considérer qu'il appartenait à la politique énergétique de compenser les déficiences de la politique agricole commune, mais je ne suis pas sûr que cette solution soit satisfaisante...
Monsieur Percebois, je vous remercie de vos réponses exhaustives. Malgré tout, je suis sûr que notre rapporteur attend des explications complémentaires...
En ce qui concerne les emplois créés par l'électricité photovoltaïque, vous avez dit que nous contribuions surtout à développer les emplois en Chine, mais vous ne tenez pas compte du fait que les entreprises qui les installent chez nous sont françaises - même si je n'exclus pas que des entreprises chinoises puissent venir le faire également. Or la fabrication des panneaux représente un quart de l'emploi total dans ce secteur...
Plutôt la moitié ! La moitié du prix payé va aux installateurs, l'autre aux fabricants.
C'est à peu près cela.
Nous vérifierons ces hypothèses ! En tout cas, la totalité de l'investissement ne sert pas à financer les constructeurs.
Ma présentation était un peu caricaturale, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
Est-il possible de réaliser des STEP en France ? Vous nous avez expliqué qu'en cas de surproduction d'électricité, il était rentable d'acheter de l'électricité à un prix négatif, de faire remonter l'eau dans les barrages et de la turbiner lorsque la demande d'électricité devenait importante. Vous avez mentionné les pays nordiques et la Suisse, mais ce système existe-t-il en France, ou bien nos barrages sont-ils trop vieux ?
Je précise tout d'abord que la probabilité pour que les prix d'électricité soient négatifs en France est très faible pour l'instant. La situation observée régulièrement en Allemagne n'a été observée qu'une seule fois en France, pour l'instant. Je ne veux pas laisser entendre que l'on pourrait acheter de l'électricité à un prix négatif en France...
Ce serait concevable !
Ce sujet mérite d'être exploré. On entend souvent dire que le potentiel de production d'électricité hydraulique est saturé en France, notamment pour la mini-hydraulique. J'ai eu, par ailleurs, l'occasion d'examiner cette question et il me semble qu'il y aurait peut-être un potentiel en matière de mini-hydraulique, voire de micro-hydraulique, qui pourrait être intéressant dans un contexte où l'on pourrait valoriser le stockage. Ma réaction, a priori, c'est de dire qu'il n'y a tout de même pas un potentiel énorme en France : on doit pouvoir, de façon marginale, trouver des opportunités, mais on n'a pas l'équivalent du système suisse. Cela étant, la mini-hydraulique, c'est quelque chose qui mérite d'être considéré. On a peut-être considéré un peu trop rapidement qu'on avait fait le tour du potentiel. On entend dire que, dans le sud de la France, en particulier, il y aurait un potentiel qui serait loin d'être négligeable. Mais je ne suis pas en mesure de vous fournir des chiffres.
Quand les tarifs vert et jaune auront disparu, dans quatre ans, comment pourra-t-on être sûr que les prix de l'électricité acquittés par les industriels français seront moins chers ? Vous nous avez dit que le nucléaire garantissait un niveau de prix inférieur, mais comment garantir que ces prix resteront bas, puisqu'il y aura des interconnexions ?
EDF vendra toujours son électricité nucléaire relativement bon marché et ses compétiteurs, les alternatifs, auront toujours accès à l'ARENH, qui durera jusqu'en 2025. À partir du moment où ces producteurs alternatifs disposeront d'un potentiel ARENH proportionnel à leur portefeuille de clients, la logique voudrait que, s'ils achètent l'électricité au prix de l'ARENH, ils en fassent profiter leurs consommateurs. On peut concevoir que certains fournisseurs en profitent pour se « sourcer » sur l'ARENH et revendre au prix du marché européen : mais la logique du marché fait que les clients retourneront se fournir auprès d'EDF. Si ces fournisseurs veulent conserver leurs clients français, ils doivent les faire profiter de l'ARENH.
Aujourd'hui, l'ARENH est calé jusqu'en 2025. Vous nous avez indiqué que, le jour où l'on voudrait relancer le parc nucléaire, il faudrait, par anticipation, majorer les prix. Si une telle décision est prise avant 2025, il faudra donc réviser le niveau de l'ARENH, au vu du calcul que vous nous avez présenté tout à l'heure ?
Le prix de l'électricité devrait être revu, mais pas celui de l'ARENH puisque celui-ci se fonde le passé. L'ARENH peut être défini comme un droit de tirage sur du nucléaire déjà très largement amorti. Demain, le prix de l'électricité comprendra plusieurs « tranches » : la première sera constituée par l'ARENH ; la deuxième, par le « complément marché » ; la troisième correspondra à l'investissement dans les nouveaux réacteurs nucléaires. Le prix de l'électricité devra augmenter, mais pas celui de l'ARENH ; théoriquement, ce dernier ne devrait pas varier d'ici à 2025, à l'exception de la prise en compte de l'effet de l'inflation sur les dépenses de fonctionnement.
Vous dites que l'ARENH n'a pas de raison d'augmenter. C'est vrai si l'on considère que l'investissement dans la construction et la recherche est amorti - étant entendu que les coûts de fonctionnement peuvent évoluer en fonction de l'inflation, ainsi que vous venez de le dire -, mais c'est à condition que le coût du démantèlement et du traitement des déchets ne nous réserve pas de mauvaises surprises !
En principe, EDF a commencé à provisionner pour faire face au coût du démantèlement, mais la Cour des comptes a soulevé deux points.
Tout d'abord, on ne connaît pas très bien ce coût et, si l'on fait du benchmarking, si l'on observe les pratiques des autres opérateurs, on s'aperçoit qu'EDF se situe plutôt dans le bas de la fourchette. Il faut donc peut-être examiner cette question de plus près. La Cour des comptes a donc eu raison de souligner qu'EDF avait peut-être été un peu trop optimiste dans ce domaine.
Et il en va de même en ce qui concerne le coût de la gestion des déchets. En tant que membre de la Commission nationale d'évaluation, j'ai eu à me pencher sur le coût de gestion du laboratoire de Bure : nous attendons de connaître la décision de l'État, mais nous savons déjà que le coût sera supérieur aux prévisions initiales.
On ne connaît donc pas encore de manière sûre le coût du démantèlement et du traitement des déchets ?
Il n'y a pas de coûts cachés, mais certains peuvent être sous-estimés.
Monsieur Percebois, je vous remercie de cet exposé très complet et très clair.