Intervention de Yannick L'Horty

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 10 avril 2014 à 9h30
Audition de M. Yannick L'horty économiste professeur à l'université paris-est marne-la-vallée

Yannick L'Horty :

Voilà deux décennies, effectivement, que je travaille sur le sujet. J'ai réalisé ou accompagné nombre de travaux de recherche et opérations d'évaluation portant sur les politiques d'allègements. Ces dernières se décomposent en trois générations : la première, de 1993 à 1996 ; la deuxième a accompagné le passage aux 35 heures ; la troisième, la réforme Fillon de 2003 à 2005, a installé le dispositif actuel.

Je suis professeur d'économie à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée mais également directeur de la fédération du CNRS « Travail, emploi, politiques publiques » qui regroupe sept laboratoires de recherche. Mes premiers travaux ont consisté en une évaluation ex ante de la première génération des allègements. À partir d'un modèle économique fondé sur des hypothèses de fonctionnement de l'économie et du marché du travail, on déduit les effets sur l'emploi d'un choc d'exonération de charges sociales. À la fin des années quatre-vingt-dix, j'ai mené un travail d'évaluation ex post en m'appuyant sur les données des entreprises et de l'enquête « emploi » en privilégiant une approche sectorielle, pour mettre en évidence les disparités de réaction des divers secteurs économiques. À la fin des années deux-mille, je me suis penché sur la réforme Fillon en croisant les données individuelles des entreprises - les déclarations annuelles de données sociales (Dads) - avec les fichiers de L'Acoss. À ce jour, il s'agit de la seule évaluation ex post connue de la dernière vague des exonérations. Et il importe de savoir quelle réforme on évalue. Le ciblage, qui a varié de 1 à 1,6 Smic, l'ampleur de l'exonération et sa forme (le barème), déterminent les effets de la politique d'allègement sur l'emploi. Cette étude, qui a donné lieu à des publications dans les revues Fiscal Studies et Economie et Statistique, a pour originalité d'examiner l'effectivité des exonérations au niveau de l'entreprise. Autrefois, on ne pouvait aller au-delà d'une estimation en fonction de la masse salariale.

Après cette étude qui a mobilisé de grosses bases de données et d'importants moyens de calcul, j'ai mené un nouveau travail de simulation ex ante, qui a été publié dans la revue de l'OFCE. À l'époque, il était question de revoir le barème des exonérations générales, pour réduire la voilure de 5 milliards d'euros. J'ai tenté de savoir, selon différents scénarios, quel serait l'impact de cette décision sur l'emploi. Les résultats confirment que la forme de l'exonération a des effets cruciaux sur l'emploi. Si la priorité va à la réduction du chômage, il faut cibler les bas salaires. Si elle est d'améliorer la formation et la compétitivité, l'exonération doit être plus diffuse. Le choix est donc, en définitive, politique : il revient à un arbitrage entre quantité et qualité des emplois.

Ces dernières semaines, j'ai pris une position publique dans les débats intenses sur le pilotage du pacte de responsabilité. Avec mon collègue François Langot, nous avons proposé à 60 économistes de cosigner une tribune - elle est parue dans Le Monde début février - dans laquelle nous demandions une priorité forte pour les bas salaires dans la politique d'exonérations. Fait rare, car les économistes ne sont généralement pas de furieux pétitionnaires, nous avons récolté 36 signatures en deux jours ; c'est dire combien cette idée fait l'objet d'un consensus fort.

Début mars, nous avons publié dans Les Echos un nouvel article en réponse au Medef. Si l'objectif est la compétitivité, la bonne méthode ne consiste pas à modifier l'architecture des prélèvements sociaux et, certainement pas à fiscaliser le financement de la branche famille.

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