Intervention de Élisabeth Hubert

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 26 janvier 2022 à 18h30
Audition de Mme élisabeth Hubert présidente de la fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile

Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile :

Je vous remercie de cette invitation et de l'opportunité qui m'est donnée d'aborder le sujet de de l'hospitalisation à domicile dans le cadre de cette commission d'enquête sur la situation de l'hôpital. En effet, il est important comprendre comment l'hospitalisation à domicile s'organise dans un environnement élargi.

La tension hospitalière est très régulièrement évoquée depuis deux ans. Or cette tension, dont je ne nie pas l'existence, ne se perçoit pas en termes d'activité d'hospitalisation à domicile. Les chiffres à fin novembre 2021 attestent bien d'une progression qui est habituelle d'une année sur l'autre depuis 15 ans, mais celle-ci s'est émoussée au cours de l'année 2021. En effet, l'augmentation du nombre de journées de HAD en 2020 était de 10,4 % alors qu'elle n'était que de 7,2 % au 30 juin 2021, en glissement sur un an. Cette baisse du taux de progression n'était alors ni inquiétante ni anormale, car elle était conjoncturelle, la covid ayant engendré une poussée de plus de 10 %. À fin septembre 2021, la progression n'était plus que de 5,2 % comparée à fin septembre 2020. Cette diminution est intéressante et s'explique par les mois d'été qui avaient permis de constater une érosion de cette progression et pendant lesquels le recours à l'hospitalisation à domicile s'était fortement émoussé. À fin novembre, le taux de progression n'était plus que de 3,8 %. Nous constatons donc que le recours à l'hospitalisation à domicile est beaucoup moins intense qu'il ne l'a été par le passé dans toutes les régions pour des raisons que nous percevons un peu, mais sur lesquelles il serait trop long de s'appesantir ici.

Il a été question des tensions et des difficultés dans des établissements hospitaliers pour prendre en charge les patients. Un certain nombre d'ARS l'ont parfaitement entendu également, car elles organisent des réunions avec les centres hospitaliers ainsi que les établissements de HAD afin de comprendre les raisons pour lesquelles, alors que les hôpitaux sont sous tension, les établissements de HAD peuvent prendre en charge des patients.

Il me semble important de clarifier la situation, ce qui constitue d'ailleurs tout l'intérêt de votre commission d'enquête, non dans le but d'accuser, mais pour décrypter les raisons d'un malaise. La réponse ne saurait se réduire à affirmer la nécessité d'augmenter le nombre de lits puisque nous voyons bien qu'aujourd'hui, les raisons des crises sont certainement diverses et s'inscrivent dans une échelle de temps qui n'est pas simplement conjoncturelle ou liée uniquement à la crise de la covid.

Tout d'abord, il est important de savoir qu'aujourd'hui en France, tous les territoires sont dotés d'une offre d'hospitalisation à domicile. Je n'affirme pas qu'elle est efficiente et optimale partout, mais tous les territoires français en sont dotés, y compris nos territoires ultra-marins. Mayotte a obtenu deux autorisations il y a quelques mois. La Réunion a reçu de très belles offres et des tentatives d'en créer en Nouvelle-Calédonie et Polynésie sont engagées depuis un certain temps.

À date, les besoins sont couverts territorialement. Le nombre d'établissements de HAD n'augmente plus et a tendance à diminuer, non pas parce que des territoires ne seraient plus couverts, mais parce que des regroupements ont eu lieu. En effet, quelques années auparavant, à une époque qui correspondait au remplacement des ARH par les ARS, des établissements de HAD ont été créés en contrepartie de suppressions de services hospitaliers (service d'obstétrique, service de chirurgie, etc.). Remplacer des services par des lits de HAD n'était pas obligatoirement un gage d'efficience. Des structures de petite capacité ont vu le jour sur des territoires trop restreints pour pouvoir développer l'activité telle que nous la concevons. C'est ce qui a conduit à des regroupements.

Vous avez évoqué les difficultés de l'hôpital et ses dysfonctionnements. Nous connaissons tous un problème de ressources humaines. Ce problème existe dans le médico-social, dans le sanitaire aussi bien à l'hôpital qu'en clinique et il se manifeste aussi chez nous de manière prégnante. Recruter des médecins en HAD est un parcours du combattant en raison des exigences salariales élevées que nous sommes obligés d'accepter, indépendamment des crédits Ségur. Il nous est déjà difficile de recruter en y mettant le prix, mais c'est une tâche impossible si nous nous y refusons, notamment dans les deux tiers du territoire français qui sont les plus au nord. Le recrutement de médecins est en effet un peu moins ardu au sud.

Actuellement, nous connaissons également des difficultés pour recruter des infirmiers, mais nous y parvenons tout de même, compte tenu du nombre d'infirmiers qui ont été formés et de ceux quittant l'hôpital et désirant connaître d'autres expériences.

Concernant les aides-soignants, nous faisons face à d'énormes difficultés de recrutement, comme tout le monde. Malgré l'attractivité du travail offrant une plus grande autonomie, la possibilité de disposer de véhicules de société avec la prise en charge non négligeable des frais de carburant ainsi que des salaires en hausse, ces professionnels sont très difficiles à recruter. La cause principale est liée aux horaires coupés qui constituent un inconvénient majeur. En effet, en HAD, les aides-soignants travaillent avec des horaires coupés et subissent tous les inconvénients d'un travail qui commence tôt le matin, puis qui reprend en milieu d'après-midi.

Nous connaissons donc les mêmes difficultés de recrutement que les autres secteurs. Lorsque vous évoquez le dysfonctionnement de l'hospitalisation conventionnelle en proie aux insuffisances de coordination et d'organisation, nous en sommes à la fois les témoins et les victimes. En effet, les établissements de HAD sont des structures d'aval : quatre fois sur cinq, la demande de HAD émane d'un praticien hospitalier. Une fois sur cinq, elle provient d'un praticien du libéral, notamment lorsque des établissements ont davantage développé les relations avec le secteur libéral. Un patient sur quatre ou cinq vient d'une hospitalisation conventionnelle qui a précédé son séjour en HAD. Cependant, nous constatons toujours des appels au dernier moment.

A l'occasion d'une réunion organisée ce matin même, j'ai pris connaissance de statistiques indiquant que sur dix demandes faites en HAD, trois ou quatre ne seront pas honorées.

Dans un bon nombre de cas, les demandes de HAD ne sont pas honorées, car le patient est finalement orienté vers une autre destination (Ehpad, SSR etc.). En réalité, l'organisation utilise un logiciel d'orientation dénommé « Trajectoire » qui est un très bon outil, mais plutôt utilisé comme un « arroseur ». Après avoir renseigné un certain nombre d'informations, la demande est envoyée à tous les établissements connectés sur le territoire donné et le premier établissement qui répond est pris en considération même s'il ne représente pas la meilleure solution pour le patient. Ce système n'est pas respectueux des patients ni de leurs choix. Ce logiciel permet effectivement d'aider aux orientations et favorise une certaine fluidité du système, mais il méconnaît très largement la situation des patients.

Parfois, les demandes ne sont tout simplement pas adaptées et concernent des soins qui peuvent être dispensés en ambulatoire par une infirmière seule, alors que nous représentons un évitement à l'hospitalisation conventionnelle pour des soins complexes, lourds et techniques, comme vous l'avez rappelé. Les mots ont un sens et une HAD reste une hospitalisation. Nous menons des réflexions sur ces sujets, mais nous dépendons d'une tarification à l'activité. Par conséquent, si nous ne pouvons pas établir une cotation, nous ne pourrons pas prendre en charge le patient. Ce travail pédagogique est encore et toujours d'actualité. En 2017, la Haute Autorité de santé a diffusé un outil d'aide à l'orientation des patients en HAD, intitulé l'ADOP-HAD. Cette application, simple d'utilisation, propose également d'appeler l'établissement de HAD pour de plus amples informations.

Or les demandes sont souvent trop tardives et nous sommes confrontés à des situations où le patient ne pourra pas être transféré en HAD, car il est décédé ou parce que son état s'est trop aggravé. Ces demandes trop tardives ne sont, encore une fois, pas respectueuses des patients. Nous avons même parfois des demandes de prise en charge de patients complètement débranchés et pour lesquels il ne reste aucun espoir. Ces demandes devraient nous parvenir dix à quinze jours plus tôt pour nous permettre de proposer un véritable accompagnement d'une fin de vie.

Nous assistons donc encore à d'énormes problèmes d'organisation, d'appropriation des rôles ainsi que de compréhension de ce qui peut être réalisé au domicile. Je trouve que de nombreux médecins et praticiens, ayant une culture très hospitalière et uniquement hospitalière, n'ont pas du tout perçu l'évolution et la possibilité offerte par le domicile au regard des progrès thérapeutiques et des progrès des techniques médicales. Aujourd'hui, nous pouvons réaliser à domicile des pansements complexes qui étaient inconcevables lorsque j'exerçais moi-même en tant que médecin. Nous pouvons diffuser des produits dont nous n'imaginions pas qu'ils seraient un jour diffusables à domicile. Paradoxalement, durant cette crise, il nous a été demandé de réaliser des perfusions de chimiothérapie, d'anticorps monoclonaux, qui nécessitent tout de même un minimum de procédure et de règles établies. Or nous sommes souvent contraints de répondre dans l'urgence.

Des patients qui nécessitent des soins pour lesquels les gestes sont connus et maîtrisés ne nous sont pas confiés alors que nous recevons des demandes de prises en charge de patients qui nécessitent des actes plus délicats et risqués. Nous pouvons les prendre en charge, mais un dialogue est nécessaire afin de mettre en place les protocoles nécessaires au bon suivi du patient. Cette contradiction pèse sur le fonctionnement. Elle trouve son origine dans les problèmes de compréhension de l'activité des acteurs du soin, de leurs capacités, d'une organisation à l'intérieur des établissements qui continue à être évaluée au nombre de lits alors que la règle de calcul a changé, des difficultés de recrutement et des insuffisances de personnel.

Pourquoi ne pas mettre en place une gestion mutualisée, notamment des hospitalisations des week-ends ? Cette suggestion n'est pas dénuée d'intérêt, car les personnels hospitaliers, infirmiers et aides-soignants, travaillent un week-end sur deux, notamment dans le public.

Ces dysfonctionnements d'organisation pèsent sur la capacité à interroger la justification de l'hébergement hospitalier, c'est-à-dire de se demander si la situation d'un patient arrivé aux urgences justifie qu'il soit dans un lit. Aujourd'hui, ce mode de pensée ne prédomine pas et nous évoluons même plutôt dans une culture à rebours de cette philosophie.

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