On a inventé des tonnes d'outils au fil du temps. Les pouvoirs publics n'ont pas été avares de leur imagination. Pourquoi ces outils ne parviennent-ils pas à remplir leur tâche ?
Docteur Claude Leicher. - Parce que les outils n'ont pas été créés et ne sont pas gérés par les professionnels sur le terrain ! Quelle est la pertinence d'une plateforme gérontologique à 20 heures ?
Au contraire, nous voulons, dans les CPTS, que ce soient les acteurs de terrain qui se saisissent des outils et qui les créent - c'est, du reste, la raison pour laquelle cela ne va peut-être pas aussi vite que vous le souhaiteriez.
On m'a demandé de me saisir du futur DAC. Nous avons besoin d'être aidés par un service d'aide à domicile d'urgence, d'un petit pool dédié, que l'on peut mobiliser le soir grâce à un système d'astreinte, appeler, par exemple, pour une personne qui souffre d'hémiplégie et qui vit seule parce que son mari vient de mourir. Cela peut permettre de ne pas avoir à l'hospitaliser en urgence...
Il existe beaucoup d'outils, mais ils ne sont pas adaptés, n'étant pas gérés par les professionnels sur le terrain. La plupart du temps, on ne trouve pas les outils dont on a besoin.
Le retour à domicile doit-il être géré par l'hôpital ou par la ville ? Il faut une coordination ville-hôpital. Aujourd'hui, nous avons beaucoup facilité le travail des secrétariats hospitaliers grâce aux messageries sécurisées. L'Île-de-France, qui est toujours un peu en retard dans plein de domaines, l'est notamment dans celui-là. Pour notre part, nous avons, sur l'espace numérique de santé proposé par l'ARS, à la fois une messagerie sécurisée, qui s'appelle MonSisra, mais aussi la possibilité d'un dossier partagé, qui s'appelle MesPatients.
Nous allons également créer ce que l'on appelle le « bris de glace » pour que le médecin dispose du maximum d'informations sur le patient qu'il reçoit en urgence. Cela s'organise de façon collaborative. Je crois que c'est mis en place dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le début du mois de janvier.
Sur la gestion de l'aval, vous avez raison de dire que l'hôpital sert de déversoir. Nous remplissons également ce rôle sur tout un tas de sujets. Nous tâchons de jouer ce rôle en bonne intelligence. Il nous arrive de signer des arrêts de travail pour des patients immobilisés par une entorse ou un plâtre. Comme Hélène Colombani le disait tout à l'heure, le temps des diatribes est révolu. Petit à petit, l'idée d'un travail coordonné entre la ville et l'hôpital suit son chemin.
Oui à un Ségur des soins primaires ! Nous en serions très heureux.
Y a-t-il des CPTS qui se créent sans qu'il y ait rien dedans ? Il existe des indicateurs : si rien n'est fait de l'argent versé par l'ARS, il faudra bien le rendre tôt ou tard. Bien entendu, il faut vérifier que les fonds publics soient utilisés à bon escient.
Oui, la suradministration suscite des fantasmes, des peurs.
S'agissant du service public territorial de santé, je veux évoquer le rapport rédigé par Mme Devictor, à la demande de la ministre de l'époque, en préparation de ce qui allait devenir la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. Que les ARS définissent les choses de manière autoritaire serait une catastrophe. La collaboration entre des acteurs qui n'ont pas l'habitude de la coopération nécessite une acculturation. Il nous semble plus opportun, dans notre pays libéral, au sens sociétal du terme, d'inciter les gens à être acteurs de leur métier et de leur vie.
Il est logique d'introduire les usagers dans les CPTS, comme on le fait dans les MSP depuis toujours - je ne parle même pas des centres de santé, car le principe est quasiment né avec eux.
Enfin, la permanence des soins (PDS) n'est qu'un concept d'organisation : la PDS, c'est quand les cabinets sont fermés. D'ailleurs, nous allons probablement de plus en plus utiliser les maisons médicales de garde, mais aussi les cabinets de médecine générale. Accueillir des patients en soins non programmés est quelque chose que l'on fait chaque jour : un patient qui nous appelle le matin et que nous réussissons à voir dans la journée, c'est du soin non programmé.
Docteur Hélène Colombani. - Tout d'abord, un Ségur des soins primaires me semble indispensable, de même qu'un Ségur de la santé publique. Nous avons formulé cette demande lors du Ségur de la santé. Il nous semblait difficile de pouvoir repenser le système de santé autrement que de manière globale. Il y avait des urgences du côté de l'hôpital. On nous avait promis, ensuite, un Ségur de la santé publique. Il faut dire que beaucoup de choses se sont passées depuis... L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, pour un système de santé fort et structuré, des soins primaires forts et structurés. Il y a de quoi faire.
La prise en charge des soins non programmés appelle, me semble-t-il, plusieurs niveaux de réflexion. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a dressé la typologie des patients qui se présentent aux urgences : beaucoup s'y rendent pour des accidents ou des douleurs, souvent associées à d'autres pathologies. D'autres s'y rendent pour des maladies infectieuses.
S'agissant des accidents, certains centres de santé ont bénéficié d'un plateau de radiologie. Ils ont de quoi faire une radio des membres, une échographie, ce qui permet un certain débrouillage. S'ils pouvaient aussi faire des points de suture ou des plâtres, cela pourrait répondre à toute une partie de l'accidentologie qui arrive aux urgences sans y avoir forcément sa place. Il faut, d'ailleurs, un minimum de plateaux techniques : on sait que, dans la démarche clinique, il est désormais important, sur de nombreux sujets, de pouvoir faire un minimum d'examens biologiques et radiologiques. Il faut donc peut-être réfléchir à développer, en soins primaires, de petits plateaux au sein des centres de santé, des maisons de santé, des maisons de garde. Dans de nombreuses maisons de garde, il n'y a rien, si ce n'est un stéthoscope et, parfois, un électrocardiographe. Cela ne permet pas d'aller très loin.
J'ajoute à ce qu'ont dit Claude Leicher et Pascal Gendry que, dans beaucoup de territoires, notamment en zone urbaine, les médecins ne font plus de visite à domicile. En région parisienne, c'est très fréquent. Ils ne se déplacent pas, notamment pour des raisons de temps. Or, pour la prise en charge d'une personne âgée en perte d'autonomie, il est nécessaire d'aller de temps en temps la voir à domicile, dans son environnement, et de construire un plan personnalisé avec les autres acteurs qui la prennent en charge. Cela devient un problème dans certains départements.
D'autres propositions peuvent être faites.
On a parlé de la pratique avancée infirmière. Celle-ci peut trouver sa place dans les soins non programmés en soins primaires. Pour le moment, dans les soins primaires, la pratique avancée n'est considérée que pour les maladies chroniques stabilisées. Des évolutions peuvent être envisagées, notamment pour la visite à domicile. Des expériences se font en alternance avec le médecin traitant. Quasiment tous les médecins ont, dans leur agenda du jour, des plages réservées aux soins non programmés, mais elles se remplissent dès le début de la journée. Il faut donc une coopération entre professionnels. Dans les centres de santé, il y a souvent du personnel infirmier. Nous mettons en place avec celui-ci un travail de protocolisation. Par exemple, nous considérons qu'il faut apporter une réponse aux nourrissons, aux femmes enceintes et aux personnes âgées, que l'on ne saurait laisser dans la nature. Ces populations sont d'abord prises en charge par les infirmières, avant de rencontrer le médecin. Il est à noter que, pour les infirmières, il n'y a pas d'acte qui valorise cette prise en charge, qui est donc à la charge du gestionnaire.
Il faut, à mon sens, réfléchir à toutes les possibilités, en se fondant sur le soutien de l'ensemble des professionnels de santé. C'est toute l'équipe traitante qui doit, ensemble, trouver des solutions pour recevoir tous les patients et éviter, bien évidemment, que ces derniers ne se présentent aux urgences, faute d'avoir obtenu une réponse. Puisqu'il y a de moins en moins de personnels médicaux dans certaines régions, il faut s'appuyer sur toutes les forces en présence, mais cela oblige à repenser la rémunération des protocoles mis en place.
Qu'entend-on par « service public de santé » ? Il faut réfléchir à un maillage du territoire. Je me suis rendue à Gand, en Belgique, dans le cadre d'échanges organisés par un réseau de soins primaires européen. Les soins non programmés et la permanence des soins ambulatoires (PDSA) sont organisés suivant des mailles de 200 000 à 300 000 habitants, et tous les médecins du territoire, quels qu'ils soient, y participent - ils font quelques gardes dans l'année pour la maille dont ils relèvent. De la même manière, en Aragon, en Espagne, où je me rends très régulièrement, il existe un maillage, et une PDSA pour chaque maille du territoire.
En France, il n'y a pas du tout de permanences de garde organisées dans beaucoup d'endroits. Il faudrait peut-être réfléchir à un maillage pour les soins primaires courants, ce qui implique des moyens et une équipe - médecins généralistes, infirmiers en pratique avancée, assistants médicaux... - à même de prendre en charge un volume de population donnée et de la suivre, à la fois en termes de prévention, d'éducation thérapeutique, de soins...
Sur le terrain, les professionnels se sont organisés pour répondre à la crise. Par exemple, alors que de nombreux Ehpad, n'ayant pas de personnel infirmier de nuit, envoient les résidents aux urgences dès qu'ils ne vont pas bien pour ne pas prendre de risques, nous avons, dans les Ehpad de Nanterre, organisé, de manière expérimentale, une astreinte reposant sur un financement de l'ARS et sur les infirmiers libéraux du territoire, parallèlement à une astreinte au service de gérontologie de l'hôpital. Je sais que de telles astreintes se développent dans les Ehpad. C'est un exemple d'initiatives qui peuvent être prises.
Je vous remercie tous trois. Par vos témoignages, vous avez bien illustré les questions du parcours de soin, de la place de chacun et, par ricochet, du périmètre d'activité de l'hôpital, questions importantes que nous étudions dans le cadre de cette commission d'enquête.
Docteur Claude Leicher. - Les élus que vous êtes ne doivent pas oublier, dans la discussion, légitime, sur l'obligation d'installation de jeunes médecins - à laquelle je ne suis pas favorable -, que les ressources humaines n'existent plus. La première commune de France où il faudrait obliger les gens à s'installer ne se trouve au fin fond ni de l'Ariège ni de la Corrèze : c'est Paris.
Par ailleurs, le nombre de secteurs de garde est passé de 3 250 à 2 500. Il va désormais être ramené à 1 500, à la demande des ARS. Mon département, compte 22 secteurs de garde, qui fonctionnent tous.
Il faut en revenir aux réalités de terrain. Certes, SOS Médecins est présent dans les grandes villes, mais il y a énormément de généralistes qui sont toujours impliqués et dans les soins non programmés, et dans la permanence des soins, et dans la régulation. Certains sont même toujours attachés au service des urgences. Ne désespérons pas cette population qui continue de participer à ces actes difficiles, et faisons ce « Ségur de la santé des soins primaires » - la formule me va très bien -, de façon à mettre enfin les problèmes sur la table et à définir les moyens en fonction des objectifs que l'on se donne. Si nous ne mettons pas de moyens sur les soins primaires, dans dix ans, il y aura non plus 22 millions, mais 32 millions de passages aux urgences, ce qui n'est franchement satisfaisant ni pour vous ni pour nous.
Je vous remercie. Je pense que vous pouvez, en cette période préélectorale, adresser ces remarques aux différents candidats ; ils vous apporteront certainement des réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 55.