Je suis psychiatre et je prends en charge des victimes de violences depuis plus de vingt-cinq ans. En 2009, j'ai fondé l'association « Mémoire traumatique et victimologie » dans le but de sensibiliser et de former les professionnels mais aussi d'informer le grand public sur les conséquences psychotraumatiques des violences. Nous participons en outre à la lutte contre ces violences. Notre site internet reçoit plus de 440 000 visites par an et nous réalisons de nombreuses publications, de même que nous essayons d'être très présents sur les réseaux sociaux. Chaque année, nous organisons 80 à 90 journées de formation des professionnels du secteur médical, médico-social mais aussi de la justice, de la police, de l'éducation nationale, des associations, de la protection de l'enfance, de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse), etc. Nous intervenons dans la formation initiale et continue des magistrats et des professionnels de la justice à l'École nationale de la magistrature (ENM). L'association travaille avec des ONG, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l'Unicef, avec le soutien de laquelle, nous avons monté une grande enquête sur l'impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte, pour évaluer les violences qui ont été subies, le parcours de vie, le parcours de soins, la prise en charge et les conséquences sur la santé des victimes. Les résultats de cette enquête, portant sur 1 214 victimes, ont été présentés en 2015 dans le cadre d'un colloque.
Parmi nos nombreuses actions et campagnes, je souhaiterai évoquer notre partenariat avec l'Éducation nationale. Dans les Hauts-de-France, nous travaillons sur un projet de protocole destiné à tous les professionnels susceptibles de prendre en charge des enfants. Ce document sera mis à disposition sur le site de l'Éducation nationale et recensera des bonnes pratiques. En effet, notre grande enquête révèle que l'Éducation nationale vient en tête des institutions où les enfants subissent des violences sexuelles. Avec la gendarmerie, nous créons une mallette de protocoles et nous formons actuellement des policiers de la plateforme de signalement. Nos projets de formation des différents intervenants (police, PJJ, ASE de Paris...) visent à leur donner le maximum d'informations car il y a une réelle méconnaissance de la réalité des violences. Où, quand, comment ces violences se produisent-elles ? Il faut aussi prendre en compte le fait que les enfants vont présenter des troubles psychotraumatiques très déstabilisants pour les professionnels voire paradoxaux, notamment par une manifestation de survie appelée la dissociation traumatique. Les enfants sont comme anesthésiés, déconnectés ; ils peuvent alors ne pas paraître crédibles ou ne pas sembler si atteints que cela. Cela complique l'évaluation de la gravité des faits et des dangers. Il y a un enjeu réel d'élaboration de protocoles et d'échelles d'évaluation du danger que courent les enfants car dans notre enquête, plus de 85 % des victimes disent qu'elles n'ont été ni reconnues, ni protégées. C'est encore plus vrai lorsqu'elles sont vulnérables, que l'on songe notamment aux personnes handicapées et à toutes les structures d'accueil médico-social. J'insiste : il faut vraiment être capables d'évaluer le danger. Les professionnels oublient de poser des questions précises notamment sur le risque suicidaire, sur le risque de réitération des violences. En France, on a très peu de culture de la protection et de l'évaluation du danger.
Il y a aussi la problématique du dépistage. Les enfants ont toutes les raisons du monde d'être dans l'incapacité de parler et nous devons aller vers eux. Il faut donc un dépistage universel et des enquêtes. Or ces dernières, que l'OMS réclame aussi, sont trop peu nombreuses en France.
Enfin, l'association a fait partie du groupe de travail responsable de l'élaboration du cahier des charges des unités traitant du psychotraumatisme. Dix unités sont mises en place mais nous avions prévu, avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), qu'il en faudrait une centaine. Nous nous sommes battus pour que les enfants fassent partie des personnes prises en charge par ces unités, ce qui n'était pas prévu au départ. Nous avons aussi élaboré un cahier des charges pour la formation de tous les fonctionnaires en matière de psychotraumatismes.