Intervention de Martine Brousse

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 23 janvier 2019 à 16h35
Audition d'associations de défense de l'enfance en danger : mmes martine brousse présidente de « la voix de l'enfant » muriel salmona présidente de « mémoire traumatique et victimologie » homayra sellier présidente de « innocence en danger » violaine guérin présidente et muguette dini représentante du groupe multidisciplinaire « politique et institutions » de l'association « stop aux violences sexuelles

Martine Brousse, présidente de « La voix de l'enfant » :

La Voix de l'enfant a trente-huit ans d'existence et son originalité est d'être une fédération. Elle regroupe quatre-vingt associations, dont plus de la moitié interviennent à l'international. Nous intervenons dans 103 pays en nous adaptant bien entendu aux situations locales : dans un pays, les enfants-soldats ; dans un autre, les enfants victimes de la traite des êtres humains, etc. En France, nous développons notamment la prise en charge des mineurs non-accompagnés.

Concernant les violences, cela fait plus de vingt ans que La voix de l'enfant se porte partie civile. Au-delà de la dénonciation des dysfonctionnements, La Voix de l'enfant a aussi pour principe de faire des propositions. C'est dans ce cadre qu'il y a vingt ans, nous avions fait la proposition à Elisabeth Guigou, garde des sceaux, d'aménager des lieux de recueil de la parole de l'enfant. Le temps de la révélation des faits est à la fois essentiel et très violent pour l'enfant. Dans nos constitutions de parties civiles, nous voyons souvent des enfants qui ont déjà parlé trois fois, cinq fois, six fois, dix fois devant des enquêteurs ! Or redire c'est revivre et polluer sa parole, c'est polluer sa mémoire. Dans la cadre de la loi de 1998, nous avons pu ouvrir trois lieux protecteurs et sécurisants où l'on pouvait recueillir la parole de l'enfant. Aujourd'hui il y en a soixante ; ils ont pu se déployer ces deux dernières années grâce au plan d'action de la ministre Laurence Rossignol, dont il faudrait mesurer aujourd'hui l'impact. Les auditions, les lois c'est bien mais quel bilan faisons-nous de ce plan d'action qui va prendre fin en 2019 ? ll contenait des mesures très fortes, notamment en matière de formation et d'information. Il a confié à La Voix de l'enfant l'application de la mesure n° 16, à savoir le déploiement de ces unités d'accueil et la formation des professionnels en tant que formateurs de formateurs. La formation des professionnels est en effet essentielle pour le repérage et le recueil de la parole de l'enfant.

Par ses constitutions de parties civiles, la Voix de l'enfant connaît de nombreuses affaires de violences sexuelles hors du cadre familial. Il faut bien sûr parler de l'Éducation nationale mais il faut remettre les chiffres en proportion et rappeler que c'est l'institution qui reçoit quand même le plus d'enfants. Il y a aussi les structures religieuses sans oublier les clubs sportifs, ni le milieu très fermé des conservatoires de musique. Apprendre à un enfant à jouer au violon, au violoncelle ou au piano, c'est un corps à corps...Et puis, si l'école est à une certaine distance des parents, c'est moins vrai du curé. A la campagne, on l'invite dans la famille. Idem pour le moniteur sportif avec lequel on partage des moments conviviaux. Dans ces situations, l'enfant ne peut pas parler.

La Voix de l'enfant est un facilitateur. Notre but est avant tout de permettre que l'enfant puisse parler. Or les outils dont disposent les professionnels pour ce faire sont encore rares ou peu adaptés. Comment se fait-il qu'après la mission menée par Marie Mercier, la majorité des enfants qui font des révélations de violences sexuelles soient encore conduits dans un commissariat de police ou une gendarmerie. Allez à la brigade de protection familiale de Melun, où j'étais hier ; ils vous accueilleront à bras ouverts. Face à l'escalier, ils ont été obligés de tirer des filets pour que les enfants ne passent pas par-dessus, et quand ils entendent un enfant c'est entre deux bureaux... C'est La Voix de l'enfant qui y prend en charge l'installation d'une salle d'audition. Il est rare que ce soit dans un commissariat de police, mais il n'y a pas d'autres solutions pour cause de discordes entre les hôpitaux de Fontainebleau et de Melun !

Tout ce qui avait été engagé par Laurence Rossignol en tant que ministre perd aujourd'hui de la force. Il faut remettre l'enfant au coeur du dispositif, faire passer ses besoins en priorité.

Comprendre l'enfant permet de repérer les violences et après, si l'affaire doit aller en justice, l'enfant doit être accueilli dans un lieu sécurisant. L'enfant dit sa vérité, parce qu'il dit sa souffrance. Ce n'est pas à lui d'apporter la preuve qu'il y a culpabilité. C'est aux enquêteurs et aux magistrats d'aller chercher la vérité judiciaire.

Le combat de La Voix de l'enfant est complémentaire de celui d'Innocence en danger et du travail de recherche mené par l'équipe de Muriel Salmona. Nous avons aussi mis en place un comité scientifique avec des chercheurs en neurosciences, dont le Professeur Martinot qui a participé à la mission interministérielle sur les violences faites aux enfants. Nous venons aussi de mettre en place un collège de juristes composé notamment de magistrats et de chercheurs. Nous ferons des propositions qui ne viseront pas tant à voter des lois supplémentaires qu'à évaluer l'existant. Évaluons et travaillons ensemble !

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