Intervention de Violaine Guérin

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 23 janvier 2019 à 16h35
Audition d'associations de défense de l'enfance en danger : mmes martine brousse présidente de « la voix de l'enfant » muriel salmona présidente de « mémoire traumatique et victimologie » homayra sellier présidente de « innocence en danger » violaine guérin présidente et muguette dini représentante du groupe multidisciplinaire « politique et institutions » de l'association « stop aux violences sexuelles

Violaine Guérin, présidente de l'association « Stop aux violences sexuelles » :

Je suis endocrinologue et gynécologue médicale, et présidente de Stop aux violences sexuelles (SVS) qui a été créée en 2013 par trois médecins. Ce n'est donc pas une association de victimes mais une structure qui porte une stratégie de santé publique. Elle comprend treize groupes de travail qui nous permettent d'avoir une approche transversale du problème. Plus de 500 personnes interviennent au sein de la structure nationale dont l'action est complétée par celle de quarante structures départementales, régionales et aussi internationales. Il faut souligner que nous sommes une organisation indépendante de l'État, apportant un regard indépendant des institutions. Le périmètre de nos réponses inclura les domaines de l'éducation nationale, du sport, de la culture, des activités périscolaires et des loisirs, des structures dépendant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), des institutions pour les enfants présentant un handicap, des institutions religieuses et également des institutions psychiatriques. Je précise que nous avons un statut d'expert externe reconnu par la Commission européenne et par le Conseil de l'Europe.

Je commencerai par votre question sur l'évaluation de la proportion des mineurs victimes d'infractions sexuelles dans le cadre des institutions. En France on a beaucoup de mal à regarder la violence sexuelle sur mineurs. Le Conseil de l'Europe rappelle qu'un enfant sur cinq est victime de ces violences sexuelles et je dois à Muguette Dini d'avoir réalisé que cela fait treize millions de personnes touchées dans notre pays. Or la France ne fait pas d'études épidémiologiques sur le sujet ! On sait que la famille représente environ 80 % des agressions mais dès lors que l'on se sera penché sur les institutions et que la parole aura commencé à s'ouvrir, alors vous verrez que les chiffres sont plus catastrophiques qu'on ne veut bien le dire.

Nous conduisons nous-mêmes des études dont une qui a déjà été publiée et communiquée lors des assises que nous avions tenues dans les locaux du Sénat. A l'heure actuelle notre groupe de recherche médicale conduit une étude épidémiologique avec des sociologues auprès des mineurs. Je pense que nous disposerons des résultats pour les assises 2020, en particulier s'agissant des institutions.

Nous sommes sollicités tous les jours sur notre site internet par des parents, par des fédérations de parents d'élèves, parfois par des chefs d'établissements ou des enseignants au sujet de la violence sexuelle. Cela tient notamment à la libération de la parole et à l'augmentation des violences entre mineurs. Soyons clairs : toutes les structures qui accueillent des enfants sont touchées. On a beaucoup stigmatisé le sport, mais le monde du sport travaille avec nous depuis 2013 d'une façon extrêmement efficace. Cela avait commencé avec la ministre Valérie Fourneyron, qui avait bien compris que l'intérêt de consulter le Fijais (fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes) était limité en raison du cloisonnement entre les départements. Le ministère des sports a alors très vite mis en place un fichier national. Nous avions aussi prévenu le monde de la culture et l'Éducation nationale dès 2014 mais ça n'a pas été pris en compte. Or, on dispose là d'un gros levier d'action. Par exemple, dans le domaine de la culture, il n'existe pas de carte professionnelle des éducateurs. Il faut absolument y instaurer ce qui existe déjà dans le monde du sport ou de la protection de l'enfance.

Nous avons été obligés de gérer une affaire que l'État aurait dû traiter. Il s'agissait d'un enseignant de musique classique qui partait en Chine avec une délégation d'enfants. On a protesté avec suffisamment de vigueur pour que l'on finisse par arrêter cet enseignant à l'aéroport. Comment en est-on arrivé là ? Parce que l'enseignant n'était pas inscrit au Fijais, malgré ses condamnations, à cause de la correctionnalisation des viols. Il faut arrêter de correctionnaliser les viols et rendre systématique l'inscription au Fijais, en particulier pour les personnes qui travaillent dans les structures accueillant des enfants. Nous avons fait beaucoup d'autres recommandations, reprises dans les documents que nous vos remettons.

Les professionnels sont-ils assez formés ? Non, c'est évident, la plupart des personnes en contact avec les mineurs ne connaissent pas le sujet des violences sexuelles. Ils ne savent pas dépister les mineurs victimes, ils ne savent gérer les situations, ils ont peur du sujet, et en plus ils ne sont pas soutenus par leur hiérarchie !

Lors de nos assises tenues à l'Assemblée nationale au mois de janvier, une enseignante de sciences de la vie et de la terre (SVT) nous disait avoir essayé d'organiser une conférence sur les violences sexuelles dans son établissement. Elle s'est heurtée à une opposition assez ferme de son proviseur. Elle ajoutait que l'Éducation nationale est un milieu fermé, qui protège les agresseurs. Cette enseignante rappelait que dans son équipe, elle voyait des collègues qui sortaient avec des élèves de seize ans. Interpelée par une avocate, qui était dans la salle, sur le fait qu'elle n'avait pas signalé, elle a expliqué qu'elle n'en avait pas eu le courage. Elle avait fait un jour le signalement d'une élève et cela lui avait valu deux mois d'ennuis. Elle a aussi confié que la personne qui l'avait violée pendant des années était un enseignant de mathématiques très bien vu, aujourd'hui en exercice dans un lycée français d'Abu-Dhabi.

Pour notre part, nous délivrons des formations dont une de deux jours dénommée Les bases de la connaissance en matière de violences sexuelles, ou encore une formation sur les démarches à accomplir lors des signalements. En effet, nous nous sommes aperçus aussi que beaucoup de gens ne savaient tout simplement pas signaler. Nous proposons plusieurs programmes de prévention. Je pense en particulier à un programme de prévention en périnatalité avec les sages-femmes libérales et celles des hôpitaux. Ce travail en commun permet de fortes synergies. De même, le CHU de Strasbourg a annoncé le 19 novembre dernier qu'il s'engageait à former tous ses soignants sur le sujet des violences sexuelles. Il faudrait pouvoir le faire partout.

Nous faisons aussi un gros travail de prévention en direction des enfants d'âge scolaire. Ce programme consiste en trois interventions par an et il répond à ce que la loi prévoit. Il a été présenté maintes fois au ministère de l'éducation nationale. On nous a dit que c'était formidable mais...toujours aucun agrément. Nous sommes intervenus avec des chefs d'établissement courageux, qui étaient très concernés par ces sujets mais il demeure un blocage au niveau de l'État. En revanche, la fédération des écoles Montessori a décidé de former tous ses enseignants et tous ses chefs d'établissement grâce à notre programme. Dans notre dossier, vous trouverez une intervention de la sociologue Nathalie Dupin qui a suivi le programme lorsqu'il est mis en place au lycée de Longperrier. Le suivi de 262 enfants sur une année a conduit à deux signalements pendant nos interventions, trois signalements après la fin de l'année scolaire et douze interventions dans des familles.

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