Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi aujourd’hui en discussion devant la Haute Assemblée aurait mérité mieux que le sort que la majorité lui réserve. Ce texte s’adresse à plus de 30 000 communes françaises – rien que cela ! – et à ce titre il aurait pu donner lieu à un débat d’idées, arguments contre arguments. Ce débat n’aura pas lieu. Dont acte.
La motion tendant au renvoi à la commission annoncée remet en cause le constat dressé pourtant par de très nombreux travaux réalisés notamment dans le cadre des missions d’information ou des délégations.
Au fil de ces rapports, cités pour certains dans l’exposé des motifs, un sigle revient de façon récurrente : la trop fameuse et déjà tristement célèbre RGPP, la révision générale des politiques publiques, que certains ont rebaptisée plus justement – comme l’a fait Jean-Jacques Lozach – « raréfaction générale des politiques publiques » !
La récente conclusion de la mission qui lui a été consacrée, présidée par notre collègue François Patriat, a ainsi montré que, pour plus de 80 % des élus interrogés, elle est source d’éloignement des services publics et de moindre efficacité.
Pour nous qui proposons ce texte aujourd’hui, le constat est sans appel : la France vit une vente à la découpe de ses services publics !
Quelle nostalgie pour les plus anciens de ce monde où les services publics irriguaient les campagnes ! Nostalgie d’une époque où existait un dialogue de proximité entre les services de l’État et les élus locaux, proximité aujourd’hui disparue. Bien sûr, les temps changent, les techniques bouleversent les habitudes, les attentes et les modes de vie évoluent. Mais n’en demeure-t-il pas moins essentiel de garantir à nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la ruralité, un socle de services publics garantissant l’équité territoriale ?
L’État doit reprendre toute sa place dans nos territoires ruraux !
Je prendrai l’exemple de l’ingénierie publique.
Moteur du développement des collectivités, l’ingénierie publique est au cœur des programmes locaux en matière d’aménagement, de voirie et d’assainissement, pour ne citer que les principaux. Elle contribue à alimenter les carnets de commandes des entreprises.
Là encore, au fur et à mesure de mes travaux, j’ai croisé le chemin de la RGPP, qui, pour des considérations essentiellement financières, allait porter le coup de grâce à l’ingénierie publique d’État, celle des anciennes et mythiques DDE et DDA. Ainsi, au 1er janvier 2012, les services de l’État n’exerceront plus aucune mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’œuvre en dehors du conseil apporté dans le cadre de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, ou ATESAT.
Cette cassure brutale, dans laquelle la notion de concurrence est devenue la référence absolue, le nouveau Dieu, laisse nombre de maires ruraux face au sentiment de vide et d’abandon.
Pourtant, la multiplication des lois et des normes, la complexification technique et juridique des dossiers, la prise en compte des orientations de développement durable, la multiplication de projets qui abordent les nécessaires aspects de gestion et de maintenance exigent une ingénierie de plus en plus performante, seule garante d’une bonne élaboration de dossiers et d’une exécution de travaux de qualité.
Le risque que les prestations intellectuelles ne soient soumises qu’à la seule loi du marché et de la concurrence, sans aucune référence à des missions de service public, se rapproche, les dangers représentés par la perte de la mémoire et de la connaissance du terrain local sont perceptibles. Apparaît en outre la difficulté de trouver un modèle économique viable pour les prestations en faveur de petites communes dans des territoires peu denses. Apparaît également, à un autre niveau, le danger constitué par la perte de compétences de l’État dans notre pays, où ont pourtant émergé de grands groupes mondiaux privés de travaux publics.
Face à de tels constats, quelles réponses ? L’État ne peut se cacher derrière une ATESAT très inégale dans le pays, et certainement menacée d’extinction par une nouvelle étape à venir de la RGPP.
Un certain nombre de départements ont créé des agences départementales pour palier cette disparition de l’État.
L’idée est celle de l’organisation d’une expertise mutualisée au niveau du département afin de permettre l’exercice d’une mission de service public par des collectivités territoriales et pour elles seules, sans mise en concurrence, mais dans le strict respect des règles communautaires. C’est ce qu’on appelle une solution in house.
Mais n’est-ce pas en réalité un transfert de compétences déguisé et non compensé vers les collectivités ? Pour être mené à bien sûr tout le territoire, celui-ci a besoin d’un soutien de l’État. C’est le sens de l’article 26 de la présente proposition de loi, qui était d’ailleurs demandé par la majorité des associations auditionnées.
L’ingénierie publique de demain appartiendra aux collectivités territoriales ou disparaîtra. Le rôle de l’État, à travers son réseau scientifique et technique, demeure indispensable et déterminant. L’État prestataire s’éteint progressivement quand s’affirment ses missions d’impulsion, d’animation et de contrôle. La mission de l’État expert, dans un contexte d’ouverture aux collectivités, est un fondement indispensable pour cette nouvelle ingénierie publique que les élus espèrent et attendent à côté de l’ingénierie privée.
Je conclurai en vous invitant, mes chers collègues, à méditer sur cette citation de Paul Valéry : « Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »