Intervention de Robert Navarro

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Robert NavarroRobert Navarro, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’aurons sûrement pas le temps d’aller au bout de ce débat. Je préviens donc mes collègues qui n’auront pas l’occasion de s’exprimer aujourd'hui sur ce texte que j’en demanderai de nouveau l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux dès la prochaine rentrée parlementaire.

Je suis ici, devant vous, pour vous proposer de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est historique. Il est unique depuis 1951.

Vous le savez, je suis du Languedoc-Roussillon. Certains ici sont de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque. Oui de France et d’outre-mer, nous sommes les enfants de nos régions !

Ici, à mon pupitre, en observant cette diversité, je regarde l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo. Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment aujourd’hui ne pouvons-nous pas songer aux tranchées de 14-18, à tous ces soldats qui se retrouvaient après l’assaut meurtrier du soir autour d’une soupe claire, autour d’un patois ?

Pouvons-nous aujourd’hui dire, en cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Les langues régionales sont le corps de notre nation. Je suis ici devant vous pour les défendre, pour leur donner vie dans notre République une et indivisible mais riche, tellement riche de sa diversité.

Pour que ce texte arrive devant vous, le parcours a été long. Il a fallu du courage à beaucoup de mes collègues et à moi-même pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette assemblée.

Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes. Je suis ici devant vous pour vous demander de dépasser les clivages politiques traditionnels, pour vous dire que les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Les langues régionales sont au cœur de notre identité républicaine. C’est dans cette diversité que nous trouvons notre unité. L’Académie française l’a si bien rappelé en proclamant : « Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. […] Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre nation. »

Ces réalités, ces sensibilités avaient déjà été évoquées par Voltaire : « c’est le peuple ignorant qui a formé les langages », a-t-il écrit. Gardons notre sang-froid.

En donnant sa vraie dimension aux langues régionales, en leur donnant leur vraie place, nous ne mettrons pas à bas l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, signée par François Ier, et qui a imposé le français comme langue du droit et de l’administration en France. Examinons ici, dans cette enceinte, notre histoire avec lucidité.

Depuis 1539 et pendant trois siècles, le français est resté minoritaire. Dans son rapport de juin 1794, l’abbé Grégoire a révélé qu’on ne parlait exclusivement le français uniquement dans environ quinze départements sur quatre-vingt-trois à l’époque. Oui, au temps fort de la Révolution, seuls 3 millions de Français sur 28 millions parlaient la langue nationale.

Pourtant, la République fut proclamée. Pourtant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fut rédigée. Si je suis ici devant vous, c’est aussi pour rappeler que nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Je veux croire qu’aujourd’hui nous pouvons dépasser le clivage droite-gauche sur ce sujet majeur et dessiner une nouvelle majorité pour ne pas sacrifier ce patrimoine menacé de disparition.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est nécessaire et utile à notre pays.

En France, les langues régionales n’ont toujours pas de véritable statut juridique. À court terme, les langues régionales parlées dans notre République sont menacées : si nous n’agissons pas, nous serons responsables de cette perte de patrimoine, de notre richesse, de notre diversité. La diversité, ce n’est pas seulement les espèces végétales ou animales, c’est aussi le patrimoine immatériel.

Les responsables politiques que nous sommes ont le devoir d’être les passeurs de ces savoirs, de ce patrimoine. Ceux qui sont sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de transmettre cette richesse doivent avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent.

Mon objectif est de donner un droit d’accès et d’usage des langues vivantes autres que le français, non pas aux seuls Bretons ou aux Occitans, mais à l’ensemble des habitants d’un espace géographique imprégné par cette langue.

J’entends, ici, parler d’un risque d’inconstitutionnalité. À ma connaissance, nul ne soulève ce risque quand il s’agit d’imposer l’initiation à une langue étrangère dans les programmes de l’enseignement primaire obligatoire !

On m’objectera que les langues régionales ne sont pas les langues étrangères. Mais des langues comme l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont-elles encore étrangères quand elles sont surtout européennes ? Le danger pour le français ne vient pas tant des langues régionales que de l’Europe, où on ne parle actuellement que l’anglais, et où il est très difficile d’obtenir la transcription en français de tous les débats.

La menace de saisine du Conseil constitutionnel ne doit pas nous effrayer : de fait, l’enseignement du corse est aujourd’hui garanti et nul n’a censuré cette mesure. L’équité exige que toutes les langues bénéficient du même engagement de la République.

Maintenant que nous débattons de cette proposition de loi, nous devons nous efforcer de réunir une majorité d’idées autour de la nécessité de préserver concrètement notre patrimoine commun. En effet, nous sommes convaincus qu’il existe une majorité politique responsable, dans tous les groupes, prête à défendre cet objectif et consciente du fait que les langues régionales sont toujours menacées en France.

Les élus que nous sommes doivent également tenir compte de la hiérarchie des normes, des obligations et des devoirs : en effet, la France défend avec raison la diversité linguistique ailleurs dans le monde, et elle a raison. Au niveau international, elle s’engage à préserver ce patrimoine qui existe sur son territoire. Nous devons à présent respecter ces engagements internationaux.

Notre République s’honorerait de se mettre en conformité avec les recommandations internationales qu’elle a signées, telles la convention de l’UNESCO du 18 mars 2007 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ou encore la convention du 20 avril 2006 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Il est temps que notre pays reconnaisse enfin les langues régionales comme patrimoine national et il est temps pour la République de contribuer à en assurer la valorisation et la transmission, notamment grâce à l’octroi d’un statut protégé.

À ce titre, l’État, l’ensemble des ministères et des structures concernés par cette mission ont un rôle majeur à jouer et des responsabilités précises à assumer.

Mes chers collègues, la France n’est plus menacée de scission depuis longtemps ! La décentralisation est une réussite et la vivacité de notre territoire est le fruit des mesures adoptées, depuis les lois Defferre, par les diverses majorités politiques qui se sont succédé. La reconnaissance des langues et cultures régionales est, à nos yeux, un prolongement logique de cette décentralisation.

Par essence, les sénateurs, de gauche comme de droite, ne peuvent qu’être favorables à une république des territoires.

Dans bien des cas – pas dans tous certes, et d’autres mécanismes sont d’ailleurs prévus par la loi – la région constitue le meilleur échelon à même de soutenir les langues et cultures régionales. Son rôle doit être renforcé, en coordination avec les autres échelons, dans une logique partenariale avec l’État, afin de faciliter et d’accélérer le déploiement de dispositifs efficaces de soutien aux langues régionales.

En tant que chefs de file territoriaux, les régions seraient ainsi en mesure de mieux coordonner l’action des collectivités locales et des services publics dans ce domaine. Mais comme une région n’est pas toujours concernée dans son ensemble par une langue régionale, elle doit pouvoir déléguer cette compétence à un département ou à un établissement public de coopération intercommunale le cas échéant. En outre, si une même langue régionale est commune à plusieurs régions, ces dernières doivent pouvoir se doter, avec l’aide de l’État, d’une instance assurant la mise en œuvre de cette mission.

Pour préserver ce patrimoine encore vivant, nous devons rétablir les mécanismes de transmission naturelle. Tel doit être, in fine, l’objectif de toute politique publique en matière de langues et cultures régionales.

Deux secteurs clefs sont nécessaires à une transmission naturelle de la langue : l’éducation et les médias.

L’éducation nationale, tout comme les médias, est chargée de faire vivre ce patrimoine culturel, de veiller au développement des langues régionales, afin de mieux contribuer à leur transmission. Oublier cette responsabilité ne serait pas un signe de modernité ; au contraire, il s’agirait d’une perte de substance de l’héritage culturel national.

On m’objecte souvent que les enfants devraient déjà apprendre correctement le français, mais cet argument masque une réalité : en effet, les élèves qui, dans les écoles bilingues, étudient une langue régionale, obtiennent des résultats scolaires bien meilleurs que les autres. Enseigner les langues régionales, c’est donc améliorer l’éducation et la culture dans son ensemble.

La Constitution proclame que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » : nous devons en tirer les conséquences quant à la responsabilité et aux obligations assumées par l’État, premier garant de ce patrimoine, ainsi que par les régions, appelées à jouer un rôle sans cesse croissant dans le paysage politique français.

Dans ce cadre, la République a son rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive aux demandes, aux attentes, à la vie des différentes langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme en outre-mer. Il serait suicidaire de le nier.

Mes chers collègues, le temps du débat a commencé ; il est possible que nous n’examinions pas l’ensemble du texte, même si je vous appelle à être brefs et à ne pas faire d’obstruction.

Surtout, par cet examen, nous appelons solennellement nos collègues députés à examiner, eux aussi, les deux propositions en attente : ces textes doivent être inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il n’est pas légitime de priver des millions de citoyens en attente d’avancées sur ce sujet majeur.

Après le temps du débat doit venir celui de la loi, d’une loi qui rassemble en un texte unique l’ensemble des dispositions ayant trait aux langues et cultures régionales, afin de conférer à ces dernières une visibilité qu’elles n’ont pas actuellement, et surtout de leur dessiner un nouvel avenir.

Mes chers collègues, nous, parlementaires, en votant en faveur de la défense des langues régionales, porterons la voix d’une République généreuse, tolérante et courageuse. En votant en faveur de la défense des langues régionales, nous serons véritablement au cœur de ce qui symbolise la valeur de notre engagement en sein de la vie de notre cité.

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