Intervention de Colette Mélot

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on considère le nombre de questions orales et écrites ainsi que la densité des initiatives parlementaires sur le sujet, force est de constater que l’intérêt pour les langues et les cultures régionales est largement partagé au sein de notre assemblée.

La proposition de loi rectifiée de M. Navarro et des membres du groupe socialiste, qui partage beaucoup de ses dispositions avec le texte déposé par M. Alduy et plusieurs membres du groupe UMP, en est un signe supplémentaire.

Intervenant à la suite de l’inscription des langues régionales à l’article 75-1 de la Constitution en tant qu’éléments du patrimoine de la France, ce texte touche à tous les domaines de compétence de la commission de la culture et même au-delà. Sont ainsi concernés l’éducation, les médias et le spectacle vivant, la place des langues régionales dans la vie publique, la vie économique et sociale, l’onomastique et la toponymie.

Mes chers collègues, le temps des « guerres linguistiques » est révolu et la révision constitutionnelle de juillet 2008 l’a bien marqué. La commission de la culture estime qu’il est impératif de conserver le statut prééminent du français, notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, l’un des piliers de l’unification de notre pays.

Cependant, il convient de rejeter la tentation de l’anathème et de reconnaître le trésor culturel que constituent les langues régionales, chacune à sa manière. Celles-ci ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter au plan international pour conserver sa place dans le monde.

En outre, le terme générique de « langues régionales » masque une très grande variété de situations. Rares sont les points communs entre le basque, le breton, les langues d’oc, l’alsacien, le catalan, le corse, le picard, le flamand occidental, les créoles, le tahitien, les langues canaques et amérindiennes. Ces langues diffèrent par le nombre de leurs locuteurs et le degré réel de maîtrise linguistique de ceux-ci, mais aussi par leur mode de transmission, naturel ou scolaire, par l’extension de leurs aires d’usage, par leur vitalité et par les politiques menées localement en vue de les soutenir.

Certaines langues sont ainsi confinées à des territoires restreints comme le pays basque ou l’arrondissement de Dunkerque, tandis que les langues d’oc, ou les variétés d’occitan comme on voudra, couvrent la moitié sud du pays. Il ne faut pas non plus négliger le cas des langues transfrontalières reconnues dans des pays voisins à l’instar du catalan en Espagne et en Sardaigne. De plus, si l’allemand est reconnu comme forme écrite de l’alsacien, les locuteurs du flamand occidental n’adoptent pas le standard néerlandais. Certaines de ces langues connaissent une littérature pluriséculaire, d’autres ne sont pas encore véritablement dotées d’un standard écrit.

De même, l’intervention des collectivités diffère d’un territoire à l’autre, en fonction des priorités librement déterminées de leur politique. Certaines régions, comme l’Alsace ou la Bretagne, mènent une politique vigoureuse en faveur de leur langue propre, d’autres non. Des organismes très structurés existent parfois comme l’office public de la langue basque, dont chacun salue l’efficacité et le succès.

Faut-il pour autant imposer ce modèle partout ? Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, il paraît inopportun de confier au législateur la tâche de tracer un cadre commun uniforme, qui sera par nature mal ajusté aux spécificités de telle ou telle langue, de tel ou tel territoire. Plutôt que de figer des situations très évolutives et mouvantes par des normes nationales, mieux vaut laisser les initiatives locales se développer. D’ailleurs, j’ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les nombreux projets qui fleurissent spontanément un peu partout. Toutefois, une circulaire pourrait être utile pour lever certaines ambiguïtés d’interprétation : le ministère de la culture y travaille.

La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente ; c’est bien là le sens de l’inscription des langues régionales au sein du titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Il revient à ces dernières de déterminer les modalités d’action qu’elles jugent pertinentes pour répondre à la demande sociale locale.

En effet, il ne faudrait pas tout attendre de l’État alors que sont en jeu des intérêts essentiellement locaux. Pour autant, l’État ne doit pas se priver d’intervenir pour sauvegarder les langues régionales. Il s’acquitte d’ailleurs de sa responsabilité de manière très satisfaisante. Ainsi, l’éducation nationale et l’audiovisuel public se sont engagés fortement et à la hauteur de la demande constatée, sans qu’il soit justifié de leur imposer de nouvelles obligations.

Dans les écoles, les collèges et les lycées, toutes formes d’enseignement confondues, quelque 193 500 élèves sont concernés par un enseignement de langues régionales, dont 125 000 environ dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l’offre de formation actuelle et par les perspectives d’évolution inscrites dans la programmation du ministère de l’éducation nationale.

Pour atteindre ces résultats, l’Éducation nationale a mobilisé des ressources importantes destinées au recrutement d’enseignants. Ainsi, depuis 2002, plus de 1 300 postes « bivalents » de professeurs des écoles ont été ouverts.

Cependant, avec à peine plus de deux candidats et demi pour un poste proposé, ces concours ne semblent pas particulièrement attractifs. Pour le second degré, les CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole et occitan – de langue corse et de tahitien recrutent des personnels enseignants depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 600 postes ont été offerts aux candidats. Au collège et au lycée, les enseignements ont été assurés par 502 professeurs certifiés de langue régionale en 2010. Depuis quatre ans, ces effectifs ont même progressé.

L’État et les collectivités territoriales ont également employé la faculté ouverte par l’article L. 312-10 du code de l’éducation, que la présente proposition de loi tend à supprimer, afin de signer des conventions pour la promotion de l’enseignement des langues régionales. C’est notamment le cas dans les académies de Bordeaux, de la Martinique de Montpellier, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse.

L’effort de l’État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n’est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission aux composantes de l’audiovisuel public d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales d’une part, de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France d’autre part.

La mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales a été réaffirmée à l’occasion de la loi du 5 mars 2009 réformant l’audiovisuel public.

Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France transcrivent fidèlement cette exigence. Une part non négligeable des temps d’antenne est aujourd’hui réservée à l’expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales.

En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d’émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. De plus, la chaîne Via Stella, spécifique à la Corse, a diffusé environ 900 heures supplémentaires de programmes. Les Télés Pays outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d’information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l’offre en différé et à la demande. J’estime d’ailleurs qu’internet constitue, plus que les antennes classiques, un excellent instrument de diffusion des langues.

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