Intervention de Colette Mélot

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur :

Enfin, il convient de rappeler que les dispositifs d’aide financière dont bénéficient les médias écrits et audiovisuels en français sont également ouverts aux médias qui utilisent les langues régionales. La presse en langue régionale peut bénéficier des aides à la presse, en particulier celles du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne.

L’engagement de l’État se traduit donc par des investissements très importants, qui sont parfois méconnus mais qui couvrent d’ores et déjà les besoins identifiés, sans qu’il soit nécessaire d’adapter le cadre légal et réglementaire en vigueur.

Par conséquent, la nécessité d’une intervention du législateur n’est pas avérée. Outre cette réserve de principe, la commission de la culture estime que le texte de la proposition de loi n’offre pas une base juridique satisfaisante.

Tout d’abord, la quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, lesquels entraînent des coûts supplémentaires dans les domaines éducatif, médiatique et culturel pour l’État, les collectivités territoriales et l’audiovisuel public, pourrait être déclarée irrecevable.

En effet, l’article 40 de la Constitution interdit toute aggravation d’une charge publique d’initiative parlementaire. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais ces gages sont sans objet, puisque l’article 40 ne permet que la compensation des pertes de recettes et exclut toute compensation d’une aggravation de charge publique.

Toutefois, la commission de la culture a considéré que le débat sur les langues régionales devait se poursuivre en séance publique du fait de son importance et de son intérêt intrinsèque. C’est pourquoi elle a choisi de ne pas recourir à la procédure de l’article 40.

De même, la commission de la culture n’a pas souhaité déposer de motion d’exception d’irrecevabilité pour ne pas couper court au débat. Pourtant, certaines dispositions de la proposition de loi pourraient conduire à la reconnaissance d’un droit collectif opposable à l’État par des groupes minoritaires définis sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d’unicité du peuple français et d’indivisibilité de la République.

Je vise notamment l’ensemble constitué par le statut protégé pouvant être octroyé par les collectivités aux langues régionales d’après l’article 3 du texte.

Sont également concernées les obligations générales d’offre de formation en langue régionale, y compris à destination de tous les enseignants du primaire et du secondaire, au titre II.

L’attribution automatique de fréquences de radio à l’article 24 et les autorisations nécessaires aux télévisions régionales à l’article 30 sont également visées.

C’est aussi le cas de l’obligation d’instaurer une signalétique bilingue dans les services publics à l’article 40.

Enfin, la présomption d’absence de discrimination dans l’organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale, à l’article 49, paraît également aller à l’encontre du principe d’unicité.

La libre utilisation des langues régionales demeure protégée au titre du principe général de la liberté d’expression et de communication, garanti par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l’article 2 de la Constitution. Certaines dispositions de la proposition de loi paraissent revenir sur cet équilibre, ce que la commission de la culture ne souhaite pas.

En donnant compétence au conseil régional pour coordonner l’action des services de l’État et des autres collectivités locales en matière de politique linguistique, ce qui implique une intervention très extensive dans des champs de compétences qui ne sont pas les siens, le domaine éducatif notamment, l’article 4 pourrait méconnaître l’organisation générale des pouvoirs publics et le principe de libre administration des collectivités territoriales, garantis par l’article 72 de la Constitution.

Outre ces doutes sur la constitutionnalité du texte, il convient également de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées par les collectivités.

Plusieurs dispositions des titres IV, V et VI énumèrent des facultés qui sont satisfaites par le droit existant.

En mettant en avant des cas particuliers, le texte risque surtout d’affaiblir la portée générale des possibilités déjà offertes par le droit existant. C’est le cas aux articles 44 et 45, qui renvoient aux services de la petite enfance ou pour les personnes âgées. Ces énumérations peuvent nourrir des interprétations restrictives limitant les facultés d’emploi des langues régionales aux seuls cas mentionnés expressément dans la loi. Nous pouvons déjà prévoir la multiplication des recours. Loin de clarifier les possibilités offertes aujourd’hui, le texte pourrait créer paradoxalement les conditions d’un affaiblissement des langues régionales.

Par ailleurs, certaines dispositions du texte sont d’ordre purement réglementaire. Ainsi, l’article 18 vise à inscrire dans la loi le recrutement des enseignants de langue régionale. L’organisation des concours des différents corps d’enseignants, ainsi que le détail de leurs formations initiale et continue relèvent de décrets du ministre de l’éducation nationale ou du ministre de l’enseignement supérieur. Il ne serait pas légitime de réserver un sort particulier aux seuls enseignants de langues régionales au sein de l’éducation nationale.

Enfin, je me dois d’insister sur le coût potentiellement très élevé des mesures inscrites dans le texte. L’éducation nationale, le ministère de la culture, France télévisions, l’Association des régions de France, l’ARF, lors de leurs auditions, se sont montrés préoccupés par l’impact financier du texte, tant pour l’État que pour les collectivités territoriales.

Dans un contexte budgétaire très difficile, les efforts demandés dans le texte paraissent excessifs. Ils visent essentiellement à faire émerger une demande de langues régionales au sein de la population plutôt qu’à répondre à des besoins clairement identifiés, qui sont en réalité largement satisfaits.

Malgré mon attachement sincère à la préservation de la richesse culturelle que portent les langues régionales, je ne peux dès lors qu’émettre, au nom de la commission de la culture, un avis défavorable sur l’adoption de la présente proposition de loi.

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