Intervention de Luc Chatel

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Développement des langues et cultures régionales — Discussion d'une proposition de loi

Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission de la culture, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, les langues régionales appartiennent désormais au patrimoine de la France. Elles ont donc toute leur place dans notre République, une République ouverte et généreuse qui sait s’enrichir de sa diversité, sans jamais oublier d’affirmer son unité. Cette unité est, plus que jamais, nécessaire pour faire face aux bouleversements du monde, pour répondre aux défis de la mondialisation, qui est une réalité quotidienne pour chacun d’entre nous.

Les langues régionales appartiennent donc au patrimoine de la France, et cela est inscrit dans notre loi fondamentale. Pour autant, et je préfère le dire d’emblée, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de la proposition de loi de Robert Navarro relative au développement des langues et des cultures régionales.

En cela, le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de votre rapporteur, Colette Mélot, dont je veux saluer l’excellent et patient travail. Le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de la commission de la culture du Sénat.

Entendons-nous bien : l’opposition du Gouvernement à cette proposition de loi ne saurait en aucun cas être interprétée, je le dis avec force, comme une opposition de principe aux langues régionales. D’ailleurs, vous savez bien que le Gouvernement n’hésite pas à apporter son appui à la démarche législative lorsque le besoin s’en fait sentir : ici même, au mois de février dernier, mon collègue Frédéric Mitterrand – qui serait présent aujourd'hui s’il n’accompagnait le Premier ministre dans un déplacement en Asie – a soutenu, au nom du Gouvernement, une proposition de loi prévoyant que les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique pouvaient être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale.

D’ailleurs, pour vous montrer que l’obstruction ou le sectarisme ne font pas partie de notre pratique, je veux rappeler devant vous l’effort de l’État en faveur de l’usage et de la transmission des langues régionales. Je souhaite d’autant plus le faire que, à l’occasion des discussions que j’ai eues avec certains d’entre vous et au cours d’échanges avec plusieurs de vos collègues de l’Assemblée nationale, je me suis aperçu que l’action de l’État en faveur des langues régionales, pourtant soutenue au cours des dernières décennies, était par trop méconnue.

Elle est méconnue alors même qu’elle répond très largement à la demande de certains de nos territoires et de certains élus. Je mesure d’ailleurs la vigueur de cette demande au moment où quatre propositions de loi ont été déposées presque conjointement au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par l’opposition comme par la majorité.

Aussi, avant d’en venir aux raisons qui conduisent le Gouvernement à vous demander de rejeter cette proposition de loi, vous me permettrez de tracer devant vous à grands traits les contours de l’action de l’État en faveur des langues régionales.

L’école de la République a longtemps été accusée d’être l’ennemi farouche des langues régionales. Elle aurait combattu leur usage. Elle se serait opposée à leur transmission. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la conception que je me fais de notre école. Ce n’est pas la conception que l’éducation nationale se fait des langues régionales. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’effort soutenu qu’elle consacre depuis plusieurs décennies aux langues régionales, et je remercie Mme le rapporteur d’en avoir pris acte dans son rapport.

Enseignées dans dix-huit des trente académies de France, les langues vivantes régionales sont tout d’abord pleinement reconnues dans les programmes nationaux de l’Éducation nationale. C’est le signe de l’attachement que nous leur portons, mais également de la rigueur et du sérieux de cet enseignement.

Ainsi, au cours des dernières années, le ministère a rénové ou profondément repensé les programmes de langues vivantes régionales métropolitaines – basque, breton, catalan, corse, occitan-langue d’oc, langues régionales d’Alsace et des pays mosellans – afin de les inscrire dans le cadre européen commun de référence pour les langues. Quelle belle reconnaissance pour ces langues !

Ces rénovations ont eu lieu en 2007 pour le primaire, en 2007 pour le palier 1 du collège, qui vise le niveau A2, en 2010 pour le palier 2 du collège, qui vise le niveau B1, et pour la classe de seconde.

En outre, des programmes de créole pour l’école et le collège sont en voie de publication. Ils sont à l’ordre du jour du Conseil supérieur de l’éducation de ce jour, 30 juin, et seront applicables dès 2011-2012.

Enfin, le gouvernement local de Polynésie française s’apprête à publier des programmes de tahitien, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par la loi organique en matière d’enseignement des langues de la Polynésie française.

J’ajoute que l’enseignement des cultures régionales ne se limite pas à la transmission des langues régionales. En effet, la géographie, la culture et l’histoire régionales peuvent également être étudiées dans le cadre du cours d’histoire et de géographie et ainsi être connues de celles et de ceux qui ne suivent pas d’enseignement de langue régionale. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le programme de géographie du cycle 3 de l’école comprend une entrée intitulée « Des réalités géographiques locales à la région où vivent les élèves ».

La spécificité des départements d’outre-mer est, quant à elle, prise en compte dans des programmes adaptés d’histoire et de géographie.

J’en reviens à l’enseignement des langues régionales, inscrit au cœur de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, pour en souligner la richesse. En effet, à l’école, au collège, comme au lycée, plusieurs modalités d’enseignement coexistent qui présentent toutes une singularité et un intérêt.

Ainsi, à l’école, on peut distinguer quatre modalités d’enseignement différentes.

L’enseignement extensif est dispensé durant une heure trente prise sur l’horaire de langue vivante selon des modalités définies dans le projet d’école. Certaines langues, dans le cadre des dispositions particulières qui les régissent – je pense au corse ou au tahitien – sont considérées comme une matière incluse dans l’horaire normal d’enseignement ; trois heures leur sont alors consacrées.

L’enseignement renforcé est dispensé selon un horaire hebdomadaire allant au-delà d’une heure et demie, par exemple de deux heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire est assuré pour moitié en langue régionale, pour moitié en français. Une partie des activités inscrites au programme de l’école se déroulent donc dans la langue régionale de la section.

Enfin, l’enseignement bilingue par immersion est dispensé dans le cadre scolaire des réseaux associatifs. La langue régionale est alors non seulement la langue des activités pour plus de la moitié de l’horaire, mais également la langue de la vie scolaire de l’école.

Au collège, plusieurs modalités spécifiques d’enseignement existent également.

En sixième et en cinquième est dispensé un enseignement facultatif, à raison d’une heure hebdomadaire, cette durée étant généralement portée à deux heures, voire à trois heures pour le corse et le tahitien. Cet enseignement se poursuit en classe de quatrième au titre d’enseignement optionnel facultatif.

L’enseignement optionnel obligatoire de deuxième langue vivante correspond à un horaire de trois heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire se pratique dans les sections « langues régionales ». Au moins trois heures hebdomadaires sont consacrées à l’enseignement de langues et cultures régionales ; une ou plusieurs disciplines sont enseignées dans la langue régionale, ce qui permet d’atteindre progressivement un enseignement à parité en français et en langue régionale.

Toujours au collège, notons l’enseignement bilingue par immersion, selon les mêmes principes que ceux que je viens d’évoquer pour le primaire.

Au lycée, enfin, dans le cadre de la nouvelle organisation des enseignements mise en œuvre depuis la rentrée scolaire de 2010, les langues régionales sont proposées en classe de seconde comme troisième langue vivante, au titre des enseignements d’exploration ou facultatifs. Cet enseignement se poursuit dans le cycle terminal des séries ES, L et S.

En outre, les enseignements bilingues suivis dans les sections « langues régionales » de collège sont également assurés au lycée selon des modalités d’organisation proches de celles qui régissent les sections européennes.

Puisque j’évoque les formes et les objectifs de l’enseignement de notre pays, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que, le 6 novembre 2009, lors du comité interministériel de l’outre-mer, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait développer le recours aux langues régionales – dont le créole – dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, pour faciliter les apprentissages.

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